CHAPITRE I: ELEMENTS DU CONTEXTE GENERAL
Situé au coeur de l'Afrique entre le
8ème et le 23ème degré de latitude
Nord et le 14ème et le 24ème degré
de longitude Est, le Tchad couvre une superficie de 1 284 000 Km2.
Il est limité au Nord par la Libye, à l'Est par le Soudan, au Sud
par la République Centrafricaine et à l'Ouest par le Cameroun, le
Nigeria et le Niger. Le pays est enclavé et ne dispose d'aucun
accès à la mer. Le port le plus utilisé est celui de
Douala (Cameroun), situé à environ 2.000 km de N'Djaména,
la capitale.
Selon le recensement de la population et de l'habitat (RGPH)
de 1993, le Tchad compte une population d'environ 6,3 millions d'habitants dont
80,0% vit en milieu rural. Parmi cette tranche de la population rurale, la
majorité vit dans une situation d'extrême pauvreté. La
croissance démographique de 2,5% par an, liée au faible niveau de
développement et à une politique de population encore
embryonnaire, constitue une contrainte réelle pour la progression du
revenu par habitant estimé à 254 $ US soit 152 400 FCFA (1$ = 600
FCFA).
La densité de 4,9 habitants au km2 en
moyenne cache une grande disparité entre les différentes
régions du pays. En effet, elle est de 0,12 habitants au km2
pour la région du Borkou, Ennedi Tibesti (BET) et de plus de 50
habitants au km2 pour celle du Logone Occidental et Oriental. Il
résulte de cette situation une forte pression sur les terres dans la
partie méridionale du pays, où on observe d'une part, une
importante dégradation de l'environnement avec une baisse de la
fertilité des sols et d'autre part, des conflits
agriculteurs/éleveurs pour l'exploitation des ressources qui tendent
à se généraliser.
Le pays est marqué par des décennies de guerres
civiles dont la conséquence principale est l'insécurité
généralisée dans le pays. De plus, sa situation au coeur
du continent africain lui impose des conditions physiques qui influencent
négativement la plupart des activités économiques. En
2003, l'exploitation de l'or noir donnait l'espoir au peuple Tchadien par
rapport au développement du pays mais cet espoir s'est vite brisé
à cause de l'insécurité aggravée par l'exploitation
de cette ressource.
1.1. Territoire composite au centre de
l'Afrique
Située au coeur de l'Afrique et au carrefour de
civilisations entre l'Afrique blanche arabe et l'Afrique noire, l'ancienne
colonie française du Tchad, indépendante depuis 1960,
présente l'une des situations géopolitiques les plus
compliquées du continent. Depuis un quart de siècle, la confusion
de guerres civiles à répétition et la complication des
interventions militaires françaises ont obscurci les problèmes
d'un pays pauvre et enclavé, sans ressources d'exportation, et dont
l'unité nationale, beaucoup plus fictive que réelle, est
menacée par l'opposition entre un Nord musulman et un Sud animiste et
partiellement christianisé.
Le Tchad a hérité de frontières
inégalement complexes (cf carte 1.1). A l'Ouest, la délimitation
avec le Niger, grossièrement Nord-Sud, traverse des étendues
désertiques. A l'Est, la frontière avec le Soudan a
été établie avec soin en 1924 par une mission
franco-britannique qui s'efforça de respecter les limites historiques
entre Darfour et Ouaddaï, ce qui ne l'empêcha pas de séparer
des populations apparentées, comme les Zaghawa. Au sud, la limite
administrative avec l'Oubangui a varié au gré des fantaisies de
l'administration coloniale. Elle reste aujourd'hui encore très
perméable. La frontière avec le Cameroun est la moins conforme
à la géographie humaine: elle tranche des populations compactes,
les Massa, les Toupouri, les Moundang. Quatre États enfin se partagent
la souveraineté sur le lac Tchad: Nigeria, Niger, Cameroun et Tchad. Ce
lac, d'autant plus difficile à contrôler que ses contours changent
sans cesse en fonction du débit des cours d'eau qui l'alimentent, le
Chari et le Logone principalement, est un carrefour de contrebande. Au nord, la
frontière tchado-libyenne faisait l'objet de l'un des principaux
contentieux frontaliers du continent. Il concerne le territoire contesté
dit de la bande d'Aouzou que revendiquait la Libye au titre d'un traité
franco-italien de 1935, signé mais jamais ratifié. Il servit, et
sert encore, pourtant de prétexte au colonel Kadhafi pour revendiquer ce
territoire et intervenir au Tchad. La Libye appuie en outre ses
prétentions sur un soi-disant traité secret signé par
François Tombalbaye, qui aurait reconnu les droits libyens sur la bande
d'Aouzou en échange d'une aide financière substantielle. La
question de la bande d'Aouzou constitue un élément
politico-militaire inséparable de la crise intérieure tchadienne.
