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Les déterminants des intentions de retour des personnes déplacées internes à  l'est du Tchad

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par Chiackre BREYE
Institut de Formation et de Recherche Démographiques (IFORD), Université de Yaoundé II (SOA) - DESS en Démographie 2007
  

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CHAPITRE I: ELEMENTS DU CONTEXTE GENERAL

Situé au coeur de l'Afrique entre le 8ème et le 23ème degré de latitude Nord et le 14ème et le 24ème degré de longitude Est, le Tchad couvre une superficie de 1 284 000 Km2. Il est limité au Nord par la Libye, à l'Est par le Soudan, au Sud par la République Centrafricaine et à l'Ouest par le Cameroun, le Nigeria et le Niger. Le pays est enclavé et ne dispose d'aucun accès à la mer. Le port le plus utilisé est celui de Douala (Cameroun), situé à environ 2.000 km de N'Djaména, la capitale.

Selon le recensement de la population et de l'habitat (RGPH) de 1993, le Tchad compte une population d'environ 6,3 millions d'habitants dont 80,0% vit en milieu rural. Parmi cette tranche de la population rurale, la majorité vit dans une situation d'extrême pauvreté. La croissance démographique de 2,5% par an, liée au faible niveau de développement et à une politique de population encore embryonnaire, constitue une contrainte réelle pour la progression du revenu par habitant estimé à 254 $ US soit 152 400 FCFA (1$ = 600 FCFA).

La densité de 4,9 habitants au km2 en moyenne cache une grande disparité entre les différentes régions du pays. En effet, elle est de 0,12 habitants au km2 pour la région du Borkou, Ennedi Tibesti (BET) et de plus de 50 habitants au km2 pour celle du Logone Occidental et Oriental. Il résulte de cette situation une forte pression sur les terres dans la partie méridionale du pays, où on observe d'une part, une importante dégradation de l'environnement avec une baisse de la fertilité des sols et d'autre part, des conflits agriculteurs/éleveurs pour l'exploitation des ressources qui tendent à se généraliser.

Le pays est marqué par des décennies de guerres civiles dont la conséquence principale est l'insécurité généralisée dans le pays. De plus, sa situation au coeur du continent africain lui impose des conditions physiques qui influencent négativement la plupart des activités économiques. En 2003, l'exploitation de l'or noir donnait l'espoir au peuple Tchadien par rapport au développement du pays mais cet espoir s'est vite brisé à cause de l'insécurité aggravée par l'exploitation de cette ressource.

1.1. Territoire composite au centre de l'Afrique

Située au coeur de l'Afrique et au carrefour de civilisations entre l'Afrique blanche arabe et l'Afrique noire, l'ancienne colonie française du Tchad, indépendante depuis 1960, présente l'une des situations géopolitiques les plus compliquées du continent. Depuis un quart de siècle, la confusion de guerres civiles à répétition et la complication des interventions militaires françaises ont obscurci les problèmes d'un pays pauvre et enclavé, sans ressources d'exportation, et dont l'unité nationale, beaucoup plus fictive que réelle, est menacée par l'opposition entre un Nord musulman et un Sud animiste et partiellement christianisé.

Le Tchad a hérité de frontières inégalement complexes (cf carte 1.1). A l'Ouest, la délimitation avec le Niger, grossièrement Nord-Sud, traverse des étendues désertiques. A l'Est, la frontière avec le Soudan a été établie avec soin en 1924 par une mission franco-britannique qui s'efforça de respecter les limites historiques entre Darfour et Ouaddaï, ce qui ne l'empêcha pas de séparer des populations apparentées, comme les Zaghawa. Au sud, la limite administrative avec l'Oubangui a varié au gré des fantaisies de l'administration coloniale. Elle reste aujourd'hui encore très perméable. La frontière avec le Cameroun est la moins conforme à la géographie humaine: elle tranche des populations compactes, les Massa, les Toupouri, les Moundang. Quatre États enfin se partagent la souveraineté sur le lac Tchad: Nigeria, Niger, Cameroun et Tchad. Ce lac, d'autant plus difficile à contrôler que ses contours changent sans cesse en fonction du débit des cours d'eau qui l'alimentent, le Chari et le Logone principalement, est un carrefour de contrebande. Au nord, la frontière tchado-libyenne faisait l'objet de l'un des principaux contentieux frontaliers du continent. Il concerne le territoire contesté dit de la bande d'Aouzou que revendiquait la Libye au titre d'un traité franco-italien de 1935, signé mais jamais ratifié. Il servit, et sert encore, pourtant de prétexte au colonel Kadhafi pour revendiquer ce territoire et intervenir au Tchad. La Libye appuie en outre ses prétentions sur un soi-disant traité secret signé par François Tombalbaye, qui aurait reconnu les droits libyens sur la bande d'Aouzou en échange d'une aide financière substantielle. La question de la bande d'Aouzou constitue un élément politico-militaire inséparable de la crise intérieure tchadienne. En mai 1994, la Cour internationale de justice de La Haye a cependant reconnu les droits du Tchad et, peu après, l'armée libyenne a officiellement évacué la bande d'Aouzou. Ce règlement juridique a incontestablement contribué à apaiser les tensions entre les deux pays, sans pour autant régler définitivement le différend entre les deux pays. Ajoutons que les visées

