3.1.1. Population, développement et environnement
1.1.1.1. Les liens entre pauvreté et environnement
Les liens entre la pauvreté, le développement et
l'environnement sont évidemment très complexes et font l'objet de
diverses théories. Il en va bien sûr de même en ce qui
concerne la biodiversité. Selon Roe et Elliott (2005, p. 1), c'est
justement ce manque de consensus sur la nature des liens entre pauvreté
et protection de la biodiversité qui fait obstacle à la
résolution simultanée de ces deux problèmes. Certains
arguments sont cependant avancés de manière récurrente
pour établir la force des liens entre la pauvreté et
l'environnement. Tout d'abord, la littérature sur ce sujet rappelle
constamment la dépendance des populations pauvres vis-à-vis de
leur environnement. Les ressources naturelles constituent leur principal moyen
de subsistance et leur apportent nourriture, énergie et emploi (DFID,
2002 ; IPE, 2009, pp. 7-12 ; Ambler, 1999, p. 2). De nombreux chiffrent sont
cités pour appuyer cette affirmation : 1,6 milliards de personnes
dépendent quotidiennement des ressources forestières (Roe et
Elliott, 2006, p. 1) ; au Burkina Faso, 92 % de la population vit de
l'agriculture et de la pêche (IPE, 2009, p. 7) ; au Zimbabwe, les
ressources naturelles représentent près de 40 % des revenus des
ménages (Biodiversity in Development Project, 2001, p. 1). La
dépendance des populations pauvres à leur environnement va de
pair avec leur vulnérabilité aux conditions environnementales,
deuxième argument invoqué pour assoir les liens entre
pauvreté et environnement. Les populations pauvres sont donc,
toujours d'après la littérature sur le sujet, les
plus exposées et les plus touchées par les dégradations de
l'environnement (Roe et Elliott, 2005, p. 7 ; Ambler, 1999, p. 2).
Ces deux arguments servent de fondement à une
théorie très répandue sur la relation entre
pauvreté et dégradation de l'environnement,
désignée communément par l'expression « cercle
vicieux de la pauvreté » ou encore le modèle Nexus
(Picouet et al., 2004, p. 20). D'après cette théorie, la
croissance démographique des populations pauvres et leur gestion non
durable des ressources sont à l'origine de la dégradation de
l'environnement. La dégradation croissante de l'environnement contribue
à son tour à l'appauvrissement des populations. Pour pallier la
faible qualité des ressources dégradées et continuer
à subvenir à leurs besoins, ces mêmes populations sont
amenées à utiliser toujours davantage les ressources naturelles
dans des écosystèmes de plus en plus fragilisés. Le
principe corollaire de cette théorie est que le développement de
ces populations conduirait nécessairement à une
préservation des ressources naturelles (Ambler, 1999, p. 2 ; Nadkarni,
2000, p. 1184, Sanderson, 2004, p. 325 ; Gjertsen, 2005, p. 199). Il
apparaît clairement que cette conception du rapport pauvreté -
environnement est imprégnée de la vision néo-malthusienne
du développement (Picouet et al., 2004, p. 20). On peut aussi voir dans
les liens de causalité établis par le modèle
Nexus une traduction des courbes environnementales de Kuznet.
Sans rejeter totalement cette théorie et ses
fondements, certains auteurs s'emploient néanmoins à les nuancer.
Ainsi, Roe et Elliott (2005, p. 7) jugent bon de rappeler que les populations
pauvres ne sont pas les seules à dépendre des ressources
naturelles et que cela reste vrai pour le reste de l'humanité. Ils
ajoutent (op.cit. p. 8) que la dépendance plus directe de ces
populations vis-à-vis des ressources naturelles pouvait aussi les
inciter à préserver leur environnement, contrairement au postulat
du cercle vicieux. Nadkarni (2000, p. 1185) formule plusieurs critiques
à l'égard du modèle Nexus. Premièrement,
il récuse l'hypothèse implicite selon laquelle tous les pauvres
se soucient uniquement du présent ou, autrement dit, qu'ils «
utilisent un taux d'actualisation élevé » (Ambler, 1999, p.
12). Ensuite, il dénonce une stigmatisation des populations pauvres
négligeant les autres sources de pressions environnementales (entre
autres, les pays riches et les segments riches de la population dans les pays
en développement). Enfin, il affirme que la pauvreté ne peut pas
être attribuée à la seule
dégradation environnementale et que le
développement économique n'est pas systématiquement
corrélé ni à la réduction de la pauvreté ni
à la réduction des pressions environnementales. La relation entre
la pauvreté et l'environnement est loin d'être linéaire et
mécanique et doit être replacée non seulement dans son
contexte local, mais aussi dans le contexte politico-économique global
(Ambler, 1999, p. 3).
D'autres théories ont été
édifiées dans le but d'expliquer la connexion entre population,
développement et environnement. Parmi celles-ci nous pouvons citer la
théorie bosérupienne, selon laquelle la raréfaction des
ressources occasionnée par la croissance démographique conduit
à la recherche de systèmes de production plus efficients et donc
à la résolution du problème initial. Ces dernières
années, face au déterminisme des deux principales doctrines
(malthusienne et bosérupienne), des chercheurs proposent de construire
un nouveau courant fondé sur des « cadres d'analyse
systémiques et holistiques » (Picouet et al., 2004, p. 21), tenant
compte, notamment, de l'organisation des sociétés et de la
diversité et complexité des contextes à toutes les
échelles (locale, régionale, etc.). Par ce bref parcours des
thèses relatives aux liens entre pauvreté et environnement, nous
pouvons effectivement constater le manque de consensus, voire l'incertitude,
autour de cette question. Cette situation rend difficile la recherche de
solutions communes à la dégradation environnementale et à
la pauvreté.
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