CHAPITRE II: APPROCHE THÉORIQUE DE
L'ÉTUDE
Après avoir présenté quelques
éléments du contexte de notre étude, nous abordons dans le
présent chapitre la revue des littératures sur la migration
forcée pour en dégager quelques déterminants et
définir un certain nombre de concepts relatifs à cette
étude. Il s'agit en fait de poser les bases méthodologiques en
présentant le cadre conceptuel et d'analyse de l'étude. Il est
structuré en cinq parties essentielles. La première partie porte
sur la revue de littérature sur la migration forcée; la
deuxième est consacrée aux déterminants de ce type
migration; la troisième présente l'hypothèse principale et
le cadre conceptuel de l'étude; la quatrième concerne la
définition des différents concepts clés utilisés
dans l'étude et la cinquième porte sur les hypothèses
secondaires et le schéma d'analyse.
2.1. Revue de littérature sur la migration
forcée
On connaît très peu de choses sur les migrations
forcées en Afrique. Et pourtant, on sait que les guerres et autres
troubles politiques qui s'y déroulent de temps en temps poussent les
populations à se déplacer à l'intérieur de leurs
pays par milliers voire par millions, ou à se réfugier dans des
pays voisins ou lointains. Ainsi, il existe à notre connaissance
très peu ou presque pas de théories sur la migration
forcée. Si les théories économiques et
démographiques ont largement contribué à comprendre les
migrations volontaires, elles sont cependant inappropriées pour
expliquer les migrations sous contraintes (ou forcées) surtout dans une
situation de conflits. Ainsi, à partir des approches sociologique,
ethno-réaliste et de la nouvelle approche intégrée de
l'UNHCR, nous tenterons d'expliquer et d'en déduire les
déterminants du retour de ce type particulier de migration.
2.1.1. Expliquer la migration forcée: quelques
approches théoriques
Les déplacements forcés sont le plus souvent le
résultat d'un certain nombre de crises. Mais quels sont les
déterminants de ces crises, tensions et conflits? La crise
économique, la pauvreté, la crise (problème) de la
démocratie et la perte de valeur des droits fondamentaux participent
également à la mise en place de conditions de vie
défavorables poussant à la migration. Mais toutes les migrations
ne remplissent pas toutes ces conditions, une
combinaison de plusieurs facteurs provoque un nombre important
de réfugiés. Chaque migration possède au moins un volet
politique et économique interagissant différemment selon les cas.
Wood (1994) distingue trois grands groupes de causes aux migrations
forcées:
1) une instabilité politique, une guerre, des
persécutions;
2) une crise économique et écologique
menaçantes;
3) des conflits ethniques, religieux, tribaux.
Ainsi, des perspectives théoriques différentes
destinées à agir en aval et en amont des tragédies
humaines que créent ces crises, nous en retenons trois (3) pour tenter
d'expliquer la migration sous contrainte. Nous retrouvons la théorie de
l'ethno-réaliste, l'approche intégrée de l'UNHCR et
l'approche sociologique.
A. Approche sociologique
Depuis fort longtemps, on a expliqué la migration par
les facteurs économiques. Mais aujourd'hui plus que par le passé,
on assiste à une sorte de migration que les théories
économiques ne peuvent expliquer. En effet, le besoin d'échapper
à des situations où la vie est menacée et la recherche
d'un meilleur climat sont des facteurs que les théories
économiques ont souvent ignorés. Ainsi, la reconnaissance d'un
plus grand nombre de facteurs d'explication de la décision de migrer est
à la base de l'approche d'Everett Lee.
Selon Everett Lee (1978), la migration est causée
à la fois par des facteurs positifs qui caractérisent les aires
possibles de destination et par des facteurs négatifs aux lieux
d'origine ou de résidence actuelle. Ainsi, aussi bien la zone de
départ que la zone d'arrivée est caractérisée par
un ensemble de forces d'attraction ou de rétention et de forces de
répulsion. Everett Lee postule que la migration devient plus probable si
la différence perçue dans les forces d'attraction nette (facteurs
positifs moins facteurs négatifs) des lieux d'origine et de destination
est grande. Il souligne que les migrants qui répondent avant tout aux
facteurs attractifs du lieu de destination, tendent à être
positivement sélectionnés, que ce soit selon l'âge,
l'instruction, la qualification ou les motivations, alors que ceux qui
répondent à des facteurs négatifs du lieu de départ
tendent à être sélectionnés négativement. De
plus, les premiers sont plus enclins à migrer volontairement que les
seconds. Dans le même sens que
d'Everett Lee, Samuel Stouffer (1940, 1960) suggère que
la migration est fonction de l'attractivité relative perçue des
zones d'origine et de destination et que les flux des migrants sont
conditionnés par l'existence d'opportunités et d'obstacles.
