B. Les implications financières des tracasseries
routières
Les tracasseries induisent une perte de temps pour les passagers
mais aussi elles ont une réelle implication sur les pertes d'argent
comme indiqué sur le tableau n°2.
Tableau n°2 : Coûts des barrages routiers
illégaux sur quelques axes routiers de l'espace UEMOA
|
Togo :
Lomé - Cinkansé
|
Burkina Faso:
Cinkansé - Ouaga - Bobo
|
Mali :
Frontière Burkina F. - Bamako
|
Total
|
Barrages routiers
|
5
|
32
|
15
|
52
|
Coût (FCFA)
|
125.900
|
387.065
|
243.717
|
756.682
|
Source : KOITA Y. (2005) : La situation
générale des opérations de transport sur les corridors de
la Communauté Economique Des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO),
page 6.
En nous référant à cette même
source, on compte au total quatre (4) barrages entre Lomé et Malanville
en République du Bénin. Le coût induit par ces 4 barrages
est de 20 000 francs CFA, une somme qui est inférieure aux 125 900 FCFA
que perdent les passagers entre Lomé et Cinkansé. Les
données collectées et analysées indiquent également
que les perceptions illicites moyennes par corridor, les plus
élevées, ont été effectuées sur le corridor
Ouagadougou-Bamako, avec 40.850 FCFA par voyage. Cette situation est
essentiellement imputable au Mali, qui, avec 31.509 FCFA, bat le record des
perceptions les plus élevées par pays et par corridor au cours
d'un voyage. Au contraire, le corridor Tema-Ouagadougou enregistre les niveaux
de prélèvement les moins élevés, avec 13.770 FCFA,
mais il demeure malgré tout assez contraignant en matière de
tracasseries.
Ainsi, les prélèvements illégaux
participent à l'augmentation des prix de revient des marchandises dans
les pays sahéliens. En effet, compte tenu de leur situation
d'enclavement, le commerce extérieur de ces pays est influencé
par les coûts des transports de leurs marchandises. Par exemple, pendant
que les coûts de transports interviennent pour 10% à 15 % dans le
prix de revient des marchandises dans les pays à façade maritime
de la sous-région, il est de 25% à 45%, voire 60% dans certains
cas comme au Burkina Faso18. C'est dire que l'essentiel de ces
coûts provient du passage portuaire et du transport terrestre. On
dénombre dans la zone environ un barrage tous les 38 km avec un
coût moyen de dépenses par barrage estimé à 2 000 F
CFA.
Les résultats d'un exercice de simulation des manques
à gagner dus à la non-application de la Convention TRIE de 1997,
dans les huit (8) Etats membres de l'UEMOA, sont récapitulés dans
le tableau n°4. Il s'agit des études réalisées par la
Commission Economique Africaine (CEA) en 2006 et portant sur une estimation du
transit routier du Burkina Faso, du Mali, du Niger passant par les ports de
Dakar, d'Abidjan, d'Accra, de Lomé et de Cotonou. Le tonnage est
d'environ 1.125.000 tonnes de marchandises.
18 Ali TRAORE, Directeur Général du
Conseil Burkinabé des Chargeurs dans Fluidité et
encombrement des transports terrestres, document pdf
téléchargé le 20 novembre 2008.
