1.4. Essai de définition de la
médiation
Le flou conceptuel autour de la médiation émane,
selon Jean-Pierre BonaféSchmitt, d'une «polysémie» des
pratiques de la médiation dans tous les champs sociaux, qui rend son
concept encore plus nébuleux et amène à la confusion.
Cette variabilité de l'exercice de la médiation existant aussi
dans le domaine sanitaire appelle, en premier lieu, à une classification
en deux catégories distinctes : les activités et les instances de
médiation :
1. Les activités de médiation
«[...] action menée par un tiers
impliqué dans une relation triangulaire, en dehors de toute relation de
pouvoir. L'action de ce tiers peut porter aussi bien dans le champ de la
gestion des conflits que dans celui de la communication ou encore celui de la
sécurité»45.
Toute personne intervenant dans des rapports entre patients -
soignants ou l'administration hospitalière dans une position de tiers
est aussitôt désignée «médiateur».
En Suisse, l'ouverture de «L'espace de
médiation» au coeur du HUG, en novembre 2007, en est un exemple
concret. L'espace de médiation participe à l'amélioration
de la communication entre les patients et les unités de soins par le
biais de coordinatrices en lien direct avec l'ensemble des acteurs
hospitaliers, sans que soit pratiquée la médiation au sens de la
littérature et de la formation IUKB. Cette initiative s'inscrit dans une
démarche d'amélioration continue articulée à la
gestion des plaintes, démarche soutenue par le directeur de
l'institution hospitalière genevoise depuis une dizaine d'années.
Le terme «médiation» choisi pour cet espace de parole
45 J.-P. Bonafé-Schmitt, in
«La santé : cycle de vie, société et
environnement», de P. Perrig-Chiello et H-B. Stähelin, collectif, Ed.
Réalités sociales, Lausanne, 2004, p. 125
rapidement mis sur pied évoquait pour les
coordinatrices et leur supérieur hiérarchique l'idée de
«mise en lien» puis, par expérience, celle de
«visage humain» de l'hôpital.
Dans les rapports conflictuels de travail, le tiers
nommé reste le plus souvent une personne issue du domaine administratif
ou juridique qualifiée de «médiateur naturel». A
Lausanne, le service juridique du CHUV pratique des activités de
médiation dans les conflits opposant patients et professionnels de la
santé.
2. Les instances de médiation
«[...] se distinguent des activités de
médiation non seulement par le statut du tiers, marqué par son
indépendance, son impartialité et son absence de pouvoir, mais
surtout par son mode d'action qui repose sur une rationalité
communicationnelle et non instrumentale comme dans les activités de
médiation»46.
Pour l'auteur, la différence entre l'activité et
l'instance de médiation réside dans l'action du médiateur
: le tiers agit dans le but de favoriser, chez les parties, l'émergence
d'aptitudes communicationnelles les amenant à redevenir acteurs par la
réappropriation de leur conflit et par la co-construction d' une
«intercompréhension», notion issue de la théorie de
«l'agir communicationnel» de Jürgen
Habermas47:
«Dans cette perspective, la médiation
s'apparente à un processus visant à permettre aux personne de se
construire comme acteur, de promouvoir une capacité d'action, une
autonomie dans la gestion de leurs conflits et plus largement de leurs
relations sociales»48.
L'expérimentation réalisée par les
médiés fait référence aux
logiques communicationnelle et éducative de la médiation selon
Jean-Pierre Bonafé-
46 J.-P. Bonafé-Schmitt, «La
santé : cycle de vie, société et environnement», de
P. Perrig-Chiello et H.B. Stähelin, collectif, Ed. Réalités
sociales, Lausanne, 2004, p. 125
47 J.-P. Bonafé-Schmitt, «La
médiation, une alternative à la justice ?, Ed.
Syros-Alternatives, 1992, p. 146 « Si l'on
définit l'action du médiateur comme un
«agir communicationnel», dans le sens où l'entend Jürgen
Habermas, il est nécessaire que soit organisé un processus de
médiation permettant «la mise en discussion» des actes de
langage de manière à rendre possible la compréhension
mutuelle entre acteurs. Comme on peut le voir, ce processus repose sur une
logique communicationnelle, c'est-à-dire que le rôle du
médiateur consiste à créer les conditions processuelles
pour permettre une bonne communication orientée vers
l'intercompréhension.[...] Par essence, la médiation repose sur
une réappropriation par les parties du pouvoir de gérer leurs
conflits, l'intervention du médiateur se limitant à favoriser la
communication entre elles ».
48 J.-P. Bonafé-Schmitt, « La
santé : cycle de vie, société et environnement », de
P. Perrig-Chiello et H.B Stähelin, collectif,Ed. Réalités
sociales, Lausanne, 2004, p. 125
Schmitt, expérimentation qui est supposée se
perpétuer dans la vie familiale, professionnelle et sociale des
médiés par un effet pédagogique.
Il définit la médiation dans sa logique de gestion
des conflits comme :
«[...] un processus, le plus souvent formel, par
lequel un tiers impartial, le médiateur, tente à travers
l'organisation d'échanges entre les parties de leur permettre de
confronter leurs points de vue et de rechercher avec son aide une solution au
conflit qui les oppose»49.
La formalité du processus fait appel au cadre et aux
règles garantis par le médiateur ainsi qu'au comportement attendu
des parties, terrain favorable au débat d'idées, et à la
recherche de solutions.
