CHAPITRE V: DISCUSSION
Ce chapitre s'intéresse à
l'interprétation des résultats de la recherche ; il vise
à comparer les résultats de la phase empirique de cette
étude à ceux des autres chercheurs. Il est subdivisé en 4
sections : la section 1 résume les résultats des analyses
statistiques effectuées puis établit les liens entre ceux-ci et
le cadre de référence ; la section 2 s'intéresse aux
associations étudiées et à l'inférence
statistique ; la section 3 s'attèle aux hypothèses de cette
étude et à la formulation des hypothèses nouvelles et
enfin, la section 4 présente les limites de cette étude.
5.1 Résultats des analyses statistiques et cadre de
référence
La présente étude a eu pour objectif
général d'examiner dans quelle mesure le profil des parents,
notamment leur SSE influe sur la santé mentale des adolescents.
L'hypothèse alternative qui sous-tendait une association entre SSE bas
et résilience/estime de soi y a trouvé une confirmation
empirique.
Après les analyses descriptives, s'agissant des
caractéristiques sociodémographiques des sujets de
l'étude, il s'est dégagé ce qui suit : les
répondants âgés de 12 à 13 ans étaient
relativement majoritaires (30,3%), l'âge moyen de l'échantillon
était de 15,5 ans, les sujets du sexe féminin étaient
majoritaires (57,9%), 44,1% des sujets sont en cours d'études du niveau
secondaire, les religions oecuméniques : catholique (31,6%),
protestante (18,4%) et kimbanguiste (14,5%) étaient majoritaires. Ces
données semblent rencontrer les estimations de l'enquête
d'Afriquespoir (2009) ; 34,2% des ménages comptent 4 à 5
personnes et la taille moyenne du ménage était de 7#177;3,3
individus, les ressortissants de la province du Bas-Congo ont constitué
18,4% des participants. Ces résultats sont presque conformes à
ceux de la recherche réalisée par Lapika (2002) à
Kinshasa.
Pour identifier le SSE de la famille des sujets, trois
indicateurs du profil parental ont été retenus : le titre
scolaire du parent-tuteur, l'emploi des parents et le revenu familial mensuel.
Ce, contrairement à l'approche de Leblanc (2007) qui n'a utilisé
qu'un seul indicateur : l'emploi du père. Ces trois indicateurs ont
été retenus après l'application de la technique de Delphi
auprès des économistes de la santé et
épidémiologistes qui ont évoqué la raison des
dimensions du SSE. Cette variable a été rendu binaire en 0-bas et
1-élevé contrairement à l'approche de Leblanc (2007) qui
en a considéré trois. Ceci est dû au fait que dans le
contexte de la RDC, soit on est riche (SSE élevé) soit on est
pauvre (SSE bas) il y aurait donc absence d'une classe moyenne.
Concernant ce SSE, pour cet échantillon (N = 152), les
scores minimum et maximum ont été respectivement de 3 et 9
(moyenne de 6). Le taux de prévalence de l'exposition au SSEp bas a
été estimé à 38,2% pour les deux milieux
confondus ; le taux de cette exposition étant 2,2 fois plus
élevé pour les adolescents de Ngiri-Ngiri (52,6%) par rapport
à ceux de Gombe (23,7%). Les résultats de la recherche de Leblanc
(2007) ont montré que le SSE était bas à 46,2% en milieux
défavorisés soulignant que les enfants des milieux
défavorisés sont plus exposés à la maltraitance et
autres événements traumatisants que leurs pairs des milieux
favorisés et sont enclins à développer des
problèmes scolaires et comportementaux que les autres. L'écart de
6,4% du taux de prévalence de l'exposition serait lié au fait que
notre étude est menée en milieu urbain d'un pays en
développement.
S'agissant du SSE des parents, l'analyse descriptive des
données indique que la plupart des parents n'ont pas suffisamment
avancé avec leurs études ; 33,6% des parents des sujets de
l'étude sont des gradués ; 47,4% des pères de
familles travaillent seuls pour subvenir aux besoins de ménages ;
à 45,4% les parents sont travailleurs de l'administration
publique ; pour ce qui est du revenu familial, la plupart des
ménages ne gagnent pas une somme suffisante pour couvrir les besoins des
enfants ; ce qui fait que beaucoup des ménages dépensent
moins de 5 000 CDF (soit moins de 5 $ US) pour la ration alimentaire
journalière et que 59,2% des parents n'arrivent pas à
s'acheter ne fût-ce qu'une parcelle. Ces données corroborent avec
les estimations d'Afriquespoir (2008) qui indiquent que la plupart des parents
des pays en développement croupissent encore dans la misère, une
somme colossale d'argent étant versée dans des problèmes
de guerres/conflits armés. Laroche (1998) a indiqué que ces
adolescents sont susceptibles de se livrer à la délinquance, de
manquer la supervision parentale et de participer avec réticence aux
activités familiales.