Cette approche, en tenant en compte du fait que la migration
n'est souvent pas volontaire pose déjà les jalons d'une
explication de la migration forcée. Mais elle ne décrit cependant
pas les facteurs qui poussent des personnes à quitter leurs milieux de
résidence habituelle et à y retourner après un
séjour dans un milieu d'accueil.
B. Approche ethno-réaliste
Elle se base sur la peur et le dilemme de sécurité
pour expliquer le déplacement forcé.
1) Peur et conflits ethniques
Les ethno-réalistes mettent l'accent sur l'importance
de la crainte (de l'autre) dans les conflits ethniques. Selon David Lake
(1998), deux types de craintes sont identifiables: la crainte pour sa vie, pour
son intégrité physique. Cette crainte est d'autant plus
justifiée si un groupe minoritaire est l'objet d'une discrimination et
de violation de ses droits et surtout si la compatibilité avec l'autre
groupe est plus ou moins évidente, si les dissemblances sont trop
grandes entre les deux groupes15. Cette crainte peut être
accentuée par une situation anarchique. Lorsque l'Etat ne peut plus
intervenir pour imposer l'ordre entre les ethnies. Le pouvoir devient diffus en
raison de la multiplicité des groupes, de la faiblesse du gouvernement
central et du rôle de plus en plus important que prennent les alliances.
Cette diffusion du pouvoir rend difficile l'identification des
mécanismes représentatifs au sein de la population et rend plus
difficile encore la manière de saisir les structures
décisionnelles16. Selon Lake David (1998), l'anarchie peut
non seulement découler d'un manque de moyens, et donc de
l'éclatement des structures, mais peut être provoqué par
l'absence de volonté d'un État de faire respecter l'ordre,
notamment lorsque cela profite à son groupe ethnique. Les tensions
15 LAKE David A. / ROTCHILD Donald Spreading Fear:
« The Genesis of Transnational Ethnic Conflict » in LAKE David A. /
ROTCHILD Donald (eds.) The International Spread of Ethnic Conflict: Fear,
Diffusion, and Escalation, Princeton, N.J., Princeton University Press,
1998, p.8.
16 Ibiden, p. 12.
ethniques génèrent donc une peur qui est
accentuée par une situation anarchique. Cela nous mène au concept
de dilemme de sécurité.
2) Dilemme sécuritaire et conflits
ethniques
Il importe de signaler que la théorie de la peur
était destinée au départ à l'étude des
relations internationales. Ainsi, il est utile, avant d'étudier le
dilemme de sécurité dans les conflits ethniques, de saisir
comment une théorie destinée à l'étude des
relations internationales peut s'appliquer à une échelle plus
restreinte. Un des concepts fondamentaux des réalistes pour expliquer,
voire prédire l'éclatement des conflits est le dilemme de
sécurité. Ce concept est une constante à
l'intérieur des différentes variantes théoriques
réalistes. Toutefois, même si la logique reste sensiblement la
même, les acteurs impliqués ont changé lors du passage
à l'ethnoréalisme. Ce qui revient à dire que les acteurs
principaux sont désormais les groupes ethniques. Cette adaptation est
indispensable puisque les États ne peuvent être
considérés comme unité de base dans les conflits ethniques
puisque ce sont les groupes ethniques qui déterminent et
contrôlent l'environnement politique.
Le dilemme de sécurité apparaît lorsque
les acteurs évoluent dans un système anarchique. Posen (1993)
applique le dilemme de sécurité aux conflits ethniques en partant
de la prémisse que la logique d'effondrement de l'Etat et/ou de sa
restructuration a souvent comme conséquence que les groupes ethniques
doivent assurer leur survie par leurs propres moyens17. Ces groupes
ne font plus confiance à quiconque pour protéger leurs
intérêts. La méfiance mène au dilemme de
sécurité. Inquiets pour leur survie, ces groupes amorcent une
logique qui les mène à une confrontation avec les autres groupes
ethniques. Selon Posen (1993) quatre causes principales expliquent le
degré de sévérité du dilemme de
sécurité dans les conflits ethniques:
> La difficulté de différencier entre les
capacités offensives et défensives des groupes ;
> L'avantage de l'offensive sur la défensive.
> La difficulté de faire la différence entre la
consolidation d'un État, en fonction d'une identité ethnique,
d'avec la création d'une force militaire plus efficace.
