CHAPITRE DEUXIEME : Histoire comparée de la
fiscalité en France et au Niger
L'histoire politique de la France est en soi un cas
d'école et reste particuliérement instructive eu égard aux
différentes phases qui ont marqué son évolution a travers
l'empire, la Révolution et la République. Ces différentes
phases, marquent incontestablement des périodes spécifiques ayant
façonné une certaine vision de l'Etat, de la citoyenneté
et de la gestion des affaires publiques. La République du Niger est une
ex-colonie francaise ayant accédé a l'indépendance le 3
aotit 1960, comme la plupart des pays ouest-africains francophones.
L'intérést de passer en revue l'histoire comparée de la
France et du Niger dans le cadre de ce mémoire, sur un sujet aussi
important que la fiscalité, réside dans le fait que le Niger
s'inspire du modéle administratif francais et qu'il continue toujours a
bénéficier de l'assistance technique de ce pays, en particulier
dans le domaine de l'administration fiscale.
L'enjeu d'un tel exercice, est de voir en quoi le plaquage de
ce modéle est-il pertinent pour le Niger, qu'est-ce qui pourrait
expliquer sa réussite ou son échec et éventuellement
quelles pourraient titre les leçons a tirer. Pour ce faire nous allons
essayer de rappeler briévement l'évolution de la fiscalité
en France depuis le début du XIXe siécle, en termes des mesures
et réformes fiscales adoptées et mises en oeuvre. En ce qui
concerne le Niger, il sera question de passer en revue les différentes
phases de l'évolution de sa fiscalité en fonction des
contingences politiques de chacune des périodes.
/. Evolution de la fiscalité en France depuis la
Révolution de /789
/./ Caractéristioues de la fiscalité
francaise au lendemain de la Constituante
Le systeme fiscal francais a pris un tournant décisif
avec la tenue en 1789 de l'Assemblée Constituante et dont la
Déclaration qui en est issue dispose en son article 14 que «
les citoyens ont le droit de constater, par eu~-memes ou par leurs
représentants, la nécessité de la contribution publique,
de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la
quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée
»47. Cette disposition rev<t tout son sens lorsqu'on sait
que le poids de la fiscalité, son inégale répartition et
les vices qui la caractérisaient sous la Monarchie furent, entre autres,
a l'origine de la révolution48. C'est au cours de ses assises
que les bases d'un débat démocratique sur l'imp,t en France
furent jetées,
47 Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789.
48Gerard KLO CH, « Réforme fiscale,
physiocratie et statistique : le cas de LAVOISIER », &dées
économiques sous la révolution, 1789-1794, Jean-Michel
SERVET( Coord.), Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 1989, pp.125-140.
en tenant compte principalement de la question de justice
sociale, des besoins de l'Etat et des possibilités de recouvrement. Le
systeme fiscal francais a la veille de la révolution se
caractérisait par sa lourdeur, sa complexité et son
incohérence et surtout par son incapacité a mettre fin au
déficit budgétaire devenu chronique du fait d'un faible
rendement. Ce systeme fiscal qui constituait « un enjeu de privileges
» comprenait des impots directs et indirects.
Au titre des impOts directs la taille (personnelle en tant
impOt individuel sur le revenu et réelle en tant qu'impot foncier sur
les revenus des biens immobiliers), la capitation (frappant l'ensemble de la
population ne faisant pas partie de la noblesse), le vingtieme essentiellement
supporté aussi par les classes non nobles (assis sur les revenus des
immeubles, les rentes, le commerce et les droits féodaux) et la
corvée des grands chemins (impot en nature, il consistait a la
construction et a l'entretien des routes aux frais des propriétaires
riverains)49. En ce qui concerne les impots indirects, ils se
décomposaient en aides (impots de consommation assis sur les boissons
alcoolisées), la gabelle (petite et grande, elle est un impot de
consommation assis sur le sel) et les traites (les douanes a l'intérieur
du pays). La collecte des impOts directs et indirects se faisait respectivement
par l'administration royale et le systeme de la ferme50.
L'opposition des physiocrates51 contre les impOts
indirects qu'ils considéraient comme nuisibles au développement
économique avait conduit a leur suppression lors de la Constituante. En
supprimant les impots indirects, la Constituante voulait mettre en oeuvre un
systeme fiscal simple et maitrisable frappant les masses imposables les plus
visibles comme les terres, les immeubles, les signes ostensibles de richesse,
etc. Cependant, cette suppression ne fut que momentanée, car moins de
dix ans apres, ils finiront par être rétablis, d'abord
progressivement sous le Directoire avant d'être totalement
restaurés par Napoléon. Le retour progressif et définitif
des impOts indirects sous le Directoire et Napoléon fut particulierement
motivé par l'insuffisance des recettes tirées des impots directs.
Celles-ci n'arrivaient plus a couvrir les besoins de plus en plus croissants de
l'Etat qui devrait intervenir dans tous les domaines publics en plus des
efforts de guerre. Malgré l'amélioration apportée a
l'administration des impots directs(sur la fortune, les signes ostensibles de
richesse, la personnelle-mobiliere, les terres, etc.), les pouvoirs publics
n'arrivaient pas a imposer les nouveaux riches tirant profit du modele
libéral en marche.
