3.2. Questions de recherche
Nous avons pu constater que les organisations de conservation
de l'environnement, les grandes agences de développement et les
bailleurs de fonds internationaux se sont saisis, à divers
degrés, de la question de l'intégration des objectifs de
développement et de protection de l'environnement. Cependant, la prise
en compte de cet aspect par les ONG n'est presque pas documentée, alors
que celles-ci constituent un groupe d'acteurs important du champ du
développement. En effet, on estime qu'en 2004 le montant total de l'aide
distribuée par les ONG s'élève à environ 23
milliards de dollars US, soit l'équivalent de près d'un tiers de
l'aide publique au développement (Lewis et Kanji, 2009, p. 2).
Nous nous proposons donc, très modestement, de combler
en partie l'absence de données à ce sujet. Pour cela la question
qui guidera notre recherche sera la suivante : comment les ONG de
développement belges intègrent-elles les préoccupations
environnementales, dont la biodiversité, dans leurs activités au
Sud. Afin d'alimenter cette réflexion et comprendre le contexte de
l'intégration de l'environnement par les ONGD belges, notre recherche se
penchera également sur les motivations des ONGD dans leur
démarche, sur les éventuels obstacles qu'ils rencontrent et sur
les enjeux que peut soulever l'intégration.
3.2.1. Sous question de recherche
Pour que notre recherche soit la plus complète
possible, il nous a paru nécessaire d'examiner de plus près un
second groupe d'acteurs : les bailleurs de fonds. Nous nous sommes donc
intéressés à la DGCD et plus particulièrement au
service ONG (D3.1), chargé de subsidier les programmes et les projets
soumis par les ONG agréées. L'environnement étant une des
thématiques transversales établies par la loi de 1999, nous nous
interrogerons sur le caractère obligatoire de sa prise en compte et sur
les modalités prévues par la DGCD pour vérifier le
degré d'intégration environnementale des dossiers qui lui sont
soumis. Nous formulerons donc la sous question de recherche de la
manière suivante : le service ONG (D3.1) de la Direction
générale de la Coopération au Développement, ses
gestionnaires et ses outils de gestion sont-ils un instrument de gestion des
impacts environnementaux des activités des ONG belges de
développement ?
4. PROBLÉMATIQUE
La problématique « fait le lien entre un objet
d'étude et des ressources théoriques que l'on pense
adéquates pour l'étudier » (Quivy et Van Campenhoudt, 20006,
p. 75). Dans cette section, nous allons exposer les étapes qui nous ont
amenés à la définition de notre problématique avant
d'en décrire le contenu.
La première partie de notre recherche, de nature
descriptive, nous a conduits à rechercher des documents
énonçant les principes susceptibles de contribuer à une
meilleure intégration environnementale dans la coopération au
développement. Très peu de documents comprennent de
réelles recommandations opérationnelles applicables au
fonctionnement d'une ONG. Cette partie de la recherche s'est donc
essentiellement appuyée sur les recommandations du « Manuel
d'intégration de l'environnement » de la CE et sur des documents
rédigés par Jean-Paul Ledant, consultant indépendant en
environnement et développement (EuropeAid, 2007 ; Ledant, 2005 ; Ledant,
2008).
Nous souhaitions cependant dépasser la simple
description des pratiques d'intégration environnementale des ONG de
développement et tenter d'apporter des pistes d'explication des enjeux,
des éventuels freins et des motivations qui sous-tendent ces pratiques.
Comme le soulignent Quivy et Van Campenhoudt, « lorsque nous abordons un
sujet, notre esprit n'est pas vierge » (2006, p.18). Nous n'avons pas
échappé à cette règle et la première piste
de recherche que nous avions explorée découlait de nos propres
préconceptions sur l'importance de la sensibilisation individuelle pour
l'adoption d'un comportement favorable à l'environnement. Suivant le
constat de de Singly qui déclare qu'« aucun objet social n'est
entièrement inédit, il peut, au moins pour certaines dimensions,
être rapporté à d'autres objets existants ou ayant
existé, et donc être analysé selon des principes
comparables. » (de Singly, 2008, p. 30); nous avons découvert que
ces idées s'inscrivaient directement, et très commodément,
dans une approche relevant de la psychologie environnementale faisant
intervenir le concept d'attitude environnementale. Cependant, les entretiens
exploratoires ont eu pour effet de nous faire reconsidérer ces
idées préconçues. Ces entretiens ont été
réalisés avec des personnes appartenant toutes au monde de la
coopération au développement mais occupant des positions
distinctes au
sein de ce monde. Les pistes alors révélées
suggéraient d'autres déterminants de l'intégration
environnementale au-delà, voire malgré, la sensibilisation au
niveau individuel.
