CONCLUSION
Ç Le rTMle de lÕart dans notre propre
société, au moins sous ses manifestations traditionnelles, est
aussi incertain que son cours futur est imprevisible. Nous ne marchons plus de
lÕavant le long du chemin etroit dÕune histoire à sens
unique. Nous jouissons au contraire dÕune sorte de repit
momentané qui nous permet de reconsiderer les divers statuts et
justifications de lÕart, à la fois dans le passé et
à lÕere du modernisme. »48 Ç
LÕinstallation est le reflet de cette nouvelle ere postmoderne qui vit
en sÕharmonisant avec le passé sans desirer rompre avec lui,
contrairement à la plupart des autres courants artistiques qui, pour
na»tre, mettaient à mort les ideologies en place. A
lÕencontre de cette tradition, lÕinstallation sÕapproprie
les regles formelles et ideologiques passees, les permute et gere cet heritage,
tout en le catapultant hors du mythe progressiste de lÕhistoire. La
postmodernite semble contenir une originalite ideologique extrinseque à
son esthetique, rejoignant ainsi une attitude sociale et politique, issue de
lÕechange et du partenariat, de la complicité et de
lÕaccommodation. Le mythe du progres est troque contre celui de
lÕalliance. La denonciation dÕun systeme artistique nÕest
plus la caracteristique de lÕinstallation meme si certaines
dÕentre elles possedent un contenu engage. »49
Dans son livre sur lÕart contemporain, Catherine Millet
explique que Ç des Ïuvres de tous styles sÕarticulent comme
les pieces disparates dÕun puzzle, et le puzzle, de plus en plus grand,
tend à recouv rir toute la surface terrestre. »50 Dans
ce même livre, elle affirme : Ç Sur lÕécran de
lÕéclectisme postmoderne, des recherches singulières ou
inclassables, des styles archa ·sants ou académiques, etc.,
affleurent et trouvent une resonance en regard de la variété des
Ïuvres contemporaines. »51 Mes Installations
proliférantes sont une tentative de cohabitation de la plus grande
variété dÕapproches possibles tout en les rattachant
à lÕhistoire de lÕart. Installer une grande
variété dÕoeuvres différentes dans un même
lieu permet dÕaugmenter les chances de toucher un public varie en
multipliant le nombre de point s dÕaccroche possibles de
lÕobservateur . QuelquÕun qui découvre une
Installation proliférante ne la voit pas forcément dans son
ensemble, mais
48 Hans Belting, 1983, L'histoire de l'art
est-elle finie ? Op. cit., p. 14.
49 Jo`lle Morosoli, L'installation en
mouvement, Trois-Rivières, Editions d'art Le Sabord, coll. essai,
2007, p. 43.
50 Catherine Millet, L'art contemporain, Histoire
et géographie, Op. cit., p. 114.
51 Ibid., p. 115.
il y a de fortes chances pour qu'il s'intéresse
à une ou plusieurs Ïuvres qui, en raison de son parcours personnel,
l'interpellent. Se rattachant à ces Ïuvres identifiées,
l'observateur pourra établir des relations avec le reste de
l'installation. Si l'on accroche par exemple deux peintures qui ont la
même dominante colorée, ou la même structure graphique, leur
rapprochement par le regardeur sera quasiment inévitable.
Mes installations sont une tentative de peindre dans ce nouvel
%oge baroque qui est la postmodernité. La peinture ayant
épuisé ses ressources à l'intérieur de son cadre,
elle trouve un nouvel horizon lorsqu'elle investit la totalité du mur et
s'inscrit dans la troisième dimension. De nouvelles questions se posent
alors, questions que nous avons tenté d'aborder dans ce mémoire,
touchant aux notions d'auteur, de collection, d'appropriation, d'exposition, de
cadre, de déplacement, d'autonomie, d'envahissement, de relation de
l'Ïuvre à son support ou à l'Ïuvre lui servant de
support.
Si l'on remonte dans le temps, l'art est d'abord une question
de mimésis. Il s'agit de représenter le monde visible. Cette
tendance trouvera son apogée (et peut être aussi ses limites avec
l'invention la perspective. du début 19 ème
ultimes) de Le romantisme du
siècle, son obsession du fragment et l'apparition de la
subjectivité pousseront l'art progressivement vers des recherches qui
trouveront leur apogée dans le modernisme du début du
20ème siècle. Le rTMle mimétique de l'art est
critiqué. <<On peut dire d'une facon générale qu'en
voulant rivaliser avec la nature par l'imitation, l'art restera toujours au
dessous de la nature et pourra être comparé à un ver
faisant des efforts pour égaler un éléphant.
>>1 << Tant qu'il imite, l'homme ne dépasse pas
les limites du naturel, alors que le contenu doit être de nature
spirituelle. >>1. Wassily Kandinsky ira plus loin: <<
Eo ipso, la question <<quoi>> dispara»t dans l'art.
