CHAPITRE II : REDRESSEMENT DE LA DECENTRALISATION
FINANCIERE EN RDC, JUSTIFICATION ET ASPIRATIONS 59
Section 1 : CONTEXTE JUSTIFICATIF D'UNE NOUVELLE APPROCHE 59
Section 2 : STRATEGIES DE REDRESSEMENT, UNE NOUVELLE
TRANSVERSALE 63
CONCLUSION 81
INTRODUCTION
La décentralisation s'est imposée dans la
majorité des pays du monde, en tant que réforme politique et
institutionnelle, depuis les années 1980. Ceci à la suite des
mutations socioéconomiques ayant marqué cette époque,
notamment : la remise en cause du keynésianisme et de l'Etat-providence
en faveur de l'orientation vers la logique du marché ; la fin des
conflits internes et l'abandon des procédures autoritaires dans un grand
nombre de pays du Sud ; ainsi que l'effondrement de l'Union
soviétique1.
C'est dans ce contexte que la République
Démocratique du Congo, RDC en sigle, s'engage formellement, dès
1982, dans son processus de décentralisation, lequel se trouve
aujourd`hui conforté et relancé par la Constitution de 2006.
Mais, en dépit de son institutionnalisation, la décentralisation
en RDC demeure confrontée à de multiples problèmes,
particulièrement ceux d'ordre financier.
En effet, les informations émises à Kinshasa sur
la retenue à la source d'une partie des recettes du Trésor en
faveur des provinces et des entités territoriales
décentralisées ainsi que sur l'utilisation qu'en font les
autorités locales, montrent en fait que l'impact socioéconomique
de la décentralisation financière n'est pas perceptible sur
terrain. De même, cet impact sur la fiscalité locale laisse
apparaitre des écarts évidents et persistants entre les textes et
la réalité, entre les promesses et les réalisations, entre
la théorie et la pratique, alors que l'importance des finances publiques
dans l'équation du développement local n'est pas à
démontrer « tant elles sont le plus souvent
considérées comme l'épine dorsale, la colonne
vertébrale, le nerf, les poumons, le thermomètre, la toile de
fond, la pierre angulaire ou mieux l'âme de la
décentralisation » 2.
Ce constat ne nous laisse pas indifférent. Nous avons
jugé opportun de contribuer à la réflexion y relative
à travers le présent mémoire de Maîtrise dont le
sujet est intitulé : « Problématique de mise en oeuvre de la
décentralisation financière en République
Démocratique du Congo ».
1 Cités et Gouvernements Locaux Unis,
(2007), Premier Rapport Mondial sur la décentralisation et la
démocratie locale , Groupement de recherches sur l'administration locale
en Europe (Grale) ; le Grale est un réseau scientifique international
attaché au CNRS (Paris)
2 Epee, G. et Otemikongo, M. (1992) ; «
Entités territoriales décentralisées et financement public
du développement local au Zaïre » ; Zaïre-Afrique ;
N° 266. juin-juillet-août 1992 ; PP 347-355
Ainsi que le suggère cet intitulé, notre
recherche portera sur le territoire de la RDC et se focalisera sur la
période allant de 1982, année de la réforme
décentralisatrice initiée sous la Deuxième
République3, à 2009, année d'intensification
des débats sur la décentralisation financière et le
découpage territorial prévus dans la Constitution de la
3ème République4.
Cela étant, la revue de la littérature traitant
des aspects financiers de la décentralisation en général
et ceux relatifs à la RDC, en particulier, met en relief une
problématique se présentant sous deux aspects
complémentaires. Il s'agit, d'un côté, de la
praticabilité du projet décentralisateur dans son ensemble et, de
l'autre, du financement de la décentralisation.
Concernant la praticabilité du projet
décentralisateur dans son ensemble, on a mobilisé les travaux de
Watchter, Komlavi, Vunduawe, et Wendjo.