Claude Croizer, Conseiller environnement à la
Coopération Technique Belge : « Il faut que de nombreux
paramètres soient réunis pour qu'une ONG s'engage dans cette voie
[l'intégration environnementale]... Il faut que toutes les
parties prenantes l'encouragent. »
Hedia Hadjaj-Castro, de l'ASBL COTA : « La contrainte
n'est donc pas l'ajout d'un critère [l'environnement] mais bien
l'ajout de charge de travail ».
Madame X, de la Direction générale de la
coopération au développement : « [la prise en compte de
l'environnement] est difficile à apprécier puisque aucune
précision n'est demandée de la part de la DGCD dans la
description des programmes ».
Ces extraits sont une illustration d'une série de
remarques récurrentes faisant apparaître, d'une part, le
rôle d'autres acteurs en dehors des ONG et de leur personnel (les
bailleurs de fonds, les partenaires, les bénéficiaires, etc.) et,
d'autre part, les contraintes posées par le fonctionnement
général de la coopération non gouvernementale. En outre,
certaines lectures exploratoires sont venues consolider ces nouvelles pistes de
réflexion. Une étude du Gret (association professionnelle
française de solidarité et de coopération internationale)
considère par exemple que l'une des contraintes externes à une
meilleure prise en compte du changement climatique par les ONG
françaises réside dans le « positionnement des bailleurs
» et dans les exigences et contraintes de nature financière que ces
bailleurs imposent aux ONG (Chetaille, 2007, p. 76). Bien qu'ils ne concernent
pas directement le thème de l'intégration environnementale,
d'autres documents portant plus spécifiquement sur la situation de la
coopération non gouvernementale en Belgique apportent des
éléments de la même teneur. Ainsi, les exigences
imposées par les bailleurs pour garantir la qualité des
interventions faisant l'objet d'un cofinancement auraient pour effet d'alourdir
les procédures, où « l'on passe plus de temps à
justifier ce que l'on fait qu'à faire ce que l'on avait prévu
» (Totté et Hadjaj-Castro, 2004, p. 32). Ces exigences seraient
vécues par beaucoup comme une contrainte et auraient des
conséquences sur les stratégies d'intervention des ONG et sur
leurs relations avec leurs partenaires au Sud (Hadjaj-Castro, 2004). Plus
intéressant encore, « les attentes des bailleurs en matière
d'outils de gestion sont tellement
diverses que toutes les ONG avouent disposer d'une
"stratégie de bailleurs" » (op.cit. p.16). La «
confrontation » des ONG avec « d'autres acteurs dans l'arène
du développement » est également soulignée (Delveter,
Fonteneau et Pollet, 2004, p. 809), avec au premier plan leurs relations avec
les partenaires au Sud, qui exercent un rôle fondamental dans la
conception des interventions (Hadjaj-Castro, 2004, pp.11 et 23). Enfin,
Jean-Paul Van Ypersele, dans son rapport « Les changements climatiques et
la politique belge de coopération au développement : défis
et opportunités », liste une série d'obstacles à
l'intégration du changement climatique dans la coopération au
développement qui met en avant, d'une part, le manque d'expertise et
d'information des acteurs concernés et, d'autre part, des
difficultés de nature plus structurelle, telles que la surcharge de
travail occasionnée par la multiplication des thématiques
à intégrer ou la différence d'« échelles
spatiales et temporelles » entre les praticiens du développement et
les climatologues (2008, pp. 37-38).
