III-HYPOTHESES
Le dispositif camerounais de défense nationale semble
avoir été formulé pour répondre aux menaces
classiques et ne parait pas, en conséquence, suffisamment outillé
pour riposter aux nouvelles menaces en dehors d'une modification de ses cadres
d'action.
Les Forces Armées camerounaises ont été
formulées de nature non seulement à pouvoir neutraliser la
rébellion post indépendance mais aussi et surtout, de garantir
l'intangibilité des frontières, la souveraineté et le
fonctionnement harmonieux des institutions pouvant être menacés de
l'intérieur comme de l'extérieur. Mais leur structuration est
susceptible d'évoluer au gré de la dynamique
sécuritaire.
IV-MÉTHODE ET INSTRUMENTS
Dans la perspective de mieux cerner notre étude
relative à l'évaluation de la politique de défense
camerounaise face à l'émergence des nouvelles menaces criminelles
transnationales, il nous convient de préciser, la méthode et les
instruments qui nous permettrons d'y parvenir.
1- MÉTHODE : LE SYSTÉMISME
Analyser le rapport de force des Armées Africaines en
général et Camerounaises en particulier dans la nouvelle donne
insécuritaire mondiale sera fait à l'aune de la méthode
systémique.
Au premier niveau, il est question de savoir si les Forces
Armées camerounaises disposent d'un cadre doctrinal d'action (doctrine
cognitive
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et normative) définissant leurs engagements. Le
systémisme mettant en phase selon Marcel Merle, un ensemble de relations
entre un certain nombre d'acteurs compris dans un certain type d'environnement
et soumis à un mode de régulation adéquat,
selon David Easton, un ensemble d'interactions par lesquelles les
objets de valeurs sont repartis par voie d'autorité dans une
société (Easton, 1974 : 23) nous permet de définir le
système de défense camerounais. Ce système social est un
agrégat de fonctions diversifiées portant entre autres sur le
maintien du modèle original et spécifique des relations qui
assurent l'identité du groupe, la capacité d'adaptation aux
contraintes émanant de l'environnement extérieure. Il nous permet
de comprendre comment sont élaborées les lois d'une dynamique
sociale, d'identifier les motivations qui poussent les dirigeants politiques
à prendre telle ou telle décision face à une augmentation
de la criminalité exigeant d'être prêt à combattre,
à faire appel à son agressivité pour défendre la
vie et les biens des populations (Elias 1969 :192); de comprendre l'offre
supplémentaire de sécurité qui est déployée
par la communauté internationale face à l'augmentation de la
criminalité transfrontalière tant sur terre, dans les airs que
sur mer.
La méthode systémique à partir des
propriétés communes de tous les systèmes politiques permet
après la détermination des structures du système, les
fonctions des structures et du système de démystifier le
fonctionnement de toute organisation politique. Elle permet ainsi
d'appréhender le fonctionnement du système partant des flux
entrants « inputs » aux flux sortants « outputs
» en passant par la boite noire.
Les acteurs et structures de la défense nationale vont
du niveau suprême de l'Etat au niveau des circonscriptions
administratives en passant par l'échelon gouvernementale (Ela Ela 2000 :
154). L'échelon présidentiel s'articule essentiellement autour
des pouvoirs militaires du Président de la République qui dispose
des organes de décision à savoir : le Conseil Supérieur de
la Défense Nationale, le Comité Technique de la Défense
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Nationale (organes d'élaboration) ; le
Secrétariat permanent à la Défense Nationale, la
Délégation Générale à la Sûreté
Nationale, la Délégation Générale à la
Recherche Extérieure, le Ministère de la Défense (organes
d'exécution) (Ela Ela 2000 : 155-159). A l'échelon gouvernemental
sont responsabilisés les Départements Ministériels sous la
coordination du Premier Ministre (Ela Ela 2000 : 160-165). Les acteurs et
structures à l'échelon régional tiennent des
prérogatives des chefs de circonscriptions administratives,
représentants du pouvoir exécutif dans leurs circonscriptions de
compétence et, de l'organisation du commandement militaire territorial
(Ela Ela 2000 : 166-172).
