Partie 2 : Sémiologie des troubles du
comportement.
En médecine, le terme « sémiologie »
correspond à l'étude des signes et symptômes des maladies,
et à la pratique de leur recueil par l'examen clinique.
1) Les troubles du comportement dit « négatifs
»
Ces troubles du comportement dit « négatifs » se
manifestent sous la forme d'un retrait, d'une démotivation globale, de
tristesse ou d'insomnie.
Ces troubles passent souvent inaperçus et peuvent
être relativement bien tolérés car ils ont le mérite
de ne pas déranger l'entourage.
a) « L'état dépressif »
L'expression « état dépressif
» s'est banalisée et désigne souvent un état
passager.
« L'état dépressif » est une affection
très répandue qui affecte indifféremment des personnes de
tous les âges, de tous les milieux et de tous les styles de vie.
Lorsque ces symptômes persistent durant des semaines ou des
mois et empêchent un retour à une vie "normale", ils peuvent
être les prémices d'une réelle
dépression.
Il n'y a pas de symptômes caractéristiques, mais on
retrouve en général une réduction de
l'activité psychologique et physique :
? réduction de l'activité
psychologique
Une profonde tristesse et une absence
de goût à la vie peuvent apparaître. Certains
sujets peuvent devenir tendus ou irritables.
La personne a une difficulté à communiquer avec
l'équipage du navire, elle s'isole souvent dans sa
cabine. Cette souffrance n'est pas souvent exprimée par la personne,
c'est l'entourage qui s'en rend compte.
Le marin atteint de dépression se sent
impuissant.
? La dépression peut affecter le corps en plus de
l'esprit.
On peut observer des changements
d'appétit ou de poids, une altération du
sommeil. Ainsi, certaines personnes pourront souffrir d'un manque
d'appétit alors que d'autres compenseront en prenant du poids.
De la meme manière, certaines personnes auront du mal
à s'endormir pour se réveiller au milieu de la nuit alors que
d'autres auront tendance à dormir de manière excessive.
. L'humeur est changeante.
En plus de l'état déprimé, la personne peut
etre l'objet d'autres changements émotionnels :
un sentiment injustifié de
culpabilité, un manque de confiance en soi et
d'incapacité. Certaines personnes fuiront les situations
nécessitant de leur part une prise de responsabilité, de peur de
mal faire.
Au travail, on retrouve aussi une difficulté
à se concentrer, une difficulté à prendre
des décisions, une production moindre, des
erreurs plus fréquentes ainsi qu'un manque
d'enthousiasme.
Ces symptômes empêchent les personnes de travailler
de manière efficace. Dans des cas extrêmes, des tâches
anodines deviennent insurmontables.
Cette dépression peut se joindre à une
consommation élevée de drogues, d'alcool ou de
médicaments, « pour oublier la souffrance».
Lorsque cette souffrance n'est pas médicalisée, la
nervosité excessive et le sentiment d'inutilité s'accompagnent
d'idées noires qui peuvent aller jusqu'à des
pulsions suicidaires.
b) L'anxiété
L'anxiété est un trouble émotionnel qui
se manifeste par un sentiment d'insécurité, un
sentiment d'appréhension, de tension,
de malaise, face à un péril de nature
indéterminée. Elle est souvent exprimée par la personne
sous les termes de nervosité ou de soucis.
Les troubles anxieux sont fréquents, ils affecteraient
chaque année environ 2 à 8 % de la population adulte.
L'anxiété peut être
normale voire nécessaire : dans ce cas elle est bien
tolérée par le sujet qui peut la contrôler et qui ne la
perçoit pas comme une souffrance (elle n'a pas de retentissement sur sa
vie quotidienne).
L'anxiété normale est l'expérience que
chacun de nous a vécue :
la peur avant un examen, l'inquiétude pour la santé
d'un de ses proches, ou des réactions anxieuses face aux accidents et
aux catastrophes.
