PARTIE II :
DES MODALITES D'EXERCICE DE
LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
INTRODUCTION
Il est connu, de nos jours, que l'histoire est une science
auxiliaire du droit et, à ce titre, son apport à la
compréhension des institutions juridiques est essentiel.596(*)
Aussi, dans le premier chapitre de cette seconde partie, nous
attellerons-nous à l'étude des origines et de l'évolution
de la juridiction constitutionnelle en République démocratique.
En effet, l'étude historique de cette institution éclairera, nous
l'espérons, les développements consacrés à sa
compétence, à la procédure suivie devant elle ainsi qu'aux
effets nombreux et divers attachés à ses décisions.
Il est donc utile de savoir que le juge constitutionnel
congolais a une histoire à travers laquelle l'on peut situer les
étapes de son installation et le développement de sa
jurisprudence. L'héritage colonial belge a naturellement laissé
quelques traces même si par la suite le regard a été
porté sur l'expérience des autres pays francophones, la France en
tête.
L'essentiel de l'analyse consistera donc à
déterminer in concreto les mécanismes
juridiques par lesquels le juge constitutionnel congolais protège le
pacte constitutionnel et les droits de la personne humaine. Cet exercice est
d'une actualité brûlante tant le droit constitutionnel
contemporain est marqué par une judiciarisation qui va sans
cesse croissante.
Il est en effet utile de remarquer que la République
démocratique du Congo sortie à peine des limbes des
régimes autocratiques aussi insouciants des libertés publiques
les uns que les autres éprouve le besoin légitime d'articuler des
mécanismes juridiques précis en vue d'enrayer les tentatives
certes nombreuses de brimer les citoyens. L'étude minutieuse de ces
mécanismes est le thermomètre à l'aune duquel l'on peut
efficacement apprécier la praticabilité des prescrits
constitutionnels. Par ailleurs, la jurisprudence se révèle ici
dans toute sa splendeur comme le guide sûr dans les méandres du
labyrinthe juridictionnel.
En effet, la lecture attentive des arrêts donne à
voir et parfois même à soupçonner le raisonnement du juge
comme si l'on avait participé au délibéré. C'est la
raison pour laquelle cette seconde partie sera essentiellement consacrée
à l'analyse de la production jurisprudentielle qui est certes mince mais
déjà fort intéressante tant ses lignes de force tout comme
ses faiblesses sont perceptibles. Une doctrine assez massive a
déjà fort heureusement emprunté la voie de la critique et
permet ainsi à cette étude de bénéficier des
commentaires de savants juristes de notre pays.597(*)
Le droit congolais en effet ne pouvant rester en marge de
l'évolution dont les étapes avaient déjà
été tracées dans l'introduction de cette étude, il
importe de montrer comment il inscrit ses avancées et ses reculs dans la
perspective de la mondialisation. Il est entendu qu'enfin d'analyse, une
conclusion partielle sera tirée pour ce qui est de modalités
d'exercice de la justice constitutionnelle. Des perspectives seront ouvertes
là aussi pour tenter d'inventer ou d'améliorer la justice
constitutionnelle congolaise.
A présent, voyons les origines de ce
mécanisme.
CHAPITRE I :
ORIGINES ET EVOLUTION HISTORIQUE DE LA NOTION DE JURIDICTION
CONSTITUTIONNELLE EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Nous aborderons ce sujet à travers trois étapes
que sont : la Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du
Congo ou l'héritage du droit colonial belge, la Constitution du
1er août 1964 et la Cour suprême de justice
instituée par la Constitution du 24 juin 1967. Malgré cette
classification, l'on peut également retracer l'histoire de la justice
congolaise en deux périodes : celle de la création et de
l'installation manquée d'une Cour constitutionnelle et l'époque
de l'institutionnalisation de la Cour suprême de justice, toutes sections
réunies, comme juge constitutionnel.
Mais avant d'y arriver, disons un mot sur l'héritage du
droit colonial belge en ce domaine.