Les réflexions conduites par Wachter (1989) proposent,
en partant du cas de la France, des éléments de réponse
à la problématique d'efficacité du projet
décentralisateur, problématique formulée en ces termes :
«Cette politique gouvernementale a-t-elle atteint les objectifs qui
lui étaient assignés ? En externalisant des charges de gestion du
collectif au bénéfice des collectivités locales, l'Etat
a-t-il amélioré le rendement des interventions publiques tout en
assurant l'obtention d'un supplément de démocratie ?
»5. Observant la morphologie des marchés nationaux et
locaux d'interventions publiques pour appréhender les pouvoirs et les
rôles exercés par les autorités centrales et locales et les
interdépendances qui en découlent, lesdites réflexions
arrivent à la conclusion que l'innovation majeure induite par la
politique publique de décentralisation est la transformation des
autorités décentralisatrices en autorités
régulatrices. Dans ce cadre, des adaptations par la pratique sont
réalisées pour permettre l'applicabilité des mesures
édictées et ce, au fur et à mesure que des
problèmes concrets de coordination entre les politiques nationales et
les politiques locales émergent et appellent une solution ; telles que
la délimitation plus rigoureuse des compétences des acteurs
locaux, l'adaptation des transferts financiers décentralisés et
le statut du personnel des collectivités territoriales.
3 La Deuxième République se confond avec
le règne du Maréchal Mobutu en RDC, alors Zaïre, de 1965
à1997.
4 La Constitution de la 3ème
République est celle qui régit la vie publique et
institutionnelle en RDC depuis sa promulgation le 18 février 2006
5 Wachter, S. (1989) ; « Décentralisation
et marchés d'interventions publiques », in Wachter et al ;
Politiques Publiques et Territoires ; L'Harmattan ; PP 7-21
Ce qui permet, selon Wachter, à la politique publique
de décentralisation d'assurer l'efficacité économique tout
en privilégiant la stabilité6.
Komlavi (2002), qui s'est préoccupé du
changement politique et social induit par la décentralisation au Niger,
aborde la « gouvernance comme une confrontation des logiques d'acteurs
autour d'enjeux locaux, plutôt que généraux ou globaux
»7. Pour lui, le projet de décentralisation dans ce pays
se confond avec un retrait de l'Etat qui semble laisser la porte ouverte
à diverses formes d'appropriation et de dérives. C'est ainsi
qu'il conclut que « face à des logiques d'appropriation et
d'accaparement des biens collectifs, dans des situations de concurrence pour le
pouvoir et le contrôle des ressources (matérielles, humaines et
financières), et à des pratiques clientélistes et
corruptrices, la main invisible d'Adam Smith ne fonctionne pas tel que
l'entendent les initiateurs de la décentralisation
»8.
C'est dans le cadre d'une tentative de réponse à
la question de savoir « pourquoi et comment la décentralisation
territoriale des responsabilités en RDC » 9 que Vunduawe
(1992), après avoir exposé les motivations profondes à
l'origine de la réforme décentralisatrice de 1982, la
manière dont elle a été conduite et sa portée
exacte, arrive à la conclusion que les conditions de réussite de
la décentralisation en RDC se situent au triple plan des hommes, des
ressources financières et du comportement du pouvoir central.
Sur le plan humain, estime-t-il, il faut des « hommes
à l'esprit décentralisé pour conduire le programme de
décentralisation ; des hommes compétents, crédibles et
surtout politiquement engagés »10.
6 Wachter, S. (1989); op.cit. ; P.18
7 Komlavi, E. (2002) ; « La chefferie
coutumière face au projet de décentralisation dans une
localité de l'Ouest nigérien » ; Bulletin de l'Association
Euro-Africaine pour l'Anthropologie du Changement Social et du
Développement ; N° 23-24 ; Juin-Décembre 2002 ; PP 69-85.
8 Ibid ; P. 85
9 Vunduawe, T. (1982) ; « La
décentralisation territoriale des responsabilités au Zaïre.
