3. LA MÉDIATION SANTÉ : LE MODÈLE
VAUDOIS
Comme nous venons de le voir dans l'analyse
précédente, le Bureau cantonal de médiation santé
(BCMS) est un fait unique en Suisse romande. Ouvert en 2004, son champ
d'activité s'étend au domaine de santé public ou
privé, offrant des prestations de médiation entre patients et
professionnels de la santé en situation de conflit, des entretiens
d'évaluation et d'orientation et des séances de promotion des
droits des patients au sein de la collectivité associative et
professionnelle. Unique en son genre par son caractère
indépendant au niveau fonctionnel et environnemental, le BCMS respecte
l'entière confidentialité, exempt de tout droit de regard
étatique sur le traitement des dossiers de
plaintes. Seul un rapport annuel renseigne les
autorités sur le fonctionnement global du service et sur ses
activités. Le modèle de médiation utilisé poursuit
les objectif centraux de restauration du lien social entre le soignant et le
soigné ou ses proches et l'amélioration de la qualité des
prestations de soins. L'action du tiers favorise la communication,
l'instauration d'un dialogue équitable entre les parties et l'action
commune de recherche de solutions. Les protagonistes se réapproprient
leur conflit et co-construisent de nouvelles normes par l'élaboration
d'accords qui les engagent dans l'avenir à des modifications
d'attitudes, de comportements et, au niveau des professionnels de la
santé, des améliorations organisationnelles ou
communicationnelles au sein des structures prestataires de soins. Enfin, le
BCMS est un des rares lieux de stages pratiques qui accueille une vingtaine
d'étudiants en médiation par an. Nous avons personnellement
bénéficié d'une semaine de stage, d'un encadrement
formateur et participé à huit séances de
médiation.
Pour ces raisons, nous présentons ce modèle de
service institutionnalisé qui, nous le verrons dans le prochain
chapitre, répond en grande majorité aux attentes des plaignants,
à la nécessité de l'«établissement de
passerelles» comme l'entend Guillaume-Hofnung entre les différents
acteurs du domaine sanitaire en crise mais également aux attentes de
l'Etat en termes de régulation sociale et de prévention du non
respect des droits des patients.
3.1. L'origine de la demande de médiation
santé
Au début des années 90, plusieurs affaires
traitant de maltraitance sur des personnes âgées
institutionnalisées furent dénoncées par voie de presse.
Fait d'urgence, l'Etat mit sur pied une unité de surveillance des
prestations de soins dans le cadre des 150 établissements
médico-sociaux (EMS) vaudois, ainsi qu'une commission d'examen des
plaintes. Plusieurs cantons romands suivirent cette initiative dont
Neuchâtel qui créa, en 1992, un poste d'infirmière de
santé publique. En 1996, la médiatisation de nouveaux actes de
malveillants et des abus financiers dans certains EMS ébranlèrent
le canton. Le mode de gestion des plaintes et de surveillance ne suffirent
manifestement pas à éviter ces dérives. L'Etat, garant du
respect de la dignité de ses citoyens, fut remis en
question. Une enquête parlementaire menée entre
1997 et 2001 mit en lumière des problématiques jugées
«sérieuses». Le rapport de la commission releva entre autre
:
o une méconnaissance du phénomène de la
maltraitance; o une inadéquation de l'appareil légal et
réglementaire;
o une sous-dotation en personnel des services
concernés;
o un manque de contrôle, une réaction tardive du
Conseil d'Etat99.
Ses propositions et recommandations visaient à garantir
la protection des personnes très âgées, notamment par le
biais d'un renforcement en dotation soignante et en surveillance, d'une
amélioration des conditions de travail du personnel, de l'interdiction
des mesures de contention et du traitement forcé, de l'instauration
d'une Commission d'examen des plaintes (COP) avec anonymisation du plaignant et
la mise en place de la médiation, sans oublier l'adaptation des textes
de loi et la demande d'une étude universitaire sur la maltraitance.
D'autres cas graves émanant d'institutions mirent en exergue la
nécessité globale d'une cohérence dans le traitement des
problématiques, soit la création d'une deuxième commission
destinée à traiter les plaintes émanant du domaine
hospitalier aigu. Du point de vue de Pierre-Yves Maillard, actuel chef du DSAS,
l'instauration du nouveau dispositif de recours s'imposait : «Il
existe une évolution de la société face à
l'autorité. On ne peut plus traiter les patients comme
avant100». Dès 2002, une commission parlementaire
fut chargée de réviser la loi selon les recommandations du
rapport d'enquête : accorder plus d'importance aux droits des patients,
de leurs proches et définir clairement la mission des commissions
d'examen des plaintes et celle du médiateur. Elle fut acceptée en
mars 2003. Jean Martin, ancien médecin cantonal, se souvient :
«Je n'ai eu aucun problème à passer le projet au
parlement [...]. Mais il fallait un service indépendant ! C'était
important. Aussi au niveau architectural, hors Etat101».
La même année, la commission d'examen des plaintes
«Patients» entra en fonction, suivie de peu par l'ouverture du bureau
cantonal de médiation santé, le 1er mai 2004.
99 «Rapport de la Commission
d'enquête parlementaire sur les EMS», 30 janvier 2001, page
185
100 P.-Y. Maillard, «Entretien du 22 août
2008», Extraits
101 J. Martin, «Entretien du 7 février
2008», Extraits
Par respect des notions de neutralité et de
confidentialité propres à la déontologie de la
médiation, des locaux détachés de l'appareil
étatique furent loués au centre de Lausanne. C'est donc une
conjonction d'éléments qui amena la médiation santé
à s'inscrire dans le champ sanitaire vaudois : les scandales
médiatisés, la pression de mouvements sociaux, la mise en
lumière des problématiques, la volonté politique d'y
remédier et l'apparition des droits des patients.
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