Seule subsiste la question <<comment>> l'objet corporel pourra
être rendu par l'artiste. >>1 Les matériaux qui
servaient auparavant à la mimésis acquièrent une
originalité propre et sont investigués pour leurs
possibilités formelles et non plus mimétiques. Il s'ensuit
l'apparition des avant-gardes et d'une grande variété de styles.
Après les avant-gardes modernes (cubisme, futurisme,
suprématisme, constructivisme, dada ·sme , surréalisme,
expressionnisme) les mouvements des années 50 et 60 (art conceptuel,
minimalisme, hyperréalisme, nouveau réalisme, abstraction
lyrique, fluxus, actionnisme, land art) et les courants des années 80
(art&langage, photo-réalisme, figuration libre, bad painting,
néoexpressionnisme, simulationnisme, néo-géo,
néoconceptualisme), finalement une très grande
variété d'approches a été explorée. Les
matériaux prennent leur indépendance, comme ce fut
d'abord le cas des formes et des couleurs. Donald Judd indique
que Kasimir Malévitch est le premier à avoir utilisé les
formes géométriques et les couleurs pures : << Il est
évident aujourd'hui que les formes et les couleurs des toiles que
Malévitch commenca à peindre en 1915 sont les premiers exemples
de formes en soi et de couleur s en soi. »52 Dans son texte Du Cubisme
et du Futurisme
au Suprématisme, Malévitch
écrit: << il faut donner aux formes la vie et le droit à
l'existence individuelle È. Il écrit également << la
couleur et la texture en peinture sont des fins en soi È. Les
médiums de la peinture et de la sculpture seront finalement
investigués dans toutes leurs caractéristiques jusqu'à la
fin des années 60. <<Consciemment ou non, les artistes se penchent
peu à peu sur leur matériau, l'essaient, pèsent sur la
balance de l'esprit la valeur intérieure des différents
éléments par lesquels leur art est en mesure de créer.
È1 Ainsi l'art explose en ses composants: le matériau,
le concept, l'attitude artistique, le corps de l'artiste, le milieu
d'existence, les conditions sociales de réception.
Mes installations sont une tentative de mise à plat de
cette histoire de l'art. Je souhaite montrer en même temps des
Ïuvres découlant des différentes conceptions de l'art et les
faire circuler sur des structures. J'utilise pour ainsi dire l'histoire de
l'art en ses composantes, et je les mets en dialogue. Que peut dire ou
suggérer un ch%ossis nu, un monochrome ou une peinture all-over,
placé à la perpendiculaire d'une peinture perspectiviste, d'une
nature morte, ou d'un film d'animation vidéo projeté?
Le concept de prolifération peut être positif
lorsqu'on le rapproche des notions de vie, de progrès, de
découverte ou de prospérité, mais aussi négatif si
l'on considère la peur de l'envahissement, de l'étouffement, de
la maladie et du désordre qu'il suscite. La prolifération des
musées d'art contemporain par exemple est certainement un facteur
positif mais, malgré tout, lorsqu'on évoque ce mot, les aspects
négatifs l'emportent rapidement et nous pensons à la
prolifération nucléaire, ou celle des armes de destruction
massive.
Appliquée à mon travail, cette réflexion
expose les dangers de ma démarche. Que devient une Ïuvre
lorsqu'elle est accrochée au milieu des autres? Les Installations
proliférantes ne risquent-elles pas, en accumulant les Ïuvres,
de les diluer, de les étouffer, voir de nier leur existence individuelle
? Que dire des Installations altérantes, oü les
Ïuvres sont repeintes non pas en fonction d'elles-mêmes, mais de la
logique globale de l'installation? Le projet de mettre les Ïuvres en
mouvement est
52 Donald Judd, Ecrits 1963 -1990, Paris,
Daniel Lelong Editeur, 1991, p. 344.
éventuellement une manière de les tourner en
dérision. Mais les Ïuvres n'ont pas toutes la méme
personnalité et là oü certaines se voient abusées,
d'autres sont à leur place. La manière de les mettre ensemble
change la perception que l'on en a, et il s'agit seulement de savoir ce que
l'on veut mettre en avant. Dans un sens, cela signifie l'utilisation des
ressources des Ïuvres pour les faire jouer entre elles. Installer une
Ïuvre n'est donc pas forcément la trahir, car son installation peut
participer à la mise en évidence d'une partie de ce qu'elle est.
Une méme Ïuvre pourra éventuellement révéler
des qualités différentes lors de ses installations successives.
Mes Installations proliférantes peuvent-elles ainsi contribuer
à créer le contexte nécessaire à
l'épanouissement des Ïuvres?
TERMES CLES
-Auteur
-Cadre
-Collection -Déplacement -Exposition -Installation
-Îuvre
-Polyptyque -Prolifération -Structure
GLOSSAIRE
-Auteur: Celui qui crée l'Ïuvre.
La dimension autobiographique est récurrente dans mon travail. Puisque
j'utilise aussi des Ïuvres dont je ne suis pas l'auteur, la question de
l'appropriation et de ses modes de mise en Ïuvre intervient comme
afférente à celle de l'auteur.