Les concepts émergeants de ces différents textes
(stratégie, arène, structure, positionnement, etc)
s'écartent donc de la psychologie environnementale, discipline
mobilisée au début de notre recherche. Ce que nous avons
expérimenté est la « rupture » louée par Quivy
et Van Campenhoudt comme étape essentielle de toute recherche (2006,
pp.17-19). Cette rupture ne nous a toutefois pas amenés à rejeter
complètement cette première discipline envisagée comme
cadre théorique mais, comme nous allons le voir ci-dessous, de la
reconsidérer en la confrontant à un second champs
scientifique.
Le cadre théorique de notre recherche réunit
dès lors deux champs des sciences humaines et sociales : la psychologie
environnementale et la socio-anthropologie du développement. La mise en
parallèle de ces deux disciplines aboutira finalement à trois
approches qui combinent les apports de chacune d'elles.
L'exploration des théories sur le comportement
environnemental a tout d'abord montré que notre première
intuition portant sur le rôle de la sensibilisation individuelle
n'était pas infondée et que l'information et la conscientisation
ont été, et sont toujours dans une certaine mesure,
considérées comme le déterminant fondamental d'un
comportement favorable à l'environnement. Toutefois, les théories
actuelles suggèrent que cet élément, bien que
nécessaire,
est loin d'être suffisant pour expliquer un comportement
environnemental (Hwang, Kim et Jeng, 2000, pp. 20-21 ; Bamber et Möser,
2007, pp. 15-16). Hwang, Kim et Jeng proposent de classifier les facteurs
d'influence du comportement environnemental en trois catégories : les
facteurs cognitifs (degré d'information et de sensibilisation aux
thématiques environnementales), les facteurs affectifs (les valeurs et
émotions associées à l'environnement et sa
dégradation) et les facteurs situationnels (contraintes
économiques ou pratiques, pression sociale, etc.) (2000, p. 21). Stern
classent quant à lui les variables responsables du comportement
environnemental en quatre groupes : les facteurs contextuels, rassemblant les
éléments extérieurs à l'individu susceptibles de
constituer une contrainte ou un facilitant (y compris, les normes sociales) ;
les capacités personnelles, notamment les connaissances et
compétences en matière d'environnement ; les habitudes ; et enfin
les facteurs liés à l'attitude (valeurs, croyances,
évaluation des coûts et bénéfices du comportement)
(2005, p. 10786). Nous pouvons d'ors et déjà constater des points
communs entre ces deux modèles d'analyse. Cela n'a rien
d'étonnant puisque, comme le rappellent Bamberg et Möser (2006, p.
15), l'un des modèles théoriques les plus fréquemment
utilisés pour expliquer les comportements environnementaux demeure la
théorie du comportement planifié de Ajzen (1991). D'après
cette théorie, le comportement est déterminé par
l'intention d'agir et le contrôle perçu. L'intention d'agir
dépend de l'attitude envers le comportement (fonction elle-même
des valeurs, croyances et connaissances relatives à ce comportement) et
de la norme subjective, qui est la perception de la pression sociale
associée à ce comportement. Le contrôle perçu est
l'estimation subjective de la capacité à réaliser un
comportement compte tenu des contraintes situationnelles réelles ou
perçues. (Ajzen, 1991, pp. 181-182 ; Bamberg et Möser, 2007, p.
16).
Figure 1: Théorie du comportement
planifié (Ajzen, 1991, p. 182)
Cette théorie affirme donc que l'intention
comportementale d'un individu se traduira en comportement s'il estime qu'il
contrôle totalement les conditions de réalisation de ce
comportement.
Le contexte de notre recherche est celui de la
coopération au développement. Il n'est donc pas surprenant que la
seconde discipline à laquelle nous avons fait appel soit la
socioanthropologie du développement, dont l'objet spécifique est
le développement, c'est-à-dire « l'ensemble des actions de
tous ordres qui se réclament de lui » (Olivier de Sardan, 2001, p.
