Introduction
Les adolescents des milieux urbains sont confrontés
à des multiples situations stressantes au sein de leurs familles pouvant
conduire à la déviation de leurs traits psychologiques ou au
développement des problèmes de santé mentale à
court, moyen ou plus long terme. Nonobstant cette problématique humaine,
il existe encore tant de scepticismes et controverses concernant les liens
entre le profil des parents et la santé mentale de leurs enfants.
D'aucuns pensent que le statut socioéconomique des parents
(SSEp) n'a vraiment pas d'impact sur l'équilibre psychologique
de leurs enfants, mais il est admis de nombre des chercheurs que les
enfants/adolescents élevés dans la défavorisation
parentale sont exposés au stress d'autant plus qu'ils perçoivent
cette situation comme étant une adversité.
De toute la recension des écrits effectuée,
aucune étude répertoriée ne s'est exactement
intéressée à cette association. Pourtant, une meilleure
compréhension de la relation existant entre le SSEp et les
traits psychologiques (résilience et estime de soi) des adolescents
encore rattachés aux domiciles des parents, confrontés aux
adversités multiples, pourrait aider à prévenir une
série des problèmes de santé mentale y reliés et
par le fait même, à favoriser une meilleure croissance de ces
jeunes. Cette étude est intitulée : Influence du profil
parental sur la santé mentale des adolescents en milieu urbain.
Elle se propose d'examiner l'influence du SSEp sur la
résilience et l'estime de soi des adolescents citadins.
Ce mémoire présente la recherche sous le format
reconnu par la Section Santé Communautaire de l'ISTM/Kinshasa. Il
comporte, hormis cette introduction, cinq chapitres : Le premier chapitre
décrit la problématique de la recherche. Le deuxième
chapitre présente la recension des écrits en mettant l'accent sur
le cadre théorique ; cette recension permet de formuler le
modèle hypothétique et deux hypothèses de recherche. Le
troisième chapitre présente la méthodologie de la
recherche. Le quatrième chapitre présente les résultats de
la recherche. Enfin, le cinquième chapitre discute des résultats
obtenus, discussion permettant de valider les objectifs et les
hypothèses formulés. Finalement, une conclusion du mémoire
est présentée, qui reprend et développe les principales
suggestions et perspectives pour la recherche.
CHAPITRE I : PROBLÉMATIQUE DE LA
RECHERCHE
Cette étude se veut
épidémiologique ; elle examine les facteurs d'exposition du
milieu familial menant à la dégradation de la santé
mentale des adolescents dans une perspective de prévention. A ce titre,
le présent chapitre fait état du contexte du problème
à l'étude. Pour ce faire, la section 1 énonce le
problème, la section 2 résume les objectifs de la recherche et
enfin, la section 3 donne la justification de la présente
étude.
1.1 Énoncé du problème
Malgré les progrès les plus frappants
réalisés dans le domaine des sciences sanitaires de par le monde,
la situation de la santé mentale ne cesse d'inquiéter les
professionnels de santé. Aujourd'hui, il y a plus de 450 millions de
personnes qui sont atteintes des troubles comportementaux et de santé
mentale soit près de 13% de la charge mondiale de la morbidité
totale et que, d'après les projections, ces chiffres seront
doublés d'ici 2020 (OMS, 2001).
Des efforts immenses semblent être
déployés, tant sur le plan intellectuel que dans la pratique,
depuis la dernière décennie par des spécialistes pour
améliorer la santé mentale des millions d'adolescents qui
peuplent le globe. Cependant, un constat amer ne cesse de s'affirmer, la
santé ``mentale'' des enfants de 12 à 20 ans est toujours moins
bonne. L'enquête réalisée en France a indiqué que
les jeunes de 12 à 24 ans sont doublement affectés que les
adultes de 26 à 75 ans par des problèmes de santé mentale,
soit 26% des enfants versus 13% des adultes (Perrin-Escalon & Hassoun,
2004 ; Pommereau, 2002). On note
le « mal-être », le suicide, l'abus d'alcool et
de drogues, les troubles de l'estime de soi et d'adaptation, et bien
d'autres.
Au fil des ans, on s'aperçoit que les nations du monde
se rapprochent les unes des autres poussées par la mondialisation, on
parle récemment du « village planétaire »
caractérisé par une urbanisation rapide et
incontrôlée (Patel et coll., 2001). Les personnes qui
vivent en milieux urbains sont plus frappés par les difficultés
existentielles qui en découlent par rapport à ceux habitant en
milieux ruraux, d'autant plus qu'il a été même
constaté l'effritement de la traditionnelle solidarité
``africaine'' dans le centre des villes, comme étant un important
facteur de risque pour la santé mentale des enfants et adolescents
(Mampunza et coll., 1999).