En mai 1994, la Cour internationale de justice de La Haye a cependant reconnu
les droits du Tchad et, peu après, l'armée libyenne a
officiellement évacué la bande d'Aouzou. Ce règlement
juridique a incontestablement contribué à apaiser les tensions
entre les deux pays, sans pour autant régler définitivement le
différend entre les deux pays. Ajoutons que les visées
expansionnistes de Kadhafi ont été
facilitées par les divisions intérieures du Tchad: une
indépendance ratée a exacerbé les antagonismes ethniques
mis en veilleuse pendant la période coloniale. Les raisons profondes de
la crise tchadienne résident dans l'opposition, non pas fortuite mais
séculaire, entre le Nord et le Sud: comme au Soudan voisin, le Tchad est
traversé par la ligne de contact majeure entre les «deux
Afriques», la blanche et la noire, la musulmane et l'animiste. Cependant,
ni le Nord ni le Sud ne forment des entités homogènes.
Sur le plan intérieur, la division administrative n'a
fait que exacerber les tensions déjà vives au sein de la
population Tchadienne. En effet, jusqu'en 1999, le Tchad était
divisé en 14 préfectures: Batha, Biltine, Borkou-Ennedi-Tibesti,
Chari Baguirmi, Guéra, Kanem, Lac, Logone occidental, Logone oriental,
Mayo Kébbi, Moyen Chari, Ouaddaï, Salamat et Tandjilé. Par
les Décrets 418/PR/MAT/2002 et 419/PR/MAT/2002, le pays est aujourd'hui
subdivisé en 18 régions (y compris la ville de N'Djaména
qui constitue une région régie par un statut spécial.), 50
départements, 212 sous-préfectures et arrondissements municipaux,
12 sultanats et 471 cantons. Par ces décrets, une même
préfecture se trouve subdivisée en plusieurs départements,
sans tenir parfois compte des limites historiques et des réalités
physiques et culturelles. A titre d'exemple, l'ancienne préfecture du
Mayo Kébbi est divisée en quatre (4) départements:
département du Mayo Dallah, département du Mayo Boneye, Mayo
Lemie et Mont d'Illi. Ainsi, le rattachement de Bider (une localité
peuplée à majorité de Foulbé et situé proche
de Léré) à Fianga, chef lieu du département du mont
d'Illi n'a pas fait l'unanimité au sein de la population. De même
par ces décrets, plusieurs entités administratives se trouvent
regroupées sans tenir compte de leurs réalités
culturelles. Ce nouveau découpage semble obéir aux besoins
politiques plutôt qu'au souci du développement.
Cette subdivision du territoire, bien qu'ayant pour but le
développement du pays, a séparé des populations qui se
reconnaissent d'une même entité culturelle. De plus, certaines de
ces nouvelles entités sont devenues trop petites, facilement
gérable bien sûr, mais sans ressources conséquentes. Ce
nouveau découpage est source de conflits intercommunautaires qui mettent
en déplacement plusieurs personnes. Il serait même l'une des
causes lointaines du déplacement à l'Est du pays puisque dans
cette partie les mécanismes traditionnels de gestion de conflit se sont
effondrés (cf. introduction pour d'amples informations).
Carte 1.1 : Division administrative du Tchad
1.2. Climat, source de conflits
agriculteurs/éleveurs
Au Tchad, les précipitations sont provoquées par
la rencontre de deux masses d'air tropicales: l'anticyclone de Libye ou
Harmattan, vent chaud et sec d'une part et l'anticyclone de Saint
Hélène, vent maritime d'autre part. Le balancement de ces deux
anticyclones entre le 4e et 20e parallèle nord est
à l'origine d'une répartition inégale des
précipitations sur le territoire tchadien9. On distingue
suivant ce mouvement, trois zones climatiques:
> La zone saharienne au Nord du 15e
parallèle qui occupe plus de 63,0% du territoire national est
marquée par une très faible pluviométrie (moins de 100 mm
par an), et par une végétation de type steppique. Cette faible
pluviométrie met en place des sols nus caractérisés par
des dunes et des ergs;
> La zone sahélienne comprise entre la zone
saharienne au Nord et soudanienne au Sud et s'étendant sur environ 40,0%
de la superficie du territoire, reçoit une pluviométrie variant
entre 300 et 900 mm par an. La saison pluvieuse dure environ trois mois. La
formation végétale qui en résulte est celle de la savane
arbustive du type sahélo-soudanien;
Ø La zone soudanienne s'étendant sur 10,0% de
la superficie du territoire est celle qui reçoit plus de pluies dans
l'année. La pluviométrie tourne autour de 1000 mm par an et peut
atteindre parfois 1 200 ou 1 300 mm dans l'extrême Sud (Sarh et
Moundou).