731). L'anthropologie du développement considère partant le
développement comme un phénomène social à part
entière, un « ensemble complexe de pratiques sociales »
insérées dans un « ensemble complexe d'institutions, de flux
et d'acteurs, pour qui le développement constitue une ressource, un
métier, un marché, un enjeu ou une stratégie »
(ibid.). Les enjeux environnementaux font partie intégrante du
discours actuel du développement. À l'image de ce que nous avons
constaté dans la description du problème de recherche, les
travaux en anthropologie du développement s'intéressant à
ces enjeux traitent majoritairement de l'impact du discours des sciences de la
conservation (Escobar, 1998) ou des interventions de conservation associant des
activités de développement (Gibson et Marks, 1995 ; Li, 2002 ;
Barret et Arcese,
1995). Le sujet de notre recherche propose, à
l'inverse, de se pencher sur les implications de l'intégration des
préoccupations environnementales dans les activités de
développement « classiques ». L'approche dite « par
l'enchevêtrement des logiques sociales » d'Olivier de Sardan propose
de « déchiffrer à la fois les stratégies des acteurs
et les contraintes des contextes, d'accéder aux pratiques comme aux
représentations, de repérer des phénomènes de
conjoncture et des phénomènes de structure » (2001, p. 742).
Stratégies, acteurs, pratiques, représentations, structure : la
correspondance entre les objectifs de l'anthropologie du développement
tels qu'énoncés ci-dessus et les données extraites lors de
la phase exploratoire rend cette discipline adaptée à notre
travail.
Comme nous l'avons déjà mentionné, nous
avons choisi de ne pas nous limiter à l'une ou l'autre approche
théorique et d'exploiter chacune d'elle avec « un opportunisme de
bon aloi » pour construire une « problématique ad hoc »
(Quivy et Van Campenhoudt, 2006, p. 99). Cette option nous est apparue d'autant
plus pertinente que la psychologie de l'environnement et l'anthropologie du
développement offrent des perspectives complémentaires sur les
phénomènes que nous souhaitons aborder. La psychologie
environnementale est naturellement centrée sur l'individu et son
attitude propre mais fait intervenir des paramètres extérieurs
tels que les normes sociales et les contraintes imposées par le
contexte. Quant à l'anthropologie du développement, si elle se
focalise plutôt sur des catégories d'acteurs, elle vise aussi
à découvrir les tendances comportementales de ces acteurs en les
replaçant dans leur contexte social particulier et en décelant
les représentations et valeurs qui les sous-tendent.
Le résultat de ces réflexions théoriques
revient en fait à envisager la problématique sous l'angle des
trois « dimensions principales des phénomènes sociaux
», telles que décrites par Quivy et Van Campenhoudt (op.cit.
p. 93). Se dessine premièrement une « dimension de sens »
où l'on considère que les comportements des acteurs sont
liés au sens que ceux-ci donnent à leurs expériences.
Cette dimension permet d'englober à la fois des éléments
clefs de la psychologie environnementale gravitant autour du concept d'attitude
(comme les croyances, les valeurs, perceptions et cognitions) et, du point de
vue de l'anthropologie du développement, « les logiques et les
rationalités qui sous-tendent représentations et comportements
» (Olivier de Sardan, 2006). La deuxième dimension, «
processuelle et actancielle » donne du poids aux
interactions entre les acteurs d'une société
pour en expliquer les comportements. Sous l'angle de la psychologie
environnementale, cette dimension recouvre les phénomènes
associés à la norme subjective (soit la pression sociale
encourageant ou non l'accomplissement d'un comportement et la soumission
à cette pression). Du point de vue de l'anthropologie du
développement, cette dimension correspond à l'exploration des
relations sociales de pouvoir, de conflit et d'interactions de tout type qui
sont à l'origine des stratégies adoptées par les acteurs.
La troisième et dernière dimension faisant partie de notre cadre
théorique est la « dimension structurée » selon
laquelle les conditions dans lesquelles surviennent les
phénomènes et comportements sociaux ont une influence directe sur
les dits phénomènes et comportements. Cette dimension permet de
combiner la notion de contrôle perçu de Ajzen qui, pour rappel,
envisage l'effet des contraintes contextuelles sur la réalisation d'un
comportement et les notions de champ ou de système qui, à leur
tour, mettent l'accent sur les contraintes structurelles auxquelles les acteurs
sont confrontés.