expansionnistes de Kadhafi ont été facilitées par les divisions intérieures du Tchad: une indépendance ratée a exacerbé les antagonismes ethniques mis en veilleuse pendant la période coloniale. Les raisons profondes de la crise tchadienne résident dans l'opposition, non pas fortuite mais séculaire, entre le Nord et le Sud: comme au Soudan voisin, le Tchad est traversé par la ligne de contact majeure entre les «deux Afriques», la blanche et la noire, la musulmane et l'animiste. Cependant, ni le Nord ni le Sud ne forment des entités homogènes.

Sur le plan intérieur, la division administrative n'a fait que exacerber les tensions déjà vives au sein de la population Tchadienne. En effet, jusqu'en 1999, le Tchad était divisé en 14 préfectures: Batha, Biltine, Borkou-Ennedi-Tibesti, Chari Baguirmi, Guéra, Kanem, Lac, Logone occidental, Logone oriental, Mayo Kébbi, Moyen Chari, Ouaddaï, Salamat et Tandjilé. Par les Décrets 418/PR/MAT/2002 et 419/PR/MAT/2002, le pays est aujourd'hui subdivisé en 18 régions (y compris la ville de N'Djaména qui constitue une région régie par un statut spécial.), 50 départements, 212 sous-préfectures et arrondissements municipaux, 12 sultanats et 471 cantons. Par ces décrets, une même préfecture se trouve subdivisée en plusieurs départements, sans tenir parfois compte des limites historiques et des réalités physiques et culturelles. A titre d'exemple, l'ancienne préfecture du Mayo Kébbi est divisée en quatre (4) départements: département du Mayo Dallah, département du Mayo Boneye, Mayo Lemie et Mont d'Illi. Ainsi, le rattachement de Bider (une localité peuplée à majorité de Foulbé et situé proche de Léré) à Fianga, chef lieu du département du mont d'Illi n'a pas fait l'unanimité au sein de la population. De même par ces décrets, plusieurs entités administratives se trouvent regroupées sans tenir compte de leurs réalités culturelles. Ce nouveau découpage semble obéir aux besoins politiques plutôt qu'au souci du développement.

Cette subdivision du territoire, bien qu'ayant pour but le développement du pays, a séparé des populations qui se reconnaissent d'une même entité culturelle. De plus, certaines de ces nouvelles entités sont devenues trop petites, facilement gérable bien sûr, mais sans ressources conséquentes. Ce nouveau découpage est source de conflits intercommunautaires qui mettent en déplacement plusieurs personnes. Il serait même l'une des causes lointaines du déplacement à l'Est du pays puisque dans cette partie les mécanismes traditionnels de gestion de conflit se sont effondrés (cf. introduction pour d'amples informations).

Carte 1.1 : Division administrative du Tchad

1.2. Climat, source de conflits agriculteurs/éleveurs

Au Tchad, les précipitations sont provoquées par la rencontre de deux masses d'air tropicales: l'anticyclone de Libye ou Harmattan, vent chaud et sec d'une part et l'anticyclone de Saint Hélène, vent maritime d'autre part. Le balancement de ces deux anticyclones entre le 4e et 20e parallèle nord est à l'origine d'une répartition inégale des précipitations sur le territoire tchadien9. On distingue suivant ce mouvement, trois zones climatiques:

> La zone saharienne au Nord du 15e parallèle qui occupe plus de 63,0% du territoire national est marquée par une très faible pluviométrie (moins de 100 mm par an), et par une végétation de type steppique. Cette faible pluviométrie met en place des sols nus caractérisés par des dunes et des ergs;

> La zone sahélienne comprise entre la zone saharienne au Nord et soudanienne au Sud et s'étendant sur environ 40,0% de la superficie du territoire, reçoit une pluviométrie variant entre 300 et 900 mm par an. La saison pluvieuse dure environ trois mois. La formation végétale qui en résulte est celle de la savane arbustive du type sahélo-soudanien;

Ø La zone soudanienne s'étendant sur 10,0% de la superficie du territoire est celle qui reçoit plus de pluies dans l'année. La pluviométrie tourne autour de 1000 mm par an et peut atteindre parfois 1 200 ou 1 300 mm dans l'extrême Sud (Sarh et Moundou).