Le Tchad oriental constitue de par ses caractéristiques
climatiques (climat sahélien) une des zones les plus hostiles du pays:
eau difficile d'accès, couvert végétal de type
sahélien synonyme de ressources limitées et d'une
pluviométrie irrégulière à l'origine de rendements
agricoles aléatoires. Ainsi, les activités économiques
sont réparties en fonction de ces zones climatiques. En effet, dans la
zone saharienne où les pluies sont presque inexistantes, les
activités économiques sont rares. Notre zone d'étude se
trouve dans la zone sahélienne où le climat y est sahélien
au Nord et sahélo-soudanien au Sud avec une alternance de saison
sèche et de saison pluvieuse. La pluviométrie annuelle oscille
entre 200 mm au Nord à 900 mm au Sud. La végétation dans
la partie nord de la Région du Wadi Fira est faite de pseudo steppe et
de savane arbustive clairsemée. Les sols sont de faible fertilité
à cause des recouvrements
9 BREYE C., Les aménagements
hydro-agricoles au Tchad : des tentatives de réduction des crises
alimentaires (exemple du périmètre irrigué de Mara),
Mémoire de maîtrise en géographie, Université de
N'Djaména (Tchad), 2004, p.15.
sableux et offrent ainsi un potentiel agricole limité.
Les potentialités agricoles qui déterminent en grande partie les
conditions de vie des populations varient sensiblement quand on passe d'une
zone à l'autre dans la région. Dans la zone s'étendant au
Nord, on estime à moins de 1,0% la superficie des terres aptes à
l'agriculture (PAM, 2007, p.12). La partie centrale de la région,
Adré, Sud d'Abéché et Am Dam est dotée d'un
potentiel agricole très variable avec 10 à 15,0% des superficies
aptes à l'agriculture. L'eau est la contrainte principale. Trouver du
bois est l'autre source majeure de préoccupation. Elle cristallise les
conflits entre réfugiés et populations locales. Autour de chaque
camp s'étend une auréole de déforestation. Les solutions
mises en oeuvre par les organisations internationales (collecte et distribution
de bois mort, essais ponctuels de foyers améliorés et de cuiseurs
solaires, plantations d'arbres) ne suffisent pas à empêcher la
dégradation.
En saison des pluies, c'est l'excès d'eau qui entrave
l'accès aux camps. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM), dont les
convois pour approvisionner cette région enclavée partent de
Douala (Cameroun) ou de Benghazi (Libye), doit
«prépositionner» des vivres pour plusieurs mois à
proximité des camps quand les pistes sont rendues impraticables par les
crues des ouadis (les cours d'eau temporaires). En août 2007,
des pluies exceptionnelles ont détruit des habitations dans les villages
et les camps au Sud du Ouaddaï; des inondations ont aussi affecté
le camp le plus septentrional, celui d'Ouré Cassoni, dans l'Ennedi Est.
La présence de nombreux réfugiés et IDPs donne aussi lieu
à des heurts avec les autochtones, d'autant plus que des terres sont
attribuées aux allochtones qui souhaitent les mettre en exploitation.
Les vallées des ouadis, à la fois terres agricoles,
pâturages et source d'eau, font l'objet d'une âpre concurrence.
Par contre, dans la partie méridionale, les
potentialités agricoles sont très intéressantes (plus de
30,0% de superficie cultivable). Le Sud de la région du Ouaddaï,
constitué du département du Dar Sila et de la partie
méridionale du Djourf Al Ahmar enregistre une pluviométrie
annuelle supérieure à 500 mm atteignant, dans l'extrême
sud, 950 mm durant les années de bonne pluviosité. La
végétation est du type savane arborée. C'est donc dans la
partie soudanienne qui bénéficie d'une bonne pluviométrie
par rapport aux autres, où sont concentrées la plupart des
activités économiques.
