SECTION 3 : DE LA LIBERTE DE SE VETIR A SA
GUISE COMME LIBERTE FONDAMENTALE DU SALARIE ?
I - N'EST PAS LIBERTE FONDAMENTALE N'IMPORTE QUELLE
LIBERTE ;
1. Des critères stricts à la reconnaissance
des droits fondamentaux propres au droit du travail ;
La matière des libertés est
étudiée à travers des prismes différents, ce qui la
rend quelque peu hermétique : celui du droit constitutionnel qui
s'attarde sur les droits de l'homme et d'une manière
générale sur les droits fondamentaux ; celui du droit
administratif qui a créé une branche spéciale : les
libertés publiques ; celui du droit européen avec la Convention
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou la
Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ; celui
enfin du droit civil qui met aussi en oeuvre les droits de la personne.
La matière est en outre peu claire quant à son
objet81 puisque la Convention de sauvegarde traite à la fois
des « droits de l'homme » et des « libertés
fondamentales ».
Quant à la loi du 31 décembre 199282,
elle garantit les « droits des personnes » et les «
libertés individuelles et collectives ».
Le Conseil constitutionnel emploie, de son côté,
l'expression « libertés et droits fondamentaux
»83.
81 V.J.Fayard, « Le labyrinthe des droits fondamentaux
» : Dr.soc. 1999, p.215
82 Loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 relative
à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et
à l'assurance chômage.
Toutefois, plusieurs éléments sont
fréquemment mis en avant pour donner un contenu approximatif à la
notion.
Les libertés fondamentales peuvent ainsi
définies « des libertés protégées contre
l'exécutif ou le législatif, en vertu de textes constitutionnels
ou internationaux, par le juge constitutionnel (ou le juge international)
»84.
Les libertés fondamentales sont, en conséquence,
celles qui sont inscrites dans les textes les plus élevés de la
hiérarchie des normes, c'est-à-dire la Constitution ou autres
conventions internationales.
En France, les libertés fondamentales sont
protégées par le Conseil Constitutionnel qui a
élaboré une théorie générale des
libertés fondamentales dès 198485
Elles sont apparues au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale
et ont permis de donner un nouvel essor à la protection des droits
individuels : il s'agit d'affirmer et de rappeler que ces droits fondamentaux
constituent le socle indépassable sur lequel repose les
sociétés occidentales démocratiques.
Il ressort de sa jurisprudence, 3 éléments
principaux relatifs à ces libertés : elles ne sauraient tout
d'abord être soumises à un régime d'autorisation
préalable, elles doivent ensuite être appliquées
uniformément sur le territoire de la République et elles ne
doivent, enfin, être soumises qu'à l'intervention du
législateur qui ne doit intervenir qu'afin de rendre leur exercice plus
effectif ou de concilier avec d'autres règles ou principes de valeur
constitutionnelle.
Ainsi, refusant toute définition générale,
la chambre sociale décide au cas par cas si telle ou telle
liberté est ou non fondamentale : le respect de l'intimité de la
vie privée du salarié a été
83 Décisions n°89.259 DC du 22 janvier 1990 : RJS
3/90 n°259 et 263 ; n°92.325 DC du 13 Août 1993 : RJS 10/93
n°1041 ; n°97.389 DC du 22 avril 1997 ; n°98.401 DC du 10 juin
1998 : RJS 77/98 n°939.
84 G. couturier, « Droit du travail », Libertés
et droits fondamentaux, sous la direction de M.Delmas-Marty et Claude Lucas de
Leyssac, Ed. Seuil, Coll.Points, 1996
85 CC n°84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984.
consacré comme telle86, la liberté de se
vêtir à sa guise s'est vue refuser l'accès à la
« fondamentalité »87.
Deux critères stricts à la reconnaissance de la
« fondamentalité » de certains droits spécifiques au
droit du travail peuvent toutefois être utilisés88.
D'abord un critère formel, autrement dit la source du
droit, le plus souvent la Constitution ou les grands textes internationaux
garantissant les droits de l'homme.
Ensuite un critère matériel : il s'agit de
protéger la personne, sa vie et sa dignité.
Or, premièrement, le critère formel manque
cruellement à la liberté vestimentaire du salarié : cette
liberté, nous l'avons vu, n'est actuellement reconnue par aucune source
juridique.
Puis, deuxièmement, le critère matériel de
cette liberté est discutable.
Nous avons d'ores et déjà vu que la liberté
de se vêtir du salarié pouvait être rapprochée du
respect de sa dignité.
Toutefois, on peut soutenir que l'employeur ne manque pas de
respect et ne porte nullement atteinte à la dignité du
salarié lorsqu'il veut le voir accomplir sa tâche dans les
conditions de réussite maximales, que ce soit d'un point de vue
économique, mais également au regard de la cohésion du
groupe que forme l'ensemble des salariés de la
société89.
De plus, il faut bien admettre que la vie du salarié n'est
pas en jeu dans les contentieux vestimentaires.
86 Cass.soc.2 octobre 2001, n°99-42.942.
87 Cass soc 28 mai 2003, n°1507 FS-BPRI, Monribot c/ Sagem,
JurisData n°2003-019205.
88 V.P.Waquet, « Les libertés dans l'entreprise
», RJS 2000, p.335.
89 V. Etude par A Boisgibault - De Bryas, « La tenue
vestimentaire du salarié », La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires, n°23, 5 juin 2003.
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