Le Tchad oriental constitue de par ses caractéristiques climatiques (climat sahélien) une des zones les plus hostiles du pays: eau difficile d'accès, couvert végétal de type sahélien synonyme de ressources limitées et d'une pluviométrie irrégulière à l'origine de rendements agricoles aléatoires. Ainsi, les activités économiques sont réparties en fonction de ces zones climatiques. En effet, dans la zone saharienne où les pluies sont presque inexistantes, les activités économiques sont rares. Notre zone d'étude se trouve dans la zone sahélienne où le climat y est sahélien au Nord et sahélo-soudanien au Sud avec une alternance de saison sèche et de saison pluvieuse. La pluviométrie annuelle oscille entre 200 mm au Nord à 900 mm au Sud. La végétation dans la partie nord de la Région du Wadi Fira est faite de pseudo steppe et de savane arbustive clairsemée. Les sols sont de faible fertilité à cause des recouvrements

9 BREYE C., Les aménagements hydro-agricoles au Tchad : des tentatives de réduction des crises alimentaires (exemple du périmètre irrigué de Mara), Mémoire de maîtrise en géographie, Université de N'Djaména (Tchad), 2004, p.15.

sableux et offrent ainsi un potentiel agricole limité. Les potentialités agricoles qui déterminent en grande partie les conditions de vie des populations varient sensiblement quand on passe d'une zone à l'autre dans la région. Dans la zone s'étendant au Nord, on estime à moins de 1,0% la superficie des terres aptes à l'agriculture (PAM, 2007, p.12). La partie centrale de la région, Adré, Sud d'Abéché et Am Dam est dotée d'un potentiel agricole très variable avec 10 à 15,0% des superficies aptes à l'agriculture. L'eau est la contrainte principale. Trouver du bois est l'autre source majeure de préoccupation. Elle cristallise les conflits entre réfugiés et populations locales. Autour de chaque camp s'étend une auréole de déforestation. Les solutions mises en oeuvre par les organisations internationales (collecte et distribution de bois mort, essais ponctuels de foyers améliorés et de cuiseurs solaires, plantations d'arbres) ne suffisent pas à empêcher la dégradation.

En saison des pluies, c'est l'excès d'eau qui entrave l'accès aux camps. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM), dont les convois pour approvisionner cette région enclavée partent de Douala (Cameroun) ou de Benghazi (Libye), doit «prépositionner» des vivres pour plusieurs mois à proximité des camps quand les pistes sont rendues impraticables par les crues des ouadis (les cours d'eau temporaires). En août 2007, des pluies exceptionnelles ont détruit des habitations dans les villages et les camps au Sud du Ouaddaï; des inondations ont aussi affecté le camp le plus septentrional, celui d'Ouré Cassoni, dans l'Ennedi Est. La présence de nombreux réfugiés et IDPs donne aussi lieu à des heurts avec les autochtones, d'autant plus que des terres sont attribuées aux allochtones qui souhaitent les mettre en exploitation. Les vallées des ouadis, à la fois terres agricoles, pâturages et source d'eau, font l'objet d'une âpre concurrence.

Par contre, dans la partie méridionale, les potentialités agricoles sont très intéressantes (plus de 30,0% de superficie cultivable). Le Sud de la région du Ouaddaï, constitué du département du Dar Sila et de la partie méridionale du Djourf Al Ahmar enregistre une pluviométrie annuelle supérieure à 500 mm atteignant, dans l'extrême sud, 950 mm durant les années de bonne pluviosité. La végétation est du type savane arborée. C'est donc dans la partie soudanienne qui bénéficie d'une bonne pluviométrie par rapport aux autres, où sont concentrées la plupart des activités économiques.