Cette inégale répartition des pluies dans l'espace
et dans le temps est l'une des causes des conflits intercommunautaires au
Tchad. En effet, au Tchad oriental, les éleveurs pratiquent
la transhumance, une migration saisonnière entre le
nord et le sud. Ils passent la saison des pluies au nord, dans de grandes zones
de pâturage de la sous-préfecture nomade d'Arada et de la
région du BET (Borkou-Ennedi-Tibesti). Parce que l'eau devient
rapidement très rare une fois que les pluies cessent, les troupeaux de
chameaux, de petits ruminants et de bovins se mettent alors en route vers le
Dar Sila et le Salamat, au Sud. Ces deux régions ont des terres riches
et offrent donc des conditions favorables aux populations. Souvent,
l'arrivée des éleveurs dans une région est un moment de
joie10, mais engendre des conflits entre ces deux modes de vie et
systèmes de production. Ces conflits se réglaient à
l'amiable par les mécanismes traditionnels, c'est-à-dire que les
«Scheiks» discutent l'affaire sous un arbre, autour d'un thé,
jusqu'à ce qu'une compensation adéquate soit trouvée pour
réparer le dommage subi par la partie lésée. Mais ces
dernières années, les violences intercommunautaires qui touchent
l'Est du Tchad et surtout l'ingérence des autorités
administratives dans ces conflits ont affaibli ces mécanismes de
résolution des conflits et, en raison des événements au
Darfour voisin et des problèmes politiques internes, ont accru la
violence entre ces populations (agriculteur/éleveur).
Aussi, pendant la grande partie de l'année (plus de six
mois dans le sud du pays), les paysans tchadiens restent-ils au chômage
(à cause de la saison sèche), ce qui accroît la
mobilité à l'intérieur du pays. Ainsi, pendant cette
période, beaucoup de jeunes envahissent la capitale et autres grands
centres urbains pour faire les petits métiers en attendant
l'arrivée des pluies. Ce chômage saisonnier constitue l'une des
causes principales de l'exode rural au Tchad car certains paysans s'installent
définitivement en ville.
1.3. Inégale répartition de la population
sur l'ensemble du territoire
Estimée à 6 280 000 habitants (RGPH, 1993), la
population du Tchad atteint 9,3 millions en 2005 (DCAP, 2006) pour un taux de
croissance de l'ordre de 2,5% par an (RGPH, 1993). Cette population à
forte croissance est inégalement répartie sur le territoire
national. Environ la moitié de la population (47%) est concentrée
sur 10,0% de la superficie du pays. La densité moyenne de la population
en 1993 est relativement faible (4,9 habitants au kilomètre
carré) et varie de 0,1 habitant au kilomètre carré dans la
région du Borkou-Ennedi-Tibesti (BET) à 52 habitants au
kilomètre carré dans la région du Logone Occidental. Cette
densité
10 Quand le lait, les autres produits des animaux et
l'artisanat des éleveurs enrichissent les marchés locaux.
moyenne qui est estimée à 7,2 habitants au
kilomètre carré en 2005 s'établira autour de 9,3 habitants
au kilomètre carré en 2015 (DCAP, 2006).
Cette inégale densité de population montre que
la majeure partie de la population tchadienne est concentrée dans les
zones fertiles au sud des fleuves Logone et Chari ainsi que dans les zones
urbaines où vivent 23,0% des Tchadiens. La population tchadienne est
donc très inégalement répartie dans l'espace
géographique national, car il faut comprendre qu'au Tchad comme
ailleurs, l'occupation humaine obéit aux conditions climatiques. Cette
forte concentration de la population fait pression sur les terres et les
pâturages, ce qui provoque une dégradation continue de
l'environnement et engendre de conflits entre communautés rurales
puisque plus de 80,0% de la population Tchadienne vit de l'agriculture (RGPH,
1993).
La structure par âge et par sexe de cette population
montre que les jeunes et les femmes sont les plus nombreux. Au recensement de
1993, les femmes représentaient 52,0% de la population totale. La
population âgée de moins de 15 ans représentait 48,0% de la
population totale, celle âgée de 15 à 59 ans
représentait 47,0% et celle de plus de 60 ans représentait 3,5%.
Le niveau de fécondité reste l'un des plus élevés
de la sous région et est en hausse. L'indice synthétique de
fécondité (nombre moyen d'enfants par femme) passe de 5,1 enfants
par femme en 1964 (Service de Statistique, 1966) à 5,6 enfants par femme
en 1993 (BCR, 1995) et à 6,6 enfants par femme en 1996-97 (EDST-I,
1996/97).