De prime abord, l'on doit rappeler que c'est seulement en 1980
que la Belgique s'est dotée d'une juridiction constitutionnelle,
appelée « Cour d'arbitrage » à l'origine,
dont la composition, la compétence et le fonctionnement sont
déterminés par renvoi de l'article 142 de la Constitution
coordonnée, par la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour
d'arbitrage. 598(*)
Ainsi, la Cour d'arbitrage statuait-elle, par voie d'arrêt, sur les
recours en annulation, en tout ou en partie, d'une loi, d'un décret ou
d'une règle législative des communautés ou des
régions portée en vertu de la Constitution.599(*)
De ce qui précède, et ce, jusqu'en 1980, il y a
eu, en Belgique, absence de contrôle de constitutionnalité des
lois. Le texte constitutionnel du 7 février 1831 n'en faisait aucune
mention. Les cours et tribunaux ne pouvaient, jusqu'à la création
du Conseil d'Etat en 1946, que refuser d'appliquer les actes administratifs
illégaux par voie de l'exception d'illégalité. 600(*)
L'on peut comprendre qu'en vertu de l'article 107 de la
Constitution belge à l'époque les règlements devaient
être conformes aux lois et autres normes supralégislatives dont la
Constitution elle-même.
Aussi, indirectement les cours et tribunaux devaient-ils
refuser d'appliquer des règlements inconstitutionnels. Longtemps,
« la Belgique reste attachée au dogme de
l'infaillibilité du législateur. Elle ne prescrit pas, à
l'origine, le contrôle juridictionnel des lois. Elle le prohibe
même. Pendant plus d'un siècle, elle n'a organisé de
contrôle qu'à l'égard des
règlements ».601(*)
En effet, le contrôle de constitutionnalité des
règlements était tenu en échec lorsque la violation de la
Constitution était le fait d'une règle du niveau de la loi dont
le règlement ne fait que procurer exécution. Ce raisonnement se
dégage à partir de l'article 107, actuel article 159, de la
Constitution belge.602(*)
Dans ce contexte, l'on peut comprendre aisément
qu'aucune disposition de la Loi du 18 octobre 1908 sur le gouvernement du Congo
belge, dite la Charte coloniale, ne pouvait faire mention du contrôle des
lois.
Néanmoins, la Charte coloniale avait, en son article 7,
prévu la possibilité d'exception d'illégalité des
décrets, actes législatifs du Roi, en ces termes :
« les cours et tribunaux n'appliquent les décrets qu'autant
qu'ils ne sont pas contraires aux lois ».
Et par la suite, la jurisprudence a étendu logiquement
cette compétence des cours et tribunaux aux ordonnances
législatives. En effet, il a été jugé que
« l'article 7 de la Charte coloniale qui déclare que les cours
et tribunaux n'appliqueront les décrets que pour autant qu'ils ne soient
pas contraires aux lois, doit s'appliquer également aux ordonnances
législatives ».603(*)
Par ailleurs, c'est dans cet esprit que la résolution
n°6 relative à l'organisation du Parlement congolais, en son point
15, de la Conférence de la Table Ronde politique tenue à
Bruxelles du 20 janvier au 20 février 1960 énonçait
clairement « qu'il n'y avait pas lieu de reconnaître aux
tribunaux relevant de l'ordre judiciaire l'appréciation de la
constitutionnalité des lois nationales ou provinciales ».
C'est donc finalement le Parlement belge de l'époque,
influencé sans doute par le mouvement constitutionnaliste
européen, qui est le géniteur historique de la Cour
constitutionnelle congolaise car il introduisit des dispositions relatives
à cette institution dans la Loi fondamentale relative aux structures du
Congo.
En cela, le Parlement belge avait rejoint le camp de ceux qui
pensent donner à la suprématie constitutionnelle une garantie
juridictionnelle. Car l'Etat de droit, c'est d'abord et enfin, l'Etat de la
Constitution. Au commencement, dirait Francis Delpérée,
était la Constitution. Retraçons à présent les
étapes successives de l'installation de cette justice constitutionnelle
en République démocratique du Congo.
