1.1.3. Les ONG et les autres groupes
stratégiques
La deuxième hypothèse de cette étude
concerne les interactions entre les ONG et leurs différents
interlocuteurs et leur influence sur l'intégration environnementale.
Nous nous attarderons donc sur les différents groupes d'acteurs
identifiés dans le cadre d'analyse et par les personnes
interrogées.
Le partenariat est une des clefs de voûte de la
coopération bilatérale indirecte belge. Il suppose une
collaboration étroite entre l'ONGD belge et les ONG du Sud à
chaque étape d'un projet et surtout lors de sa conception. Les besoins,
les logiques et les stratégies de ces deux groupes ne sont pas
identiques, ce qui peut rendre le partenariat difficile. C'est
particulièrement le cas en matière d'intégration
environnementale en raison des « contradictions, fréquentes dans
les problématiques environnementales, entre intérêts
individuels et intérêts collectifs » (Ledant, 2005, p.
12).
Voici les résultats de la question 15 « Pensez-vous
que ce [l'environnement] soit une préoccupation ? » :
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Accessoire
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Moyenne
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Importante
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Ne sait pas
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Pour le personnel de l'ONG basé au Nord
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7/20
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13/20
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Pour le personnel de l'ONG basé au Sud ou pour les
partenaires locaux
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3/20
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9/20
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8/20
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0
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Pour les populations locales touchées par les actions de
l'ONG
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6/20
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8/20
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5/20
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1/20
|
Il apparaît que les partenaires et, surtout, les
bénéficiaires sont moins attachés à la question de
la dégradation environnementale que les ONG du Nord. Les personnes
interrogées ont confirmé cette impression lors des entretiens, en
y apportant des nuances importantes. À aucun moment il n'a
été suggéré que les relations de partenariat
pouvaient être conflictuelles. Ceci peut s'expliquer par le fait que les
ONG de développement ont tendance à choisir non seulement des
partenaires partageant leurs valeurs et principes, mais connaissant aussi les
exigences des bailleurs de fonds et maîtrisant les compétences
nécessaires à leur satisfaction (Totté et Hadjaj-Castro,
2004, pp.17- 18). En dépit de cela, les témoignages convergent
tous vers un même constat : les organisations partenaires et les
bénéficiaires ne sont pas toujours convaincus du bien
fondé des mesures de prise en compte de l'environnement ou n'estiment
pas que ces problématiques soient prioritaires. Les difficultés
du quotidien les empêcheraient de se projeter vers l'avenir et leur
feraient préférer des solutions rapides bien que non durables.
Nous retrouvons ici une des thèses du modèle Nexus
évoqué plus haut.
« Nous devons composer avec nos organisations
partenaires et avec la volonté des agriculteurs sur place. Ils vont
plutôt chercher la rentabilité [...]. Ils ont une vision plus
à court terme parce que la situation est plus critique. »
Certaines ONG de développement mènent
déjà des actions de sensibilisation de leurs partenaires et
bénéficiaires, ce qui de l'avis général est un
travail de longue haleine.
Toutefois, il ne faut pas s'arrêter à ce constat
général. En effet, les partenaires et les
bénéficiaires, souvent des agriculteurs ou éleveurs, sont
les premiers témoins de la dégradation de
leur environnement. Ces dernières années, ils
seraient de plus en plus nombreux à faire part de leur inquiétude
à leurs partenaires du Nord.
« Dès qu'on discute avec nos partenaires, ils
mettent en avant des changements climatiques, ou du moins des changements au
niveau des saisons culturales. »
Enfin, d'après certains témoignages, la
réticence de certains bénéficiaires a une raison d'ordre
sémantique. La place de l'environnement dans le développement
durable tel qu'il est conçu ici ne correspond pas à leurs
préoccupations. Loin des discours et des concepts, les
bénéficiaires souhaitent trouver des solutions réalistes
et adaptées. Lorsque des techniques durables sont proposées de
façon à en expliquer clairement les avantages à moyen et
long terme, elles sont mieux accueillies par les personnes ciblées.
« Allez leur dire que ce que nous faisons c'est dans
le cadre d'une politique environnementale, ça ne les intéresse
pas. Ils veulent que ça ne leur coûte pas trop cher et que
ça donne des résultats. La dimension environnementale, ça
les touche par ses effets, pas sur le plan idéologique. »
Une catégorie d'acteurs a été
révélée par les entretiens. Il s'agit des instances de
direction des ONG de développement, dont les points de vue ne semblent
pas toujours concorder avec ceux du personnel. Selon plusieurs des personnes
rencontrées, nombre des initiatives en faveur de bonnes pratiques
environnementales, tant au Nord qu'au Sud, ont été lancées
sous l'impulsion du personnel.