La population de notre zone d'étude est estimée,
au 31 décembre 2006, à 700 000 habitants sur la base du taux
national de croissance de 2,5% (Rapport du PAM, 2007, p.12). La densité
de la population y était globalement faible. Les données du RPGH
de 1993 indiquent que celle-ci varie de 0,7 habitant au km2
(à Adré) à 2,7 habitants au km2 (à Am
Dam). Le rapport de masculinité indique qu'on trouvait environ 81,0% (81
hommes pour 100 femmes). La population est très jeune: près de
53,0% de la population avait moins de 15 ans. La zone renferme de nombreux
groupes ethniques parlant des langues différentes mais ayant tous, en
commun la religion musulmane (Ouaddaïen, Massalite, Arabes, For, Tama,
Zaghawa et Dadjo). La répartition de la population active par secteur
d'activité indique que 91,0% de celleci relève du secteur
primaire. Cette frange de la population vit à la fois de l'agriculture
et de l'élevage. Le reste de 9,0% de la population active,
essentiellement nomade, pratique uniquement l'élevage. Au Nord et dans
la partie centrale de la région ce sont les cultures
céréalières sous pluie, l'élevage et le
maraîchage qui y dominent. Dans la partie Sud, s'ajoute à
celles-ci, la culture céréalière de
décrue (Berbéré). Le secteur secondaire qui se limite
principalement aux activités de construction et de production
d'électricité ne concerne que 1,0% de la population. Le reste est
absorbé par le commerce et les services (administration, ONG, etc.). Ces
deux catégories sont essentiellement urbaines.
A l'Est du Tchad, l'augmentation de la population (suite aux
déplacements forcés) a dépassé les capacités
d'accueil des services de santé et entraîné
l'épuisement de ressources vitales telles que l'eau et le combustible.
Dans le domaine de la santé, les indicateurs disponibles de santé
sont au rouge: 0,6 médecin, 0,9 infirmier diplômé et 0,1
sage femme pour 100 000 habitants11. La plupart des structures de
santé sont sous-équipées et manquent de personnel
qualifié. Les réfugiés bénéficient d'une
assistance internationale mais l'insécurité réduit
l'accès et constitue un obstacle aux opérations des humanitaires.
Le taux de scolarisation est inférieur à 10,0%.
1.4. Pétrole, nouvel enjeu majeur de la
géopolitique tchadienne
Depuis longtemps, le Tchad est resté un pays à
vocation agro-pastorale. Son économie est basée essentiellement
sur l'agriculture et l'élevage. Les sécheresses des années
80 ont rendu aléatoire la production agricole et pastorale rendant le
pays dépendant sur tous les plans. Son environnement économique a
été particulièrement inhibant et n'a donc pas permis entre
autres de créer des emplois, des richesses ni des revenus, maintenant
ainsi de nombreuses personnes en dehors des circuits de production. La
croissance a été très faible au cours des dernières
décennies. Jusqu'en 1999, elle a rarement excédé plus d'un
point le taux de croissance annuelle de la population. Il va de soi que ce
rythme de croissance de l'économie ne pouvait créer suffisamment
d'emplois pour une population à forte croissance. L'examen des facteurs
qui ont limité la croissance montre que la faiblesse du système
productif a accusé des lacunes:
> le système est resté figé,
basé sur l'agriculture et l'élevage dont les producteurs
travaillent avec des outils archaïques et les produits ne subissent aucune
transformation pour générer une valeur ajoutée
substantielle;
11
PAM, Rapport finale de l'enquête sur les
capacités d'autosuffisance alimentaire des réfugiés
Soudanais, des personnes déplacées et des populations hôtes
à l'Est du Tchad, N'Djaména (Tchad), 2007, p.12.
> ce secteur principal, source de croissance, n'a reçu
qu'un volume fort réduit des investissements publics;
> l'entreprenariat privé est embryonnaire et
tourné essentiellement vers les activités du commerce.
Dernier né des Etats pétroliers, avec une
capacité de production de 250 000 barils/jour, le Tchad s'est ouvert
à de nouveaux acteurs, à l'occasion du programme d'exploitation
pétrolière inauguré en l'an 2000. Depuis la fin de la
construction de l'oléoduc Doba-Kribi en 2003, long de 1 070
kilomètres, le Tchad a vu son taux de croissance économique faire
un bond spectaculaire, passant de 1,0% en 2001 à 15,0% en 2004 et 8,0%
en 200512. Selon Mr. Geoffrey H. Bergen, Représentant
résident de la Banque Mondiale au Tchad (2008), les statistiques
officielles montrent que les taux de croissance du PIB ont nettement
dépassé les taux de croissance démographique (2,8%) ces
dernières années du fait de l'exploitation du pétrole. Par
exemple, le PIB par tête a augmenté de 11,0% par an de 2003
à 2006 et le PIB non pétrolier par tête a augmenté
de 2,7% par an au cours de la même période. Malgré les
promesses inscrites dans ces statistiques, l'exploitation du pétrole
(dont la contribution à la croissance du PIB tchadien s'élevait
déjà à 33,4% en 2004) ne s'est guère traduite
jusqu'à présent dans le quotidien de la population Tchadienne.