Cette inégale répartition des pluies dans l'espace et dans le temps est l'une des causes des conflits intercommunautaires au Tchad. En effet, au Tchad oriental, les éleveurs pratiquent

la transhumance, une migration saisonnière entre le nord et le sud. Ils passent la saison des pluies au nord, dans de grandes zones de pâturage de la sous-préfecture nomade d'Arada et de la région du BET (Borkou-Ennedi-Tibesti). Parce que l'eau devient rapidement très rare une fois que les pluies cessent, les troupeaux de chameaux, de petits ruminants et de bovins se mettent alors en route vers le Dar Sila et le Salamat, au Sud. Ces deux régions ont des terres riches et offrent donc des conditions favorables aux populations. Souvent, l'arrivée des éleveurs dans une région est un moment de joie10, mais engendre des conflits entre ces deux modes de vie et systèmes de production. Ces conflits se réglaient à l'amiable par les mécanismes traditionnels, c'est-à-dire que les «Scheiks» discutent l'affaire sous un arbre, autour d'un thé, jusqu'à ce qu'une compensation adéquate soit trouvée pour réparer le dommage subi par la partie lésée. Mais ces dernières années, les violences intercommunautaires qui touchent l'Est du Tchad et surtout l'ingérence des autorités administratives dans ces conflits ont affaibli ces mécanismes de résolution des conflits et, en raison des événements au Darfour voisin et des problèmes politiques internes, ont accru la violence entre ces populations (agriculteur/éleveur).

Aussi, pendant la grande partie de l'année (plus de six mois dans le sud du pays), les paysans tchadiens restent-ils au chômage (à cause de la saison sèche), ce qui accroît la mobilité à l'intérieur du pays. Ainsi, pendant cette période, beaucoup de jeunes envahissent la capitale et autres grands centres urbains pour faire les petits métiers en attendant l'arrivée des pluies. Ce chômage saisonnier constitue l'une des causes principales de l'exode rural au Tchad car certains paysans s'installent définitivement en ville.

1.3. Inégale répartition de la population sur l'ensemble du territoire

Estimée à 6 280 000 habitants (RGPH, 1993), la population du Tchad atteint 9,3 millions en 2005 (DCAP, 2006) pour un taux de croissance de l'ordre de 2,5% par an (RGPH, 1993). Cette population à forte croissance est inégalement répartie sur le territoire national. Environ la moitié de la population (47%) est concentrée sur 10,0% de la superficie du pays. La densité moyenne de la population en 1993 est relativement faible (4,9 habitants au kilomètre carré) et varie de 0,1 habitant au kilomètre carré dans la région du Borkou-Ennedi-Tibesti (BET) à 52 habitants au kilomètre carré dans la région du Logone Occidental. Cette densité

10 Quand le lait, les autres produits des animaux et l'artisanat des éleveurs enrichissent les marchés locaux.

moyenne qui est estimée à 7,2 habitants au kilomètre carré en 2005 s'établira autour de 9,3 habitants au kilomètre carré en 2015 (DCAP, 2006).

Cette inégale densité de population montre que la majeure partie de la population tchadienne est concentrée dans les zones fertiles au sud des fleuves Logone et Chari ainsi que dans les zones urbaines où vivent 23,0% des Tchadiens. La population tchadienne est donc très inégalement répartie dans l'espace géographique national, car il faut comprendre qu'au Tchad comme ailleurs, l'occupation humaine obéit aux conditions climatiques. Cette forte concentration de la population fait pression sur les terres et les pâturages, ce qui provoque une dégradation continue de l'environnement et engendre de conflits entre communautés rurales puisque plus de 80,0% de la population Tchadienne vit de l'agriculture (RGPH, 1993).

La structure par âge et par sexe de cette population montre que les jeunes et les femmes sont les plus nombreux. Au recensement de 1993, les femmes représentaient 52,0% de la population totale. La population âgée de moins de 15 ans représentait 48,0% de la population totale, celle âgée de 15 à 59 ans représentait 47,0% et celle de plus de 60 ans représentait 3,5%. Le niveau de fécondité reste l'un des plus élevés de la sous région et est en hausse. L'indice synthétique de fécondité (nombre moyen d'enfants par femme) passe de 5,1 enfants par femme en 1964 (Service de Statistique, 1966) à 5,6 enfants par femme en 1993 (BCR, 1995) et à 6,6 enfants par femme en 1996-97 (EDST-I, 1996/97).