Dans le cadre de l'élaboration d'une politique de
défense, plusieurs facteurs sont pris en considération : ceux qui
sont d'ordre interne (la force de l'ennemi, sa propre force, le terrain, les
conditions météorologiques, et géographiques) et d'ordre
externe (l'héritage de l'influence des puissances
étrangères, conséquences des flux migratoires, les
relations avec les pays limitrophes et ceux plus lointains, l'action
diplomatique du Cameroun dans le sens de son rayonnement international et son
action en faveur des mouvements militant pour la paix et la
sécurité internationale). L'environnement extérieur du
système est composé des acteurs et structures de la
société civile, les organisations internationales et non
gouvernementales, les autres Etats, les partis politiques, les associations
préoccupées par la sécurité,
l'intégrité et la souveraineté du Cameroun (Ela Ela 2000 :
75-76).
Comme tous les systèmes politiques, le système
de défense camerounais communique avec son environnement au moyen
d'inputs et d'outputs.
· LES INPUTS
Les inputs sont constitués par toutes les
données qui entrent dans le système. Ces valeurs provenant de
l'environnement ou alors du système lui-
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même peuvent être reparties en deux grandes
catégories à savoir les demandes et les soutiens.
Les soutiens sont des valeurs ou actions conférant des
capacités de décision et d'action au système. Il s'agit
concrètement des ressources humaines et matériels
nécessaires au déploiement du système de défense
mis à sa disposition par le peuple, les organisations de la
société civile, les organisations internationales et tous les
acteurs et structures constituant l'environnement extérieur du
système.
Les demandes quant à elles sont l'ensemble des
attentes, des sollicitations et des besoins en matière de
défense, de souveraineté et de sécurité
exprimés par les interlocuteurs des gouvernés. Elles peuvent
aussi être, pour les with-inputs, le fait des gouvernants qui
inscriraient dans leur agenda politique des problèmes non
soulevés par le peuple mais, qu'ils identifient comme suffisamment
préoccupants. Pour l'essentiel, les demandes consistent en des
informations relatives aux actes et faits menaçant
l'intégrité territoriale, la souveraineté de l'Etat et la
sécurité du peuple camerounais. Les chefs de circonscriptions
administratives12 et militaires13 chargés du
recueil, de la centralisation et de la diffusion du renseignement militaire et
du renseignement de défense (Ela Ela 2000 : 167-169) sont des
gate-keeper en ce sens qu'ils filtrent les informations devant
parvenir aux hauts commandements civils et militaires participant à
l'élaboration de la politique de défense.
~ LE TRAITEMENT DANS LA BOITE NOIRE
Une fois collectées par les chefs de circonscriptions
territoriales civiles et militaires14, ces données
parviennent à l'échelon gouvernemental15 et enfin
à l'échelon présidentiel16 qui est le seul
véritable maître de la
12-Régions, Départements,
Arrondissements, districts, villages.
13-Régions militaires, Secteurs, sous-secteurs,
Quartiers, Sous-quartiers militaire. 14-Article 17 de la loi de
1967.
15-Loi n°67/LF/9 du 12 Juin 1967, portant
Organisation de la Défense (Article 10). 16-Article 6 de la
Loi de 1967.
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défense militaire du Cameroun17. Le
Président de la République étant le chef suprême des
Forces Armées transmet ainsi le dossier aux organes d'aide à la
décision présidentielle18, organismes consultatifs
à savoir le Conseil Supérieur de la Défense Nationale et
le Comité Technique de Défense pour étude et avis (Ela Ela
2000 : 158). Ces derniers après études donnent leurs avis chacun
en ce qui le concerne19 au Chef Suprême des Armées qui
décide en dernier ressort. Une fois définie, la politique de
défense est instruite aux organes de mise en oeuvre pour
exécution.
· LES OUTPUTS
D'après David EASTON, les outputs sont constitués
des décisions effectivement prises et les actions par lesquelles elles
sont menées.
Une fois élaborée en fonction des contraintes et
réalités internes et externes, la politique de défense
camerounaise est mise en oeuvre par quatre organismes :
- Le Secrétariat Permanent à la Défense
Nationale, assure la mise en
oeuvre de la politique de défense dans les administrations
civiles.