Plus inquiétant peut être, la mise en chantier de l'exploitation
s'est traduite par une hausse brutale de l'inflation (passée de -5,4% en
2003 à un taux moyen de 7,8% pour l'année 2005) et des effets de
la dette (passée de 66,0% du revenu national brut en 2003 à 75,0%
de ce revenu en 2005).
Les retombées de la rente pétrolière ont
généré de très fortes tensions. Les bouleversements
socio-économiques introduits par la mise en valeur des champs de
pétrole se sont traduits par une aggravation des
inégalités tant au niveau des régions qu'au sein de la
société civile. Conséquence directe: plus de 60,0% des
Tchadiens continuent de vivre au dessous du seuil de la pauvreté. Au
Tchad la perturbation des circuits économiques traditionnels
entraîne des bouleversements sociaux qui menacent la paix civile, tandis
que s'approfondit le fossé entre la masse paysanne et les
bénéficiaires de la rente pétrolière. La crise du
Darfour ne fait que renforcer cette perception aggravant des clivages
inter-tchadiens qu'attestent en leur plan la multiplication des tensions au
sein de l'armée : compte tenu de ses
12
MASCRÉ D., « Course aux
hydrocarbures, crise du Darfour, déstabilisation régionale: Le
Tchad entre jeux pétroliers et jeux guerriers », in
Géopolitique africaine, paris (France), 2007, p.6.
effectifs (environ 30 000 hommes, certaines estimations
parlent de 50 000) et des divisions qui la minent, on comprend pourquoi
celle-ci revendique la part du lion du gâteau pétrolier. C'est
à l'actif de ces différents paramètres qu'il faut placer
les événements qui se sont produits au Tchad en 2006 et qui ont
fait de ce pays le nouveau théâtre des jeux pétroliers et
guerriers.
Ainsi, l'espoir de développement suscité avec
l'exploitation de l'or noir va-t-il se poursuivre? Déjà parmi la
classe politique et la société civile, des voix
s'élèvent pour décrier la gestion de la manne
pétrolière. En effet, comme partout dans le monde, le
pétrole semble être une malédiction pour le peuple
tchadien. S'il semble être admis aujourd'hui que la guerre est
entrée dans la tradition des Tchadiens, les troubles provoqués
ces derniers temps prennent une intensité jamais égalée.
Seulement en cinq (5) ans après l'exploitation du pétrole
(2003-2008), le Tchad a enregistré plusieurs mouvements rebelles et
connu plus de deux coups d'Etat manqués. La dernière offensive
des rebelles en date du 2 au 3 février 2008 a encore jeté des
milliers de Tchadiens sur la route de l'exil (dont la grande partie à
Kousseri au Cameroun). Toutes ces années de guerre civile ont
freiné le développement économique et social du pays car
l'on s'est plus préoccupé de la sécurité au
détriment des autres dimensions du développement.
Concernant le cas particulier du Tchad oriental où se
trouvent les réfugiés et les IDPs, il faut signaler que l'afflux
de l'aide internationale dans cette région pauvre déstabilise
l'économie et la société. Les populations locales, dont
certaines sont venues en aide aux réfugiés avant l'arrivée
des organisations internationales, sont plus démunies que leurs
hôtes désormais nourris, soignés et éduqués
dans les camps. Les projets qui leur sont peu à peu destinés sont
inaptes à répondre à l'ensemble des besoins.
Sur le plan social, le Tchad est classé au
166ème rang sur 174 pays les plus pauvres du monde et son
indice de développement humain (0,403) établi par le PNUD en 2004
est l'un des plus faibles. Le niveau de pauvreté de la population
Tchadienne n'a cessé de s'aggraver au cours des trois dernières
décennies. Selon les données de l'enquête ECOSIT
réalisée en 1999, le seuil de pauvreté globale au niveau
national est estimé à 218 F CFA par jour et par personne. Ce
seuil est largement inférieur au seuil de pauvreté globale
standard international qui est de un (1) dollar (soit 600 F CFA) par jour et
par personne. Sur la base de ces données, on peut considérer
qu'au moins un Tchadien sur deux n'a pas de revenus suffisants pour satisfaire
ses besoins essentiels. En 2000 (rapport du PNUD), on estime à 54,0% la
population se trouvant en
dessous du seuil de pauvreté, seulement 16 à
20,0% des enfants bénéficient d'une couverture vaccinale,
près de 90,0% de l'habitat est sensible aux intempéries,
seulement 30,0% de la population a accès à l'eau potable, 1,0% a
accès à l'énergie électrique, moins de 10,0%
bénéficie de services de l'assainissement, une partie importante
de la population vit une insécurité alimentaire chronique, des
maladies épidémiques et endémiques (parmi lesquelles la
pandémie du VIH/SIDA) auraient frappé 1.704 personnes et fait
55.000 orphelins.
