PARAGRAPHE 2 : LE DROIT DE LEGITIME DEFENSE
La légitime défense peut être
définie comme le << fait justificatif permettant de riposter
par la violence à une agression actuelle et injuste dirigée
contre les personnes ou les biens53 ». C'est pourquoi pour
ce faire, son droit est largement reconnu (1) par la communauté
internationale seulement lors de sa mise en application (2), celui-ci suscite
un certain nombre d'ambiguïté.
1- La reconnaissance du droit
La Charte des N.U., en son art. 51, reconnait le droit de
légitime défense aux Etats peu importe la nature de ce droit
à savoir individuel ou collectif. En effet, il est stipulé dans
cet article que << aucune disposition de la présente Charte ne
porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle
ou collective, dans le cas oil un Membre des Nations Unies est l'objet d'une
agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de
sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir
la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par
des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont
immédiatement portées à la connaissance du Conseil de
sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le
Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de
la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales
».
Toutefois, pour que ce droit soit effectif, les Etats doivent
réellement faire l'objet d'une agression armée ; cela pour dire
qu'aucun Etat ne peut se lever et se faire prévaloir de ce droit sans
qu'il soit au préalable agressé. Seulement, le conseil de
sécurité n'est pas forcément saisi de la question.
<< A ces deux conditions, la jurisprudence
internationale a ajouté le principe de la proportionnalité lors
de la réalisation de ce droit54 ». Ainsi donc, il
faut que les forces en présence soient proportionnelles pour pouvoir
appliquer l'art. 51 de la Charte afin d'éviter une application
disproportionnée de celui-ci car cela risque de
déséquilibrer les rapports de force.
2- La réalisation du
droit
Pour Philippe CHRESTIA, la réalisation du droit de
légitime défense suscite des remarques concernant trois
situations particulières en dehors d'une riposte directe de la part de
l'Etat victime d'une agression. Ces situations sont : la légitime
défense collective, la défense contre les actes de terrorisme et
la légitime défense collective.
- La légitime défense
collective : Elle provient du fait que les Etats, n'ayant pas tous
les mêmes rapports de force et sachant que seuls ils ne peuvent rien en
cas d'agression, ont choisi de se réunir au sein d'entité ou
d'organisation à défaut de signer des accords avec d'autres Etats
pour se protéger en cas d'une agression. Cela pour dire qu'étant
donné que les Etats n'ont pas tous la même force de frappe et de
peur de se voir anéantir par l'agresseur se sont liés pour se
défendre mutuellement en cas d'agression. Cela fut d'autant plus
encouragé lors de la guerre froide au vu de la rivalité qui
existait entre les deux blocs socialiste et occidental. Cette rivalité
favorisa la mise en place d'organismes régionaux de défense
mutuelle comme le Pacte de Varsovie par le bloc socialiste et l'Organisation du
Traité de l'Atlantique Nord (O.T.A.N.) par le bloc occidental. C'est
ainsi que l'art. 5 du Traité de Washington fut invoqué pour la
première fois au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 par les
Etats Unis. << La question de légitime défense
collective est aussi équivoque quand elle prend la forme d'accords de
défense liant un Etat avec son ancienne colonie ou avec l'un de ses
satellites. Elle marque dans ce cas un retour aux zones d'influence. C'est en
effet sur ce base juridique que les Etats Unis et l'U.R.S.S. avaient par
exemple justifié leurs interventions au Liban pour les premiers en 1958,
en Tchécoslovaquie en 1968 et en Afghanistan en 1979 pour les
seconds55 ». Aussi la France entretient-elle ses forces
prépositionnées en Afrique surtout dans ses anciennes colonies.
Ces forces sont présentement situées en Côte d'ivoire,
Gabon, Tchad, Djibouti et Sénégal << pour
l'exécution d'accords de défense conclus pour certains depuis les
indépendances et qui n'ont jamais été publiés
». C'est sur la base de ces accords que la France est intervenue en
février 2008 au Tchad lorsque les rebelles avaient attaqué
Ndjamena et
54 Ph. CHRESTIA, op cit
55 Ibidem
22
que le pouvoir du Président Idriss DEBY-ITNO
était menacé par ceux-ci. Ces forces y étant
prépositionnées, elle lui était plus facile d'intervenir
et de mater la rebellion qui était aux portes du palais
présidentiel. Toutefois, depuis l'arrivée au pouvoir de Nicolas
SARKOZY, et plus particulièrement depuis 2009, certains de ces accords
de défense ont été dénoncés et certaines
bases où les forces françaises ont été
prépositionnées sont plus ou moins démantelées
comme c'est le cas avec la base de Dakar au Sénégal.