- La Délégation Générale à la
Sûreté Nationale, assure la mise en
oeuvre de la politique de défense pour les Forces de
sûreté nationale. - La Délégation
Générale de la Recherche Extérieure, assure la
direction de la recherche et l'exploitation du renseignement.
- Le Ministère de la Défense, assure la mise en
oeuvre de la politique
de défense dans les Forces Armées.
17-Chapitre 1er, Article 8 alinéa
2 et 3 de la Constitution camerounaise du 18 Janvier 1996. 18Le
Conseil Supérieur de la Défense qui connaît des aspects
généraux, civils et militaires de la défense et la
coordination de la direction générale de ceux-ci ; le
Comité de Défense qui ne traite que des aspects militaires
c'est-à-dire des buts à atteindre par l'ensemble des Forces, de
l'approbation des plans de défense...
19 Le Conseil Supérieur de la
Défense Nationale connaît des aspects
généraux, civils et militaires de la défense et la
coordination de la direction générale de ceux-ci ; Le
ComitéTechnique de Défense, ne traite
exclusivement que des aspects militaires, c'est-à-dire,
des buts à atteindre par l'ensemble des forces, de
l'approbation des plans de défense, des mesures destinées
à pourvoir aux besoins des forces et des instructions à donner
aux unités ou détachements mis à la disposition des
organismes internationaux.
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Ces quatre organismes sont coordonnés par le
Comité technique de la Défense Nationale en ce qui concerne leurs
différentes activités (Ela Ela 2000 : 158-159).
· FEEDBACK ou COURBE DE
RETROACTION
Les décisions et les actions émanant du
système de défense se répercutent sur l'environnement
qu'elles modifient et dont elles suscitent ; soit un maximum de soutien en
termes d'approbation, soit alors l'insatisfaction manifestée par de
nouvelles demandes : c'est le feedback. Ces réponses du gouvernement
affectent et influencent l'environnement dans lequel évolue le
système de défense. La doctrine de défense et les actions
prescrites par cette dernière doivent pouvoir assurer la
sécurité et l'indépendance du Cameroun dans un
environnement international caractérisé par la
multiplicité des menaces et une situation de crise économique
mondiale aggravant les tensions. Si tel est le cas, cela entraînerait une
augmentation du soutien du régime en place. Au cas contraire, on
observerait une diminution du soutien manifesté par des requêtes
de la société civile, des marches de protestation, bref une crise
qui à long terme peut entraîner un renouvellement de la
boîte noire.
Le système de défense Camerounais peut être
schématisé ainsi qu'il
suit :
-Chefs de circonscriptions territoriales civiles
et militaires -Chefs de départements ministériels
- Premier Ministre
-Etats Etrangers
-Organisations Non-Gouvernementales -Société
civile
-Peuple
Conseil Supérieur de la Défense Nationale
Comité Technique de Défense Nationale
Président de la République
-Contraintes et réalités internes et externes -Les
nouvelles menaces à la sécurité : criminalité
transfrontalière, piraterie maritime, terrorisme
-Secrétariat permanent à la Défense
Nationale -Délégation Générale à la
Sûreté Nationale (DGSN) -Délégation
Générale à la Recherche Extérieure (DGRE)
-Ministère de la Défense (MINDEF)
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à la sécurité : d'une Armée « de garde »
vers une Armée « d'avant-garde » 1960-2010
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vers une Armée « d'avant-garde » 1960-2010
Au second niveau, il s'agit de s'intéresser à la
démarche opérationnelle, à l'architecture de
sécurité, au dispositif de riposte des Forces Armées
camerounaises enclin aux nouvelles menaces. Il est question pour nous de
déterminer la stratégie appliquée (question de tactique,
d'opératique, de mise en oeuvre logistique d'un certain nombre d'outils)
par les Forces Armées camerounaises. A travers une analyse
stratégique constituant un raisonnement suivant une logique à
priori, selon laquelle l'homme chercherait la meilleure solution à tout
problème (Crozier et Friedberg 1977 : 46), nous appréhendons les
types de rationalité à l'aide desquelles l'Armée
camerounaise formule son référentiel (repère cognitif et
positif) : Intérêt politique en termes de défense et
souveraineté ; Intérêt stratégique en termes de
production d'une capacité de projection, de riposte ;
Intérêt économique en termes de définition d'un
dispositif face aux menaces asymétriques.