La chose surprenante est que même si les actions
parentales envers les enfants ne sont pas celles qui devraient être
faites, la majorité des enfants déclarent être satisfaits
quant aux aliments qu'on leur prépare (81,6%), aux besoins primaires se
rapportant au divertissement, à l'accoutrement (82,9%), aux conditions
d'habitation (79,6%). Seulement, la majorité des sujets qui ont soutenu
cette satisfaction sont les répondants de Gombe. Mampunza et coll.
(1999) ont constaté une inégalité sociale entre les
communes du milieu urbain kinois. Certains écrits recensés
ont indiqué que l'analphabétisme qui caractérise les
milieux urbains défavorisés est peut-être un facteur
associé à une mauvaise appréhension des questions
posées. Laroche (1998) souligne alors que, lorsque l'adolescent
bénéficie d'un soutien social familial, il sera plus susceptible
de percevoir ses parents comme faisant partie de son monde social et
psychologique, et il se sentirait de ce fait en sécurité et
conserverait son estime de soi.
Concernant la résilience et l'estime de soi,
l'idée du départ était que les adolescents de Gombe, tel
qu'ils sont plébiscités favorisés de par le SSE de leurs
parents, présenteront de bons scores quant aux maladies
étudiées. Robins (1966, 1978 ; dans Laroche, 1998) pense que
ce n'est pas le fait d'avoir des parents d'un niveau de vie élevé
qui réduit le risque de développer une personnalité
psychopathique ni d'autres déviations psychologiques. Est-ce à
dire aussi que le profil des parents de Ngiri-Ngiri est aussi un facteur
déterminant de la désadaptation/mésestime des adolescents
de Ngiri-Ngiri ? Cette interrogation a vraiment appelé à la
prudence lors de l'interprétation des résultats et convie
d'ailleurs les chercheurs à la réflexion.
Toutefois, l'analyse descriptive des données a
indiqué que, pour surmonter l'adversité familiale, 37,5% des
adolescents interrogés empruntent souvent la voie de libération
de l'émotion, 42,8% demandent des conseils auprès des autres,
33,6% cherchent très souvent un soutien spirituel/divin dans leur
religion, 33,6% recourent à la distraction, 34,2% cherchent très
souvent du soutien moral de la part des amis/voisins, 35,5%
préfèrent souvent abandonner les objectifs en cours pour se
pencher à la situation adverse, 32,2% refoulent dans l'inconscient
l'adversité, 34,9% préfèrent souvent se distraire en
allant au cinéma ou en regardant la télévision, 36,2%
préfèrent souvent vivre avec l'adversité afin d'en tirer
une expérience. En somme, le taux de la désadaptation
psychologique a été de 40,8% à Ngiri-Ngiri, 30,3% à
Gombe, soit une moyenne de 35,5%.
Ces résultats rencontrent le postulat émis par
Sameroff (2006) qui souligne que les enfants exposés à
l'adversité et aux troubles du parentage ont un moins bon
développement que leurs pairs non-exposés. L'enquête
réalisée par l'ORS PACA (2008) a indiqué que les jeunes
qui ont subi des événements stressants et de dysfonctionnements
familiaux présentent plus de risque de développer des
problèmes psychologiques. Luthar (2006), Masten et Gewirtz (2007),
Sameroff (2006) et Yates (2006) ont souligné que la
résilience est fortement associée aux facteurs
sociaux/environnementaux tels que les facteurs socioéconomiques du
milieu familial. Mais aussi, ils pensent qu'il existe des données
probantes indiquant que les facteurs génétiques contribuent
énormément à la capacité de résilience des
enfants. C'est ainsi qu'ils martèlent que la résilience n'est pas
une capacité commune ; elle est dorénavant individuelle.