17
Posen, Barry, R., « The Security Dilemma and Ethnic
Conflict », in Ethnic Conflict and International Security,
Princeton, N.J., Princeton University Press, 1993, p.103.
> Lors de l'effondrement d'un État multi-ethnique,
la perception de l'autre est souvent plus sensible: le comportement des autres
groupes peut facilement mener à une interprétation
inquiétante.
En somme, le dilemme de sécurité dans les
conflits ethniques démontre comment la crainte de l'autre peut mener
à la violence. Les quatre points mentionnés
précédemment peuvent exacerber la crainte des groupes et
provoquer des attaques préventives (déclenchement d'une guerre,
«nettoyage ethnique», etc).Voulant préserver leur
sécurité et craignant pour leur avenir collectif, les groupes
ethniques n'ont d'autres mesures que de s'en prendre à l'autre afin
d'étouffer la menace (réelle ou non).
3) Solutions ethno-réalistes
Ce qui ressort de cette étude des conflits ethniques
selon les ethno-réalistes, c'est l'apparition ou l'exacerbation du
sentiment d'insécurité. Celui-ci est au coeur d'un concept
déterminant chez les réalistes pour expliquer les conflits: le
dilemme de sécurité. Il est indispensable pour saisir
l'éclatement du conflit mais peut aussi expliquer l'échec des
mesures utilisées dans le cadre des missions de consolidation de la
paix.
Ainsi, Kaufmann (1996) met l'accent sur le rôle central
que joue le dilemme de sécurité dans les conflits ethniques.
Selon lui, le dilemme de sécurité représente
l'écueil principal à la résolution, à long terme,
des conflits ethniques. Selon lui, les conflits ethniques approfondissent les
divisions entre les groupes. Ceci est le cas dans tous les types de conflits,
cependant dans le cas des conflits ethniques, la proximité des
belligérants voire l'interpénétration géographique
des groupes rend la situation beaucoup plus explosive. Ainsi, puisque les
guerres ethniques fortifient les identités ethniques et exacerbent le
dilemme de sécurité, la seule solution viable possible
réside dans la séparation des différents groupes.
Restaurer la société civile suite à un conflit ethnique
est impossible puisque celui-ci détruit les possibilités de
coopération.
Les ethno-réalistes, en étudiant le rôle
du dilemme de sécurité dans les conflits ethniques, expliquent
non seulement la logique qui mène au conflit, mais ils identifient
également ce qui peut provoquer la faillite des missions de
consolidation de la paix. Les
considérations théoriques des
ethno-réalistes, notamment sur le rôle de la peur et du dilemme de
sécurité dans les conflits ethniques, peuvent être utiles
pour juger de la pertinence de certaines mesures prises dans le cadre des
missions de consolidation de la paix.
Par ailleurs, les ethno-réalistes offrent une solution
lorsque les missions de paix échouent. Selon eux, la communauté
internationale devrait proposer une séparation avant qu'elle ne se fasse
de façon violente par la guerre. Il s'agit donc d'éviter
l'escalade découlant du dilemme de sécurité. Ainsi,
même si l'intervention humanitaire destinée à
sécuriser les gens dans des conditions de guerre ethnique est possible,
la communauté internationale doit être prête à
reconnaître que certains États ne peuvent être
restaurés et que la seule solution possible réside dans la
séparation des groupes ethniques.
Dans le cas des réfugiés en Bosnie et des
accords de Dayton, on peut avancer que dans une perspective
ethno-réaliste, il aurait été préférable de
ne pas prôner une politique du retour menant à une situation
identique à celle qui avait cours avant le déclenchement des
hostilités.
Il était certes nécessaire de mettre fin
à leur statut de réfugié mais en respectant l'importance
du dilemme de sécurité. Il importe donc de les ramener mais de
façon à séparer les groupes ethniques afin d'éviter
de réalimenter le dilemme de sécurité.
Évidemment de telles solutions amènent
également des questions tant éthiques que pratiques. Est-il
normal de déplacer ces personnes? Quand est-il pertinent de le faire?
Qui a l'autorité de prendre une telle décision? Quels groupes
déplacer? Les populations visées vontelles accepter leur
déplacement? Par ailleurs, peut-on déraciner des groupes entiers
de personnes sans traumatismes? Dans le cas des réfugiés, on peut
se demander s'ils peuvent accepter d'être dépaysés une fois
de plus?
En somme, non seulement l'approche théorique
ethno-réaliste comporte son lot d'inconvénients mais elle n'est
pas, à l'instar de tous les discours théoriques, applicable en
absolu sur le terrain.