Michèle Guillaume Hofnung définit la
médiation selon deux notions. La première fait état d'un
mode de gestion des conflits visant à régler un litige ou un
conflit. Cette approche, dit-elle, «peut servir une demande de
médiation institutionnelle visant à gagner du temps et à
apaiser le conflit» :
«La médiation est un mode de résolution
des conflits basé sur la coopération, faisant appel à un
tiers impartial, le médiateur, sans pouvoir décisionnel. Le
médiateur doit amener les parties à exprimer leurs attentes,
besoins et objectifs véritables pour pouvoir ensuite trouver les
solutions qui leur conviennent »50.
Cette définition correspond à la majorité
des pratiques institutionnelles basées sur la logique instrumentale de
la médiation. Nous n'adhérons pas à cette vision
tronquée de la médiation.
La deuxième notion intéresse
particulièrement le domaine de la santé en crise, dans le sens
qu'elle évoque les idées de restauration de la relation dans la
durée et de régulation sociale. Elle intègre non seulement
les concepts de prévention et de résolution des conflits mais, en
sus, ceux de création ou de réparation du lien, de consolidation
du tissu social :
«La médiation est un mode de construction et
de gestion de la vie sociale grâce à l'entremise d'un tiers
impartial, indépendant, sans autres pouvoirs que ceux reconnus par les
partenaires qui s'adressent à lui»51.
49 Ibidem, p. 125
50 M. Guillaume-Hofnung, in
«Hôpital et médiation», (sous la dir. de ), collectif,
Ed. L'Harmattan, Paris, 2001, p. 17
51 Ibidem
Par ses dimensions de construction et de gestion sociale, la
médiation dans le domaine de la santé représente, pour
l'auteure, la possibilité d'établir des «passerelles
entre les partenaires d'un système».
Pour Jean-François Six, la médiation est une
«démarche éthique, une action» et non une
cause à défendre. Parlant de l'initiation à la
médiation, il en explique les quatre principes : la médiation est
un non-pouvoir, n'est pas une vénération de soi, son initiation
ne consiste pas en une manière d'influencer pour obtenir de l'
adhésion à une cause, mais plutôt à ouvrir la voie
à la médiation par la reconnaissance de l'autre.
«Vouloir établir la médiation comme si
c'était une cause à faire triompher n'a pas de sens; elle n'est
pas un absolu à mettre en place mais une perspective relationnelle vers
laquelle on essaie de tendre. Une politique totalitaire, une ferveur religieuse
fanatique sont contraires à la médiation, sans oublier que l'on
peut tout à fait indûment utiliser des médiateurs pour
servir sa propre cause»52.
Quant à Jacqueline Morineau, elle explique l'apparition
de la médiation par la logique actuelle de refus du chaos qui
régit la société, refus exprimé par
l'évitement, la fuite ou la banalisation du désordre qui,
dit-elle, «nous prive dramatiquement des fruits» qu'il nous
offre :
«La prise de conscience des différents
mécanismes ancestraux de domination de l'homme sur l'homme en est un des
éléments essentiels. Mais curieusement, c'est le rejet du
désordre et le besoin d'un espace pour l'accueillir qui vont être
la cause de son avènement.[...i Le conflit indissociable de la violence
est le cri qui surgit pour que le désordre puisse retrouver sa
place.[...]»53.
L'auteure postule que l'acquisition de savoirs a permis
à l'homme moderne de développer un sentiment de contrôle
sur le monde et l'a orienté vers une quête du «bon
fonctionnement», au détriment de la recherche de sa propre
vérité. La rationalité d'ordonnancement, base de la
science, l'autorise à penser aujourd'hui qu'il domine la nature et la
matière, qu'il exerce un plein pouvoir sur l'existence. Comment,
dès lors, lui faire admettre ses limites et ses
vulnérabilités ? Refus du chaos oblige ! Mais à quel prix
? Par la négation des
52 J.-F. Six, «Médiation
», Ed. du Seuil, Paris, 2002, p. 235
53 J. Morineau, «L'esprit de la
médiation», Ed. Erès, Ramonville Saint-Agnes, 2001, p.
63
peurs et de la violence qu'elles génèrent et
dont les expressions sociales ou individuelles ne cessent de croître.
Pour l'auteure, la médiation autorise le conflit, première
manifestation du chaos, à reprendre sa place par le biais de la
rencontre, de lui redonner son vrai sens , d'en comprendre les enjeux et de
permettre à la colère, aux humiliations et injustices, aux
désirs refoulés et la violence «d'être» .
«Proposer un lieu où la violence
réciproque puisse se dire et se transformer, vouloir la
réintégration du désordre participent
nécessairement à une véritable révolution
sociétale car il faut aller à contre-courant d'un état
d'esprit et des usages et coutumes établis. Il s'agit de
reconnaître qu'il s'agit d'un bouleversement dans la relation de l'homme
avec la société et avec luimême»54.
Dans cette perspective, Jacqueline Morineau estime qu'une
rigueur et un cadre spécifique sont nécessaires pour
concéder au tiers la faculté d'accueillir «la
décharge émotionnelle» libérée par la
scénographie du conflit, la reconstruction du «drame»
dans son espace et sa temporalité propres. Cette disposition
particulière fait sans doute référence à une
formation ad hoc et à des aptitudes relationnelles, entre autres
l'humilité, l'impartialité, la créativité, la
bienveillance, l'empathie, l'écoute, l'objectivité et la
capacité de gérer le stress.
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