C. Les choses saisies ou déposées entre les
mains d'un parent ou aiié
L'infraction de vol dont l'auteur est couvert par
l'immunité familiale doit porter atteinte à la
propriété familiale et non à tout autre
intérêt. Dans ce sens, l'immunité ne s'applique qu'aux vols
commis directement et exclusivement au préjudice d'un membre de la
famille204et ne s'applique pas dès que le dommage
dépasse le cercle de la famille pour atteindre un tiers ou l'ordre
social205.
Il importe peu qu'indirectement la personne entre les mains de
qui la chose a été soustraite supporte la perte résultant
de ce vol parce qu'il est civilement responsable envers celui qui lui a
confié les choses volées206. Dès lors, si un
fils, par exemple, prend les deniers se trouvant dans une caisse que son
père tient comme comptable d'un tiers quelconque, ce vol a
été commis au préjudice non pas du père mais bien
de ce tiers207.
C'est ainsi que la Cour de cassation belge a admis que
l'immunité ne peut être évoquée que si le vol a
été commis par l'un des époux directement au
préjudice de l'autre, c'est-à-dire si l'objet volé
appartient au conjoint; et qu'il ne suffit pas que ce dernier éprouve un
préjudice indirect à raison de la responsabilité qu'il
peut encourir vis-à-vis du propriétaire de la chose
volée208.
L'exclusion de l'immunité jouera ainsi si la chose
volée auprès d'un membre de la famille appartient, non pas
à celui-ci, mais à un tiers209.
Ainsi a-t-il été jugé que
l'immunité ne couvre pas le vol par une épouse des copies de
baccalauréat que devait corriger son mari210et que la
soustraction frauduleuse par une épouse, de matériaux appartenant
à la société dont le mari était le
gérant211ne peut pas non plus être couverte par
l'immunité.
204 Encyclopédie Dalloz, Répertoire de Droit
Pénal et procédure pénale, << Vol », par
M. P. LUCAS DE LEYSSAC, no 284 et C. RAYMOND, op. cit., p.
169.
205 M. L. RASSAT, supra, note 86, p.189.
206 J. M. C. X. GOEDSEELS, op. cit., p. 246.
207 Ibid.
208 Cass., 21 Juin 1915 cité par J. M.C.X. GOEDSEELS,
op. cit., p. 247.
209 Encyclopédie Dalloz, Répertoire de Droit
Pénal et procédure pénale, << Vol », par
M. P. LUCAS DE LEYSSAC, no 285.
210 CA Paris, 24 juin 1965, J. C. P., 1966.11.17.700,
note D. Becourt.
211 Cass. crim. 4 déc. 1974, Bull. crim.,
no 361.
Tout au plus, il faut souligner qu'il y a vol dès que
la chose soustraite était en société, même
familiale, car cela porte alors atteinte aux droits des créanciers
sociaux212et menace les intérêts de la personne
morale213.
La question essentielle de savoir si la chose, objet de
l'infraction couverte par l'immunité, est la propriété de
la personne au regard de laquelle il y a immunité, peut recevoir des
solutions opposées quand cette chose est une chose fongible, telle une
somme d'argent, qui avait été confiée à cette
personne.
Si on qualifie cette personne de dépositaire,
l'immunité ne pourra pas jouer, car le dépositaire est tenu de
restituer la chose même qui lui est confiée et ne peut donc
être devenu propriétaire de cette chose.
Ainsi, dans ce sens, a-t-il été jugé que
des receveurs de contributions directes étaient dépositaires des
sommes par eux reçues, qu'en conséquence, les
prélèvements opérés sur ces sommes par leur
conjoint ou descendant, l'étaient au préjudice de l'Etat et ne
pouvait par suite être couverts par l'immunité214.
En revanche, si le titre de détention est situé,
non dans le dépôt, mais dans le mandat, l'immunité peut
jouer car, à la différence du dépositaire, le mandataire
n'est pas tenu de restituer la chose même reçue ; il suffit qu'il
la restitue en équivalent215. Dans cette même
perspective, il a été jugé que pouvait
bénéficier de l'immunité le fils qui avait soustrait la
recette de cotisations, remises à son père, en qualité de
trésorier d'une société, au motif que celui-ci
était mandataire216.
