2.1.2. Déficit de solidarité
financière entre l'Etat central et les provinces d'une part et, entre
les provinces et les entités territoriales décentralisées
La solidarité financière qui doit marquer les
rapports entre les échelons territoriaux du pouvoir étatique est
largement déficitaire et contribue à l'enlisement de la
décentralisation.
Ce déficit s'explique par la non-actualisation de la
législation financière et le faible niveau de rétrocession
en faveur des provinces, d'une part, et par l'absence de
péréquation et l'exacerbation des déséquilibres
économiques internes, d'autre part.
2.1.2.1. Non-actualisation de la législation
financière et faible niveau de rétrocession
Nous pouvons, d'entrée de jeu, noter qu'en 1987
déjà, l'ordonnance n° 87/004 du 10 janvier 1987 modifiant et
complétant la loi financière n°83/003 du 23 février
1983 stigmatisait dans son exposé des motifs la persistance des
difficultés rencontrées dans l'élaboration de cette
dernière. Il s'agit principalement de la non-répartition des
compétences en matière financière alors qu'un délai
légal de deux ans était accordé pour ce faire.
Aussi, le législateur va-t-il par cette ordonnance de
1987 « accorder un nouveau délai de deux ans au Conseil
Exécutif (...) pour prendre toutes les mesures réglementaires
nécessaires (...) et allouer des subventions d'équilibre aux
budgets des Entités Administratives Décentralisées (...)
lorsqu'ils sont votés en déséquilibre (...) et que
l'intervention du pouvoir central est sollicitée et dûment
justifiée » 53.
En d'autres termes, un moratoire de 7 ans ayant pris effet
à compter de 1982 venait d'être explicitement reconnu au
Gouvernement pour ajuster l'ordre réglementaire à l'obligation
d'autosuffisance financière à laquelle les entités
décentralisées étaient soumises.
En 2009, soit 27 ans après l'entrée en vigueur
de la réforme décentralisatrice, le même
phénomène de non-respect du cadre légal et
réglementaire se répète et persiste.
Pour preuve, la loi financière en vigueur en RDC est
encore celle de 1983, alors que depuis 2006, il est constitutionnellement
stipulé que les finances du pouvoir central et celles des provinces sont
distinctes et qu'à ce titre un nouveau cadre légal suivi d'un
dispositif réglementaire approprié devraient désormais
organiser la conduite financière des provinces et des ETD ainsi que les
rapports entre ces différentes entités et le pouvoir central.
En effet, la loi organique sur les finances publiques devrait
permettre d'organiser les lois des finances, les budgets des provinces et des
ETD en définissant les principes généraux de gestion des
finances publiques et d'encadrement de la politique budgétaire. «
Elle devrait permettre de tenir compte des dispositions de la Constitution
en envisageant toutes les perspectives d'une gestion moderne des finances
publiques » 54(54).
Cette inadéquation entre le cadre juridique et
institutionnel et la réalité ne peut que favoriser
l'opacité des rapports financiers entre le pouvoir central et les
provinces et, en même temps, anéantir tout effort d'autonomisation
financière des provinces et des ETD.
53 Exposé des motifs de la loi
financière n°83/003 du 23 février 1983 telle que
modifiée et complétée par l'ordonnance n° 87/004 du
10 janvier 1987
Une autre illustration du non-respect des textes en vigueur
et/ou des arrangements institutionnels se trouve être la
non-effectivité de la rétrocession de la quotité des
recettes à caractère national reconnues aux provinces dans les
conditions prévues par la loi.
Les informations que contiennent les tableaux II.1 et II.2
ci-dessous nous montrent qu'en dépit de la modicité des recettes
de la fiscalité provinciale et locale, le pouvoir central n'a pas
procédé à la rétrocession de la quote-part due aux
provinces (ex-Régions) pendant plusieurs années et ce, en
violation des textes instituant la décentralisation.