- La défense contre les actes de
terrorisme : Cette question n'a été saisie par le
Conseil de sécurité qu'au début des années 1990.
Seulement, en son temps, l'action du Conseil de sécurité
consistait essentiellement à adopter des sanctions à l'encontre
d'Etats soupçonnés d'être liés à certains
actes terroristes. Le code civil américain définit le terrorisme
en sa section 2656f(d) comme une « violence
préméditée, à motivation politique,
perpétrée contre des cibles non combattantes par des groupes
subnationaux ou par des agents clandestins, généralement pour
influencer un certain public ». Etant défini ainsi, on
comprend aisément pourquoi en 1999, le Conseil de sécurité
adopta la résolution 1269 qui exhorta l'ensemble des Etats membres des
N.U. à coopérer pour prévenir et réprimer tout acte
terroriste. C'est pourquoi les Etats unis se sont estimés en situation
de légitime défense au lendemain des attentats du 11 septembre
2001 en se fondant sur la résolution 1368 du Conseil de
sécurité adopté au lendemain desdits attentats. Selon Ph.
CHRESTIA, « (...) si cette résolution réaffirme dans ses
visas le droit de légitime défense, les dispositions mentionnent
les actes terroristes dont les Etats Unis ont été victimes mais
ne se réfèrent pas à une quelconque agression
armée56 ». Alors, si les Etats Unis,
même s'ils sont victimes d'actes terroristes, force est de se poser la
question à savoir qu'est ce qui a poussé ces derniers à
attaquer l'Afghanistan ? En effet, les Etats Unis n'ont pas fait l'objet d'une
agression armée orchestrée par un Etat ou à défaut
par un groupe de mercenaires à la solde d'un Etat alors qu'il faut la
présence de l'une de ces facteurs pour être en droit de se
réclamer d'être en situation de légitime défense.
Or, pour Ph. CHRESTIA, « les talibans n'étaient qu'un
gouvernement de fait en Afghanistan non reconnu par les autres Etats. Leurs
liens avec Al Qaïda n'étaient pas suffisamment établis pour
que le droit de légitime défense puisse s'exercer. Enfin et
surtout, le droit de légitime est conçu comme un mécanisme
provisoire avant que le Conseil de sécurité ne se saisisse de la
question57 ».
- La légitime défense
préventive : Elle sert à justifier une attaque avant
qu'un Etat ne la commette ; ce qui n'a aucun fondement juridique car ne
reposant sur aucune base légale. Seulement, elle a été
invoquée par Israël en 1967 contre l'Egypte, en 1975 contre les
camps palestiniens au Liban et en 1981 contre l'Irak. Il faut reconnaître
qu'à chaque fois qu'on a fait appel à la légitime
défense préventive, elle a été condamnée par
le Conseil de sécurité et/ou la communauté internationale
excepté les Etats Unis qui ont parfois justifié cette pratique.
« En effet, le Président Georges BUSH a développé
en septembre 2002 une stratégie en vertu de laquelle les Etats Unis
n'hésiteront plus à agir préventivement s'ils estiment que
leur sécurité nationale est menacée et c'est sur ce motif
qu'ils ont attaqué l'Irak en 2003 en arguant d'un lien entre Saddam
HUSSEIN et Ben LADEN d'une part, de la possession d'armes de destruction
massive d'autre part58 ».
Toutefois, ce concept développé par le
Président G. BUSH ne repose sur aucune base juridico-légale mais
aussi il présente un plus grand danger politique. Il est d'ailleurs
condamné par la jurisprudence internationale. Ainsi, à la suite
de Ph. CHRESTIA, nous pourrons dire sans risque de nous tromper d'employer la
formule du Professeur DECAUX « ce n'est rien de moins qu'un
chèque en blanc à tirage indéfini ».
Cependant, << l'usage préventif de la force
transforme la légitime défense en un concept offensif, illicite
au regard du droit international. En effet, c'est alors une violation de l'art.
2 parag. 4 dont la seule dérogation avec la légitime
défense en riposte en une agression est le recours à l'O.N.U.
».
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