A l'heure où la crise mondiale fait parler d'elle un
peu partout, les questions de l'estime de soi et de la
résilience que certains auteurs, notamment Desbiens (2006),
qualifient des stratégies de coping ou mécanismes d'adaptation
psychologique, abondent la littérature, attirant l'attention des
chercheurs en santé mentale préoccupés par le devenir
psychologique et/ou l'équilibre mental des enfants de 12 à 20
ans. Faut-il s'interroger sur les origines de cette dégradation de la
santé mentale chez ces jeunes ? Dans la foulée des facteurs
d'exposition, certains chercheurs pensent que ces problèmes trouvent
leur origine dans quatre opérateurs dynamiques : le manque, la
carence, la perte et les conflits ou les traumatismes. Kelly (1998) l'a
énoncé en disant que les interactions
père-mère-enfants c'est-à-dire les influences
réciproques sont à prendre en compte dans le contexte actuel, aux
plans socioéconomique et culturel ; Ce qui veut dire que le
statut socioéconomique (SSE) des parents influe sur le mental
de leurs enfants.
Selon Trouvé et coll. (2003),
« la surmortalité adolescente est essentiellement
liée à la souffrance psychique ». Pommereau (2002)
stipule que 32,2% des jeunes dans les deux sexes, soit 17,1% des garçons
versus 15,1% des filles meurent à cause des problèmes de
santé mentale et indique que le risque est important d'ici 2015.
D'après le Haut Comité de Santé Publique (HCSP, 2000), il
n'existe pas d'approche curative satisfaisante pour les problèmes de
santé mentale de l'adolescent et du jeune adulte. Il convient,
d'après ces auteurs, de « mieux connaître,
comprendre et promouvoir ce qui favorise la résilience, notamment dans
les familles à risque ».
Comme les approches curatives sont souvent décevantes
dans les structures psychiatriques bourrées de stigmatisations, surtout
en Afrique subsaharienne, les progrès scientifiques en santé
publique ont permis de mettre l'accent sur la prévention, comme l'ont
souligné Vitaro et Gagnon (2003). Dans la foulée des travaux sur
la prévention en santé publique, une nouvelle discipline
appelée science de prévention est en train d'émerger
à l'interface de la psychopathologie, de la psychiatrie, de
l'épidémiologie, de la criminologie, de la psychologie de
développement et de l'éducation (Leblanc, 2007). De toute
évidence, la résilience et l'estime de soi sont des meilleurs
indicateurs de santé mentale auxquels il faut s'accrocher lorsqu'il
importe de prévenir les problèmes de santé mentale des
jeunes.
Les peuples africains vivent des situations dramatiques. Les
parents, aux prises avec des multiples problèmes socioéconomiques
dont la paupérisation ont du mal à assumer leur rôle des
responsables de familles. Pour faire preuve de leur parentalité,
certains (surtout les parents seuls) adoptent des comportements négatifs
à l'égard des enfants. Des statistiques concernant les
événements traumatisants et la violence contre les enfants sont
alarmantes. Selon les experts de l'OMS, 40 millions d'enfants de moins de 15
ans sont victimes, tous les ans, de violences et de privations ; 20
millions d'enfants quittent leurs foyers, d'après l'Unicef, deux
millions ont perdu leurs vies dans les années 90 (World Federation of
Mental Health - WFMH, 2002).
OMS AFRO (2000) ainsi que Patel et coll. (2001) ont
pensé que la pauvreté, la violence et des troubles sociaux tels
que la maltraitance des enfants et la violence domestique en milieu urbain sont
à l'origine de la dégradation de la santé mentale des plus
jeunes et soulignent qu'il faut vaincre la pauvreté et rendre meilleur
le statut des parents pour ainsi améliorer la santé mentale des
enfants.
Afriquespoir (2008), se référant à
l'indicateur de l'espérance de vie, indique que l'âge moyen de la
population en République Démocratique du Congo (RDC) est de 16,3
ans. Ces données statistiques confirment l'hypothèse selon
laquelle la RDC compte beaucoup d'adolescents. Selon les estimations de
quelques chercheurs, Kinshasa compte 10 à 13 millions d'habitants. Les
retombées de la guerre datant de plus de 10 ans font que près de
80% de la population vive avec moins de 2 dollars par jour. Plusieurs familles
se dissocient à cause de cette misère et, il sied de dire qu'on
note de plus en plus des cas de filles-mères, des familles
monoparentales où la mère est seule responsable du ménage
(Millet, 2004).