Tableau II.1 : Recettes budgétaires des
Régions et de l'Etat (en Zaire-monnaie)
N°
|
Année
|
Régions
|
Etat
|
% Régions
|
1
|
1987
|
2 481 243 076
|
106 000 000 000
|
2,34
|
2
|
1990
|
22 398 616 095
|
584 258 430 000
|
3,83
|
TOTAL
|
|
24 879 859 171
|
690 258 430 000
|
3,60
|
Accroissement
1990/1987 (%)
|
|
902,72
|
551,19
|
|
Source : Comité Central du MPR-Parti Etat ;
données tirées de Epee (G) ; 1992 ; op.cit. ; P351 ; compte tenu
de l'instabilité de la monnaie et de l'hyperinflation de
l'époque, nous n'avons pas jugé indiqué de reconvertir en
francs congolais ou en dollars américains les masses budgétaires
de ce tableau, le plus important étant le rapport en % entre les
recettes des Régions et celles du pouvoir central.
Ce tableau indique que les recettes propres aux provinces
(ex-Régions) sont insignifiantes par rapport à celles du Pouvoir
Central : elles n'en représentent que 2,34% en 1987 et 3,60% seulement
en 1990 même si elles ont connu au cours de la même période
un rythme de croissance plus rapide soit 902,72% pour elles contre 551,19% pour
l'Etat.
Cette illustration d'un faible niveau de «
décentralisation fiscale » 55(55) est
profondément explicative de l'enlisement de la réforme
décentralisatrice et de son inefficacité.
En outre, le tableau II.2 ci-dessous indique que les provinces
n'ont pu bénéficier pendant plusieurs années de la
quote-part leur reconnue par les textes en vigueur au titre de
rétrocession, alors que ladite quote-part à
rétrocéder n'atteignait même pas les 0,4% des recettes
globales de l'Etat.
Tableau II.2 : Recettes perçues et recettes
rétrocédées par le Pouvoir Central pour le compte des
entités décentralisées de 1984 à 1987 (en
Zaire-monnaie)
Année
|
Recettes totales
|
Quote-part revenant aux Régions
|
% Quote-part à
rétrocéder
|
Recettes rétrocédées
|
1984
|
24 857 663 480,00
|
47 471 320,00
|
0,19
|
0
|
1985
|
43 149 139 987,00
|
61 540 362,00
|
0,14
|
0
|
1986
|
49 716 146 674,00
|
178 947 328,00
|
0,36
|
0
|
1987
|
106 000 000 000,00
|
228 087 557,00
|
0,22
|
0
|
TOTAL
|
223 722 950 141,00
|
516 046 567,00
|
0,23
|
0
|
Source : Comité Central du MPR-parti Etat ;
données tirées de Epee (G) et Otemikongo (M) ; 1992 ; op.cit. ;
P351
L'instabilité politique et sécuritaire dans
laquelle le pays a été plongé du début des
années 1990 jusqu'à la veille des élections de 2006 nous
porte à avoir la conviction que rien ne pouvait, au cours de cette
période trouble, arrêter fondamentalement ce comportement
répréhensible du pouvoir central.
55 Yatta, F. (2006), op.cit. ; PP 31-32
A ce sujet, le tableau II.3 ci-dessous nous renseigne, faute
d'informations fiables sur la part des provinces dans les budgets 2006, 2007,
2008 et 2009, que les prévisions budgétaires pour 2010 portent
à 6,84% seulement le niveau de décentralisation fiscale alors
qu'en France, par exemple, ce rapport est de 40% même si celui de la RDC
est légèrement supérieur à la moyenne des pays de
l'UEMOA qui s'est située autour de 4,38% en moyenne de 1999 à
2004 avec comme points extrêmes 1,57% pour le Mali contre 6,10% pour le
Sénégal 56(56).
Tableau II.3: Part des provinces dans les recettes
budgétaires globales de l'Etat pour l'exercice 2010 (en milliards de FC)
ANNEE
|
BUDGET DE L'ETAT
|
PART DES PROVINCES
|
% PART PROVINCES
|
2010
|
4.488
|
307
|
6,84
|
Source : Allocation du Premier Ministre à
l'occasion de la présentation du projet du budget de l'Etat pour
l'exercice 2010 devant l'Assemblée Nationale, Kinshasa, octobre
2009.
