8.1.4. Au Nord
L'enquête avait pour objet les activités du volet
Sud des ONGD mais plusieurs des personnes rencontrées ont
d'elles-mêmes apporté des informations sur la gestion quotidienne
de leur organisation au Nord. La mise en exergue de cet aspect s'inscrit dans
une logique que nous aurons l'occasion d'approfondir dans le chapitre
suivant.
Trois des ONG ayant répondu à l'enquête
ont mis en place des systèmes de gestion environnementale (voir point
8.1.1). Les autres ONG ne délaissent pas pour autant la question. Si
certaines se limitent à utiliser du papier recyclé ou des
ampoules économiques, d'autres ont une politique d'achat bien plus
stricte. Par exemple, cette ONG organisant des évènements de
sensibilisation du public utilisent des ballons gonflables
biodégradables et achètent, pour son équipe de
bénévoles, des T-shirts fabriqués avec du coton bio et
équitable. Cette autre ONG a tenu à communiquer les diverses
mesures entreprises pour réduire la consommation
énergétique des bureaux : le double vitrage y a été
récemment installé, des panneaux solaires le seront
bientôt, un audit énergétique et l'isolation des locaux
étaient prévus prochainement. Cette même ONG, dont le volet
Nord comprend l'assistance aux demandeurs d'asile et aux migrants, souhaite
rationaliser les déplacements découlant de cette activité.
Pour cela, l'ONG va procéder à la décentralisation d'une
partie de son équipe vers la Flandre et la Wallonie pour se rapprocher
des bénéficiaires et ainsi réduire les trajets de ces
derniers et du personnel.
Evidemment, comme l'ont suggéré certains des
commentaires recueillis, lorsqu'une ONG ne s'est pas engagée dans une
gestion environnementale formelle, l'observation des gestes écologiques
quotidiens dépend forcément du degré de conscientisation
des membres du personnel.
8.2. Trois dimensions
1.1.2. Attitude
D'après les réponses apportées au
questionnaire, la grande majorité des ONG de développement
étudiées ne considèrent pas que les objectifs de
conservation de l'environnement et de développement soient
contradictoires. Onze des ONGD interrogées estiment que les actions de
protection de la biodiversité et de lutte contre la pauvreté sont
« complémentaires » et huit autres qu'elles sont «
plutôt complémentaires ». Pourtant, les résultats de
la première question semblent indiquer que les ONGD se sentent tout de
même moins concernées par les thématiques plus directement
en lien avec la biodiversité. En effet, les problématiques pour
lesquelles les réponses sont les moins contrastées sont à
nouveau celles qui affectent ou risquent d'affecter le plus leurs actions de
développement, en particulier les changements climatiques, la
dégradation des sols, la désertification et la diminution des
ressources en eau.
|
Pas du tout
|
Un peu
|
Moyennement
|
Beaucoup
|
Sans avis
|
Changements climatiques
|
|
|
6/20
|
14/20
|
|
Dégradation des sols
|
|
|
2/20
|
18/20
|
|
Désertification
|
|
|
4/20
|
16/20
|
|
Disparition des espèces sauvages
|
|
4/20
|
8/20
|
7/20
|
1/20
|
Disparition des milieux naturels
|
|
|
8/20
|
12/20
|
|
Disparition des ressources génétiques
|
|
3/20
|
5/20
|
10/20
|
2/20
|
Diminution des ressources en eau
|
|
1/20
|
1/20
|
18/20
|
|
Fragmentation des habitats
|
|
2/20
|
9/20
|
5/20
|
4/20
|
Espèces exotiques envahissantes
|
1/20
|
4/20
|
11/20
|
3/20
|
1/20
|
Surexploitation des ressources naturelles
|
|
|
2/20
|
18/20
|
|
Pollution de l'environnement
|
|
|
2/20
|
18/20
|
|
Problématique des « réfugiés
environnementaux »
|
|
3/20
|
6/20
|
9/20
|
2/20
|
Bien qu'il soit difficile d'en juger sur cette seule base, les
entretiens ont permis d'observer que les personnes interrogées avaient
une bonne connaissance générale des thématiques
environnementales. Six des personnes interrogées estiment être
assez informées sur les questions environnementales, quatre
considèrent ne pas l'être assez, et dix pensent que leurs
connaissances pourraient être encore améliorées. Les
répondants les plus au fait des problématiques environnementales
sont les ingénieurs agronomes, les représentants des sciences
humaines et sociales s'exprimant un peu moins aisément sur le sujet.