5. MODELE D'ANALYSE 5.1. Hypothèses
Les trois dimensions du cadre théorique
présenté ci-dessus nous ont servi d'assise pour formuler les
hypothèses de travail. Il nous faut cependant préciser que ces
hypothèses n'ont pas pour objectif premier d'être
confirmées ou infirmées par les résultats de
l'observation, mais de fournir des pistes de réflexion et d'organiser la
recherche (Quivy et Van Campenhoudt, 2006, p. 113). Nous nous situons donc dans
un cadre à dominance exploratoire plutôt que confirmative
(Huberman, 2002, p. 44). Les hypothèses formulées ci-dessous
portent sur les déterminants probables de l'intégration
environnementale. Les pratiques d'intégration environnementale mises en
oeuvre par les ONG de développement constituent dès lors la
variable dépendante centrale de notre cadre d'analyse. Chacune des
hypothèses avancées s'inscrit dans une des trois dimensions de
notre problématique de recherche :
Première hypothèse (dimension de sens) : une ONG
de développement est un groupement d'individus dont l'attitude (à
l'égard de l'environnement notamment) influe sur la vision de l'ONG et,
par voie de conséquence, sur l'intégration environnementale.
Deuxième hypothèse (dimension processuelle et
actancielle) : l'intégration environnementale d'une ONG de
développement, en tant que groupe stratégique, dépend de
ses interactions avec les autres groupes stratégiques qui constituent
ses interlocuteurs, et en particulier les bailleurs de fonds.
Troisième et dernière hypothèse
(dimension de structure) : le système de la coopération au
développement dans lequel les ONG interviennent impose des limites,
réelles ou perçues, à l'intégration
environnementale.
5.2. Cadre conceptuel
Dans ce chapitre, nous allons définir les principaux
concepts autour desquels s'articulent nos hypothèses. Comme nous l'avons
établi précédemment, l'intégration environnementale
est la variable dépendante centrale de notre modèle d'analyse. Il
nous faut donc définir l'intégration environnementale en tant que
concept opératoire clef de notre recherche, préciser ses
composantes et, dans la mesure du possible, ses indicateurs.
L'intégration environnementale est une forme de mainstreaming, dont le
« Manuel d'intégration de l'environnement » de la CE donne la
définition suivante : « le mainstreaming est le processus
d'intégration systématique d'une valeur, d'une idée, d'un
thème particulier dans tous les domaines de la coopération au
développement de la CE, en vue de promouvoir des objectifs de
développement spécifiques (transposer les idées,
influencer les politiques), ou généraux » (EuropeAid, 2007,
p. 16).
Dans le cas qui nous occupe, l'intégration
environnementale concerne les questions environnementales émergeant
à l'interface entre un dispositif de développement et
l'environnement dans lequel il est déployé. Lors d'une
intervention de développement, les questions environnementales à
prendre en compte sont de deux ordres : « les incidences potentiellement
exercées par l'environnement sur le projet et les impacts potentiels du
projet sur l'environnement » (Ledant, 2008, p. 14). Comme le souligne
Jean-Paul Ledant (op. cit. p. 14), tant les impacts du projet sur
l'environnement que ceux de l'environnement sur le projet peuvent être
négatifs ou positifs.
Une intégration environnementale aboutie s'articulera donc
autour de ces axes :
o la minimisation des pressions environnementales
occasionnées par le dispositif de développement et la
maximisation de ses effets positifs ;
o l'adaptation du dispositif aux facteurs environnementaux
susceptibles de l'affecter positivement (opportunités) ou
négativement (contraintes) (EuropeAid, 2007, p. 89 ; Ledant, 2008, p.
14).
Tout dispositif de développement peut être
l'objet de l'intégration environnementale. Nous avons choisi d'utiliser
le terme « projet » pour nous référer aux
activités déployées par les ONG de développement.
Ce choix est contestable car la notion de projet, et les méthodes de
gestion qui lui sont associées, suppose une approche
« interventionniste » de la part des ONG et occulte la dimension
participative mise en avant par de nombreuses ONG de développement
belges (Hadjaj-Castro, 2006a, p. 8-9).
Monsieur B, directeur d'une ONG : « Nous ne sommes
pas une ONG qui intervient directement et réalise "des projets". [...]