Malgré cet argument scientifiquement prouvé, l'évaluation
globale de la résilience permet d'émettre une présomption
quant au devenir psychosocial d'une cohorte de la population (Anaut,
2005 ; Lecomte, 2004).
En ce qui concerne l'estime de soi, les adolescents
présentent des scores aussi bas que ceux attendus. L'analyse des
données montre que face à une situation de vie jugée
adverse, 38,2% des adolescents sont ceux qui maintiennent toujours leur estime
devant leurs pairs ; 36,8% sentent toujours le plaisir de rencontrer des
nouvelles situations ; 40,8% sont ceux qui souhaitent souvent discuter
avec les amis pour savoir quoi faire ; 32,9% sont ceux qui affirment
souvent mériter du respect des autres malgré la situation qu'ils
traversent ; 34,2% sont ceux qui se sentent souvent
préoccupés par ce que l'on pense d'eux quand ils affrontent
l'adversité ; 32,2% considèrent souvent l'adversité
comme un défi ; 35% sont ceux qui demandent souvent de l'aide sans
se sentir complexés ; 30,3% sont ceux qui prennent souvent le
courage de regarder leurs interlocuteurs quand ils parlent et 33,6% sont ceux
qui ne se sentent pas souvent nerveux/timides quand ils rencontrent les
inconnus. Ces données indiquent qu'il y a problème d'estime de
soi chez les adolescents kinois. La prévalence de la mésestime a
été estimée à 39,5% à Ngiri-Ngiri, à
34,2% chez les sujets de Gombe, soit une moyenne de 36,8%.
Les parents des familles défavorisées, surtout
ceux du sexe masculin accordent peu d'intérêt à
l'encadrement des enfants ; cette situation s'associe à une faible
estime de soi des adolescents (SCP, 2000). André (2004, 2005) a
souligné que la pauvreté des parents et l'estime de soi des
enfants sont inextricablement associés. Plusieurs écrits
recensés ont indiqué que les parents appartenant à une
classe sociale supérieure favorisent le maintien de l'estime de soi chez
leurs enfants-adolescents. Cependant, cet argumentaire ne semble pas aller dans
le même sens que les résultats de notre étude. Dans cette
recherche, un pourcentage considérable des sujets non-exposés a
présenté une mésestime. Existe-il des facteurs
susceptibles de favoriser un trouble d'estime de soi chez les adolescents
non-exposés à la défavorisation ? Cette question
reste encore ouverte à la recherche.
Il a été indiqué que les comportements
parentaux résultant du SSEp bas affecteraient l'adaptation psychologique
et l'estime de soi de l'adolescent et de ce fait, seraient les
précurseurs de l'attachement du type
désorienté/désorganisé - clé de la
déviation mentale (Leblanc, 2007). Des adaptations comportementales de
l'adolescent auraient pour but de permettre de trouver les stratégies de
coping visant à entretenir et conserver le lien avec le parent,
ce lien étant vital pour sa survie. A travers ses interactions avec le
parent, dans lequel l'adolescent se sent
sécurisé/insécurisé, il développe son
modèle interne opérant, qui est sa perception de lui ; en
d'autres termes, son estime de soi au regard de ses pairs (Main et coll.,
1985 ; dans Leblanc, 2007).
Sur base du cadre de référence
développé dans cette étude (les théories
d'attachement, de stress et coping ainsi que le modèle
hypothétique de la relation binaire parent-adolescent), il est possible
de présumer que les parents qui ont un SSEp bas et qui n'encadrent pas
correctement leurs enfants-adolescents les prédisposent à
l'altération de leur santé mentale et d'ailleurs, selon
Harmer et coll. (1999 ; dans Leblanc, 2007), ces parents ont
peut-être eux-mêmes subis des effets de la pauvreté durant
leur enfance. Tous ces arguments justifient l'importance du cadre de
référence utilisé pour examiner l'influence du profil des
parents sur la santé mentale des adolescents.
5.2 Associations étudiées et
inférence statistique
Cette étude est analytique ; elle a cherché
à examiner les associations entre SSEp et résilience puis
l'estime de soi des adolescents. Les analyses des liens ont montré que
les enfants exposés au SSEp bas considéré comme
l'adversité ont présenté les maladies
étudiées. Le test de comparaison des taux de prévalence
entre E+ et E- (Khi2) a été appliqué.