Dans ce cas, c'est une émotion utile, une motivation dans
certains évènements de la vie, car c'est une réaction
adaptative psychologique au stress.
L'anxiété est anormale lorsqu'elle
:
- survient sans raison,
- lorsqu'elle devient permanente,
- et qu'elle créé une perte d'adaptation
aux changements de la vie.
A ce stade d'anxiété, on parle alors
d'angoisse.
Cette souffrance est ressentie comme un sentiment
pénible, de dangers imprécis et imminents et s'accompagne
très souvent de troubles somatiques (c'est-à-dire qu'ils
s'expriment par le corps).
Elle peut alors se manifester par des symptômes
respiratoires, des symptômes
cardiaques, des symptômes digestifs ou
urinaires.
L'angoisse se manifeste aussi par des phobies,
la peur des espaces clos.
Elle peut se manifester par des troubles
obsessionnels-compulsifs, le fait de répéter des
mouvements identiques.
L'addiction d'alcool ou de drogues, comme
dans la dépression, est souvent une tentative pour réduire
l'angoisse. L'action, à court terme est positive pour le patient, il n'a
plus de souffrance mentale mais, par contre, le contrecoup peut être dur
et donc encore plus accentuer cette angoisse.
c) Le trouble du sommeil
Les troubles du sommeil sont tous les éléments qui
empêchent de dormir correctement la nuit et qui ont des effets
néfastes sur la santé.
Le trouble du sommeil le plus fréquent est
l'insomnie. Elle touche actuellement plus d'un quart de la
population adulte.
L'insomnie se définit comme un défaut de sommeil
(difficulté à dormir ou sommeil non
récupérateur) dont le sujet se plaint.
Il est bien évident que chacun peut etre un jour ou un
autre, sujet à l'insomnie : le véritable problème surgit
lorsqu'elle devient quotidienne.
Il existe plusieurs signes dominants dans le trouble du sommeil
:
- la personne est irritable,
- elle a des troubles de la mémoire,
- elle a des coups de fatigue.
Pour contrer les petites insomnies, il est conseillé
d'avoir une activité sportive dans la journée.
Par contre pour des insomnies chroniques, il est
nécessaire de prendre un avis médical.
En effet, chez le personnel naviguant, une insomnie chronique
peut engendrer des somnolences diurnes importantes et
fréquentes.
Cette baisse de la vigilance peut représenter un danger
pour la sécurité du navire, lorsque le marin travaille à
un poste de conduite passerelle ou machine.
d) Le trouble de l'estime de soi
Le terme « estimer » signifie « déterminer
une valeur » et « avoir une opinion favorable sur ».
Pour GERMAIN DUCLOS (psycho éducateur et
orthopédagogue) l'expression « estime de soi » implique
de « juger de sa valeur personnelle. » [4]
«L'estime de soi est faite de quatre composantes : le
sentiment de confiance, la connaissance de soi, le sentiment d'appartenance
à un groupe et le sentiment de compétence. Le sentiment de
confiance est préalable à l'estime de soi. En effet, il faut
d'abord le ressentir et le vivre afin d'être disponible pour
réaliser des apprentissages qui vont nourrir l'estime de soi. Il en va
autrement des trois autres composantes. On peut stimuler la connaissance de
soi, le sentiment d'appartenance et le sentiment de compétence, à
chaque stade du développement, à chaque période de la vie,
par des attitudes éducatives adéquates et des moyens concrets.
»
Le trouble de l'estime de soi apparaît lorsqu' une personne
recherche le parfait dans tous ses faits.
Ce trouble survient toujours après un gros
échec.
Ces personnes culpabilisent souvent.
Elles ont une vision négative
d'elles-mêmes, elles se trouvent
incompétentes.
Cette perte de l'estime de soi continue peut engendrer une
dépression avec des pensées suicidaires.