Donc, dans mes réponses, j'ai interprété « projets
» par "actions des partenaires". »
Toutefois, nous justifions le choix du terme « projet
» car il est très communément employé dans le secteur
de l'aide au développement. Nous proposons donc de retenir pour le terme
« projet » une définition large couvrant de nombreuses
réalités : « un projet de développement est un effort
collectif et organisé, limité dans le temps, qui vise à
obtenir une situation améliorée » (Ledant, 2005, p. 4).
Nous avons déterminé les deux grands axes de
l'intégration environnementale et son objet, il reste à
identifier les points d'entrée des questions environnementales dans le
projet de développement. Nous avons choisi de calquer les points
d'entrée sur la succession des étapes qui constituent le cycle de
projet, tel que décrit par le « Manuel d'intégration de
l'environnement » (EuropeAid, 2007). La Gestion du Cycle de Projet trouve
son origine dans le milieu de la gestion d'entreprise (Hadjaj-Castro, 2006a, p.
1). Elle a été adoptée en 1992 par la Commission
européenne comme outil de conception et de gestion des projets avec pour
objectif de garantir la qualité des projets, et plus
précisément leur pertinence, faisabilité et
efficacité (EuropeAid, 2004, p. 1).
Appliquée au fonctionnement d'une ONG, la gestion du cycle
de projet présente les cinq phases suivantes (Hadjaj-Castro, 2006a, pp.
2-8) :
o la programmation : phase où sont définies les
orientations générales de l'organisation (thématique(s),
secteur(s) et/ou région(s) d'intervention) ;
o l'identification : phase où est élaborée
une proposition de projet et où est appréciée sa
pertinence au regard de la programmation et du contexte d'intervention ;
o la formulation : phase de finalisation du projet où sont
examinées sa faisabilité et sa durabilité ;
o la mise en oeuvre ;
o l'évaluation.
Nous avons décidé de ne retenir que les quatre
premières étapes du cycle dans notre analyse, d'une part pour des
questions de faisabilité, et d'autre part pour nous concentrer sur les
étapes en amont, là où sont prises les décisions
clefs.
Enfin, il convient de rappeler la finalité de
l'intégration environnementale. Comme le rappelle Jean Paul Ledant,
« c'est non pour lui-même mais pour les objectifs de
développement que l'environnement mérite d'être pris en
considération » (Ledant, 2008, p. 14). La qualité d'un
projet de développement est évaluée selon quatre
critères principaux : la pertinence, l'efficience, l'efficacité
et la durabilité. C'est donc pour contribuer à la satisfaction de
ces critères que l'intégration environnementale est
nécessaire.
Tous les éléments qui précèdent
nous ont permis de construire le concept opératoire «
intégration environnementale » et de lui donner la
définition suivante : l'intégration environnementale est un
processus d'intégration systématique des considérations
environnementales dans les étapes du cycle de projet qui consiste, d'une
part, à minimiser les pressions environnementales occasionnées
par le projet et à maximiser les effets positifs du projet sur
l'environnement et, d'autre part, à adapter le projet aux facteurs
environnementaux susceptibles de l'affecter positivement ou
négativement, dans le but d'en assurer la pertinence,
l'efficacité, l'efficience et la durabilité.
Pour chaque étape du cycle de projet, il nous faut
trouver des indicateurs susceptibles de refléter le degré
d'intégration de la thématique environnementale. En ce qui
concerne la programmation, telle que nous l'avons définie plus haut, le
niveau d'intégration environnementale d'une ONG peut s'y traduire par la
présence des thématiques environnementales dans la vision et
mission de l'ONG en question. La vision d'une ONG est l'expression de ses
valeurs, de sa conception du développement et du sens qu'elle donne
à son action. La mission est la formulation des objectifs
généraux de l'ONG et des principaux moyens qu'elle souhaite
mettre en oeuvre pour y parvenir compte tenu de sa vision. La vision et la
mission d'une ONG font partie des éléments du
dossier de demande d'agrément (Hadjaj-Castro, 2006b, p. 3 ; Acodev,
2009, p. 5 ; AR 18.07.97).