L'analyse brute de l'association entre E et Rs, faite sur base d'un tableau 2x2
a donné un Khi2 de 21,839, un test statistiquement
très significatif par rapport à valeur critique de 3,84 (p =
0,05), le RR = 2,6 (IC à 95% : 1,1551 ; 3,689) et l'OR =
5,242 (IC à 95% : 3,046 ; 8,288) ; p < 0,001
pour un ddl (IC à 95% ; p = 0,05) et celle entre E et SE
faite sur base du même tableau a donné un Khi2
de 19,117, le RR = 2,4 (IC à 95% : 1,325 ; 3,475) ;
p < 0,001 pour un ddl et l'OR = 2,636 (IC à 95% :
2,559 ; 6,718) p < 0,001 pour un ddl (IC à 95% ;
p = 0,05). Ces résultats qui ont donné les valeurs du
Khi2 supérieures aux valeurs critiques ont
permis d'accepter l'H1 de la relation positive et significative
entre E et Rs puis E et SE et de rejeter l'H0 de l'absence de
l'association.
Les analyses ajustées par le test de MH sur une table
de contingence (2x2) ont donné, pour l'association E et Rs, un
Khi2MH de 20,105, un test statistiquement
très significatif par rapport à valeur critique de 3,84 (p =
0,05), un ORMH de 1,657, (IC à 95% : 0,938 ;
2,376) p < 0,001 à 1 ddl (IC à 95% ;
p = 0,05) et pour celle de E et SE, un
Khi2MH de 17,518, un test très
significatif sur le plan statistique ; l'ORMH = 1,534 (IC
à 95% : 0,829 ; 2,242) p < 0,001 pour 1 ddl
(IC à 95% ; p = 0,05). Ces
résultats ajustés qui donné des valeurs du
Khi2 toujours supérieures aux valeurs critiques
ont permis d'accepter l'H1 de la relation positive et
significative entre E et Rs puis E et SE et de rejeter l'H0 de
l'absence de l'association. Les analyses stratifiées
opérées sur les facteurs supposés confondants ont
révélé que ces facteurs sont soit protecteurs, soit
modificateurs d'effet dans l'association entre SSEp et Rs/SE. Les
résultats de régressions logistiques pour les sous-variables de
l'exposition et les maladies étudiées ont montré à
partir des rapports des cotes ajustés qu'il y a associations entre ces
sous-variables et les maladies étudiées bien que la plupart
d'entre elles sont de faible magnitude.
Toutefois, on ne peut exclure l'hypothèse des biais
attribuables aux faiblesses méthodologiques. Ceci étant vrai
aussi bien pour les résultats des analyses descriptives, comparatives
que pour ceux de la régression logistique.
Sur le plan international, certaines études ont
souligné qu'en clinique, la fréquence des troubles de
santé mentale est souvent plus élevée chez les
adolescentes que chez les sujets du genre masculin ; ceci parce que les
jeunes filles expriment volontiers leurs problèmes et ont recours
à l'information que les garçons ; les jeunes adolescents qui
sont exposés à la défavorisation parentale (HCSP,
2000 ; ORS PACA, 2008). Sur le plan biologique, il a été
démontré que les adolescents sécrètent des hormones
qui augmentent les pulsions sexuelles mais les rendant fragiles face aux
adversités ; mais grâce aux génotypes d'origine
parentale, certains peuvent surmonter les adversités avec un peu plus de
facilité pour garder une bonne estime (Enyouma et coll., 1999 ;
Luthar, 2006 ; Sameroff, 2006).
Dans notre étude, l'effet enquêteur a
été minimisé par la réalisation d'une enquête
pilote, les facteurs confondants ont été pris en compte, le SSEp
est une exposition permanente, il a été suggéré que
l'amélioration du SSE des parents a l'avantage de contribuer à la
réduction des problèmes scolaires, comportementaux et de
santé mentale (Leblanc, 2007). L'analyse des données a
montré que l'E+ et la M+ ont été présentes à
Ngiri-Ngiri et à Gombe. Ces associations ont été
découvertes ailleurs bien que dans d'autres contextes ; Cependant,
aucune étude d'intervention n'a encore été
réalisée dans ce sens. Le 2/3 des instruments utilisés ont
déjà fait l'objet d'une validation externe ; loin de
satisfaire à toutes les conditions, ces critères semblent ouvrir
la voie à l'inférence de ces résultats.
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