Cas concret n°1 : situation à bord d'un navire
(source du C.C.M.M) :
Le 17/10/2xxx, à 14h20, appel du Commandant du navire
FXXX, pétrolier de pavillon français entre les Antilles et la
côte US pour un patient français, officier de 43 ans :
- le motif de consultation semble banal : présence
d'une asthénie (sensation de fatigue permanente exprimée par le
patient), avec insomnie.
L'interrogatoire du Commandant permet de préciser que
ce patient, à bord depuis quelques jours, lui semble
particulièrement triste, se plaignant de troubles du sommeil et
d'angoisse. Par ailleurs il a noté une perte de
l'appétit.
Il n'est pas retrouvé d'antécédents
médicaux notoires.
Afin de préciser au mieux les symptômes et le
vécu du patient, le médecin demande au commandant son accord pour
un entretien direct avec le patient et en l'absence du responsable des
soins.
Le 17/10/2xxx, à 14h46, deuxième appel du
navire :
- le patient est en ligne, il pleure au
téléphone. Il se dit très anxieux par rapport à de
nouvelles responsabilités qui doivent lui être confiées
dans quelques jours. Le dialogue avec le médecin permet de recueillir
des symptômes de dévalorisation, d'autodépréciation,
avec une perte de confiance en soi et la sensation d' avoir des
difficultés à résoudre les conflits, les problèmes.
Il n'existe pas d'idées suicidaires. Il n'y a aucune composante
délirante. L'interrogatoire retrouve
quelques manifestations du même type mais moins
intenses lors d'un embarquement précédent ; tout était
rentré dans l'ordre à la fin du voyage . Le patient n'exprime pas
de soucis familiaux ni conjugaux. Il n'existe aucun traitement en
cours.
Au terme de l'entretien le patient est d'accord pour un
débarquement dés la prochaine escale et une prise en charge
médicale à terre à son retour au domicile. Il doit en
informer lui-même le commandant .
Le 17/102xxx, à 15h58 : rappel du commandant pour
refaire un point et prendre une décision conjointe avec le patient et le
médecin du CCMM : le patient sera débarqué lors de la
prochaine escale (4 jours plus tard) dans un port étranger. Aucun
traitement n'est prescrit, le patient se disant déjà
soulagé de la décision prise.
Dans ce cas clinique, apparaît le caractère
insidieux d'un trouble anxio-dépressif qui aurait pu s'aggraver
rapidement en l'absence de prise en charge. Celle-ci a consisté en un
dialogue entre responsable des soins et patient, suivi d'un entretien direct
entre patient et médecin du CCMM qui a permis, dans un climat de
confiance et de confidentialité, de mettre en évidence la
sévérité du cas et de poser l'indication de
débarquement du patient.
2) Les troubles du comportement dit « positifs
»
Ces troubles sont qualifiés de « positifs »
lorsqu'ils deviennent dérangeants pour l'environnement humain et
matériel.
Ils se caractérisent par une agitation, de
l'agressivité, ou des comportements inappropriés.
L'agitation se définit comme une
perturbation du comportement moteur, psychique et relationnel.
Elle se traduit par :
· des manifestations extérieures physiques et
motrices,
· un état d'excitation psychique aboutissant
à la perte de contrôle des pensées, des paroles, des
actes.
Cette conduite pathologique est habituellement
exagérée dans sa forme et dans sa force, inadaptée,
hostile, incohérente créant pour l'entourage une gene ou une
menace.
Cette agitation peut présenter un danger pour les
autres ou pour le malade lui-même.
L'agitation peut se diviser en quatre types : l'agitation
confuse, l'agitation anxieuse, l'agitation maniaque et l'agitation
délirante.
a) L'agitation confuse
L'agitation s'accompagne d'une confusion qui est un
amoindrissement de la vigilance allant de l'absence de
réactions à l'indifférence aux
émotions.
Le malade est désorienté dans le
temps et dans l'espace. Son discours est incohérent.
Ce trouble peut créer chez la personne une activité
cérébrale soit ralentie, soit exagérée.
Chez ses personnes nous remarquons une baisse de l'efficience
intellectuelle, ainsi qu'un trouble de la mémoire.
