La déclaration de soupçon( Télécharger le fichier original )par Bassine Lo Université Gaston Berger de Saint-Louis - Maitrise 2007 |
Paragraphe II : Les personnes exerçant des professions indépendantesSont désignées par les termes de personnes exerçant des professions indépendantes, le personnel des professions juridiques indépendantes (A) d'une part et d'autre part le personnel des organismes indépendants (B). A : Le personnel des professions juridiques indépendantes En raison de l'accroissement de la complexité de l'intégration de l'argent sale dans l'économie légale, les compétences professionnelles des juristes deviennent parfois nécessaires aux blanchisseurs pour le placement des produits d'infractions. C'est ainsi que le dispositif 56(*)de lutte contre le recyclage de l'argent sale, en particulier l'obligation de soupçonner certaines personnes ou certaines opérations et de déclarer ce doute au service compétent, est étendu à ces professions. Dès lors, la Caisse des Règlements Pécuniaires des Avocats (CARPA), institué par la loi de 1984 portant création de l'ordre des avocats57(*), est désormais un outil de prévention et détection efficace mise à la disposition de l'avocat pour lutter contre le blanchiment. En effet, il fait obligation aux avocats de déposer dans un compte ouvert à la Société Générale des Banques au Sénégal (SGBS) tous les fonds, effets et valeurs qu'ils reçoivent en qualité de dépositaire pour le compte de leurs clients à l'occasion de leur activité professionnelle. Lorsque les fonds arrivent en CARPA, l'avocat doit être en mesure de justifier qu'il a respecté toutes les dispositions en vigueur. A défaut, il s'expose soit à ce que la CARPA refuse l'opération, soit à ce que l'établissement bancaire dans les livres duquel le compte est ouvert procède à la dénonciation. Toutefois, une certaine réticence de la part des professions juridiques indépendantes, en particulier celle des avocats, est notée. Certains d'entre eux considèrent la déclaration de soupçon synonyme de trahison du secret professionnel, socle sur lequel repose le métier. Ils y voient une institutionnalisation de la dénonciation58(*) .A cet effet des restrictions et des modalités particulières, destinées à protéger le secret professionnel inhérent à leur activité sont prévues. D'abord, la Loi limite l'obligation à des activités et opérations déterminées59(*), pour en écarter la défense. De même ces professions n'y sont pas soumises lorsqu'elles procèdent à une consultation juridique60(*).Celle-ci n'échappe à l'obligation de déclaration que si elle n'est pas fournie aux fins de blanchiment61(*).Dit en d'autres termes la défense est protégée et mise à l'abri de tout soupçon, mais la consultation n'est pas exemptée, sauf s'il n'a aucun rapport avec une activité illicite. Ensuite un filtre est mis entre les professions juridiques indépendantes et l'organisme administratif chargé de recevoir les dénonciations. En effet ces professionnels devront faire leur déclaration non à ce service mais à leur autorité professionnelle. Ainsi le bâtonnier de l'ordre des avocats est le seul à même de recevoir et transmettre une déclaration de soupçon d'avocat à cette structure du ministère de l'économie des finances62(*).Tel n'est le cas pour les autres assujettis en particulier le personnel des organismes indépendants. B : Le personnel des organismes indépendants Les organismes indépendants sont constitués notamment des apporteurs d'affaires aux organismes financiers, les agents immobiliers, les marchands d'articles de grande valeur, les transporteurs de fonds, les propriétaires, les directeurs et les gérants de casinos et les établissements de jeux, les agences de voyages, les organisations non gouvernementales. Ces différents organismes se caractérisent par une certaine autonomie. Autrement dit, ils ne sont pas soumis à une autorité de contrôle qui pourrait surveiller leur activité. Ce vide pourrait constituer un obstacle à l'effectivité de la déclaration de soupçon. Ainsi, la lutte contre le blanchiment dans les casinos est limitée par l'absence d'autorité de régulation de ce secteur du jeu.63(*)Cependant, ce phénomène est atténué par l'exigence d'une autorisation préalable à l'ouverture d'un établissement