Les difficultés parentales liées à la
défavorisation ont plusieurs effets sur tous les membres de la famille.
Les influences concernent la stabilité parentale, le soutien social
ainsi que l'âge, le tempérament et la résilience de
l'enfant voire son estime de soi. Et, quelques études ont indiqué
que cette catégorie d'adolescents et jeunes a souvent des
problèmes avec la justice, ils abusent l'alcool et les drogues et
souffrent de détresse affective que ceux qui vivent dans des milieux
favorisés (Amato, 1994 ; Société Canadienne de
Pédiatrie - SCP, 2000).
Mampunza et coll. (1999) stipulent que le profil des
parents kinois, à l'opposé des parents vivant en milieu rural,
est caractérisé par l'extrême pauvreté liée
au rythme accéléré de la vie, à la
promiscuité, au surpeuplement accentuant le taux de chômage.
D'ailleurs, d'aucuns pensent qu'à Kinshasa, certaines communes, en
l'occurrence celle de la Gombe, sont plus favorisées que les autres
notamment la commune de Ngiri-Ngiri. Ce qui incite à retenir les
adolescents de ces deux communes pour déterminer si réellement la
défavorisation est un facteur d'exposition dans le contexte de
Kinshasa.
Les incidences des adversités du milieu familial sont
alarmantes pour la santé mentale des enfants et adolescents. Selon les
experts de la santé mentale, ces jeunes expriment : la
colère, les souvenirs angoissants, la dépression, la phobie des
autres et de soi-même, les troubles de concentration, le repli sur soi,
le désarroi, les cauchemars, les insomnies, les agressions, les troubles
de l'estime de soi et d'adaptation et autres (WFMH, 2002).
La panoplie des problèmes psychosociaux indiqués
ci-haut, avec au centre la paupérisation grandissante, fait adopter aux
parents des comportements négatifs envers les enfants. Cette
problématique soulève l'absolue nécessité d'entamer
des travaux de recherche notamment dans les pays du monde moins
développé, pour étayer les données factuelles dont
on dispose déjà surtout lorsqu'il s'agit de vérifier le
lien entre le SSE des parents (SSEp) et la résilience puis
l'estime de soi des adolescents (Patel et coll., 2001).
La recherche de ces auteurs a permis de vérifier
l'association qui existe entre les facteurs socioéconomiques et la
santé mentale. Cette étude a abouti à une conclusion telle
que : plus les parents sont économiquement forts, plus la
santé des membres de leur famille est bonne. Mais certaines recherches,
notamment celle de Leblanc (2007), soutiennent que la famille soit pauvre ou
pas, s'il y a un attachement sécure entre parents et enfants, il y aura
très peu de problèmes de santé mentale. Ces données
relèvent la nécessité de mener des recherches dans le
contexte de la RDC, si bien que les données
épidémiologiques et statistiques en matière de
santé mentale sont presqu'inexistantes (Mampunza et coll., 1999).
Il est largement admis que, tout enfant, de quel âge
qu'il soit, reste attaché à ses parents. Cet argumentaire
relève la nécessité de retenir la variable de
l'attachement de la théorie de l'attachement de Bowlby. En outre, ces
enfants, lorsqu'ils se butent à des situations adverses (ou stressantes)
au sein des familles, ils utilisent certaines stratégies
adaptatives en vue de surmonter ces situations stressantes. Ceci fait
appel à la théorie de stress et coping de Lazarus et Folkman
(1984) tel qu'indiqué par Desbiens (2006). Ainsi, la théorie de
l'attachement, la théorie de stress et coping ont servi de cadre de
référence à cette étude.
Comme il a été mentionné ci-dessus, le
profil des parents influence l'équilibre mental et même le devenir
psychosocial des adolescents. La résilience et l'estime de
soi comme indicateurs de santé mentale d'une part, et le
SSE (la pauvreté) comme facteur d'exposition d'autre part,
comme variables retenues dans cette étude, se justifient par de nombreux
avantages surtout quand on veut promouvoir la santé mentale et
prévenir les maladies mentales chez des membres d'une communauté
à multiples crises tels que les jeunes congolais.