La personne est rarement violente ou agressive.
Toutes ces agitations s'installent en quelques jours voire chez
certaines personnes quelques heures.
Il faut considérer a priori que la cause de cet
état confusionnel n'est pas psychiatrique mais médicale.
b) L'agitation anxieuse C'est une crise
d'angoisse, ou attaque de panique.
Cet accès brutal d'angoisse entraîne une agitation
motrice. Ces crises expriment la peur du malade.
Ces crises sont imprévisibles et accompagnées de
symptômes physiques. (On retrouve comme dans
l'anxiété dite « négative » des signes
respiratoires, cardiaques, digestifs et urinaires).
La personne ressent un malaise intense, un
sentiment de danger imminent et la peur de
commettre un acte incontrôlé.
La personne a l'impression de ne plus etre elle-meme et ne
reconnaît plus ce qu'il l'entoure.
Le risque est que la crise devienne impulsive et
auto-agressive.
c) L'agitation maniaque
C'est un trouble de l'humeur.
Le début est progressif, en général
marqué par une insomnie et une
hyperactivité croissante. La personne est de
contact facile voire familière.
Elle parle sans arrêt et a une activité
incessante.
Il existe une perte du sens moral, la personne est
désinhibée.
L'agitation est extrême, la personne ne reste pas en place,
ses gestes sont rapides et inadaptés.
« Cette opposition entre un état troublé
et l'optimisme du sujet est évocatrice de l'accès maniaque »
: Extrait du magazine Santé Mentale [5].
d) L'agitation délirante
C'est une agitation de début brutal. Le sujet
n'est plus dans la réalité. L'agitation est directement
liée au délire.
Les hallucinations sont fréquentes :
· le sujet entend des voix intérieures qui lui
dictent ses actes.
· les hallucinations peuvent être également
visuelles olfactives, sensitives.
La personne adhère totalement à son
délire (elle ne remet pas en cause son délire) et ne se
reconnaît en rien comme malade : le patient refuse et
ne peut pas reconnaître sa maladie.
Le délire peut avoir des thèmes variés qui
peuvent être regroupés en grandes catégories : La
persécution : conviction délirante d'être victime
de préjudices, d'agressions.
La jalousie.
La mégalomanie : c'est une
surestimation de soi qui n'est pas conforme à la réalité.
Une telle thématique délirante donne lieu à des troubles
du comportement : projets pharaoniques, entreprises grandioses et contacts
inappropriés...
L'auto-accusation : ce thème
délirant traduit un jugement très défavorable que tient le
sujet sur luimême, hors de toute réalité. Elle se trouve en
général associée à une auto dévalorisation,
un sentiment de ruine et de culpabilité.
L'hypocondrie : préoccupations
corporelles, hors de toute réalité, centrées sur la
maladie, la transformation corporelle, centrées souvent sur les
modifications d'un organe particulier.
La négation d'organes : conviction
délirante de mort d'un organe voire du corps tout entier.
Le mystique et ésotérique :
délire en rapport avec les Ecritures saintes, la parole divine, une
mission ésotérique et divine à accomplir, des forces
obscures, du Mal ou du Bien.
Le fantastique : discours visionnaire,
conviction d'une relation avec une vie extra-terrestre par exemple.
L'influence : sentiment d'être
guidé par une force surnaturelle.
L'agitation délirante peut se révéler
très dangereuse pour l'entourage de la personne.
L'agressivité est souvent présente dans ce
cas.
Au terme de ce chapitre descriptif de sémiologie il
apparaît de manière évidente que les troubles du
comportement se manifestent de manière très diverse, parfois
trompeuse ou insidieuse.
Il est nécessaire d'avoir une parfaite connaissance de
ces différents symptômes afin de les recueillir le plus
précisément possible au cours d'un examen attentif, souvent
réalisé dans des conditions difficiles mais indispensable
à une prise en charge médicale appropriée.
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