C. Nouvelle approche intégrée du Haut
Commissariat pour les Réfugiés
Les organisations des réfugiés et d'assistance
reconnaissent aujourd'hui qu'elles agissent parfois sans succès. La
reconnaissance de cette situation combinée à l'inquiétude
grandissant des pays industrialisés devant le nombre croissant de
demandeurs d'asile venus des régions moins développées du
monde, a contribué à faire prendre conscience à la
communauté internationale qu'elle ne maîtrisait plus le
problème global des réfugiés. Dans le même temps, de
nouveaux déplacements de populations se produisent, pour lesquels aucune
des solutions traditionnelles ne semble appropriée. Ainsi, que va-t-il
advenir aux Croates déplacés dont les terres et les maisons ont
été occupées par les Serbes? Quelle solution s'offrira au
nombre croissant de personnes déplacées à
l'intérieur de leur propre pays? Pourront-elles finalement regagner les
communautés qu'elles ont quittées, ou faudra-t-il trouver
d'autres solutions pour elles18?
Parallèlement, les pays les moins
développés qui accueillent un nombre important des
réfugiés et qui sont le plus sérieusement touchés
se trouvent confrontés à la stagnation ou au déclin de
l'économie, à la démographie galopante, à la
dégradation de l'environnement, à la compétition pour la
terre et l'emploi et à l'aggravation des tensions sociales. Ainsi, les
gouvernements se montrent désormais plus attentifs aux liens qui
existent entre les diverses questions de sécurité et
reconnaissent qu'il est nécessaire de les traiter de manière
intégrée.
Ces forces de changement ont imposé et permis à
la communauté internationale d'élaborer de nouvelles
stratégies en matière de recherche de solutions aux
problèmes des réfugiés. Le principe fondamental de cette
nouvelle orientation repose sur le fait que les mouvements des
réfugiés ou des IDPs peuvent être évités par
des actions visant à réduire ou à supprimer les menaces
qui contraignent les personnes à quitter leur propre pays ou
résidence habituelle pour chercher refuge ailleurs. Cette approche qui
consiste à aller au devant des solutions repose aussi sur l'idée
que les mouvements de réfugiés et les déplacements de
population peuvent être empêchés, maîtrisés ou
gérés lorsque les actions de préventions ont fait
faillite. Ainsi, une intervention militaire visant à prévenir les
violations des droits de l'homme peut empêcher la fuite de personnes dont
la sécurité a été menacée et rendre leur
retour possible. Lorsque le déplacement est provoqué par un
conflit armé qui a perturbé gravement
18 UNHCR, Les réfugiés dans le
monde: en quête de solutions, La découverte, Paris (France),
1995, p.35.
l'économie, l'apport de secours et d'une aide à
la reconstruction aux personnes restées sur place peut leur permettre de
ne plus bouger. Et des actions destinées à établir une
présence internationale dans un pays d'origine et à veiller au
respect des droits de l'homme sont susceptibles d'encourager un nombre
important d'exilés à rentrer chez eux. Ces stratégies ont
été mises en oeuvre avec succès au cours des cinq
dernières années en Iraq, en Somalie et au
Tadjikistan19. Dans ce sens, l'UNHCR a lancé au début
de l'année 1990 des projets à impacts rapide destinés
à reconstruire les infrastructures endommagées, à
réhabiliter les équipements publics et à redonner vie
à l'activité économique locale dans des régions
où des rapatriés s'étaient installés.
L'orientation qui commence à émerger au sein de
la communauté internationale concernant la solution à apporter
aux problèmes des réfugiés et autres personnes contraintes
à quitter leur lieu de résidence pourrait épargner
à des millions de personnes le traumatisme et les souffrances de l'exil,
et donner à des millions d'autres la possibilité de reprendre une
vie stable dans leur propre pays. Elle pourrait aussi contribuer à
apaiser certaines tensions sociales et politiques qui risquent de surgir
lorsqu'un nombre important de personnes est contraint d'abandonner leur foyer
et de rechercher refuge ailleurs.
En somme, on peut retenir que l'approche ethno-réaliste
et la nouvelle approche de l'UNHCR sont complémentaires. En effet,
contrairement à la théorie du réalisme qui met en exergue
les causes du déplacement forcé, la nouvelle approche de l'UNHCR
cherche de solutions pouvant freiner les déplacements ou favoriser le
retour des personnes qui ont déjà quitté leurs pays ou
leurs milieux d'origine pour trouver refuge ailleurs.
