2.2.2.1. Décapitalisation des entreprises du
portefeuille de l'Etat
Concernant l'exécution des recettes budgétaires,
la tendance à élargir l'assiette fiscale sans répondant
proportionnel dans le secteur productif, est singulièrement
prononcée en 2001 avec la fixation par l'Etat des sommes forfaitaires
que les entreprises publiques devaient acquitter au titre de contributions
spéciales au Trésor. Depuis 2002, les contributions
spéciales se sont muées en avances sur dividendes. Sur les 19
entreprises ayant fait leur versement en 2002, 10 n'ont pas établi
d'états financiers, 5 ont des états financiers indiquant que
l'exercice s'est clôturé en perte alors que les avances sur
dividendes ont été importantes, 4 entreprises disposant
d'états financiers avec des résultats positifs ont payé
des avances sans proportion avec les bénéfices76.
Pour preuve, Cohydro a des résultats positifs de 27,6
millions et a payé 122 millions à titre d'avances, Ogefrem a des
résultats positifs de 7,8 millions et a payé 27,2 millions, ONT a
des résultats positifs de 7,8 millions et a payé 0,8 millions. La
Cour conclut que « le système des avances sur dividendes, tel
qu'il est pratiqué, a un impact négatif sur le cadre
macroéconomique du pays par l'opacité qu'il engendre, dans la
mesure où la plupart de ces entreprises n'ont pas d'états
financiers, et par la décapitalisation des entreprises publiques qu'il
entraîne » 77.
En entamant ainsi la base productive globale par la
décapitalisation des entreprises publiques, cette pratique a pour
conséquence de restreindre à terme et sensiblement la
portée économique des effets externes attendus desdites
entreprises et de réduire, par ricochet, la richesse nationale ainsi que
l'assiette fiscale de l'Etat et des entités
décentralisées. Ce qui constitue un handicap sérieux
à la mise en oeuvre réussie de la décentralisation
financière.
76 De Saint Moulin, L. (2006) ; « Observations de
la Cour des Comptes sur les comptes de l'Etat pour les exercices 1997, 1998,
2001, 2002 et 2003 » ; Congo-Afrique ; n° 401, janvier 2006 ; P
33.
77 De Saint Moulin, L. (2006) ; op.cit ; P 32
2.2.2.2. Imperfections en matière d'allocation des
ressources et déficit de contrôle
Les observations de la Cour des Comptes sur les comptes de
l'Etat pour quelques exercices budgétaires, indiquent que certains cas
de dépassements budgétaires et de détournement des deniers
publics retenus à titre exemplatif suffisent pour témoigner d'une
certaine manière des difficultés de l'Etat à conduire les
finances publiques en fonction de la décentralisation.
Dans l'exécution des dépenses courantes, la Cour
des comptes constate pour l'exercice 2003 un niveau fort élevé de
crédits restés disponibles et annulés (101,6 milliards)
contrastant avec l'ampleur de l'exécution de dépenses non
prévues au budget ou en dépassement sur les prévisions
(100,5 milliards) sans qu'aucune modification ou rectification n'ait
été apportée à, la loi budgétaire 2003.
La même Cour relève que « les paiements
n'ayant pas fait l'objet d'ordonnancement de façon formelle
représentent en 2003 41% du total des paiements, contre 53,2% en 2002 et
31% en 2001 », tandis que «14 projets non approuvés
ont été exécutés 2003 à hauteur de 59,8% de
l'ensemble des paiements faits au titre des dépenses en
capital»78.
Comme si ces données ne suffisaient pas pour nous
édifier sur la mégestion publique, la Direction de la Reddition
des Comptes du Ministère des Finances a publié comme repris au
tableau ci-dessous les chiffres sur le dépassement budgétaire
imputé à l'espace présidentiel 79. Ce dépassement
est de l'ordre de 115% en moyenne et se situe dans la fourchette de 36 à
242% des dépenses autorisées ...