49 Gérard KLOCH, « Réforme
fiscale... », p.126
50 Ibidem, p126.
51 Il s'agit des économistes du XIIIe
siècle qui fondaient leur conviction sur le fait que l'agriculture
constituait la principale source de richesse d'un pays.
Le débat politique et juridique autour de la nature des
impOts directs et indirects en France au sortir de la Révolution,
était axé sur une certaine idée de liberté. En
effet, pour une certaine opinion, l'imp,t direct s'assimilait a la coercition
alors que l'imp,t indirect est considéré comme un impot de
liberté et volontariste pour le citoyen. Aussi, pour les
défenseurs des impots indirects, c'est que ces derniers o se
perçoivent presque a l'insu du contribuable »52.
Pourtant, ce ne sont pas les opposants qui manquaient et pour qui les taxes sur
la consommation frappent indéniablement les pauvres plus que les riches,
les familles nombreuses plus que les familles restreintes et les
célibataires. En tout état de cause, la restauration des impots
indirects, principalement sous Napoléon, aurait permis une nette
amélioration des ressources publiques. Cette amélioration
était principalement due aux importantes ressources tirées de la
taxation de l'alcool, du tabac et de certains produits de consommation courante
ainsi que de l'offre des services publics a travers la vente des timbres et des
droits d'enregistrement.
Le système fiscal francais au XIXe
siècle fut un système de compromis politique et citoyen en ce
sens qu'il conciliait les diverses opinions autour des enjeux du moment et de
la nécessité de mobiliser autant de ressources qu'il fallait pour
assurer le service public et les exigences de la guerre. C'est en cela qu'il
fut qualifié de o systeme mixte qui combine les idées
réformatrices des derniers contrôleurs généraux de
l'ancien régime, les innovations des physiocrates et bourgeois de la
Constituante, et le retour aux sources de l'impôt indirect
opéré par les technocrates du Consulat sous les contraintes des
coets de la politique extérieure »53. C'est un
système fiscal qui évoluait en cherchant a s'adapter
continuellement a son contexte, celui d'une France qui, petit a petit,
s'éloignait de la ruralité en se modernisant et par
conséquent en accroissant ses besoins.
Dans le domaine de la fiscalité, le XIXe
siècle constitue sans aucun doute une période d'innovation
fiscale, car c'est a partir de ce moment que les débats sur la
fiscalité vont véritablement entrer dans les mours
républicaines. En outre, c'est également en cette période
que l'Exécutif a la demande du meme Parlement adoptera le principe du
budget annuel équilibré en recettes et dépenses. Il s'agit
d'une importante révolution qui impliquerait des profonds changements
dans la gestion des deniers publics et la politique budgétaire de l'Etat
francais. Le XIXe siècle a donc ouvert la voie au
débat démocratique sur ce qui touche directement le patrimoine
des citoyens meme s'ils n'ont pas toujours les moyens de s'opposer directement
a certaines décisions comme quand Napoléon eut o
ressuscité les méthodes de la
52 Robert S CHNERB, Deux siecles de
fiscalité francaise, Ed. Mouton Editeur -- Paris - La Haye, 1973,
p.68
53 Robert S CHNERB, op.cit, p.56
Ferme générale lorsqu'il était apparu
que le systéme de la Constituante ne donnait que des recettes
insuffisantes.»54
Les traits caractéristiques du systeme fiscal francais
de l'époque faisaient ressortir que les impôts directs qui avaient
une base réelle, étaient des prélévements
forfaitaires sur une matiére imposable déterminée (terre,
entreprise, immeuble, etc.) La fixité des impôts directs les
rendait peu sensibles aux fluctuations économiques, car la doctrine
telle que défendue par Léon Say55, voulait qu'il soit
« laissé entre les mains du propriétaire, du producteur,
du vendeur, la plus large marge possible de profit, dont la croissance ne
devait pas etre absorbée par l'Etat, mais bénéficier a
l'économie nationale »56. Il s'agit d'un systeme
fiscal qui se voudrait économiquement neutre, sans incidences
particuliéres ni sur les revenus, ni sur la richesse du point de vue de
sa répartition et encore moins sur les structures de l'économie.
En outre, la recherche de la justice et de l'équité dans les
prélévements fiscaux a de tout temps été au centre
des préoccupations aussi bien des seigneurs que des législateurs
en se basant sur les signes extérieurs de richesse, sur la consommation,
les terres, immeubles, loyers, etc.
Nous retiendrons de ce siècle que les impôts,
dans un contexte économique dominé par l'agriculture,
constituaient la principale source des revenus de l'Etat et que les citoyens
francais étaient doublement imposés au titre du budget
général de l'Etat et de celui des Communes. Aussi, pouvons-nous
remarquer que l'évolution de l'impôt n'est jamais linéaire,
mais qu'elle se caractérisait par des allers-retours, des ajustements,
des réformes en fonction des exigences du moment et des besoins de la
gestion des affaires publiques. De son aspect financier en termes de pourvoyeur
de ressources, l'impôt est devenu un enjeu politique autour duquel des
idéologies et des courants politiques se confrontent au nom des valeurs
et des principes mettant tantôt l'individu, tantôt le collectif au
centre des préoccupations socioéconomiques des gouvernants.
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