Pourquoi et comment ? » ; Zaïre-Afrique ; N° 166 ; Août
1982 ; PP 327-343
10 Vunduawe, T. (1982); op.cit. ; P. 342
Sur le plan des ressources, préconise-t-il, les
provinces et entités territoriales décentralisées devront
faire preuve d'imagination pour générer leurs propres ressources
tandis que l'Etat n'interviendra en leur faveur qu'à titre d'appoint
sous forme d'interventions diverses. Concernant le comportement du pouvoir
central, Vunduawe suggère que ce dernier puisse jouer correctement son
« rôle de tutelle, de contrôleur, de modérateur et
de régulateur » 11.
Wendjo (1994) qui analyse l'expérience de
décentralisation sous la 2ème République en
RDC, se pose en substance la question de savoir « comment relancer et
améliorer le crédit territorial auprès de la population
tant urbaine que rurale ». Estimant que la résignation et la
méfiance qu'entretient la population vis-à-vis de la territoriale
constitue un handicap sérieux à tout effort consistant à
mobiliser les ressources disponibles, y compris les ressources
financières, au service du développement, il insiste, pour
conclure, sur l'implication et le rôle de trois groupes d'acteurs
stratégiques ci-après : les territoriaux, les partis politiques
et la société civile. En ce qui concerne la territoriale dont il
épingle sept tares (ignorance, clientélisme,
irresponsabilité, incompétence, corruption, égoïsme,
mensonge), Wendjo estime que quatre axes prioritaires devraient constituer
l'épine dorsale de tout effort de démocratisation de la gestion
des entités territoriales décentralisées ou d'adoption
d'une forme de gestion participative qui puisse rendre la territoriale efficace
et opérationnelle à savoir : « réévaluer
les objectifs de la territoriale ; déterminer les critères et les
procédures
de choix des territoriaux ; développer la formation
; et, répartir équitablement l'appuilogistique et les
compétences dans la gestion des ressources » 12.
Les partis politiques selon le
même auteur, ont pour mission l'information et
l'éducation des masses concernant le processus de démocratisation
; tandis que la contribution de la société civile s'avère
incontournable devant la faillite, la démission ou la paralysie des
structures étatiques.
Bien que la problématique d'ensemble portant sur le
bien-fondé et les conditions d'application du projet
décentralisateur ne néglige pas les aspects financiers, les
travaux de Bouvier, Paulais, Yatta, Epee et Otemikongo, et Mabi se concentrent
particulièrement sur ces derniers et sont instructifs à plus d'un
titre.
11 Vunduawe, T. (1982); op.cit. ; P. 343
12 Wendjo, P. (1994), Pour un renouveau de l'effort de
développement à la base, Noraf
Bouvier (1998), dans une vaste réflexion sur les
finances locales en France, s'attache à la description et à la
reformulation des procédures et techniques des finances locales telles
qu'elles se trouvent placées au coeur du dispositif de changement et du
nouveau processus de régulation qu'induisent les transformations de
l'Etat dans le cadre de la décentralisation des collectivités
territoriales. Après avoir démontré l'importance capitale
et la montée en puissance des finances locales, lesquelles apparaissent
comme un des éléments essentiels pour juger de l'accomplissement
de la réforme décentralisatrice, et après avoir
décrit les différentes ressources financières reconnues
aux collectivités locales ( fiscalité locale, concours de l'Etat,
emprunt, gestion du patrimoine et des services locaux), Bouvier arrive à
la conclusion que l'approche technique et de gestion des finances locales, bien
que nécessitée par le nouveau contexte n'est pas suffisante ;
elle doit toujours s'accompagner d'un intérêt marqué
vis-vis de la qualité du lien social, car « c'est bien la
solidarité qui constitue depuis toujours la raison d'être des
communautés locales » 13.