Cette projection d'un bas niveau de décentralisation
fiscale en 2010 n'est pas de nature à soutenir l'émancipation
financière des provinces et entités territoriales
décentralisées dans la mesure où elle contraste avec les
gains projetés pour la même année dans le cadre de la
revisitation des contrats miniers et de l'amélioration de la
viabilité de la dette à travers l'atteinte du point
d'achèvement.
Cette dernière pourrait permettre à la RDC
d'« accéder (dès juin 2010) aux ressources
additionnelles estimées à plus de 500 millions de dollars
américains, en sus des économies qui seront
générées par l'annulation de 90% du stock de la
dette extérieure »57. Dans le même
ordre d'idées, nous nous souviendrons qu'en octobre 2006
déjà, le Gouvernement de Transition avait décidé
souverainement de soustraire les recettes de la Direction des Grandes
Entreprises (DGE) du panier des recettes à rétrocéder aux
provinces et ETD et ce, contrairement aux prescrits de la Constitution.
56 Yatta, F. (2006); op.cit. ; P. 32
57 Muzito, A. (2009), Allocution à l'occasion
de la présentation du projet du budget de l'Etat pour l'exercice 2010
devant l'Assemblée Nationale; Kinshasa, octobre 2009
Même si cette mesure avait été prise en
son temps pour venir en appui au Programme Relais de Consolidation visant le
resserrement des dépenses et l'encadrement efficient des actions de
recettes pour corriger les dérapages budgétaires constatés
pendant toute l'année 2006, cela revenait à vider de son contenu
l'idée de la rétrocession des recettes à caractère
national étant donné que les recettes des grandes entreprises
représentent les 70% des recettes de la Direction Générale
des Impôts58. Par ailleurs, l'affectation par le pouvoir
central des recettes des pétroliers producteurs au service de la dette
réduit davantage les opportunités de financement du
développement local à partir de la base.
En outre, bien que le budget de l'Etat pour l'exercice 2008
ait pris en compte la décentralisation financière sur base de la
formule consensuelle du Forum National de la Décentralisation, «
les données sur l'exécution dudit budget montrent qu'en
réalité, la rétrocession totale n'a
représenté que 10,5% des recettes nationales
»59. De plus, le Gouvernement Central ayant opté pour un
retour à l'ancienne pratique de la répartition de la
rétrocession sur base des critères arbitraires, la situation de
la décentralisation financière s'est même aggravée
en 2009.
En effet, les interprétations contradictoires de la
rétrocession dite « de 40% » aux provinces ne cessent de
défrayer la chronique et alimentent davantage le doute sur les chances
de son application effective alors qu'elle constitue la principale ressource
financière de la décentralisation.
Les discussions les plus courantes aujourd'hui sont celles qui
opposent les provinces les plus nanties (Bas-Congo, Katanga et Kinshasa),
lesquelles tiennent à tout prix à une retenue à la source
de « 40% » des recettes à caractère national, au reste
de provinces qui, elles, estiment qu'il s'agit de 40% des recettes produites
dans l'ensemble du pays et qu'il conviendrait de rétrocéder
équitablement à toutes les provinces. Pour appuyer leur prise de
position, ces provinces soutiennent, entre autres arguments, que les recettes
à caractère national réalisées à Kinshasa ne
sont pas la traduction exacte des performances économiques de la
capitale qui fiscalise les diamants des deux Kasaï, le bois de l'Equateur
et le pétrole du Bas-Congo...
58 Banque Mondiale, (2009), Note sur le
Découpage, op.cit. P .29 59Ibid; P. 25
Une autre pomme de discorde concerne les transactions
douanières dans la mesure où elles profiteraient plus aux
provinces-portes d'entrée alors que ces dernières ne sont
nécessairement ni uniques consommatrices finales des marchandises
importées ni seules productrices des biens
exportés60.
A ces difficultés non résolues s'ajoute l'absence
de péréquation et l'exacerbation des déséquilibres
entre provinces et à l'intérieur de ces dernières.
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