« C'est plutôt les employés qui poussent,
la direction suit si elle y voit son intérêt financier. »
n@dteramgp.m
Or, la seule volonté du personnel ne suffirait pas
à aboutir à une réelle prise en compte de l'environnement.
C'est le sentiment de cette personne travaillant pour une grande ONG :
« Il faut un engagement institutionnel clair de la
part du Conseil d'administration et de l'Assemblée
générale car une réelle prise en compte nécessite
tant son intégration dans la politique officielle que dans la pratique.
»
L'incorporation de la préoccupation environnementale dans
la vision d'une ONG contribuerait donc à la concrétisation de
l'intégration environnementale.
Dans le cadre d'analyse, les interactions entre les ONG de
développement et les bailleurs de fonds ont été
désignées comme le déterminant fondamental des pratiques
d'intégration environnementale. Les résultats des entretiens
tendent à le confirmer et montrent bien un lien entre la position
adoptée par le bailleur en matière d'intégration de
l'environnement et la stratégie des ONGD en la matière.
Avez-vous l'impression d'une incitation de la part des
bailleurs en faveur d'une plus grande prise en compte de l'environnement dans
vos projets ?
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Oui, il y a une incitation forte mais non définie par des
règles
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13/20
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Oui, il y a une incitation faible, sur base volontaire
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5/20
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Non
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1/20
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Ne sait pas
|
1/20
|
En dehors du contenu de la législation, de la fiche
d'appréciation et du schéma de présentation, il n'existe
pas de document technique présentant les lignes directrices de
l'intégration systématique de l'environnement telle qu'elle
serait souhaitée par la DGCD. Pour rappel, en Belgique cette prise en
compte systématique est prévue par la loi et est stipulée
dans plusieurs autres documents d'orientation politique. Pourtant, comme nous
pouvons le voir, cinq des ONG interrogées considèrent que la
prise en compte de l'environnement s'effectue sur base volontaire et l'une
d'elles estime même qu'il n'y a pas de réelle incitation de la
part des bailleurs de fonds. Les réponses se référent
systématiquement à la DGCD. Certaines des ONG ont
également mentionné l'Union européenne. Les exigences de
l'UE en matière d'intégration environnementale seraient plus
strictes qu'à la DGCD, la dimension devant explicitement figurer dans
les propositions de projets.
L'incitation à l'intégration de la DGCD est
d'ordre théorique mais le manque de précision concernant ses
attentes réelles trahit le manque de préparation de ses services
à évaluer la prise en compte de cette thématique. Les ONG
sont donc tout à fait conscientes du fait que la prise en compte de
l'environnement ne fait pas l'objet d'un examen approfondi et que leurs projets
ne pourraient être refusés sur cette base. Le décalage
entre le discours de la DGCD et la réalité de la gestion des
dossiers leur est évident.
« Ils vérifient si c'est présent, c'est un
plus si ça l'est [...], mais ce n'est pas un impératif construit.
»
« La DGCD a un discours sur l'environnement mais
n'est pas particulièrement attentive sur les aspects environnementaux
des projets qu'ils financent, ils ne sont pas spécialement attentifs au
paradigme qu'on utilise. »
Si quelques unes des ONG interrogées ont tout de
même ressenti une incitation plus forte de la part de la DGCD ces
dernières années, cela ne s'est pas accompagné
d'indications plus claires sur la marche à suivre. Le manque de
clarté sur les attentes de la DGCD inquiète surtout les plus
petites ONG, qui se sentent particulièrement démunies face
à un thème transversal qui pourrait gagner en importance dans un
avenir proche.
Procédez-vous à une plus grande prise en
compte de l'environnement lorsque le bailleur de fonds l'encourage
?