Paulais (2006) se demande, lui, comment vont être
financés les besoins en investissements des villes africaines, le taux
d'urbanisation de ces dernières devant dépasser les 50% d'ici
2030 ? Pour lui et en guise de réponse à cette
problématique, le financement des investissements desdites villes devra
être envisagé comme un marché potentiel pour les
opérateurs financiers privés et les bailleurs de fonds qui
pourront désormais intervenir directement en termes de prêts dits
sous-souverains, étant donné que les Etats sont de plus en plus
nombreux qui manifestent leur réticence à accorder leur garantie
aux emprunts sollicités par les collectivités territoriales
craignant d'alourdir la dette publique.
Concrètement, Paulais (2006) souhaite que, devant
l'ampleur des besoins dans les décennies à venir, le processus de
responsabilisation et d'autonomisation permette de relever les défis qui
limitent l'implication des collectivités locales comme acteurs
financiers directs. Aussi, suggère-t-il que « l'aide public au
développement (APD) crée les conditions de l'action et donne aux
collectivités locales les moyens de se financer plutôt que de les
financer directement »14.
13Bouvier, M. (1998), Les finances locales, Librairie
générale de droit et jurisprudence
14 Paulais, T. (2006) ; « Comment vont être
financés les besoins en investissements des villes africaines » ;
La Revue Africaine des Finances Locales ; N°9 ; Octobre 2006 ; PP 5-8
Pour répondre à cette préoccupation, il
estime que la décentralisation fiscale se pose comme condition
nécessaire à la mise en oeuvre par les collectivités
locales des objectifs du millénaire pour le développement. C'est
dans cette logique qu'il propose ce qui suit pour renforcer la
décentralisation fiscale en Afrique, à savoir : assurer le
contrôle des reversements aux collectivités locales
effectués dans le cadre de la fiscalité partagée et la
définition conséquente des voies de recours ; subordonner le
bénéfice des concours et subventions de l'Etat aux performances
réalisées dans la mobilisation des ressources ; revoir les
politiques sectorielles et les territorialiser ; structurer le dialogue entre
Etat et collectivités locales par des informations partagées sur
les finances locales, le potentiel et le rendement fiscaux, le niveau de
performance dans la mobilisation des ressources locales, etc. 15
Pour Epee et Otemikongo (1992), les entités territoriales
décentralisées en RDC sont appelées à faire
preuve de créativité et d'esprit d'initiative et à
cultiver une « mentalitéd'investissement
» pour faire sortir les finances locales de l'impasse dans laquelle
elles se
trouvent enfoncées16. Aux yeux de ces auteurs,
la culture d'investissement dans le chef des collectivités locales est
possible sous réserve de trois préalables suivants :
1° Que tous les contribuables consentent à payer
à l'Etat son dû
2° Que les agents percepteurs ainsi que les services
producteurs de recettes versent 'intégralité des recettes dans
les caisses de l'Etat
3° Que les gestionnaires des crédits publics
soient imbus du souci de développer les entités qu'ils
administrent, en faisant un dosage savant entre le fonctionnement de celles-ci
d'une part, et le financement des investissements ou du développement,
d'autre part.
Pour Mabi (2006) qui, au regard de la Constitution de 2006,
s'applique à actualiser la problématique de mobilisation des
recettes par les provinces et entités territoriales
décentralisées et des actions à entreprendre pour une
gestion des finances publiques locales et territoriales de développement
en RDC, la nécessité d'un aménagement ou d'une
réforme du système fiscal s'impose.
15Yatta, F. (2006) ; « Ressources
financières locales et atteinte des OMD »; La Revue Africaine des
Finances Locales ; N°9 ; Octobre 2006 ; PP 30-37
16Epee, G. et Otemikongo, M. (1992) ; op.cit. ; P
355
Car, la décentralisation renforcée ayant
élargi les compétences des entités territoriales
décentralisées en allégeant celles du pouvoir central, il
va de soi que leurs moyens d'action empruntent la même tendance.