Tableau n°4 : Principaux déterminants des pertes
induites par les barrages routiers par an
Rubriques
|
Unités
|
Nombre de camions chargés de 30 tonnes pour
l'évacuation des marchandises
|
37.500 camions
|
Distance moyenne parcourue par camion et par voyage
|
1.100 km
|
Total kilomètres parcourus par rapport au Tonnage
annuel
|
41.250.000 km
|
Nombre de barrages routiers : à raison de 1 par 40 km
|
1.031.250
|
Coût moyen par barrage
|
2.000 F CFA
|
S/Total coût global des barrages routiers
|
2.062.500.000 F CFA
|
Nombre de camions correspondants au coût global des
barrages routiers à raison de 80 millions de FCFA/camion
|
27 camions neufs
|
Nombre d'heures perdues à raison de 10 mn par barrage
.soit
.soit
|
171.875 heures 7.161 jours
239. mois
|
Coût directs correspondants au nombre de mois perdus :
· Chauffeur : 100.000 F/mois
· apprenti : 20.000 F/ mois
|
23.900.000 FCFA 4.780.000 FCFA
|
S/Total coût supplémentaire du personnel roulant
|
28.680.000 FCFA
|
Coût global du transit en termes de manque à
gagner
|
2.091.180.000 FCFA
|
Source : CEA (2006) cité par KOITA Y., Animateur du sous
groupe 2.4.1 de l'AIPCR in La situation générale des
opérations de transport sur les corridors de la Communauté
Economique Des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Au regard du tableau n°4, sur une année de trafic
en provenance des ports de Dakar, d'Abidjan, d'Accra, de Lomé et de
Cotonou et à destination du Burkina Faso, du Mali et du Niger, 2 062 500
000 F CFA de frais supplémentaires sont perdus à raison de 2 000
francs par barrage routier. Ce montant équivaut au prix d'achat de 27
camions neufs à raison de 80 millions de F CFA l'un. Dans le même
temps, on a essayé d'évaluer le montant perdu par les conducteurs
et leurs apprentis du fait du temps qu'ils perdent à ces barrages. Pour
ce faire, en supposant qu'un camion perd 10 mn par barrage, l'incidence
financière globale annuelle pour l'ensemble des camions, en ce qui
concerne le personnel roulant, est de 28 680 000 F CFA. Sur cette base, le
coût global du transit en termes de manque à gagner annuellement
est estimé à 2 091 180 000 F CFA. Ces résultats confirment
les données du Rapport de l'OPA en 2008, qui stipule que « de
tels rackets induisent aussi des pertes de temps sur la route pour les
conducteurs. Le retard dû aux nombreux arrêts se décline par
ordre de grandeur comme suit : sur le corridor Tema-Ouagadougou, long de 1057
km, les pertes totales de temps sont
estimées à 249 mn soit 24 mn de retard aux
100 Km. Sur l'axe Bamako-Ouagadougou, long de 920 km, on enregistre une perte
de temps de 181 mn soit 20 mn de retard aux 100 km. Enfin,
Lomé-Ouagadougou, distant de 1020 km, compte 75 mn de retard soit 7,3 mn
aux 100 km.»
Au total, le réseau routier de l'ensemble de la
sous-région est non seulement en mauvais état, mais aussi souffre
de fluidité du fait de l'existence des barrages routiers ainsi que de la
complexité des démarches administratives. Toutefois, la route
reste un instrument important dans le développement économique du
Togo ainsi que de son insertion dans l'espace communautaire. Voyager donc sur
les routes de l'Union coûte cher, sans doute au moins aussi cher que de
parcourir les grandes autoroutes payantes européennes.
En 2005 par exemple, un poids lourd doté d'une remorque
doit payer 293 € (environ 192 200 F CFA) pour 100 km. En 2000, un poids
lourd faisant la route Bamako-Dakar (1 245 km) devait payer en moyenne de 217
à 220 € pour 200 km « de péage sauvage ». A la fin
des années 90, il en coûtait 122 € pour 100 km entre Lagos et
Maiduguri (ville frontalière du Cameroun située au Nord du
Nigeria). On paye donc pratiquement aussi cher pour rouler sur une autoroute
européenne à 4 voies ou plus, que sur les routes ouest-africaines
à 2 voies traversant villages et villes et pleines de nids de poules.
Seulement, à la différence de la pratique en vigueur en Europe,
les « péages » ouest-africains sont le plus souvent de simples
« taxations informelles » qui n'alimentent aucun fonds de
construction ou d'entretien routier.
Ainsi, de la présentation de l'historique et des
objectifs de l'intégration des Etats de l'UEMOA à celle des
transports et du réseau routiers comme véritable outil de
l'intégration physique en Afrique de l'ouest, nous avons pu montrer que
pour atteindre véritablement les objectifs assignés à ce
regroupement sous-régional, les Etats membres doivent pouvoir mettre en
pratique les différentes normes dans le but d'augmenter la dotation de
l'Union en routes et d'en améliorer la qualité. Dans cette
logique, l'importance des transports et du réseau routiers dans
l'intégration des Etats de l'UEMOA mérite d'être
présentée.
Deuxième partie :
ROLE DES TRANSPORTS ET DU RESEAU ROUTIERS DANS LE
PROCESSUS DE L'INTE GRATION DES ETATS DE L'UEMOA
La présentation du rôle des transports et du
réseau routiers dans le processus d'intégration ouest-africaine
part du fait que l'UEMOA, outil d'intégration économique et
monétaire, fait aussi de l'interconnexion entre ses Etats membres une
priorité. En effet, depuis sa mise en place en 1994, cette organisation
sous-régionale prend de plus en plus d'importance dans le processus de
l'intégration de l'Afrique de l'Ouest dans son ensemble. Au niveau de
l'Union Africaine (UA), même si c'est la CEDEAO qui est retenue comme la
Communauté Economique Régionale (CER) devant régir
l'intégration dans cette partie du continent, il est évident que
les efforts réalisés par l'UEMOA constituent, de loin, un exemple
d'intégration sous-régionale. C'est pourquoi depuis 1994, elle a
fait de la phrase « la route du développement passe par le
développement de la route » un cheval de bataille. Cette
phrase à elle seule est un indicateur du rôle qu'entendent confier
les dirigeants de cet espace à la route dans le processus
d'intégration qu'ils réalisent.