78 Ibid; P 3
79 De Saint Moulin, L. (2006) ; op.cit ; P 35
Tableau II.13 : Etat des dépassements
budgétaires de l'espace présidentiel pour l'exercice
budgétaire 2006 (janvier à décembre)
COMPOSANTE
|
% DEPASSEMENT BUDGETAIRE
|
Présidence de la République
|
91%
|
Vice-Présidence en charge de la Politique, Défense
et Sécurité
|
99%
|
Vice-Présidence en charge des Questions
Economiques et Financières
|
242%
|
Vice-Présidence en charge des Questions Socio-
culturelles
|
109%
|
Vice-Présidence en charge de la Reconstruction
|
36%
|
Source : Ministère des Finances ; Direction de la
Reddition des Comptes ; données tirées de Obotela (N) ; (2006) ;
« Afrique -actualités, novembre 2005 », Congo-Afrique, n°
401 ; janvier 2006 ; P. 62
Les détournements des deniers publics ont
été légion au cours de la période sous-revue, alors
qu'en contribuant à l'effritement des moyens d'intervention de l'Etat,
ils réduisent les chances de réalisation effective de la
décentralisation au plan financier. A titre illustratif, au cours d'un
point de presse animé en date du 5 novembre 2005, le Président de
la Cour des Comptes et l'Inspecteur Général des Finances ont fait
part à l'opinion publique du détournement d'un montant de 28
millions de dollars américains à la Direction
Générale de l'Impôt. Environ 2 semaines après, la
presse a fait état du démantèlement du réseau de
malfaiteurs ayant été à la base d'un détournement
de 3 millions de dollars américains à la Banque
Centrale80.
L'enlisement de la décentralisation financière
est davantage exacerbé par le déficit de contrôle et de
sanctions exemplaires en cas de dérapages. L'exemple des contrats
léonins dans le secteur minier est éloquent à ce sujet.
En effet, le rapport de 2007 sur la revisitation des contrats
miniers conclus par les pouvoirs publics et les entreprises entre 1997 et 2006
n'a jusqu'ici fait l'objet d'aucune sanction à l'endroit des
décideurs publics ayant facilité de loin ou de prêt leur
conclusion tandis que l'on ignore à ce jour la suite
réservée aux résultats dudit rapport pour ce qui est des
cas de résiliation (22,95%) ou de renégociation (77,05%), sachant
que c'est à la faveur du contrôle et du suivi, seulement, que
l'Etat peut valablement évaluer les pertes subies et proposer des
réparations ou des compensations conséquentes81.
Par ailleurs, la rétention de l'information de la part
de certains mandataires publics et de leurs partenaires82 devrait
davantage justifier le besoin de contrôle et de suivi pour garantir les
intérêts de l'Etat et, par ricochet, la capacité de ce
dernier à procéder aux transferts financiers
décentralisés en faveur des provinces et ETD.
Au regard de tout ce qui précède, il convient
d'envisager des stratégies à même de favoriser le
redressement et l'efficacité de la décentralisation
financière en RDC.
81 Ministère des Mines, (2009), op.cit. PP
7-226 82Ibid ; P. 5
CHAPITRE II : REDRESSEMENT DE LA DECENTRALISATION
FINANCIERE EN RDC, JUSTIFICATION ET ASPIRATIONS
Pour permettre aux provinces et ETD de se relever
financièrement et de contribuer efficacement à la maximisation du
surplus collectif en RDC, par « l'augmentation de
l'accessibilité et de la qualité des services publics
»83, il importe que des stratégies
appropriées y soient mises en oeuvre. C'est dans ce cadre que nous
proposons dans les lignes qui suivent une approche adaptée aux
réalités de ce pays.
Pour ce faire, nous allons, dans un premier temps, justifier
l'adoption de ladite approche (Section I) et, dans un deuxième temps, en
formuler les stratégies en termes d'actions concrètes à
mener (Section II).
SECTION I : CONTEXTE JUSTIFICATIF D'UNE
NOUVELLE APPROCHE
L'expérience spécifique de la RDC ainsi que les
enjeux de l'heure justifient le recours à une approche du redressement
de la décentralisation financière fondée sur deux leviers
complémentaires, à savoir : d'une part, le changement des
mentalités84 dans le chef des acteurs et, d'autre part,
la soutenabilité budgétaire de la réforme
décentralisatrice.
|