Les conventions internationales portant sur la protection de
l'environnement ne semblent pas susciter énormément
d'intérêt auprès des personnes interrogées. À
titre d'exemple, seulement cinq d'entre elles ont déclaré
connaître la Convention sur la Diversité Biologique. Les deux
conventions les plus connues sont la Convention cadre des Nations Unies sur les
Changements Climatiques (huit personnes sur vingt) et la Convention des Nations
Unies pour la lutte Contre la Désertification (dix personnes sur vingt).
Bien sûr, ce type de données ne permet absolument pas de tirer des
conclusions sur le niveau de connaissance du personnel des ONGD. Elles
confirment cependant une tendance déjà dégagée plus
tôt, à savoir la primauté des changements climatiques sur
la scène de la coopération au développement.
« Nos bailleurs de fonds nous parlent de plus en plus du
réchauffement climatique, Protocole de Kyoto et autres
problématiques environnementales. »
De fait, le sujet des changements climatiques a
été spontanément amené par presque toutes les
personnes interrogées. Cette problématique est automatiquement
associée à l'axe de minimisation des pressions environnementales,
et surtout à la réduction des émissions de gaz à
effet de serre, qui suscite des réactions vives, parfois d'indignation
et d'exaspération.
- « On dit toujours aux pays émergeants de
respecter certaines normes environnementales alors que nous pour nous
développer on a pollué très fort. Se développer
sans polluer ça serait l'idéal, mais c'est parfois plus difficile
aussi. »
- « On demande aux Africains et Brésiliens de
préserver leur forêt primaire. C'est bien facile pour nous qui
avons détruit la nôtre de leur dire "vous avez le dernier
carré de forêt primaire alors protégez-là".
»
Nous pouvons remarquer que si la majorité des personnes
interrogées admettent, en théorie, la
complémentarité des objectifs de développement et de
protection de l'environnement, la crainte que la conservation de
l'environnement ne représente une menace contre le droit au
développement est bel et bien présente. Cette menace est d'autant
plus intolérable pour les ONG de développement qu'elle est
considérée comme injuste étant donné la dette
écologique des pays industrialisés. C'est par exemple le cas de
cette ONG menant à bien des projets d'optimalisation de
l'élevage. Récemment, la consommation de viande et les
conséquences environnementales de sa production ont été la
cible des défenseurs de l'environnement. Se sentant montrée du
doigt,
notamment à la suite de remarques de la part de ses
bailleurs de fonds, cette ONG ressent le besoin de défendre la
pertinence de ses activités :
« L'élevage est considéré comme
un des secteurs les plus polluants. Il faut relativiser. De quel élevage
parle-t-on ? Le secteur de l'élevage des 50 pays les plus pauvres ne
produit que 1 % des GES. »
Si la minimisation des pressions des projets au Sud fait
débat, la limitation des impacts des bureaux au Nord fait
l'unanimité parmi les personnes rencontrées, en particulier la
réduction de la consommation d'énergie et les émissions de
GES. L'observation des bonnes pratiques environnementales est envisagée
comme un prolongement des principes de solidarité internationale. Le
respect des gestes écologiques au sein de l'organisation s'inscrit dans
un souci de cohérence de sa vision. Pour certaines ONG, cette
démarche est d'autant plus aisément réalisable qu'elle
répond simultanément à des impératifs financiers
:
« Il y a un double objectif : l'économie et
défendre cette logique de citoyenneté mondiale. »
Toujours dans cette optique, plusieurs des ONGD
étudiées ont lancé des campagnes de sensibilisation aux
enjeux du changement climatique et ont incorporé cette
problématique dans leur plaidoyer. Par exemple, cette ONG mène
une campagne sur le climat qui aborde d'autres thématiques, comme la
surexploitation des ressources ou l'impact de la standardisation des
variétés culturales sur la biodiversité.