Un des critères de recevabilité établis
par l'Arrêté royal du 24 septembre 2006 relatif à la
subvention des programmes et projets présentés par les ONG de
développement agréées est la mise en pratique de
l'approche axée sur les résultats «
concrétisée par un cadre logique » (article 9, alinéa
5 et article 16, alinéa 4). Selon cette approche, l'identification
consiste à analyser les problèmes du contexte d'intervention,
souvent par le biais d'un arbre à problèmes. Cette étape
est suivie de l'analyse des solutions et stratégies pour répondre
aux situations problématiques révélées par l'arbre
à problème (Hadjaj-Castro, 2007, p. 4). Une analyse pertinente
des problèmes doit être la plus large possible et inclure les
trois piliers du développement durable, et partant, l'environnement
(Ledant, 2005, p. 13). De même, les stratégies retenues devront
tenir compte des contraintes environnementales. Lors de la formulation, les
contraintes et opportunités environnementales ainsi que l'incidence du
projet doivent être davantage examinées. C'est à ce moment
que sont réalisées, le cas échéant, l'étude
de faisabilité et l'étude d'incidence. Enfin,
l'intégration de l'environnement dans la mise en oeuvre du projet se
traduit par une gestion rationnelle et environnementale des moyens et de la
logistique : économie d'énergie et rationalisation des
transports, économie de papier, utilisation de produits recyclés,
biodégradables ou favorables à l'environnement, limitation et
gestion adéquate des déchets, économie des ressources
naturelles telles que l'eau (Ledant, 2008, p. 15 ; EuropeAid, 2007, p. 82).
Intégration environnementale
AXES
POINTS D'ENTRÉE
INDICATEURS
> Programmation > Identification > Formulation
> Mise en oeuvre
> Minimisation des pressions
environnementales
> Maximisation des effets positifs
> Adaptation aux contraintes
environnementales
> Adaptation aux opportunités
environnementales
Présence et place de thématiques environnementales
dans la vision et la mission de l'ONG
Prise en compte de l'environnement dans l'analyse des
problèmes
Prise en compte de l'environnement dans l'analyse des
stratégies
Prise en compte de l'environnement dans l'étude de
faisabilité
Réalisation d'une EIE
Gestion rationnelle et environnementale des moyens et de la
logistique
Figure 2 : Concept opératoire «
intégration environnementale »
Il nous faut aussi définir le terme « organisation
non gouvernementale de développement » ou « ONGD ». Dans
le cadre de ce travail, il désigne toute organisation non
gouvernementale belge qui peut bénéficier de subsides
conformément à l'Arrêté royal du 18 juillet 1997
relatif à l'agrément et à la subvention d'organisations
non gouvernementales de développement et de leurs
fédérations. Comme nous l'avons constaté dans un chapitre
précédent, les ONG belges présentent des profils
très divers. Nous aurons l'occasion de préciser quel profil a
été privilégié dans notre enquête lors de la
description de l'échantillon.
La première hypothèse fait intervenir le concept
d'attitude. La définition que nous en donnons ici recouvre les
éléments subjectifs composant « l'état d'esprit
» d'un individu à l'égard de l'environnement et de notions
connexes (intégration environnementale, développement,
développement durable), et inclut, comme composantes principales, les
connaissances, les opinions et les représentations associées
à ces notions.
Notre deuxième hypothèse de recherche assimile
les ONGD à un groupe stratégique. Pour rappel, les ONG sont un
des nombreux types d'acteurs intervenant dans le champ du développement.
En admettant le postulat que tous ces acteurs agissent dans la poursuite d'un
objectif commun, à savoir le développement (quelle qu'en soit la
définition que l'on souhaite lui attribuer), il reste néanmoins
réaliste d'envisager que, pour diverses raisons, ils ne partagent pas
exactement les mêmes intérêts. Le concept de groupe
stratégique permet de classifier les acteurs en fonction de leurs
positions face à certains enjeux et la compréhension de leurs
interactions constituent une porte d'entrée « fertile » pour
toute recherche (Bierschenk, 2006). Nous retiendrons donc la définition
suivante, de Bierschenk et Olivier de Sardan : un groupe stratégique est
un « "groupe virtuel" qui nous aide à penser la convergence des
stratégies entre certains individus dont on peut supposer qu'ils
partagent une même position face à un même "problème"
» (2007). Dans le cadre de leurs activités, les ONGD sont
confrontés à de multiples interlocuteurs. Parmi ces
interlocuteurs, nous distinguerons trois principaux groupes stratégiques
qui méritent de retenir notre attention : les partenaires, les
bénéficiaires et les bailleurs de fonds.