La population de notre zone d'étude est estimée, au 31 décembre 2006, à 700 000 habitants sur la base du taux national de croissance de 2,5% (Rapport du PAM, 2007, p.12). La densité de la population y était globalement faible. Les données du RPGH de 1993 indiquent que celle-ci varie de 0,7 habitant au km2 (à Adré) à 2,7 habitants au km2 (à Am Dam). Le rapport de masculinité indique qu'on trouvait environ 81,0% (81 hommes pour 100 femmes). La population est très jeune: près de 53,0% de la population avait moins de 15 ans. La zone renferme de nombreux groupes ethniques parlant des langues différentes mais ayant tous, en commun la religion musulmane (Ouaddaïen, Massalite, Arabes, For, Tama, Zaghawa et Dadjo). La répartition de la population active par secteur d'activité indique que 91,0% de celleci relève du secteur primaire. Cette frange de la population vit à la fois de l'agriculture et de l'élevage. Le reste de 9,0% de la population active, essentiellement nomade, pratique uniquement l'élevage. Au Nord et dans la partie centrale de la région ce sont les cultures céréalières sous pluie, l'élevage et le maraîchage qui y dominent. Dans la partie Sud, s'ajoute à

celles-ci, la culture céréalière de décrue (Berbéré). Le secteur secondaire qui se limite principalement aux activités de construction et de production d'électricité ne concerne que 1,0% de la population. Le reste est absorbé par le commerce et les services (administration, ONG, etc.). Ces deux catégories sont essentiellement urbaines.

A l'Est du Tchad, l'augmentation de la population (suite aux déplacements forcés) a dépassé les capacités d'accueil des services de santé et entraîné l'épuisement de ressources vitales telles que l'eau et le combustible. Dans le domaine de la santé, les indicateurs disponibles de santé sont au rouge: 0,6 médecin, 0,9 infirmier diplômé et 0,1 sage femme pour 100 000 habitants11. La plupart des structures de santé sont sous-équipées et manquent de personnel qualifié. Les réfugiés bénéficient d'une assistance internationale mais l'insécurité réduit l'accès et constitue un obstacle aux opérations des humanitaires. Le taux de scolarisation est inférieur à 10,0%.

1.4. Pétrole, nouvel enjeu majeur de la géopolitique tchadienne

Depuis longtemps, le Tchad est resté un pays à vocation agro-pastorale. Son économie est basée essentiellement sur l'agriculture et l'élevage. Les sécheresses des années 80 ont rendu aléatoire la production agricole et pastorale rendant le pays dépendant sur tous les plans. Son environnement économique a été particulièrement inhibant et n'a donc pas permis entre autres de créer des emplois, des richesses ni des revenus, maintenant ainsi de nombreuses personnes en dehors des circuits de production. La croissance a été très faible au cours des dernières décennies. Jusqu'en 1999, elle a rarement excédé plus d'un point le taux de croissance annuelle de la population. Il va de soi que ce rythme de croissance de l'économie ne pouvait créer suffisamment d'emplois pour une population à forte croissance. L'examen des facteurs qui ont limité la croissance montre que la faiblesse du système productif a accusé des lacunes:

> le système est resté figé, basé sur l'agriculture et l'élevage dont les producteurs travaillent avec des outils archaïques et les produits ne subissent aucune transformation pour générer une valeur ajoutée substantielle;

11

PAM, Rapport finale de l'enquête sur les capacités d'autosuffisance alimentaire des réfugiés Soudanais, des personnes déplacées et des populations hôtes à l'Est du Tchad, N'Djaména (Tchad), 2007, p.12.

> ce secteur principal, source de croissance, n'a reçu qu'un volume fort réduit des investissements publics;

> l'entreprenariat privé est embryonnaire et tourné essentiellement vers les activités du commerce.

Dernier né des Etats pétroliers, avec une capacité de production de 250 000 barils/jour, le Tchad s'est ouvert à de nouveaux acteurs, à l'occasion du programme d'exploitation pétrolière inauguré en l'an 2000. Depuis la fin de la construction de l'oléoduc Doba-Kribi en 2003, long de 1 070 kilomètres, le Tchad a vu son taux de croissance économique faire un bond spectaculaire, passant de 1,0% en 2001 à 15,0% en 2004 et 8,0% en 200512. Selon Mr. Geoffrey H. Bergen, Représentant résident de la Banque Mondiale au Tchad (2008), les statistiques officielles montrent que les taux de croissance du PIB ont nettement dépassé les taux de croissance démographique (2,8%) ces dernières années du fait de l'exploitation du pétrole. Par exemple, le PIB par tête a augmenté de 11,0% par an de 2003 à 2006 et le PIB non pétrolier par tête a augmenté de 2,7% par an au cours de la même période. Malgré les promesses inscrites dans ces statistiques, l'exploitation du pétrole (dont la contribution à la croissance du PIB tchadien s'élevait déjà à 33,4% en 2004) ne s'est guère traduite jusqu'à présent dans le quotidien de la population Tchadienne. Plus inquiétant peut être, la mise en chantier de l'exploitation s'est traduite par une hausse brutale de l'inflation (passée de -5,4% en 2003 à un taux moyen de 7,8% pour l'année 2005) et des effets de la dette (passée de 66,0% du revenu national brut en 2003 à 75,0% de ce revenu en 2005).