2.1.2. Déterminants du retour de la migration
forcée: une revue de littérature
Il ne suffit pas de décider que la majorité des
réfugiés et/ou des IDPs doivent retourner au pays ou dans leurs
milieux d'origine. Il faut aussi tenir compte de contraintes diverses qui
peuvent retarder ou empêcher ce retour dans de bonnes conditions. La
question de l'accueil soulève donc celle du retour. Les retours sont
toujours des opérations difficiles, tout comme la migration de refuge.
Car le départ n'a été effectué qu'à cause de
contraintes importantes,
19 UNHCR, Op Cit, p.44.
menaçant la vie des réfugiés et/ou des
IDPs. Ainsi, dans quel environnement ceux-ci vont-ils pouvoir se
réinstaller? Les menaces qui ont amené la migration ont-elles
disparues? Les réfugiés et/ou les IDPs vont-ils retrouver leurs
terres, leurs biens, leurs fonctions sociales?
a) Caractéristiques individuelles
Tous les réfugiés et/ou IDPs n'ont pas les
mêmes objectifs individuels et les mêmes raisons de retourner.
Ainsi sur la question du retour des réfugiés, l'Organisation
Internationale des Migrations (OIM) basée à Genève a
réalisé pour la première fois en 1997 une vaste
étude sur les réfugiés bosniaques vivant en Suisse et en
Belgique afin d'analyser les raisons qui pourraient les pousser à
retourner en Bosnie. On a ainsi pu constater que les trois quart des Bosniaques
ne souhaitaient pas retourner dans leur village ou région d'origine soit
par ce qu'ils étaient issus de mariage mixte donc craignaient pour leur
sécurité personnelle, soit parce qu'ils n'avaient aucune
formation scolaire ou professionnelle qui leur permettaient de trouver un
emploi rapidement, soit parce qu'ils ne ressentaient pas de fibre patriotique
particulière. Certains pays comme la Suisse, l'Allemagne et l'Autriche
ont mis en place des programmes d'aide financière aux
réfugiés bosniaques qui accepteraient de retourner en Bosnie.
Mais ces programmes ont été un échec dans la mesure
où c'est l'emploi, la sécurité, le logement et les
perspectives professionnelles qui sont des facteurs déterminants au
départ. Le retour de ces réfugiés bosniaques est donc
conditionné par ces questions. Ainsi, avant d'envisager le retour de ces
réfugiés, il fallait d'abord songer à résoudre les
problèmes qui ont poussé ces personnes à quitter leur
pays.
Dans le cadre de la migration volontaire, les tenants des
théories économiques postulent que les individus
réagissent à des incitations économiques et
considèrent le revenu issu de l'emploi d'une région donnée
comme la principale variable pouvant mesurer le rendement économique de
la migration. Pour eux, une région où le revenu moyen est
élevé attire les migrants tandis que celle où le revenu
est faible les repousse. Ils arrivent à la conclusion que les
régions à fort taux de chômage auront un taux de migration
négatif (M-F. Martin, 2004). Certains migrants retournent dans leur
milieu d'origine en fonction de leur facilité d'insertion
économique au retour.
Selon le CERE (1999), l'intégration des
réfugiés et/ou des IDPs est un processus dynamique et
réciproque. Il s'inscrit dans le long terme et est de nature
multidimensionnelle. L'emploi est un facteur essentiel du processus
d'intégration. De ce fait, ne pas pouvoir accéder à
l'emploi pendant la période initiale d'arrivée dans le pays
d'accueil constitue un obstacle à l'intégration à long
terme des réfugiés, de même que, le non accès aux
services de santé et de logement. Dans ce sens, Housseaux et al (2005),
étudient l'intégration des migrants à la
société française. Dans leurs analyses, ils croisent les
caractéristiques sociodémographiques des migrants et les parcours
professionnels de ces derniers. Ceci leur permet de mettre en évidence
cinq groupes d'individus pour lesquels l'activité est discriminante.
Même si leurs analysent portent sur un échantillon de migrants
volontaires qui inscrivent leur décision de migrer dans le cadre
général de la théorie néoclassique de maximisation
de l'utilité, elles peuvent également s'appliquer aux
réfugiés et/ou IDPs avec la différence que ces derniers
n'ont pas contrairement aux premiers, le choix de la décision et de la
date et doivent la plupart du temps partir malgré eux pour sauver leur
vie. Dans ce contexte, lorsqu'ils arrivent dans le milieu d'accueil, ils sont
obligés de développer des stratégies de survie alors que
pour certains, les caractéristiques sociodémographiques ne les
prédisposent guère à une meilleure et rapide
intégration. C'est en cela que Cretieneau (2003) montre quelles
stratégies de survie peuvent ainsi produire «des économies
de subsistance modernes, où se développent l'économie et
la finance informelle» dans un contexte où la dimension culturelle
prend une place fondamentale et la solidarité communautaire est forte.