Les partenaires désignent les organisations ou
institutions locales avec lesquelles une ONGD coopère dans un pays
d'intervention. La relation de partenariat est essentielles aux yeux
de nombreuses ONGD et est souvent considérées
comme un objectif à part entière (Acodev, 2007, p. 11), ce qui
fait des partenaires des acteurs clefs du fonctionnement d'une ONG. De
manière très logique, les ONG auraient tendance à s'allier
à des partenaires partageant la même vision qu'elles (op. cit.
p. 30). Théoriquement, ce sont les partenaires qui doivent
être à l'origine, non seulement de la relation partenariale mais
aussi de la formulation des projets (op. cit. p. 32). Etant
donné les exigences auxquelles sont soumises les ONG de la part des
bailleurs, on peut imaginer que la collaboration avec les partenaires ne soit
pas toujours aisée (op. cit. p. 11).
Les bénéficiaires sont, quant à eux,
définis comme les individus ou groupes d'individus qui
bénéficient directement ou indirectement des actions
menées par l'ONGD et ses partenaires. Comme le soulignent Lavigne
Delville et Neu, « il est bien naïf d'imaginer que les
bénéficiaires ne sont pas eux aussi des acteurs avec leurs
propres stratégies et que leurs propos ne sont pas marqués par
celles-ci » (2001, p. 13). Ayant des stratégies propres, les
bénéficiaires ont plus que probablement une influence sur les
activités dont ils sont les cibles. C'est pour cette raison que nous
considérons les « bénéficiaires » comme un
groupe stratégique pertinent, même s'il est évident qu'il
est loin d'être un groupe homogène.
Enfin, les bailleurs de fonds sont les institutions qui
financent, au moins partiellement, les activités des ONGD. Dans le cadre
de notre recherche, un seul bailleur de fonds sera étudié de
manière approfondie : la Direction Générale de la
Coopération au Développement, principal bailleur de fonds
institutionnel des ONG belges. Comme nous l'avons relevé plus tôt,
la relation entre la DGCD et les ONG semble être un paramètre
essentiel à la compréhension des stratégies
développées par les ONG. En tant qu'administration
fédérale, la DGCD utilise des fonds publics pour cofinancer les
activités des ONGD agréées. Le principe de subsidiation
des ONG pose dès lors un problème de définition du
rôle des ONG puisqu'elle peut paraître contradictoire avec leur
statut d'organisation non gouvernementale. Se pose en effet la question de
l'autonomie des ONG, de leur redevalibilité et de leur alignement sur
les lignes directrices de la DGCD (Acodev, 2007, p. 12). Face à ces
interrogations, il était utile de s'intéresser à
l'influence qu'exercent, sur les activités des ONGD, les positions
adoptées par la DGCD sur les différentes thématiques du
développement et, bien sûr, sur l'environnement.
Enfin la troisième hypothèse postule qu'il
existe un système de la coopération au développement qui
présenterait des caractéristiques distinctives et dans lequel
sont intégrées les ONG. Lavigne-Delville mentionne, entre autres,
la culture technicienne du champ du développement ou le décalage
entre l'apport des sciences et la politique d'action des agents de
développement (Lavigne-Delville, 2007). On peut ajouter à cette
liste non exhaustive la « temporalité cyclique »
particulière des activités de développement (Joiris et
Bigombe Logo, 2010), liée aux phases de conception et de mise en oeuvre
des projets et consacrée par le fonctionnement du système de
financement des bailleurs. Nous proposons donc de définir le
système de la coopération au développement comme un
ensemble structuré d'acteurs et d'institutions dont les pratiques
répondent à des règles et des logiques de fonctionnement
qui lui sont propres.
Bailleurs de fonds
Partenaires
Bénéficiaires
ATTITUDE
H2
ONG
H3
H1
INTÉGRATION ENVIRONNEMENTALE
H3
Système de la coopération
au développement
H = Hypothèse
Figure 3: Diagramme des hypothèses et
concepts
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