Les retombées de la rente pétrolière ont généré de très fortes tensions. Les bouleversements socio-économiques introduits par la mise en valeur des champs de pétrole se sont traduits par une aggravation des inégalités tant au niveau des régions qu'au sein de la société civile. Conséquence directe: plus de 60,0% des Tchadiens continuent de vivre au dessous du seuil de la pauvreté. Au Tchad la perturbation des circuits économiques traditionnels entraîne des bouleversements sociaux qui menacent la paix civile, tandis que s'approfondit le fossé entre la masse paysanne et les bénéficiaires de la rente pétrolière. La crise du Darfour ne fait que renforcer cette perception aggravant des clivages inter-tchadiens qu'attestent en leur plan la multiplication des tensions au sein de l'armée : compte tenu de ses

12

MASCRÉ D., « Course aux hydrocarbures, crise du Darfour, déstabilisation régionale: Le Tchad entre jeux pétroliers et jeux guerriers », in Géopolitique africaine, paris (France), 2007, p.6.

effectifs (environ 30 000 hommes, certaines estimations parlent de 50 000) et des divisions qui la minent, on comprend pourquoi celle-ci revendique la part du lion du gâteau pétrolier. C'est à l'actif de ces différents paramètres qu'il faut placer les événements qui se sont produits au Tchad en 2006 et qui ont fait de ce pays le nouveau théâtre des jeux pétroliers et guerriers.

Ainsi, l'espoir de développement suscité avec l'exploitation de l'or noir va-t-il se poursuivre? Déjà parmi la classe politique et la société civile, des voix s'élèvent pour décrier la gestion de la manne pétrolière. En effet, comme partout dans le monde, le pétrole semble être une malédiction pour le peuple tchadien. S'il semble être admis aujourd'hui que la guerre est entrée dans la tradition des Tchadiens, les troubles provoqués ces derniers temps prennent une intensité jamais égalée. Seulement en cinq (5) ans après l'exploitation du pétrole (2003-2008), le Tchad a enregistré plusieurs mouvements rebelles et connu plus de deux coups d'Etat manqués. La dernière offensive des rebelles en date du 2 au 3 février 2008 a encore jeté des milliers de Tchadiens sur la route de l'exil (dont la grande partie à Kousseri au Cameroun). Toutes ces années de guerre civile ont freiné le développement économique et social du pays car l'on s'est plus préoccupé de la sécurité au détriment des autres dimensions du développement.

Concernant le cas particulier du Tchad oriental où se trouvent les réfugiés et les IDPs, il faut signaler que l'afflux de l'aide internationale dans cette région pauvre déstabilise l'économie et la société. Les populations locales, dont certaines sont venues en aide aux réfugiés avant l'arrivée des organisations internationales, sont plus démunies que leurs hôtes désormais nourris, soignés et éduqués dans les camps. Les projets qui leur sont peu à peu destinés sont inaptes à répondre à l'ensemble des besoins.

Sur le plan social, le Tchad est classé au 166ème rang sur 174 pays les plus pauvres du monde et son indice de développement humain (0,403) établi par le PNUD en 2004 est l'un des plus faibles. Le niveau de pauvreté de la population Tchadienne n'a cessé de s'aggraver au cours des trois dernières décennies. Selon les données de l'enquête ECOSIT réalisée en 1999, le seuil de pauvreté globale au niveau national est estimé à 218 F CFA par jour et par personne. Ce seuil est largement inférieur au seuil de pauvreté globale standard international qui est de un (1) dollar (soit 600 F CFA) par jour et par personne. Sur la base de ces données, on peut considérer qu'au moins un Tchadien sur deux n'a pas de revenus suffisants pour satisfaire ses besoins essentiels. En 2000 (rapport du PNUD), on estime à 54,0% la population se trouvant en

dessous du seuil de pauvreté, seulement 16 à 20,0% des enfants bénéficient d'une couverture vaccinale, près de 90,0% de l'habitat est sensible aux intempéries, seulement 30,0% de la population a accès à l'eau potable, 1,0% a accès à l'énergie électrique, moins de 10,0% bénéficie de services de l'assainissement, une partie importante de la population vit une insécurité alimentaire chronique, des maladies épidémiques et endémiques (parmi lesquelles la pandémie du VIH/SIDA) auraient frappé 1.704 personnes et fait 55.000 orphelins.