Dans cet ordre d'idées, Mabi (2006) estime que les
réformes à entreprendre devraient se traduire en termes
d'impératifs liés à un apport supplémentaire en
matière d'efficacité à insuffler au système de
mobilisation des ressources plus qu'avant au profit aussi bien du pouvoir
central que des provinces. Pour aboutir à cette conclusion, Mabi a
analysé le système fiscal actuel des entités
décentralisées, lequel repose, selon lui, sur la
rétrocession et le fonds de péréquation17.
Toutes ces analyses nous confortent davantage à porter
notre attention aussi bien sur la nature des difficultés que rencontre
la décentralisation financière et qui l'empêchent de
produire le maximum de résultats avec un minimum d'effort que sur la
manière de les surmonter.
Aussi, allons-nous articuler la problématique de notre
recherche autour d'une question principale et deux questions secondaires,
à savoir:
- Comment peut-on dégager la mise en oeuvre de la
décentralisation financière en RDC des entraves à son
efficacité ?
- En quoi ces entraves consisteraient-elles pour que la
décentralisation financière s'avère globalement
inopérante ?
- Quelles stratégies faudra-t-il adopter pour les
contourner et rendre la décentralisation financière plus à
même d'atteindre les objectifs lui assignés ?
Afin de nous rassurer du même entendement de cette
problématique et des développements y afférents, il sied
d'en définir et opérationnaliser quelques concepts-clés,
en l'occurrence : décentralisation financière ; politique
budgétaire ; déconcentration ; autonomie locale ;
viabilité financière; efficacité économique;
stratégie et richesse.
Décentraliser signifie opérer un mouvement
contraire à la centralisation, qui est un mode d'organisation des
services publics qui consiste à confier leur gestion au pouvoir central
de l'Etat. La décentralisation est ainsi une démarche
seconde qui suppose une centralisation
préalable18.
Selon le « Lexique des termes juridiques », elle est
« un système d'administration consistant à permettre
à une collectivité humaine (décentralisation territoriale)
ou à un service (décentralisation technique) de s'administrer
eux-mêmes sous le contrôle de l'Etat en les dotant de la
personnalité juridique, d'autorités propres et de ressources
»19.
Le 1er Rapport Mondial sur la
Décentralisation et la Démocratie Locale précise cette
définition lorsqu'il souligne que « l'une des finalités
les plus importantes de la décentralisation est de permettre une
réponse efficace et adaptée aux besoins des populations locales
»20.
Dans cette optique, la décentralisation
financière est appréhendée dans notre mémoire
comme ce volet de la décentralisation territoriale recouvrant la
répartition des ressources publiques et l'organisation des rapports
financiers entre l'Etat et les collectivités locales, ainsi que les
questions liées à l'allocation des ressources au niveau local
pour la prise en charge du fonctionnement et la mise en oeuvre de la plupart
des investissements et services publics.
Elle comprend ainsi la décentralisation fiscale
et la décentralisation budgétaire.
Yatta (2006) mesure la décentralisation fiscale par les
trois indicateurs suivants: le rapport recettes locales/budget de l'Etat ; le
rapport recettes fiscales locales/recettes fiscales de l'Etat et le rapport
recettes locales/nombre d'habitants par collectivité locale. La
décentralisation budgétaire est beaucoup plus une notion
juridique dans la mesure où elle repose sur la distinction entre
finances du pouvoir central et finances des collectivités locales.
18 Toengaho Kokundo, F. (2009) ; « La
décentralisation et la réforme de l'Etat congolais» ;
communication ; Atelier de formation de formateurs sur la sensibilisation
à la décentralisation ; Ministère de la
Décentralisation ; novembre 2009 ; Kinshasa
19 Guinchard, S., Montagnier, G., Guillon, R. et
Vincent, J. (2007), Lexique des termes juridiques ; Dalloz
20 Cités et Gouvernements Locaux Unis, (2007) ;
op.cit. ; P. 35
La politique budgétaire étant
définie comme « celle qui décide du montant des
dépenses gouvernementales et des impôts » 21 ou encore
comme étant la manipulation des recettes et dépenses publiques en
vue d'influencer l'activité économique, la mise en oeuvre de la
décentralisation financière ne peut qu'en être tributaire.