Si les migrants forcés en général s'insèrent
à travers des stratégies de survie, les moins nantis d'entre eux
en termes de niveaux d'instruction et de qualifications initiales auront
beaucoup plus de mal à s'insérer.
b) Milieux d'origine et d'accueil
Le retour des réfugiés et/ou des IDPs est
conditionné par l'amélioration des conditions qui ont
présidé au départ des migrants forcés. Le cas des
IDPs et réfugiés bosniaques demeure un exemple illustratif. En
effet, Frédéric Crété (2001), conseiller militaire
auprès du chef de mission de l'UNHCR en Bosnie-Herzégovine
déclarait qu'en comparant les chiffres relatifs au retour des IDPs de
l'année 2000 à ceux des années précédentes,
il en ressort que le taux de retour des IDPs augmente chaque année.
Selon Frédéric Crété, ceci est dû en grande
partie à l'amélioration des conditions de sécurité
et de liberté de mouvement. Un groupe particulier des IDPs a
modifié le paysage de la Bosnie-Herzégovine depuis deux
années: ceux que l'on appelle
les "retours minoritaires". Ces personnes reviennent vivre
dans une région où elles constituent désormais des
minorités "ethniques", ce qui n'était pas le cas avant la guerre.
La sécurité, l'accès aux soins médicaux, à
l'emploi et l'école pour les enfants, sont les questions principales
pour ce groupe de personnes. En 2000, il y a eu 67 000 retours minoritaires
contre seulement 41 000 en 1999, ce qui représente une augmentation de
60,0%.
La Commission de repossession des biens immobiliers
(Commission for Real Property Claims, CRPC) a aussi aidé à
renforcer le plan de mise en oeuvre des lois sur la propriété
(Property Legislation Implementation Plan, PLIP). "Ce plan a aidé les
réfugiés et les IDPs à réintégrer leur
habitation d'avant guerre," explique Frédéric
Crété. En coopération avec ses partenaires, l'UNHCR
rassure les réfugiés et les IDPs propriétaires que toute
l'assistance possible leur sera fournie pour qu'ils retrouvent leur ancienne
habitation. Ceci a été un facteur déterminant dans
l'accroissement des retours en 2000, confirme le conseiller militaire de
l'UNHCR.
Le plan hivernal de l'UNHCR a également
contribué à faciliter les retours. Durant cette saison, les
personnes vulnérables reçoivent les éléments
nécessaires à leur vie quotidienne. Les malades, les personnes
âgées, les orphelins et les femmes seules vivant dans des zones
rurales reculées bénéficient de ce programme d'aide.
Ainsi, le plan hivernal comporte-t-il la réparation de 365 maisons et la
distribution de 330 kilos de farine, 60 000 litres d'huile de cuisine, 5 500
lits, 6 600 matelas, 21 000 couvertures, 4 500 cuisinières et 55 000
mètres carrés de bâches de plastique.
Les obstacles au retour ou à la réinstallation
des déplacés internes et/ou des réfugiés restent
nombreux. La cohabitation entre communautés d'ethnies différentes
est loin d'être acquise dans de nombreux endroits, et l'idée a
été émise de promouvoir des pactes d'accords entre ces
groupes. Les champs et les maisons de IDPs sont souvent détruis par les
forces armées et l'absence de structures (éducatives, sanitaires,
etc.) dans les zones de retour ou de réinstallation sont des facteurs
déterminants au refus de retour. Selon Amnesty International (2007), le
nombre des retours des IDPs au Kosovo (Bosnie) s'inscrivant dans la
durée continue d'être très faible. Bien qu'il existe des
structures pour faciliter les retours, et malgré le rôle
joué par les organisations internationales, la complexité des
procédures, le manque de perspectives économiques, les
difficultés associées à la liberté de circulation
et les préoccupations en
matière de sécurité sont les raisons qui
ont été mentionnées pour expliquer le faible nombre de
retours.
Renaud et al (2003), montrent que le processus d'insertion
économique est beaucoup plus complexe. Pour ce faire, ils avancent trois
hypothèses dont la première rejoint les thèses de
stratégies de survie de Crétieneau (2003) ou de
«contournement devant les difficultés» tandis que la
deuxième s'intègre dans le contexte de constitution de
réseaux sociaux. Les réseaux sociaux permettent aux migrants de
se socialiser au marché du travail en faisant l'apprentissage des
coutumes et cultures du milieu d'accueil. Si les migrants forcés font
des efforts pour s'intégrer à la société d'accueil,
ils ne peuvent réussir rapidement une bonne intégration sans de
bonnes politiques d'accueil, d'assistance et d'aide à
l'intégration.