Dans tous les cas, l'intégration en question prend en
compte la libre circulation des personnes et des biens pour des raisons
économiques et touristiques. Dans ces conditions, la réalisation
de la libre circulation des personnes et des biens passe par l'existence des
facteurs de mobilités. Un des plus importants, car accessible à
tous, reste la route. En tant que telle, elle reste dans l'espace UEMOA le
moyen de transport le plus utilisé par les populations. Ce faisant, les
infrastructures routières deviennent, plus qu'un moyen de transports, un
véritable outil intégrateur (Chapitre 1), dont la rentabilisation
passe par la levée de trois défis principaux (Chapitre 2).
Chapitre 1 : TRANSPORTS ET RESEAU ROUTIERS :
VERITABLES OUTILS D'INTEGRATION ET DE DEVELOPPEMENT DANS L'ESPACE
UEMOA
La route reste le mode de transport dominant en Afrique.
L'activité de ce mode de transport représente 80 à 90% du
trafic interurbain et inter-Etats de marchandises19. En termes de
déplacements quotidiens, il apparaît de même comme le mode
de transport qui assure le plus de voyages, tous motifs confondus. De par son
coût, il reste le moyen le plus accessible aux populations. Pour ce
faire, les transports et le réseau routiers présentent dans la
sousrégion des enjeux multiples dans les processus d'intégration
et de développement. Une étude de la Banque Mondiale
réalisée en 2006 montrait qu'une diminution de 10% du prix des
transports entraînerait 25% d'augmentation du commerce africain. Du coup,
la route, plus qu'un simple moyen de transport, est un facteur
intégrateur (section 1) et un facteur de développement
socio-économique (section 2).
Section 1 : Rôle des transports et du réseau
routiers dans la régionalisation de l'espace UEMOA
Selon BIGNICOURT J., « la régionalisation a deux
significations. D'une part, elle est un processus d'analyse,
c'est-à-dire l'emboîtement d'unités territoriales
subalternes au sein de cadres géographiques progressivement
étendus. D'autre part, la régionalisation est une action ».
Elle est alors perçue comme une politique de décentralisation
confiant à des autorités régionales représentatives
une partie des prérogatives administratives de l'Etat. Dans un sens
comme dans l'autre, elle diffère fondamentalement du régionalisme
qui revêt un caractère idéologique visant à
l'autonomisation régionale axée sur la contestation du pouvoir
centralisateur de l'Etat qui fait très souvent référence
aux revendications identitaires et sécessionnistes.
A l'échelle communautaire, la régionalisation
prend d'abord le sens d'un processus d'analyse qui vise, en dernier ressort,
l'emboîtement des territoires nationaux des huit Etats membres de l'Union
dans un ensemble plus grand. On s'accorde alors à dire que le processus
d'intégration sous-régionale doit aboutir à une
réorganisation spatiale, c'est-à-dire à la création
d'un espace communautaire. C'est ici qu'intervient le second sens qui est
relatif à la perception de l'intégration comme une action. En
effet, l'UEMOA vise, dans le cadre de sa
19 Note conceptuelle de la Conférence des
Ministres Africains en charge du transport routier, Durban (Afrique du sud), 15
- 19 octobre 2007, page 2.
politique d'aménagement du territoire communautaire,
à créer un espace harmonisé dont les principaux
déterminants se rattachent plus au niveau sous-régional qu'au
niveau national.
Il convient alors, au regard des dispositions du Protocole
additionnel n° II au Traité de 1994 en son article 6, de dire que
les Etats membres doivent harmoniser les plans nationaux d'infrastructures en
vue de l'équilibre des différentes composantes du territoire
communautaire et du désenclavement des zones frontalières.
L'objectif de cette vision est de créer un territoire homogène
dont l'appréciation tient plus compte de l'UEMOA que de ses Etats
membres. Cependant, l'intégration véritable passe par la
constitution de Nations fortes et économiquement viables.
Notre approche nous conduit à montrer en quoi la route
peut être un réel facteur d'unité nationale (paragraphe 1)
et stimuler du même coup l'intégration sous-régionale entre
les huit Etats de l'UEMOA (paragraphe 2).
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