Cette jurisprudence a été toutefois
critiquée par GARCON en faisant valoir qu'il faut admettre que
l'autonomie du droit pénal l'autorise à considérer que les
conditions de
212 Cass. crim. 4 déc. 1974, Bull. crim.,
no 361.
213 J. LARGUIER, P. CONTE et A. M. LARGUIER, op. cit.,
p. 249.
214 Encyclopédie Dalloz, Répertoire de Droit
Pénal et procédure pénale, << Vol », par
M. P. LUCAS DE LEYSSAC, no 286.
215 Ibid.
216 Cass. crim. 18 janv. 1819, Bull. crim.,
no 13 cité par Encyclopédie Dalloz,
Répertoire de Droit Pénal et procédure
pénale, << Vol », par M. P. LUCAS DE LEYSSAC,
no 286.
propriété familiale n'étaient pas
remplies217. A notre avis, nous inclinons à nous rallier
à cette manière de voir.
Enfin, quant à ce qui concerne les objets saisis, bien
que l'article 398 alinéa 1 C. P. dispose que celui qui les aura
détourné ou détruit, qu'il soit le saisi ou une tierce
personne, sera passible des peines du vol l'immunité ne trouvera pas
application. Dans ce cas le code pénal réprime non seulement
l'atteinte portée au droit de propriété d'autrui, mais
aussi l'entrave à l'action des pouvoirs publics en vue de
l'exécution des actes authentiques et notamment des décisions de
justice218.
Cependant, il se pose la question de savoir si toute atteinte
à la propriété familiale est couverte par
l'immunité.
§2. Atteinte juridique à la
chose
Les atteintes aux biens peuvent se présenter soit comme
une violation purement juridique du droit de propriété (vol,
escroquerie, etc.), soit comme une atteinte à l'intégrité
physique du bien sans aucune idée d'appropriation (incendie,
destruction, etc.)219. Ceci revient à distinguer
respectivement les atteintes juridiques et les atteintes matérielles aux
biens.
Ainsi l'immunité familiale, justifiée par la
nécessité de préserver la structure familiale, couvre
principalement les infractions qui portent atteinte au
patrimoine220.
Cependant, toute atteinte à la propriété
familiale n'est pas couverte par l'immunité ; ainsi faut-il encore qu'il
s'agisse d'une atteinte juridique seulement. A part le fait que le dommage doit
être purement familial, s'ajoute que ce dommage doit être seulement
une atteinte juridique aux biens221. Dès lors,
l'immunité ne s'applique pas lorsqu'il s'agit d'une atteinte
matérielle au bien telle la destruction des biens appartenant à
une personne ayant des
217 Encyclopédie Dalloz, Répertoire de Droit
Pénal et procédure pénale, « Vol », par M.
P. LUCAS DE LEYSSAC, no 287.
218 C. RAYMOND, op. cit., p. 166.
219 N. NSENGIYUMVA, L'escroquerie et sa répression en
droit rwandais, Mémoire de licence, Butare, UNR, 1987, p. 5 (non
publié).
220 N. MALFESSIS, F. DESPORTES et F. LE GUHENEC (dir.), Droit
pénal général, 12è éd.,
Paris, Economica, 2002, p. 683.
221 M. L. RASSAT, supra, note 31, 5è
éd., p. 248.
liens de parenté ou d'alliance avec l'auteur. C'est
dans le cadre même des seules atteintes juridiques aux biens que
l'immunité a été étendue à l'escroquerie,
l'abus de confiance et l'extorsion222.
Se pose maintenant, à bonne raison, la question de
savoir si l'immunité qui couvre les atteintes juridiques portées
aux biens par des personnes liées aux victimes par des rapports de
parenté ou d'alliance n'a pas de répercussions négatives
sur la famille ou la société.
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