2.1.3. Vue d'ensemble
La revue de la littérature sur la migration
forcée montre que parmi les facteurs individuels qui influencent le
retour du migrant forcé, la formation et donc l'éducation qui
permet l'accès à un travail rémunéré reste
déterminant. De même, l'amélioration des conditions de vie
dans le milieu d'origine du migrant forcé reste
prépondérante. En fait, il s'agit prioritairement du
rétablissement de la sécurité et de la reconstruction des
infrastructures endommagées au moment du départ. Concernant les
facteurs économiques, l'emploi donc l'activité économique,
est la principale variable qui influence la décision de retour du
migrant forcé. En fait, les individus sont plus disposés à
retourner lorsque les structures d'accueil (de santé, d'éducation
et de logement) sont rétablies dans les milieux d'origine du migrant
forcé.
2.2. Hypothèse principale et cadre
conceptuel
A la lumière de la revue de littérature, nous
postulons que les contextes du milieu d'origine et du milieu d'accueil
influencent directement les intentions des IDPs de retourner dans leurs
villages d'origine ou par l'intermédiaire de leurs
caractéristiques individuelles. Il découle de cette
hypothèse le schéma conceptuel suivant:
Figure 2.1: Schéma conceptuel de l'intention de
retour des IDPs.
Contexte du milieu d'origine
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Intention de retourner au village
d'origine
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Contexte du milieu d'accueil
Notre schéma conceptuel montre que les contextes du
milieu d'origine et du milieu d'accueil influencent directement sur les
intentions de retour ou à travers les caractéristiques
individuelles des IDPs qui déterminent ensuite leurs intentions de
retour dans leurs villages d'origine. En effet, l'environnement dans lequel
vivaient les IDPs ainsi que celui où elles vivent actuellement affectent
leurs activités, ce qui influence leurs intentions de retour. Ces
contextes peuvent directement influencer intentions de retourner dans son
village d'origine. Par exemple, il est difficile de vivre dans un milieu
où il y a l'insécurité.
Mais en général, la littérature montre
que lorsque les conditions de vie sont améliorées dans les
milieux d'origine, les intentions sont favorables au retour. Dans ce cas, il
s'agit d'un retour librement consenti ou volontaire. Mais il peut arriver que
pour des raisons politiques, des IDPs soient forcés à retourner
dans leurs villages d'origine. Il s'agit d'un retour forcé qui
s'opère généralement contre le gré des IDPs puisque
les problèmes qui sont à l'origine de leurs départs n'ont
pas été résolus.
2.3. Définition des concepts
Les concepts à définir dans le cadre de notre
étude sont les suivants: le contexte du milieu d'origine et du milieu
d'accueil et les caractéristiques individuelles. Les dimensions ainsi
que les indicateurs de ces concepts sont rassemblés dans le tableau
suivant :
2.3.1. Contexte du milieu d'origine
Nous entendons par contexte du milieu d'origine,
l'environnement dans lequel vivaient les IDPs avant leur fuite ainsi que
l'ensemble des évènements qui ont été à
l'origine de leur départ et des conditions de leur départ. Les
évènements ayant présidé au départ des IDPs
seront appréhendés à travers les causes de leur
déplacement. Quant aux conditions du départ, elles seront saisies
à travers la perte des biens.
2.3.2. Contexte du milieu d'accueil
Nous définissons le contexte du milieu d'accueil comme
étant l'environnement dans lequel vivent les IDPs et leurs conditions de
vie. Les conditions de vie des IDPs dans le milieu d'accueil seront
appréhendées à travers l'accès à l'eau
potable et de la possession de terre cultivable dans le site.
2.3.3. Caractéristiques individuelles
Il s'agit des caractéristiques d'identification
sociale, des caractéristiques socioéconomiques et
démographiques des IDPs. Une personne déplacée est
identifiée sur le plan social par son ethnie. Ses
caractéristiques socioéconomiques sont saisies à travers
son activité économique et son niveau d'instruction. Ses
caractéristiques démographiques sont saisies à travers son
âge, son état matrimonial et son statut dans le ménage.