Dans le même registre, la décentralisation financière peut
être considérée comme un moyen de la politique
financière de l'Etat dans la mesure où celle-ci est
définie dans le sens d'une recherche de l'efficacité
économique de l'Etat en mettant en évidence les
préoccupations principales de ce dernier en matière
économique et sociale22.
Ainsi comprises, la politique financière comme la
politique budgétaire et, par ricochet, la décentralisation
financière peuvent s'interpréter, dans notre travail, comme des
pans entiers de la politique économique.
En tout état de cause, il est également utile de
distinguer la décentralisation de la déconcentration. La
différence entre les deux concepts voisins tient au statut des organes
qui bénéficient de la redistribution du pouvoir. Contrairement
à la décentralisation où ces organes ont leur
identité propre et dispose d'une relative autonomie vis-à-vis de
l'Etat, dans le cadre de la déconcentration, les organes qui
bénéficient de certaines compétences ne sont que les
agents locaux du pouvoir central.
L'autonomie locale, local self government en
anglais, ou libre administration, signifie le «
droit et la capacité effective pour les collectivités locales
de régler et gérer dans le cadre de la loi, sous leur propre
responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante
des affaires publiques »23. C'est en fait l'état
d'effectivité et la résultante de la décentralisation
territoriale. Mais, « la décentralisation effective et
l'autonomie locale exigent une autonomie financière appropriée
»24. Et, il y a autonomie financière lorsque «
les ressources financières des autorités locales sont
proportionnelles aux tâches et responsabilités qu'elles assument
et leur assurent la viabilité
financière...»25.
21 Mishkin, F. (2007), Monnaie, banque et
marchés financiers, Nouveaux Horizons
22 Billy, J. (1991), La politique économique,
PUF
23 Cités et Gouvernements Locaux Unis,
(2007) ; op.cit. ; P 17 ; il s'agit ici d'un extrait de l'article 3 de la
Partie 1 de la Charte Européenne de l'autonomie locale ; cette charte,
adoptée en 1985 par le Conseil de l'Europe et ratifiée par une
quarantaine de pays, est le premier document de portée juridique, sur le
plan international, relatif au statut et aux droits des collectivités
locales
24 Ibid. ; P 63
25 Ibid
L'Organisation de Coopération et de
Développement Economique (OCDE) (2002) définit la
viabilité (pérennité ou durabilité) comme la
continuation des bénéfices résultant d'une action de
développement après la fin de l'intervention ; la
probabilité d'obtenir des bénéfices sur le long terme ; ou
une situation par laquelle les avantages nets sont susceptibles de
résister aux risques26. C'est ce dernier sens que nous
adoptons pour traiter de la santé financière des provinces et
collectivités locales.
Ceci dit, selon le Petit Robert, l'efficacité
se définit comme la capacité de rendement, l'efficience ou la
capacité de produire le maximum de résultat avec un minimum
d'effort. Cette définition comprend la notion d'économie qui se
traduit par le non-gaspillage d'une ressource donnée et qui laisse
entendre qu'une action est économique lorsque le coût
d'utilisation des ressources rares se rapproche du minimum requis pour
atteindre les objectifs prévus27.
L'efficacité économique ne fait sens
que par rapport à un objectif défini au préalable et peut
s'interpréter comme celle qui garantit les avantages globaux au
coût le plus bas possible. C'est dans ce sens que nous utiliserons ce
concept dans la suite du présent travail. Quant à la
stratégie, le même Petit Robert la définit, elle,
comme un ensemble d'actions coordonnées, de manoeuvres en vue d'une
victoire.