d'un jeu de hasard.64(*)La demande d'autorisation est adressée à une commission d'examen instituée par décret65(*).A cet effet les propriétaires, les gérants et directeurs de casinos sont tenus de justifier, auprès de la commission, de l'origine licite des fonds servant à la constitution de l'établissement.66(*)En plus, ces assujettis sont soumis à une obligation de vérification et de conservation de l'identité des joueurs qui misent sur un montant supérieur ou égale à un million (1000000) de F CFA.67(*)De même, en vue de garder la spécificité des jetons de jeu de chaque établissement et un contrôle efficace de la clientèle, il leur est interdit toute possibilité de remboursement de jetons entre filiales d'une même société mère. Toutefois, malgré ces précautions les casinos et les établissements de jeux sont des endroits souvent fréquentés par les criminels désireux de recycler les produits de la criminalité. Ainsi le Groupe d'Action Financière contre le Blanchiment de Capitaux (GAFI)68(*) a défini une procédure que les criminels utilisent, en général, pour blanchir leurs fonds.69(*)Cette définition de typologies de blanchiment est effectuée par cet organe dans le but de familiariser les assujettis aux différentes techniques utilisées par les criminels et de pouvoir procéder à la déclaration de soupçon dès la détection d'un moindre doute. A cet effet les marchands d'articles de grandes valeurs tels que les oeuvres d'art et les pierres précieuses, doivent témoigner d'une grande vigilance pour éviter qu'ils soient un moyen de blanchiment. En effet les diamants sont très appréciés des blanchisseurs en raison de leur forte valeur intrinsèque et de leur caractère compact .La facilité avec laquelle on peut dissimuler et transporter les diamants et la forte valeur par gramme de certaines pierres rend les diamants vulnérables à leur détournement illégal.70(*)Ainsi, vu ces faiblesses de tels marchands doivent se mobiliser pour contrecarrer ce phénomène en se montrant plus dynamique dans la dénonciation. Il en est de même du secteur de l'immobilier qui est aussi convoité par les blanchisseurs71(*).Dès lors, il s'impose à l'agent immobilier un devoir de vigilance, de dénonciation et de coopération avec l'organe chargé de recevoir les déclarations. La même obligation pèse aussi sur les passeurs ou transporteurs de fonds. Ceux-ci sont des personnes qui exécutent des transports physiques transfrontaliers d'espèces ou d'instrument négociables au porteur ou qui apportent sciemment leur concours à la réalisation de ces opérations.72(*)De telles transactions de fonds doivent être exemptes de tout doute sur leur origine illicite. A défaut, les transporteurs de fonds voire les assujettis dans leur ensemble sont tenus de réaliser une déclaration de soupçon selon une certaine modalité. * 56 Au Sénégal c'est l'art 5 de la Loi et en France l'art 70 de la loi du 11 février 2004 dite loi « Professions ».Ces professions sont selon l'article 70 de la loi française :les experts comptables, les commissaires aux comptes, les notaires, les huissiers, les administrateurs et mandataires judiciaires, les avocats ,les avocats aux conseils ,les commissaires priseurs judiciaires et les sociétés de ventes volontaires.(cf. JCP ,Entreprise et Affaires ,n°11,11mars 2004 , lutte contre le blanchiment d'argent provenant d'activités illicites) * 57 Ce sont les articles 65 et 66 de la loi n°84-09 du 04 janvier 1984 portant création de l'ordre des avocats paru dans le Journal Officiel de Sénégal, n°4987, du samedi 28 janvier 1984. * 58 V. rentrée solennelle du stage du barreau du Sénégal, colloque sur la lutte contre le blanchiment de capitaux : rôle des professions juridiques indépendantes, en date des 1 et 2 décembre 2005 à l'hôtel Sofitel Teranga (texte disponible sur le site officiel de la CENTIF) * 59 Selon les dispositions de l'article 5 il concerne toutes les activités dans lesquelles ces professionnels représentent ou assistent des clients .Il s'agit des activités suivantes : achats et vente de biens d'entreprises commerciales ou de fonds de commerce ; manipulation d'argent, de titres ou d'autres actifs appartenant au client ; ouverture ou gestion de comptes bancaires, d'épargne ou de titres ; constitution, gestion ou direction de sociétés, de fiducies, ou de structures similaires. A ces activités s'ajoutent celles définies par l'assemblée générale de Montpellier des 28 et 29 mai 2004 portant les recommandations déontologies destinées à prévenir l'utilisation de la profession d'avocat aux de blanchiment de capitaux :arbitrage ;mandat (lorsque l'avocat reçoit mandat de négocier ,d'agir et de signer au nom et pour le compte de son client ,notamment dans le cadre d'un rapprochement d'entreprises) ;représentation fiscale du client ;assistance ou représentation du client à l'occasion de la réunion d'une assemblée délibérative ou d'un organe collégial ;enchères ;mandat social (membre du conseil d'administration d'une société anonyme, membre d'un conseil d'un conseil de surveillance d'une société à directoire) ; accès à des institutions financières ; conseils fiscaux à des particuliers désireux de placer leurs actifs hors de portée. * 60 V. la décision de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) en date du 26 juin 2007, suite à un recours en annulation du décret n ° 2006-736 du 26 juin 2006 ayant réintroduit la consultation dans le périmètre de la déclaration d'opération suspecte ; et qui a aboutie à exclure la consultation juridique du champ des obligations de vigilance. (cf. JCP/ La semaine juridique- Edition Entreprise et Affaires n°38 ,20 septembre 2007, page 421, article de Chantal Cutajar intitulé « les avocats et la lutte contre le blanchiment d'argent : les enseignements de l'arrêt de la CJCA du 26 juin 2007). * 61 V. exposé des motifs points 19 et 20 de la directive 2005/06/CE du parlement européen et du conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. * 62 V. rentrée solennelle du stage du barreau du Sénégal à l'occasion du colloque organisé sur la lutte contre le blanchiment de capitaux : rôle des professions juridiques indépendantes, en date du 1 et 2 décembre 2005, à Sofitel Téranga * 63 Déclaration du secrétaire général du Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits Financiers Clandestins (TRACFIN) de France dans le rapport annuel du dit cellule en 2004 (disponible dans le site officiel de TRACFIN : www.tracfin.fr) * 64 V. les arts 2et 4 de la loi n°66-53 du 30 juin 1966 portant organisation et réglementation des jeux de hasard, paru dans le Journal Officiel du Sénégal, n° 3835 du samedi 16 juillet 1966 ; * 65 Il s'agit du décret n°92- 63 du 06 janvier 1992 portant création d'une commission chargée d'examiner les demandes d'autorisations. * 66 V. art 15 de la Loi * 67 Idem * 68 Le GAFI est créé lors du 15e sommet économique annuel qui s'est tenu en juillet 1989 à Paris réunissant les chefs d'Etats ou de gouvernements des sept principaux pays industrialisés et le président de la commission économique européenne .Ce groupe a pour ambition de définir une politique planétaire de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ainsi il a mis au point de nouvelles recommandations au nombre de quarante, en 2003, relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, et neuf recommandations spéciales, en 2004, portant sur la lutte contre le financement du terrorisme. * 69 Selon cette procédure le criminel se rend dans un casino et achète des jetons avec de l'argent. Par la suite l'un des trois scénarios suivant survient : 1- le blanchisseur utilise les jetons pour parier .Il espère ainsi faire des gains qui seront certifiés par un chèque du casino. 2- Le blanchisseur conserve les jetons sans les utiliser ou alors les utilise pour parier un montant minimum .Il retourne ensuite à la caisse pour échanger son soi-disant gain contre un chèque du casino 3- Le blanchisseur conserve les jetons pour les utiliser comme d'échange lors d'une transaction avec un autre malfaiteur. C'est alors ce dernier qui échangera les jetons contre un chèque du casino (cf. rapport GAFI sur les typologies de blanchiment de capitaux ,2002-2003, pages 7 et 8) * 70 Idem. * 71 V. les typologies de blanchiment dégagées dans les rapports 2005 et 2006 de la CENTIF. * 72 V. art premier de la Directive n°04/2007/CM/UEMOA relative à la lutte contre le financement du terrorisme dans les Etats membres de l'UEMOA. |
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