1.5. Instabilité politique, facteur essentiel de déplacement forcé

Comprendre la situation politique actuelle du Tchad, cela amène naturellement à faire aussi un peu d'histoire pour revenir sur les logiques spatiales des conflits d'apparence cyclique qui n'en finissent pas de ruiner ce pays. Ces conflits cycliques inhérents au système politique tchadien ont pour ressorts des tensions internes et externes. Selon Bichara Idriss Haggar (2007)13, «Le Tchad était déjà mal parti dès son indépendance puisque le président Tombalbaye a choisi l'autoritarisme et le parti unique comme système de gouvernement. Système qui n'a contribué à créer ni l'unité et la stabilité politique, ni le développement économique. Au contraire, il a exacerbé les contradictions de la société qui ont fini par engendrer le mal tchadien, dont le pays continue à souffrir jusqu'à maintenant».

Depuis les années 1980, la Libye considère le Tchad comme un espace d'influence naturel. Les desseins politiques libyens ont certes été longtemps contrariés par des Tchadiens indociles. Dans le domaine économique, cependant, les Libyens sont aujourd'hui très présents à N'Djaména, où ils possèdent entre autres banques, hôtels, stations services et immeubles. Pour le Soudan, de même, le Tchad est considéré comme une marge à maîtriser (De Waal 2008). Idriss Déby bénéficia, en 1990, d'importants soutiens soudanais pour prendre le pouvoir (Géraud Magrin, 2008). Les influences islamistes du Soudan d'Hassan El Tourabi trouvèrent au Tchad un certain écho au début des années 1990. Des relations d'affaires plus ou moins fructueuses suivirent autour de l'exploitation du petit gisement de pétrole du lac Tchad ou de la construction d'un deuxième pont sur le Chari à N'Djaména. Après une période d'éloignement sans conséquence, c'est le Darfour qui, à partir de 2004, resserra l'écheveau conflictuel des relations tchado-soudanaises. Le Soudan reprocha au Tchad d'appuyer la rébellion au nom de

13 Voir Bichara Idriss Haggar, Histoire politique du Tchad sous le régime du président François Tombalbaye, 1960-1975: déjà, le Tchad était mal parti!, L'Harmattan. Collection Pour mieux connaître le Tchad -10 décembre 2007, pour d'amples informations.

la solidarité au sein du groupe Zaghawa, auquel appartient Idriss Déby. En retour, le Soudan se mit à appuyer les rébellions tchadiennes (Debos, 2007). Le calendrier de déploiement dans l'Est du Tchad de la force européenne de protection des réfugiés du Darfour (Eufor) que Khartoum a mal apprécié, semble bien avoir influencé celui de la récente offensive sur N'Djaména. La politique de la France est plus difficile à comprendre. Depuis qu'Elf a quitté le consortium d'exploitation du pétrole de Doba en 1999, elle n'a plus d'intérêts économiques dans ce pays très pauvre. Elle proclame par ailleurs qu'elle n'a plus vocation à être le gendarme de l'Afrique. Mais les milieux militaires ne semblent pas les moins attachés au maintien d'une base dans ce pays. L'opération Epervier, après d'autres équivalentes, entretient à N'Djaména un millier d'hommes depuis la guerre contre la Libye des années 1980. Pour certains officiers généraux, le Tchad est resté ce que fut longtemps la région désertique du BET (Borkou Ennedi Tibesti): un territoire militaire, rude terre à nomades belliqueux combattus et respectés, administré avec une fermeté teintée de paternalisme (Magrin G., 2008). Au-delà des sentiments et des considérations corporatistes, l'espace compte: le désert tchadien est un terrain vaste comme la France, où on peut s'entraîner, faire voler ses avions à très basse altitude et expérimenter des armes sans craindre de gêner.