-Cadre: Le cadre est la limite qui
sépare une Ïuvre en deux dimensions du reste du monde. Il est par
conséquent un outil permettant d'établir des citations. Cependant
lorsque plusieurs cadres sont visibles sur un méme mur, le regardeur
à tendance à les comparer. Le cadre devient alors un moyen de
mise en relation des Ïuvres. Le cadre est donc un facteur de
séparation mais également un facteur de cohésion.
-Collection: Le fait d'accumuler le
méme type d'objet. Je collectionne de nombreux objet et en particulier
mes propres productions plastiques ainsi que celles des autres. La collections
d' << Ïuvres È constitue la matière première de
mes installations.
-Déplacement : Le fait de se mouvoir
d'un endroit à un autre de manière plus ou moins
indépendante. Je travaille à rendre mobile les
éléments que j'accroche sur mes structures. A terme, je voudrais
que les éléments circulent sur des rails et que ce mouvement soit
dirigé par un système informatique.
-Exposition: L'exposition, parce qu'elle
rassemble des Ïuvres de manière réfléchie
(scénographie) est toujours en elle-méme une sorte d'Ïuvre.
Cependant, dans certaines expositions, les Ïuvres s'appréhendent
comme partie d'un tout, comme ce fut le cas de celles misent en place par Peggy
Guggenheim dans sa galerie Art of this Century à New York ou
encore de l'accrochage des peinture de Kasimir Malévitch à
l'occasion de l'exposition futuriste <<0,10 È à
Saint-Pétersbourg en 1915.
-Installation : Mise en cohérence d'un
ou plusieurs éléments par rapport à un lieu d'exposition.
Les installation s sont dites murales quand elles sont contre un mur et
centrale quand ont peut en faire le tour. Les Installations
proliférantes sont des installations qui mettent en scène
des productions plastiques. Sont dites participatives les
installations qui incitent le visiteur à agir et altérantes
celles oü les productions plastiques sont transformées pendant
la durée de l'installation.
-OEuvre: L'Ïuvre d'art est un objet sans
recette de fabrication et sans emploi. C'est ce qui la distingue d'un objet
d'artisanat et la rapproche des êtres vivants. Il est interdit de
détruire une Ïuvre d'art, parce qu'il n'existe pas de
manière de la recréer a l'identique.
-Polyptyque: OEuvre constituée de
plusieurs parties planes et parfois articulées. Mes installations
d'Ïuvres sont des polyptyques.
-Proliferation: Phénomène de
croissance exploitant l'ensemble des possibilités accessibles afin
d'occuper tout l'espace. Accumulation de productions plastiques dans un
même lieu.
-Structure : La structure est le squelette
sur lequel sont accrochés les organes. Je construis contre le mur ou au
centre d'un espace des structures qui me servent de support d'accrochage.
INDEX
Alain Bublex, 35 André Breton, 6, 45 Antony Gormley, 6,
31
Auteur, 36, 37, 38, 40, 41, 94, 95
Barry Mac Gee, 6, 106 Biennale d'Art de Montreux, 28
Cadre, 94, 95
Cédric Teisseire, 24
Christian Boltanski, 27, 28, 101
Christo et Jeanne-Claude, 28, 29
Claude Rutault, 6, 25, 46
Collection, 94, 95 Conseil Général, 29 DRAC, 29
Ecole Cantonale d'Art de Lausanne, 28
Ecole Supérieure d'Arts et Médias de Caen, 88
El Lissitzky, 6, 105 Elisabeth Wetterwald, 5 Exposition, 94, 95,
106 Günter Umberg, 6
Haute Ecole d'Art et de Design de Genève, 28
Ian Davenport, 24
Installation, 5, 6, 46, 53, 81, 85, 86, 88, 91, 92, 96
Installations proliférantes, 5, 7, 16, 24, 35, 45, 47, 51, 86,
96 Jean-Jacques Lebel, 6, 65
Jim Shaw, 6, 66, 102
John Armleder, 6, 16, 17, 63, 99
Jules Verne, 15
Karsten Bott, 6
La ·za Pautehea, 33 Larry Poons, 19
Marcel Duchamp, 26, 39, 46
Mark Dion, 6
Métaltop, 29
Mladen Stilinovic, 3, 6, 64
Morris Louis, 19 Nendaz, 27, 29
Noocactus, 12, 13, 14, 35, 86
Peinture liquide, 16, 23, 27, 51
Peintures fonds, 16 Pierrick Sorin, 39 Polyptyque, 94,
96 Richard Serra, 77 Robert Malaval, 17 Robert Smithson, 29 Sarah Sze, 6
Shilpa Gupta, 6
Structure, 83, 94, 96 Surface, 105
Suzanne Page, 16 Tatline, 83
Tony Cragg, 6, 86, 106 Victor Hugo, 38 Vladimir Vernadsky, 13
Yves Michaux, 5, 26, 86
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