Afin de vérifier l'association entre le profil parental
et la dégradation de la santé mentale des adolescents, il est
proposé d'examiner les variables retenues du cadre théorique et,
en fin, de vérifier les relations entre ces variables et les expliquer.
La présente étude cherche à répondre à la
question principale de savoir : Quelle influence le profil parental
a-t-il sur la santé mentale des adolescents en milieu urbain ? Pour
avoir des éléments de réponse à cette question
principale, trois questions de recherche nous ont permis d'étudier ces
relations, à savoir :
- Quelle est la prévalence des traits psychologiques
(résilience et estime de soi) chez les adolescents des parents ayant un
SSE bas ?
- Quelle est la prévalence des traits psychologiques
(résilience et estime de soi) chez les adolescents des parents ayant un
SSE élevé ?
- Existe-t-il une association entre le SSE parental et les
traits psychologiques (résilience et estime de soi) des adolescents
citadins ?
1.2 But et objectifs de l'étude
1.2.1 But de l'étude
Le but de cette étude est de contribuer à
l'amélioration de la santé mentale des adolescents kinois encore
rattachés aux domiciles de parents.
1.2.2 Objectif général
En cherchant à répondre aux questions de
recherche ci-dessus, la présente étude se propose d'examiner dans
quelle mesure le profil des parents, notamment leur SSE influe sur la
santé mentale des adolescents afin de rechercher des pistes pour
améliorer la santé mentale des adolescents au niveau de la
famille.
1.2.3 Objectifs spécifiques
De manière spécifique, l'étude poursuit
neuf objectifs, à savoir :
- Évaluer le SSE (scolarité, emploi et revenu)
des parents de Ngiri-Ngiri,
- Évaluer le SSE (scolarité, emploi et revenu)
des parents de Gombe,
- Comparer le SSE des parents de Ngiri-Ngiri à celui
des parents de Gombe,
- Estimer la prévalence de la résilience chez
les adolescents des parents ayant un SSE bas,
- Estimer la prévalence de la résilience chez
les adolescents des parents ayant un SSE élevé,
- Estimer la prévalence de l'estime de soi chez les
adolescents des parents ayant un SSE bas,
- Estimer la prévalence de l'estime de soi chez les
adolescents des parents ayant un SSE élevé,
- Comparer la prévalence de la résilience des
adolescents dont les parents ont un SSE bas à celle des adolescents dont
les parents ont un SSE élevé,
- Comparer la prévalence de l'estime de soi des
adolescents dont les parents ont un SSE bas à celle des adolescents dont
les parents ont un SSE élevé,
1.3 Justification de l'étude
La santé mentale des adolescents est fortement
menacée au fur et à mesure qu'ils sont exposés aux
facteurs de risque au sein des ménages. Il faut donc promptement agir.
Il a été mentionné dans l'étude de
Patel et coll. (2001) qu'il existe un lien entre les facteurs
socioéconomiques et la santé mentale des populations. Il
s'avère fondé que ces associations aient été
découvertes. Cependant, à l'heure actuelle, à Kinshasa, on
sait mal l'influence qu'a le profil parental et spécialement le SSE sur
la santé mentale des adolescents puis qu'en règle
générale, « aucune enquête
épidémiologique générale à ce sujet n'a
encore été réalisée » (Mampunza et
coll., 1999). Si cette piste s'avère nécessaire pour les
responsables de santé publique, il est donc très justifié
de vérifier les relations existant entre le SSEp et
l'estime de soi puis la résilience chez les
adolescents kinois.
De toute évidence, la présente recherche
pourrait être utile aux autorités sanitaires tant du secteur de
psychiatrie et santé mentale que de santé publique ainsi qu'aux
gestionnaires de la politique de santé familiale qui se
préoccupent du bien être mental des adolescents. Cette
étude, sans conteste, aiderait les épidémiologistes qui
sont motivés à promouvoir la santé mentale des membres de
communautés, et surtout, de l'avenir meilleur de ces êtres
fragiles qui sont les adolescents. Orientée dans une perspective
épidémiologique, cette recherche évalue la
prévalence des problèmes de santé mentale
étudiés ainsi que les facteurs d'exposition.
Au cours de ce chapitre, il a été question
d'appréhender le contexte du problème. Les données de
différents chercheurs actuellement disponibles instiguent à
interroger différentes bases de données et à fouiller les
catalogues de bibliothèques pour obtenir une littérature
pertinente à cette situation problématique, ce qui constituera le
prochain chapitre.
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