1.5. Instabilité politique, facteur essentiel de
déplacement forcé
Comprendre la situation politique actuelle du Tchad, cela
amène naturellement à faire aussi un peu d'histoire pour revenir
sur les logiques spatiales des conflits d'apparence cyclique qui n'en finissent
pas de ruiner ce pays. Ces conflits cycliques inhérents au
système politique tchadien ont pour ressorts des tensions internes et
externes. Selon Bichara Idriss Haggar (2007)13, «Le Tchad
était déjà mal parti dès son indépendance
puisque le président Tombalbaye a choisi l'autoritarisme et le parti
unique comme système de gouvernement. Système qui n'a
contribué à créer ni l'unité et la stabilité
politique, ni le développement économique. Au contraire, il a
exacerbé les contradictions de la société qui ont fini par
engendrer le mal tchadien, dont le pays continue à souffrir
jusqu'à maintenant».
Depuis les années 1980, la Libye considère le
Tchad comme un espace d'influence naturel. Les desseins politiques libyens ont
certes été longtemps contrariés par des Tchadiens
indociles. Dans le domaine économique, cependant, les Libyens sont
aujourd'hui très présents à N'Djaména, où
ils possèdent entre autres banques, hôtels, stations services et
immeubles. Pour le Soudan, de même, le Tchad est considéré
comme une marge à maîtriser (De Waal 2008). Idriss Déby
bénéficia, en 1990, d'importants soutiens soudanais pour prendre
le pouvoir (Géraud Magrin, 2008). Les influences islamistes du Soudan
d'Hassan El Tourabi trouvèrent au Tchad un certain écho au
début des années 1990. Des relations d'affaires plus ou moins
fructueuses suivirent autour de l'exploitation du petit gisement de
pétrole du lac Tchad ou de la construction d'un deuxième pont sur
le Chari à N'Djaména. Après une période
d'éloignement sans conséquence, c'est le Darfour qui, à
partir de 2004, resserra l'écheveau conflictuel des relations
tchado-soudanaises. Le Soudan reprocha au Tchad d'appuyer la rébellion
au nom de
13 Voir Bichara Idriss Haggar, Histoire politique
du Tchad sous le régime du président François Tombalbaye,
1960-1975: déjà, le Tchad était mal parti!, L'Harmattan.
Collection Pour mieux connaître le Tchad -10 décembre 2007, pour
d'amples informations.
la solidarité au sein du groupe Zaghawa, auquel
appartient Idriss Déby. En retour, le Soudan se mit à appuyer les
rébellions tchadiennes (Debos, 2007). Le calendrier de
déploiement dans l'Est du Tchad de la force européenne de
protection des réfugiés du Darfour (Eufor) que Khartoum a mal
apprécié, semble bien avoir influencé celui de la
récente offensive sur N'Djaména. La politique de la France est
plus difficile à comprendre. Depuis qu'Elf a quitté le consortium
d'exploitation du pétrole de Doba en 1999, elle n'a plus
d'intérêts économiques dans ce pays très pauvre.
Elle proclame par ailleurs qu'elle n'a plus vocation à être le
gendarme de l'Afrique. Mais les milieux militaires ne semblent pas les moins
attachés au maintien d'une base dans ce pays. L'opération
Epervier, après d'autres équivalentes, entretient à
N'Djaména un millier d'hommes depuis la guerre contre la Libye des
années 1980. Pour certains officiers généraux, le Tchad
est resté ce que fut longtemps la région désertique du BET
(Borkou Ennedi Tibesti): un territoire militaire, rude terre à nomades
belliqueux combattus et respectés, administré avec une
fermeté teintée de paternalisme (Magrin G., 2008). Au-delà
des sentiments et des considérations corporatistes, l'espace compte: le
désert tchadien est un terrain vaste comme la France, où on peut
s'entraîner, faire voler ses avions à très basse altitude
et expérimenter des armes sans craindre de gêner.