Section 1 : CREATION DE LA
JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE
Nous examinerons, comme annoncé lors de l'introduction,
cette création institutionnelle à travers trois étapes
successives.
* 596 CARBASSE (J.-M.),
Manuel d'introduction historique au droit, 2ème
édition corrigée, Paris, PUF, 2004, pp. 13-23.
* 597 Lire MABANGA MONGA
MABANGA, Le contentieux constitutionnel congolais, Kinshasa, E.U.A.,
1999 ; KALUBA DIBWA (D.), La saisine du juge constitutionnel et du
juge administratif suprême en droit public congolais. Lecture critique de
certaines décisions de la Cour suprême de justice d'avant la
Constitution du 18 février 2006, Kinshasa, éditions
Eucalyptus, 2007 ; VUNDUAWE te PEMAKO (F.), Traité de droit
administratif, Bruxelles, Larcier, 2007 ; WETSH'OKONDA KOSO SENGA
(M.), Les perspectives des droits de l'homme dans la constitution
congolaise du 18 février 2006, Kinshasa, Editions de la Campagne
pour les droits de l'Homme au Congo, 2006 ; NGONDANKOY NKOY-ea-LOONGYA,
Droit congolais des droits de l'homme, Louvain-la-neuve,
Academia-Bruylant, 2004 ; KILENDA KAKENGI BASILA (J.-P.), Le
contrôle de la légalité des actes du magistrat dans
l'administration de la justice criminelle en RdCongo, Thèse de
doctorat en droit, Katholieke Universteit Leuven, 2002 ; MBOKO Dj'ANDIMA,
L'Etat de droit constitutionnel en République démocratique du
Congo. Contribution à l'étude des fondements et conditions de
réalisation, Mémoire de D.E.S. en droit public,
Université de Kinshasa, Faculté de Droit, 2005 ; NGONDANKOY
NKOY ea LOONGYA, Le contrôle de constitutionnalité en
République démocratique du Congo. Etude critique d'un
système de justice constitutionnelle dans un Etat à forte
tradition autocratique, Thèse de doctorat en droit public,
Université catholique de Louvain, 2008.
* 598 L'on peut se reporter
utilement aux développements que nous consacrons à la Cour
constitutionnelle belge, au paragraphe deuxième de la section seconde du
premier chapitre de la première partie de cette étude. Il s'agit
en effet d'une loi de révision de la constitution belge du 7
février 1831 qui introduisit dans la Constitution un article 107 ter
(actuel article 142). Cet article fut révisé à son tour le
15 juillet 1988 en vue d'étendre les compétences de la Cour
d'arbitrage et d'exiger l'adoption d'une loi spéciale pour régler
sa composition, son fonctionnement et ses compétences.
* 599 Voir M.B., 7
janvier 1989 ; Les codes Larcier belges, tome VI, A. Droit public, 2003,
p.340 ; Complément tome VI, 2004, mis à jour au
1er janvier 2004, p.79.
* 600 Voy en ce sens
DELPEREE (F.), Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit,
n°76, pp.96-97.
* 601 Idem, n°75,
p.95.
* 602 Dans la pratique,
note Charles HUBERLANT, les cours et tribunaux ont surtout l'occasion d'user du
pouvoir que leur confère l'article 159 lorsqu'ils sont saisis de
poursuites répressives, d'actions civiles en responsabilité
dirigées contre les personnes de droit public ou de recours
organisés par des lois particulières contre des actes
administratifs déterminés(« Le contrôle des actes
administratifs par les cours et tribunaux en Belgique », Rapports
belges au IXième congrès international de droit comparé,
Bruxelles, 1974, p.466.
* 603 Voir Elisabethville,
21 mars 1916, Jur. Col., 1925, p.304 ; Léopoldville, 8
septembre 1936, RJCB, 1937, p.105 ; Codes Piron et Devos, tome 1,
1960, p.17.
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