Appliquée à notre problématique, ce
concept voudrait renvoyer aux étapes à suivre, aux actions
à mener, pour redresser le volet financier de la décentralisation
en RDC et le rendre plus efficace.
Pour Gilder (1981), « la richesse est un ensemble
d'actifs qui garantissent un flux ultérieur de revenus. Les revenus
pétroliers (par exemple) ne deviennent des actifs stables qu'en prenant
la forme d'un capital productif - industries, ponts, routes, écoles et
technologie - qui assure à l'avenir un flux de revenus lorsque les
réserves pétrolières s'épuiseront
»28 .
C'est cet entendement que nous adopterons dans notre travail
pour aborder, par rapport aux préoccupations de la
décentralisation financière, ce que l'on a coutume d'appeler en
RDC « richesses du sous-sol » (diamant, cobalt, or, cuivre, coltan,
etc.).
26 Organisation de Coopération et de
Développement Economique, OCDE (2002), Glossaire des principaux termes
relatifs à l'évaluation et la gestion axée sur le
résultat, Comité d'Aide au Développement
27 OCDE, (2002), op.cit P. 20
28 Gilder, G. (1981), Richesse et pauvreté,
Albin Michel
Les concepts jugés indispensables pour l'exploration
perspicace de notre objet d'étude, ayant été
explicités, nous pouvons formuler les objectifs spécifiques
poursuivis par notre étude.
Au demeurant, il s'agit, pour nous de :
1° Montrer en quoi consistent les entraves à la mise
en oeuvre efficace de la décentralisation financière en RDC
2° Proposer des voies et moyens à même de
relever les défis majeurs et améliorer l'impact
socio-économique de la décentralisation financière en
RDC.
Dans le développement de notre sujet de recherche, nous
nous appliquerons à la vérification des hypothèses
suivantes:
- Le non-respect chronique des textes de base et des
procédures en vigueur en matière de gestion administrative et
budgétaire, au niveau du pouvoir central, des provinces et
entités territoriales décentralisées, entretiendrait le
dysfonctionnement de la décentralisation financière,
empêcherait l'atteinte des objectifs assignés à cette
dernière et affecterait la réforme décentralisatrice dans
sa substance ;
- Les faibles capacités de mobilisation des ressources
budgétaires et de leur gestion constitueraient également un
handicap de taille à l'efficacité économique de l'Etat par
la décentralisation ;
- Pour redresser durablement la mise en oeuvre de la
décentralisation financière en RDC, il conviendrait d'orienter le
comportement des acteurs dans le sens du respect des règles et principes
en vigueur ;
- En outre, pour remédier avec succès aux
défaillances de mobilisation et de gestion des ressources
budgétaires, il serait indiqué de mener des actions
spécifiques de renforcement des capacités d'intervention
financière de l'Etat, des provinces et des autorités locales.
Comme on peut le constater, l'actualité de notre sujet
ainsi que sa portée socio-économique constituent les principales
raisons qui fondent son choix.
En effet, cette actualité est particulièrement
dominée par l'exacerbation des discussions entre les provinces et le
gouvernement central sur le financement de la décentralisation ainsi que
par des tensions récurrentes entre les exécutifs provinciaux et
leurs organes délibérants respectifs sur la gouvernance
locale.
La portée socio-économique du sujet est telle
que les résultats positifs attendus de cette réflexion pourraient
éclairer les décisions prises par l'Etat, les provinces, les
entités territoriales décentralisées, les
opérateurs économiques, la société civile et le
citoyen congolais pour contribuer tant soit peu au redressement du volet
financier du processus décentralisateur ainsi qu'à
l'amélioration de l'offre locale des utilités publiques en
perspective de l'atteinte des objectifs du millénaire pour le
développement.
