III-4 Mode de délibération.-
Une fois les travaux en atelier
terminés, des séances plénières se sont tenues en
fin de journée. Chaque rapporteur y a présenté à
l'ensemble des participants la liste des problèmes identifiés par
son groupe ainsi que les solutions proposées pour chaque
sous-thème. Des discussions intéressantes en sont suivies (SEP,
2000).
Cette démarche dialogique et interactive a permis aux
participants (secteurs privé et public) des neufs départements
d'arriver à un consensus autour d'une panoplie de problèmes en
rapport avec la problématique de Population et du Développement
qu'ils ont identifié et que la SEP a consigné dans le Rapport
des Consultations Départementales (SEP, 2000). Ainsi, la
présentation des rapports en séance plénière suivie
de débats publics et de consensus participe d'un processus de
délibération démocratique.
III-5 Rapport entre le contenu des Consultations
Départementales et celui de la Politique Nationale de
Population
L'analyse des deux documents, à savoir le
« Rapport des Consultations Départementales » et la
« Politique Nationale de Population », ne nous a pas permis
de déceler une relation étroite entre eux malgré le fait
que le premier soit vieux de deux ans (SEP, 2000) par rapport au second (SEP,
2002). S'il y a un certain rapport logique entre eux, il n'est qu'implicite.
C'est en ce sens que nous avons compris la réponse du directeur de la
Population de la SEP à notre question concernant l'influence
qu'aurait les consultations sur l'élaboration de la politique nationale
de population : «Les experts, en rédigeant la politique
nationale de population, se sont simplement inspirés de l'esprit des
consultations départementales ». Notre interviewé a
poursuivi pour dire, sans le prouver «toutefois, s'il n'y avait pas les
consultations, on aurait un autre document de politique de population, pas
celui-ci ».
Pour le directeur de la communication de la SEP que nous
avons également interviewé, «le contenu des consultations
pourrait davantage servir à définir les stratégies
d'actions à entreprendre alors que la Politique Nationale de Population
ne fait que s'inscrire dans le cadre du Programme d'Action de la CIPD 94
(Conférence Internationale sur la Population et le
Développement)» Notons que cette conférence a
été tenue au Caire en 1994 et Haïti, en tant qu'un des 179
pays participants, a du honorer ses engagements en formulant sa politique de
population de 2002. Celle-ci devrait, en effet, être conforme aux buts
et objectifs du Programme d'action de la CIPD 94 qui sont « la
croissance économique soutenue dans le cadre du développement
durable, l'éducation, en particulier celle des filles,
l'équité et l'égalité entre les sexes, la
réduction de la mortalité infantile, juvénile et
maternelle, et l'accès universel aux services de santé de la
reproduction, y compris la planification familiale et la santé en
matière de sexualité » (UNFPA, 1994). A signaler que
cette velléité des Nations-Unies d'orienter la politique de
population des pays remonte au Sommet mondial sur la Population tenu à
Bucarest en 1974.
III-6 Les limites de cette participation
citoyenne
A ce stade de notre recherche, nous admettons qu'il y a eu
une certaine participation citoyenne cristallisée lors des consultations
départementales réalisées au cours de la période
allant du 14 septembre au 5 novembre 1999 (SEP, 2000). Mais dans le cadre d'une
démocratie de proximité, ne devrait-on pas plutôt envisager
de les tenir à un pallier de collectivités territoriales
inférieur à celui du département ? Vu la situation
précaire du pays, il se révèle plus difficile de
réaliser de telles consultations au niveau des 565 sections communales
en termes du grand volume de temps, de ressources humaines, matérielles
et financières qu'il faudrait mobiliser. Le mieux aurait
été de les organiser au niveau des 133 communes qui sont, de
l'avis de certains spécialistes, le niveau de collectivités
territoriales par excellence. De toute façon, nous avons abondé
dans le même sens que le directeur de communication de la SEP qui estime
que l'échantillon obtenu pour l'ensemble des départements est
suffisamment représentatif. D'autant qu'il y a eu des
représentants de mairies et de sections communales à prendre
part aux consultations départementales. Mais nous n'avons pas eu
l'opportunité de consulter la liste des participants - disponible
à la SEP - pour voir si cette catégorie de représentants
pouvait avoir un poids significatif dans la balance.
Le directeur de la population de la SEP nous a, cependant,
affirmé qu'il y a eu une réelle participation citoyenne lors des
consultations sans influence aucune des experts ou autres cadres
présents. A la question de savoir si un simple exposé et une
projection documentaire pouvaient être suffisants pour armer les
participants aux discussions, notre interviewé a admis que «ces
citoyens devraient avoir des informations beaucoup plus larges et
générales ayant trait à des domaines divers pour mieux
intervenir sur la question de population». Le directeur de communication
de la SEP a, pour sa part, été plus technique dans sa
réponse. Il a estimé en se référant à la
communication sociale que « les participants, fraîchement
exposés à des messages audio-visuels, sont en mesure de
réagir convenablement dans les ateliers et de faire oeuvre qui
vaille». Cette explication s'inspire du modèle de la communication
persuasive de Wayne C. Minnick selon lequel « l'usage de la
persuasion du type scientifique permet d'assurer la gestion adéquate des
affaires publiques » (Willet, 1992).
Nous ne saurions toutefois écarter l'idée d'une
certaine asymétrie dans la participation compte tenu que les gens sont
issus de milieux socio-économiques divers et de niveaux intellectuels
différents. Ce qui laisse supposer que certains participants ayant eu
du mal à exprimer et faire valoir ses points de vue ont dû
adopter une attitude de suiviste. Nous n'avons pu avoir le profil
détaillé des participants et savoir le mode d'animation
utilisé dans les ateliers de travail pour approfondir cet aspect de la
question.
Somme toute, ces consultations départementales ont
permis d'avoir un mode de participation que nous pourrions qualifier de
«participation intellectuelle» (Limbos, 1986). Quitte à se
demander si le citoyen ordinaire haïtien, le plus souvent
analphabète, ait pu bien jouer sa participation au concert des nantis du
savoir et de l'avoir. D'autres études devraient se porter sur cet
angle.
A partir des réserves que nous venons de formuler, il
importe d'adopter une attitude beaucoup plus critique face à la
déclaration du ministre de la santé publique et de la population
selon laquelle «l'élaboration du document de politique nationale de
population a fait l'objet d'une large participation, ce qui devrait contribuer
à établir autour d'elle un consensus et à garantir sa
pérennité» (SEP, 2002).
C'est vrai que la SEP a emprunté la démarche
participative - via les consultations départementales - aux fins de
permettre à un groupe de citoyens de se prononcer sur la
problématique de la population mais les informations que nous avons
recueillies, tout au cours de notre recherche, nous habilitent finalement
à nuancer notre hypothèse par le fait que ces consultations n'ont
sinon aucune du moins très peu d'influence sur l'élaboration de
la politique nationale de population. Peut-être une influence d'ordre
cognitif.
Ainsi, notre hypothèse de recherche n'a pas
été confirmée du moins très partiellement. Puisque
le paramètre relatif aux « décisions prises dans les
grandes assises internationales sur la population» (UNPIN, 1994)
semble avoir été beaucoup plus déterminant dans la
rédaction du document de politique de population, assurée par des
professionnels de plusieurs horizons (économiste, médecins,
démographes et communicateur).
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