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Oui, depuis longtemps
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6/20
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Oui, mais depuis peu
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7/20
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Non
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3/20
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Non, mais nous sommes en train de nous y préparer
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3/20
|
Les résultats à la question ci-dessus
suggèreraient a priori que la DGCD et la nature de ses demandes exercent
une influence considérable sur la prise en compte de l'environnement par
les ONGD puisqu'une majorité d'entre elles déclarent
améliorer leur intégration environnementale lorsque le bailleur
de fonds l'encourage. Cependant, les réponses à cette question
doivent être prises avec beaucoup de précaution et les entretiens
ont été déterminants dans la compréhension de ce
paramètre. Premièrement, le fait que six ONG aient répondu
non à cette question ne signifie pas que leur prise en compte actuelle
soit nulle. Deux des ONG ayant répondu un non catégorique ont par
ailleurs entrepris depuis un certain temps une réflexion approfondie sur
la place de l'environnement dans leurs actions. Deuxièmement, le fait
d'avoir répondu oui à cette question ne signifie pas que les ONG
en question aient modifié de manière significative leurs
pratiques. Lors d'un entretien, l'une des personnes interrogée à
même expliqué hésiter entre la réponse « oui
depuis longtemps » et « non, mais nous sommes en train de nous y
préparer ». Comment alors expliquer ces réponses ? En
réalité, les ONG ayant choisi de répondre non estiment
qu'elles ont intégré l'environnement depuis déjà
longtemps dans leurs activités, et ce bien avant que ce thème ne
devienne une priorité politique. En ce qui concerne les ONG ayant
répondu oui, la situation est la même. Elles disent
intégrer depuis longtemps l'environnement dans leurs pratiques. Le seul
changement significatif concerne la manière dont cette prise en compte
est traduite dans les dossiers soumis aux bailleurs de fonds. Par exemple cette
ONG
reconnaît adapter le contenu des propositions de projets
selon la demande du bailleur, sans pour autant changer la nature de
l'intervention :
« Ce qu'on fait, on peut le présenter sous des
angles différents, sous l'angle du développement humain ou sous
l'angle de l'environnement. Ce qu'on ne précisait pas avant sur les
effets environnementaux [positifs], on le mentionne quand le bailleur le
demande. »
Cette stratégie est commune à pratiquement
toutes les ONG étudiées, qu'elles aient répondu oui ou non
à la question qui nous occupe. C'est évidemment lié
à deux des constats établis précédemment, à
savoir d'une part le lien étroit entre les secteurs d'activité
privilégiés par les ONGD et l'environnement et, d'autre part, la
critique de l'approche transversale adoptée par les bailleurs. La
transversalité aurait dès lors pour effet pervers de conduire
à la manipulation des propositions de projet plutôt qu'à
une amélioration de la prise en compte des thèmes transversaux.
Plus encore que la conceptualisation de la transversalité, c'est la
lecture qu'en font les bailleurs de fonds qui serait défaillante.
« Ce qu'on nous reproche c'est que ça
n'apparaisse pas au bon endroit dans le dossier [...]. C'est l'aspect
mécanique de la lecture des dossiers que font les bailleurs. Le canevas
est ainsi fait et donc on remplit quelque chose dans la case thèmes
transversaux. [...] C'est une question de lisibilité. »
L'approche de l'intégration environnementale par la
transversalité ne parviendrait pas à rendre compte de
l'importance de cette thématique par rapport aux objectifs de
développement poursuivis par les ONG.
« Il faudrait abandonner cette obsession de la
transversalité et en venir enfin à considérer que
l'environnement doit se situer beaucoup plus au niveau des pré-requis
d'un projet, plutôt que de se demander à la fin si les
problématiques environnementales ont été prises en compte.
»
Malgré ces différentes remarques, les personnes
rencontrées ne prétendent pas que leur prise en compte actuelle
soit parfaite et sont prêtes à l'améliorer dans la mesure
de leurs possibilités. Comme le suggère l'extrait ci-dessus, les
ONGD ne sont pas opposées au principe d'un examen plus strict de cette
dimension par les bailleurs de fonds (si bien sûr l'approche n'est pas
dogmatique mais adaptée à la réalité
de leurs projets). Certaines estiment d'ailleurs que leur prise en compte
actuelle satisfait déjà à des critères plus
exigeants.
« De ce point de vue, je pense qu'on est en avance sur
eux donc ils peuvent avoir des demandes plus strictes. »
S'il y a bien accord sur le principe d'un durcissement des
exigences, les ONGD interrogées accepteraient pourtant difficilement que
de telles exigences se traduisent par une complexification des
procédures de soumission des projets. Les personnes rencontrées
craignent par exemple de se voir imposer des indicateurs difficiles à
mesurer. Plusieurs de ces personnes redoutent aussi l'imposition d'une
check list telle que celle qui existe pour le thème transversal
« genre » et dont elles remettent en question la pertinence.
Enfin, il faut souligner l'opposition
généralisée des ONGD à l'existence de
conditionnalités, qu'elles considèrent comme une hypocrisie des
administrations gouvernementales. Les ONG reprochent tout d'abord à la
DGCD de ne pas appliquer les principes qu'elles leur recommandent dans la
coopération gouvernementale et considèrent que le service de
gestion des programmes ONG n'a pas les capacités internes pour juger de
la qualité de leurs projets du point de vue environnemental.
« C'est important qu'un bailleur en tienne compte, mais
aussi se donne les moyens d'en tenir compte. »
D'un autre côté, elles pointent le manque de
cohérence entre ce qui leur est demandé et l'orientation des
autres politiques menées par le gouvernement.
Malgré ces frictions, plusieurs des personnes
interrogées ont tenu à souligner les efforts de la DGCD pour
établir un réel dialogue avec les ONG qu'elles subsidient.
« Nous sommes des ONG agréées et ils [la
DGCD] nous font quand même confiance. »
De fait, la relation entre les ONG et les gestionnaires de la
DGCD se serait nettement améliorée depuis le passage à
l'approche programmatique (Acodev, 2007, p. 18).
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