Par ailleurs, l'intérêt de notre sujet ne peut se
limiter au seul territoire de la RDC, étant donné que ce pays
entretient des rapports socio-économiques séculaires avec 9 pays
voisins, dont la République du Congo qui abrite l'institution
universitaire au sein de laquelle nous préparons ce mémoire,
outre qu'elle fait partie de plus d'une communauté économique
régionale (CEEAC, SADC, CEPGL, etc.) et coopère
étroitement avec la communauté internationale (PNUD, Banque
Mondiale, FMI, Union Européenne, etc.).
Les ressortissants des différents pays voisins ainsi
que les partenaires régionaux et/ou internationaux au
développement étant de loin ou de près concernés
par la viabilité de toute réforme institutionnelle fondamentale
en RDC, il va de soi qu'ils ne peuvent que s'intéresser d'une
manière ou d'une autre aux résultats de la présente
recherche.
Ainsi, avons-nous structuré notre travail en deux
chapitres : il nous sera donné, dans un premier chapitre, de rendre
compte des entraves à la mise en oeuvre réussie de la
décentralisation financière en RDC. Dans un second chapitre, nous
allons proposer quelques stratégies à même de garantir le
relèvement et l'efficacité de la décentralisation
financière dans ce pays. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les
faits ainsi que sur la logique du raisonnement comme outils d'analyse ; tandis
que la recherche et l'exploitation documentaires, l'analyse des données
statistiques, et l'observation participante serviront comme moyens de collecte
des données. Nous procéderons, dans le traitement de ces
dernières, par comparaison, induction, déduction ou extrapolation
pour vérifier nos différentes hypothèses.
En guise de conclusion, nous présenterons les
résultats obtenus et les implications de politique économique qui
en découlent en regard de la problématique énoncée
et des hypothèses retenues, et, nous mettrons en évidence les
limites actuelles de notre travail et les possibilités de son
affinement.
CHAPITRE I : DECENTRALISATION FINANCIERE EN
RDC, UN PROCESSUS BOITEUX
La décentralisation financière en RDC n'est ni
une excroissance gouvernementale ni un épiphénomène : elle
repose sur la décentralisation territoriale et se fonde, dans le cadre
de cette dernière, sur des textes juridiques qui définissent les
rapports entre le pouvoir central, les provinces et entités
administrativement décentralisées, déterminent les
compétences et ressources respectives de ces dernières et
entraînent des implications pour les différents acteurs (Section
1).
Au cours de la période d'analyse, soit de 1982 à
2009, la décentralisation financière en RDC a été
mise à mal par des défaillances fréquentes et
persistantes, tant au niveau du pouvoir central qu'à celui des provinces
et ETD, dans la prise en charge des tâches et responsabilités
respectives en matière de mobilisation et de gestion des ressources
budgétaires (Section II).
SECTION 1 : CADRE JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL,
INCOMPLETUDE DES DISPOSITIONS LEGALES
Les textes fondateurs de la décentralisation
financière comprennent aussi bien les textes instituant la
décentralisation dans son ensemble que ceux spécifiques aux
finances locales. Deux blocs de lois dominent la réforme
décentralisatrice en RDC au cours de la période sous revue. Il
s'agit des lois « Vunduawe » de 1982 et des « lois sur la
décentralisation » de 2008. Cet ordre juridique et institutionnel
fixe implicitement des objectifs à atteindre et se trouve
également chargé d'implications d'actions pour les acteurs du
processus.
1.1. Textes de base de la décentralisation
financière en RDC: des lois « Vunduawe »
de 1982 à l'ordre constitutionnel de
2006
Les textes fondateurs de la décentralisation de 1982
à 2009 s'apparentent sur plusieurs points, notamment la volonté
politique d'apporter un changement profond à l'organisation territoriale
et administrative du pays pour en améliorer le rendement. Mais, ils ne
manquent pas de points de démarcation compte tenu des différences
liées au contexte socio-politique et/ou à la garantie
constitutionnelle de la réforme engagée.
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