Mais dans un contexte de rationalité limitée,
l'Armée camerounaise décide de façon séquentielle
et choisit pour chaque problème qu'il a à résoudre, pour
chaque menace qu'il doit neutraliser, la première solution qui
correspond pour elle à un seuil minimal de satisfaction. Cette
démarche repose sur les observations empiriques suivantes :
1- L'Armée n'a que rarement des objectifs clairs et
encore moins des projets cohérents : ceux-ci sont multiples, plus ou
moins ambigus, plus ou moins explicites, plus ou moins contradictoires. Elle en
changera en cours d'action, en rejettera certains, en redécouvrira
d'autres, chemin faisant, voire après coup, ne serait-ce parce que des
conséquences imprévues et imprévisibles de son action
l'obligent à « reconsidérer sa position » et à
« réajuster son tir ». Ce qui est « moyen » à
un moment sera donc « fin » à un autre et vis versa. Il serait
illusoire et faux de considérer son comportement comme toujours
réfléchi c'est-à-dire médiatisé par un sujet
lucide calculant ses mouvements en fonction d'objectifs fixés au
départ.
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2- Pourtant son comportement est actif. S'il est toujours
contraint et limité, il n'est jamais directement déterminé
; même la passivité est d'une manière le résultat
d'un choix ;
3- Et c'est un comportement qui a toujours un sens ; le fait
qu'on puisse le rapporter à des objectifs clairs ne signifie pas qu'il
ne puisse être rationnel, tout au contraire. Au lieu d'être
rationnel par rapport à des objectifs, il est rationnel d'une part par
rapport à des opportunités et à travers ces
opportunités au contexte qui les définit et, d'autre part, par
rapport au comportement des autres acteurs, au parti que ceux-ci prennent et au
jeu qui s'est établi entre eux ;
4- C'est enfin un comportement qui a toujours deux aspects :
un aspect offensif traduit par la saisie d'opportunités en vue
d'améliorer sa situation ; et un aspect défensif
c'est-à-dire le maintien et l'élargissement de sa marge de
liberté, donc de sa capacité à agir. Cette opposition se
retrouve sans qu'il y'ait nécessairement équivalence dans une
perspective temporelle, l'important restant la dualité et non pas la
signification des termes ;
5- Il n'ya donc plus, à la limite, de comportement
irrationnel (Crozier et Friedberg 1977 : 47-48).
Une organisation devant nécessairement et toujours
rechercher à optimiser l'ajustement entre sa structure et les exigences
véhiculées par son environnement et sa technologie (Crozier et
Friedberg 1977 : 133), nous comprenons mieux les changements organisationnels
et fonctionnels des Forces Armées camerounaises dans l'accomplissement
de leurs missions. C'est dire dans les termes même de l'analyse
stratégique du système , différents acteurs dans
l'environnement d'une organisation détiennent face à elles des
sources d'incertitudes majeures et inéluctables qu'elle doit à
tout moment chercher à contrôler pour assurer son maintien et son
développement (Crozier et Friedberg 1977 : 140-141).
Les F.A.C. face aux nouvelles formes de menaces
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Mais à la limite de la démarche de Merle et
d'Easton relevant de l'interdépendance au niveau doctrinale et de
Crozier et Friedberg relevant de l'autonomie au niveau opérationnel,
nous mettons en phase les opportunités d'alternance entre
dépendance et autonomie constatée entre les Forces Armées
et la hiérarchie politique dans le système de défense et
de sécurité. L'Armée en tant que structure du
système de défense accomplit ses missions conformément
à la doctrine définie par la haute hiérarchie politique et
les prescriptions du Chef de département ministériel. Mais dans
le feu de l'action, elle prend parfois des initiatives personnelles
imposées par le dynamisme de l'adversaire, et pouvant aller au
delà de leur cadre d'action. Cette subtile dualité
dépendance et autonomie des structures constitue l'originalité de
notre démarche.
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