Tableau 2.1: Synthèse des définitions des
concepts
Concepts
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Dimensions
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Indicateurs
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Contexte du
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Evènements à l'origine du départ
|
Causes du déplacement
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milieu d'origine
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Conditions de départ
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- Perte de biens
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Contexte du
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Conditions de vie
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- Accès à l'eau potable
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milieu d'accueil
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- Possession de terre cultivable
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Caractéristiques
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Sociale
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Ethnie
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individuelles
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- Age
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Démographique
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- Sexe
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- Etat matrimonial
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- Statut dans le ménage
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Socioéconomique
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- Activité économique
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- Niveau d'instruction
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2.4. Hypothèses spécifiques et variables
d'analyse 2.4.1. Hypothèses spécifiques
De façon spécifique, nous postulons que:
> H1 : Les IDPs marié(e)s ont plus de
chance de manifester le désir de retourner dans leurs villages d'origine
que les IDPs célibataires.
> H2 : Les IDPs exerçant dans
l'agriculture ont plus de chance de manifester le désir de retourner
dans leurs villages d'origine que les IDPs sans emploi.
> H3 : Les personnes déplacées
de sexe masculin ont une propension plus grande à manifester le
désir de retourner dans leurs villages d'origine que celles de sexe
féminin.
> H4 : Les IDPs ayant accès
à l'eau potable dans le milieu d'accueil ont plus de chance de ne pas
manifester le désir de retourner dans leur village d'origine que celles
qui n'ont pas accès.
> H5 : Les IDPs qui ont reçu un lopin
de terre cultivable ont moins de chance d'exprimer le désir de retourner
dans leurs villages d'origine que celles n'ayant pas reçu.
> H6 : Les IDPs ayant perdu leurs biens
pendant la fuite ont moins de chance d'exprimer le désir de retourner
dans leurs villages d'origine que celles qui n'ont rien perdu.
2.4.2. Variables d'analyse de l'étude
a) Variable dépendante
La variable à expliquer est « A l'intention
de retourner au village d'origine ». Elle prend la valeur 0 si la
personne déplacée a l'intention de retourner dans son village
d'origine et 1 si elle n'a pas l'intention. Il s'agit du projet personnel de
chaque IDP par rapport à son retour dans son village d'origine. Cette
variable a été directement saisie pendant l'enquête
grâce à la question posée à chaque IDP sur son
intention de retourner dans son village d'origine. Cette question a permis de
classer les IDPs en deux catégories: ceux qui sont favorables au retour
dans leurs villages d'origine et ceux qui ne le sont pas.
b) Variables indépendantes
Les variables indépendantes sont celles qui rendent
compte des conditions de vie dans le milieu d'accueil et des conditions et
évènements ayant présidé au départ des IDPs
de leurs villages d'origine. Concernant les conditions de vie dans le milieu
d'accueil, les variables retenues dans l'analyse sont : accès à
l'eau potable et possession de terre cultivable. En ce qui concerne les
conditions et les évènements ayant présidé au
départ de l'IDP, il s'agit des causes du déplacement des IDPs et
de la perte des biens au moment du départ.
Pour ce qui est des caractéristiques individuelles,
cette étude retient l'ethnie, l'âge, le sexe, le niveau
d'instruction, l'activité économique, l'état matrimonial
et le statut des IDPs dans le ménage.
Figure 2.2: Schéma d'analyse de
l'étude
Causes du
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Perte de
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Accès à
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Possession de
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déplaceme
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biens
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l'eau potable
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terre cultivable
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Etat matrimonial
Statut dans le ménage
A l'intention de retourner dans son village
d'origine
Niveau d'instruction
Activité économique
Synthèse partielle
En parcourant les littératures sur la migration
forcée, nous pouvons noter que les individus ou groupes d'individus sont
forcés à quitter leurs pays ou milieu d'origine suite à
des situations qui menacent leur survie. La théorie
ethno-réaliste fait donc état de la peur et du dilemme de
sécurité pour expliquer ce type de migration. En cherchant des
solutions durables à ce type de migration, de l'UNHCR met en place une
approche intégrée qui permet d'intervenir en amont et en aval des
problèmes du déplacement forcé.
De ces deux théories, il en découle que les
caractéristiques individuelles du migrant forcé, ses milieux de
départ et d'accueil sont les déterminants de la migration
forcée. L'approche ethno-réaliste et l'approche de l'UNHCR
reconnaissent le rôle des facteurs économiques dans la
décision de retour du migrant forcé et expliquent que la
décision du retour volontaire est prise compte tenu des situations qui
ont poussé les migrants forcés à quitter leurs milieux
d'origine. La revue de la littérature présente l'activité
économique et la sécurité comme des facteurs
associés à la décision de retour du migrant
forcé.
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