Mais la géopolitique des conflits tchadiens
procède avant tout de mécanismes internes. Une vision classique
est souvent proposée: le découpage étatique colonial a
artificiellement réuni une multitude de peuples qui ne partageaient rien
(langue, culture, religion). Pire, on a enfermé ensemble des groupes aux
passés conflictuels, de part et d'autre de la ligne de l'islam
majoritaire, séparant sociétés esclavagistes et
populations victimes des premières. Cette représentation a sa
part de vérité, mais elle doit aussi beaucoup à des
constructions idéologiques ultérieures (Magrin G., 2001). Elle
est loin de suffire à expliquer les conflits actuels.
La géopolitique interne tchadienne est couramment
résumée à l'opposition Nord/Sud. Au Nord (en fait le Sahel
et le Sahara, qui couvrent près des neuf dixièmes de la
superficie du pays), des Musulmans héritiers des royaumes
sahéliens et de sociétés de pasteurs nomades, au Sud des
paysans Chrétiens ou animistes, issus de sociétés
segmentaires sédentaires. Les premiers représentent sans doute un
peu plus de la moitié de la population. L'engouement des jeunes
originaires du Sud pour l'école moderne leur aurait permis de s'emparer
des commandes de l'Etat indépendant. Les premiers troubles de la fin des
années 1960 marqueraient la revanche du Nord sur le Sud,
consacrée par la victoire du FROLINAT (Front
de libération nationale du Tchad) en 1979 et la reprise
du pouvoir par «le Nord». Si cette représentation est
largement partagée au Tchad, elle n'en demeure pas moins très
simpliste, insuffisante à rendre compte des lignes de fracture complexes
qui traversent la société tchadienne (Magrin, 2002). Ces
identités de «nordiste» et «sudiste» ont
été instrumentalisées à certains moments des crises
tchadiennes par des chefs qui y voyaient un moyen de mobilisation efficace
à leur profit. En cela, le Tchad n'est pas original en Afrique.
Mais la relative spécificité de la situation
tchadienne (la triste régularité du cycle de la violence, sur
plusieurs décennies, qui apparaît comme attribut d'un
système original) incite à chercher d'autres clés de
lecture. Alors que clichés et caricatures ethno-régionales ne
manquent pas pour rendre compte de l'imbroglio tchadien (qu'ils soient
élaborés du dehors ou propres aux Tchadiens eux-mêmes
(Centre Al Mouna, 1996)), il est étonnant que les explications mettant
en relation les rapports de l'Etat et les types de sociétés
n'aient guère été proposées.
La conséquence directe de cette vie politique
marquée par l'instabilité permanente est le déplacement
massif du peuple tchadien des villes vers les campagnes et du Tchad vers
l'étranger (des exils). Cette vie politique troublée dont les
points culminants furent la guerre civile de 1979 et les coups d'Etat
successivement manqués de 2006 et 2008 a provoqué un
déplacement massif des Tchadiens. Si les plus nantis ont pu franchir les
frontières pour trouver refuge à l'étranger, une bonne
partie des personnes victimes de ces troubles s'est déplacée
à l'intérieur du pays. Mais s'il est vrai que
l'instabilité politique est l'une des causes des déplacements
forcés au Tchad, le déplacement actuel à l'Est du Tchad
demeure la conséquence immédiate de la régionalisation du
conflit du Darfour qui a provoqué le déplacement forcé de
plus de 172 600 personnes au Tchad, victimes principalement des attaques des
«janjaweeds» et des violences inter-ethniques. Ces personnes vivent
dans le dénuement le plus total, d'autant que les autorités
tchadiennes semblent incapables de répondre à l'urgence des
besoins14.
14 FIDH, Rapport de mission au Darfour,
Genève (Suisse), 2007, p.19.
Synthèse partielle
Pays au coeur du continent africain, le Tchad subit l'influence
de cette continentalité sur tous les aspects de la vie
socio-économique.
Sur le plan physique, le pays est soumis à un climat
tropical caractérisé par deux saisons de durée très
inégale, cause d'une grande mobilité des jeunes vers les grandes
villes. La courte durée de la saison de pluies influence
négativement les activités agricoles et pastorales longtemps
sources principales de revenus du pays. Sur le plan démographique, les
conditions climatiques ont provoquée une répartition
inégale de la population sur le territoire créant ainsi une zone
densément peuplée au Sud du pays. Sur le plan économique,
le démarrage récent de l'exploitation de l'or noir vient de
mettre le pays sur la voie de la croissance mais la situation politique
caractérisée par un tourbillon de violences depuis
l'indépendance n'a cessé de mettre les Tchadiens en fuite sapant
ainsi l'amorce du développement du pays.
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