« Nous plaidons pour une diminution de nos
émissions au Nord, par solidarité avec le Sud et dans une optique
de justice climatique. Notre campagne s'inscrit dans une critique
générale d'un modèle de développement qui repose
sur la surexploitation de toutes les ressources. »
Ce témoignage reflète la logique sous-jacente
aux principales mesures environnementales entreprises par les ONG. Les
préoccupations environnementales sont assimilées aux
revendications socio-économiques des ONGD et viennent en appui au
modèle de développement qu'elles souhaitent diffuser. L'emploi de
semences locales, la promotion des intrants naturels ou la recherche
d'énergie alternative sont autant de moyens d'assurer
l'indépendance des populations locales vis-à-vis
d'opérateurs extérieurs.
Il convient de se pencher sur le sens donné par les
personnes interrogées à l'intégration environnementale.
À l'instar de ce qui avait été observé chez les
gestionnaires du service D3.1, certains des répondants ont tendance
à faire l'amalgame entre l'intégration de l'environnement dans
leurs actions et la formulation de projets environnementaux.
L'intégration environnementale se concrétiserait donc, dans cette
conception, par la présence d'un objectif spécifique
environnemental. Pour cette ONGD active au Congo, leur prise en compte de
l'environnement se traduit par la conception d'un certain nombre de projets
(mais pas tous leurs projets, ce qui les distingue d'une ONG de protection de
l'environnement) très clairement axés sur l'environnement :
« Dans nos projets au Congo, la composante
environnementale ça fait partie des résultats et des objectifs
à atteindre. »
Cette même logique pousse certaines ONGD dont aucun des
projets n'a d'objectif spécifique environnemental à
considérer que c'est pour cette raison que leur intégration
environnementale est défaillante. Pour d'autres, c'est justement la
perspective de devoir réaliser des projets dont la priorité est
environnementale qui est source d'inquiétude et de méfiance
envers l'intégration environnementale.
« On accepte le principe de la prise en compte de
l'environnement mais pas dans le sens où on devrait faire des projets
environnementaux, ça nous n'y sommes pas prêts. »
Cette représentation de l'intégration
environnementale est liée à l'image qu'en donnent les bailleurs
de fonds. Comme il a été observé dans le chapitre traitant
de la DGCD, les gestionnaires eux-mêmes tendent à confondre
intégration et objectif environnemental. Nous verrons plus en
détail dans le point suivant l'influence des interactions entre
bailleurs de fonds et ONGD sur la prise en compte de l'environnement.
Tout en reconnaissant l'importance de la prise en compte de
l'environnement dans leurs actions, plusieurs des personnes rencontrées
ont néanmoins émis des critiques envers le concept de «
thématique transversale ». La transversalité est, à
leurs yeux, une conceptualisation erronée de l'intégration de
l'environnement dans les projets de développement et ne permet de rendre
compte ni de la réalité du terrain ni de la réalité
de leurs efforts d'intégration.
« Nous critiquons cette approche transversale qui a
tendance à séparer les problématiques alors que notre
travail fait qu'elles font partie intégrante de nos
préoccupations. »
L'approche transversale des différentes
problématiques telles que le genre, l'économie sociale ou
l'environnement et leur compartimentation inciteraient partant à une
analyse linéaire. Plusieurs des répondants rejettent donc cette
approche et plaident pour une conceptualisation de l'intégration qui
reflète davantage l'analyse systémique qu'ils affirment
s'efforcer d'appliquer.
« Nous ne sommes pas d'accord de considérer
l'environnement comme une thématique transversale. Pour nous,
l'environnement est une dimension verticale, qui part de la base même de
nos interventions [...] c'est une racine de la durabilité, c'est
ça la différence. »
L'approche transversale telle qu'elle est conçue par
l'establishment de la coopération au développement
n'encouragerait pas à une prise en compte en amont de la conception des
actions de développement et ne constituerait qu'un simple garde fou
visant à limiter légèrement les impacts.
|