Mais la géopolitique des conflits tchadiens procède avant tout de mécanismes internes. Une vision classique est souvent proposée: le découpage étatique colonial a artificiellement réuni une multitude de peuples qui ne partageaient rien (langue, culture, religion). Pire, on a enfermé ensemble des groupes aux passés conflictuels, de part et d'autre de la ligne de l'islam majoritaire, séparant sociétés esclavagistes et populations victimes des premières. Cette représentation a sa part de vérité, mais elle doit aussi beaucoup à des constructions idéologiques ultérieures (Magrin G., 2001). Elle est loin de suffire à expliquer les conflits actuels.

La géopolitique interne tchadienne est couramment résumée à l'opposition Nord/Sud. Au Nord (en fait le Sahel et le Sahara, qui couvrent près des neuf dixièmes de la superficie du pays), des Musulmans héritiers des royaumes sahéliens et de sociétés de pasteurs nomades, au Sud des paysans Chrétiens ou animistes, issus de sociétés segmentaires sédentaires. Les premiers représentent sans doute un peu plus de la moitié de la population. L'engouement des jeunes originaires du Sud pour l'école moderne leur aurait permis de s'emparer des commandes de l'Etat indépendant. Les premiers troubles de la fin des années 1960 marqueraient la revanche du Nord sur le Sud, consacrée par la victoire du FROLINAT (Front

de libération nationale du Tchad) en 1979 et la reprise du pouvoir par «le Nord». Si cette représentation est largement partagée au Tchad, elle n'en demeure pas moins très simpliste, insuffisante à rendre compte des lignes de fracture complexes qui traversent la société tchadienne (Magrin, 2002). Ces identités de «nordiste» et «sudiste» ont été instrumentalisées à certains moments des crises tchadiennes par des chefs qui y voyaient un moyen de mobilisation efficace à leur profit. En cela, le Tchad n'est pas original en Afrique.

Mais la relative spécificité de la situation tchadienne (la triste régularité du cycle de la violence, sur plusieurs décennies, qui apparaît comme attribut d'un système original) incite à chercher d'autres clés de lecture. Alors que clichés et caricatures ethno-régionales ne manquent pas pour rendre compte de l'imbroglio tchadien (qu'ils soient élaborés du dehors ou propres aux Tchadiens eux-mêmes (Centre Al Mouna, 1996)), il est étonnant que les explications mettant en relation les rapports de l'Etat et les types de sociétés n'aient guère été proposées.

La conséquence directe de cette vie politique marquée par l'instabilité permanente est le déplacement massif du peuple tchadien des villes vers les campagnes et du Tchad vers l'étranger (des exils). Cette vie politique troublée dont les points culminants furent la guerre civile de 1979 et les coups d'Etat successivement manqués de 2006 et 2008 a provoqué un déplacement massif des Tchadiens. Si les plus nantis ont pu franchir les frontières pour trouver refuge à l'étranger, une bonne partie des personnes victimes de ces troubles s'est déplacée à l'intérieur du pays. Mais s'il est vrai que l'instabilité politique est l'une des causes des déplacements forcés au Tchad, le déplacement actuel à l'Est du Tchad demeure la conséquence immédiate de la régionalisation du conflit du Darfour qui a provoqué le déplacement forcé de plus de 172 600 personnes au Tchad, victimes principalement des attaques des «janjaweeds» et des violences inter-ethniques. Ces personnes vivent dans le dénuement le plus total, d'autant que les autorités tchadiennes semblent incapables de répondre à l'urgence des besoins14.

14 FIDH, Rapport de mission au Darfour, Genève (Suisse), 2007, p.19.

Synthèse partielle

Pays au coeur du continent africain, le Tchad subit l'influence de cette continentalité sur tous les aspects de la vie socio-économique.

Sur le plan physique, le pays est soumis à un climat tropical caractérisé par deux saisons de durée très inégale, cause d'une grande mobilité des jeunes vers les grandes villes. La courte durée de la saison de pluies influence négativement les activités agricoles et pastorales longtemps sources principales de revenus du pays. Sur le plan démographique, les conditions climatiques ont provoquée une répartition inégale de la population sur le territoire créant ainsi une zone densément peuplée au Sud du pays. Sur le plan économique, le démarrage récent de l'exploitation de l'or noir vient de mettre le pays sur la voie de la croissance mais la situation politique caractérisée par un tourbillon de violences depuis l'indépendance n'a cessé de mettre les Tchadiens en fuite sapant ainsi l'amorce du développement du pays.

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