Partie 1: Troubles du comportement : définition -
généralités -
données chiffrées
1) Généralités et définition des
troubles du comportement
Définition suivant l'Organisation Mondiale de la
Santé (O.M.S) :
Selon l'O.M.S : « Les troubles du comportement se
caractérisent par un changement du mode de pensée, de l'humeur ou
du comportement qui ne rentre plus dans les normes ou les croyances
culturelles. »
Associés à une détresse morale ou une
altération des fonctions mentales, les troubles du comportement
deviennent pathologiques.
Cette définition, qui fait référence aux
« normes » ainsi qu'aux « croyances culturelles », laisse
entrevoir tout de suite les difficultés d'interprétation et de
reconnaissance de ce type de trouble : en effet, chaque personne a le droit
d'être « différente ».
Il n'est pas interdit d'avoir un comportement étrange,
de ne pas être habillé comme tout le monde, de ne pas avoir les
mêmes habitudes que nos semblables, nos collègues de travail, de
ne pas utiliser les mêmes codes sociaux que ceux régis par la
profession, celle de marin en l'occurrence.
Dans sa thèse sur « Le Normal et le pathologique
», soutenue en 1943, Georges Canguilhem (philosophe et historien des
sciences 1904-1995) affirme que « l'état pathologique n'est
qu'une variation quantitative et qualitative de la normalité
». [1].
La question est donc de savoir qu'est ce que la normalité
?
Selon le Docteur D. Drapier, médecin psychiatre,
enseignant à l'université de Rennes, dans son cours sur le
« normal et le pathologique ». [2], une certaine normalité
correspond à l'association de :
- la normalité idéale, c'est-à-dire les
critères élaborés par la société, l'opinion
publique, les médias, les hommes politiques...
- la normalité fonctionnelle qui correspond à
l'idéal individuel,
- la normalité subjective qui est en fait une
représentation interne qui fluctue en fonction de l'humeur,
- la normalité statistique, purement
mathématique.
Au total, les écrits confirment qu'il est difficile de
définir un trouble du comportement car la normalité ne peut pas
s'appréhender de façon simple et univoque : elle est le
résultat d'un mélange culturel, sociologique, statistique et
scientifique.
2) Les pathologies psychiatriques répertoriées
au C.C.M.M
Les troubles du comportement représentent trois pour cent
de l'ensemble des pathologies ayant motivé un appel au C.C.M.M.
3%
1%
ri
O O O
Les cas de troubles du comportement à bord des navires
répertoriés au travers des consultations
Peau et T cell ous Cut.
effectuées par le C.C.M.M sous estiment probablement la
réalité.
Respiratore
En effet, compte-tenu des difficultés de reconnaissance et
d'identification de ces troubles, mais aussi des conditions de vie à
bord, je peux raisonnablement supposer que :
- certains troubles du comportement n'ont pas été
identifiés comme comportement anormal dans le contexte du bord.
- d'autres ont été reconnus comme comportement
anormal mais pas identifié comme pathologiques.
- certains ont bien été reconnus comme relevant
d'une pathologie mais n'ont pas motivé le recours à une
téléconsultation.
Dans ce travail je n'ai pu traiter que les troubles du
comportement identifiés comme pathologique à bord et ayant fait
l'objet d'un appel pour téléconsultation au C.C.M.M.
Il est à noter que les troubles anxieux
représentent plus de la moitié de l'ensemble des troubles
du comportement. Les troubles de la personnalité représentent
à eux seuls quinze pour cent des appels.
% 5% 6% 6%
On retrouve ensuite les troubles dus aux toxiques (drogues,
alcool..), les épisodes dépressifs, les
15%
insomnies non organiques et pour finir les troubles
délirants, qui ne représentent que cinq pour cent des appels pour
troubles du comportement mais sont particulièrement difficiles à
prendre en charge à bord.
Il est à remarquer que la plupart des troubles du
comportement ont pu être soignés à bord : il est donc
particulièrement important de bien les connaître afin de pouvoir
assurer leur prise en charge.
Je peux constater, que seuls sept pour cent des cas
psychiatriques ont nécessité une évacuation sanitaire (dix
huit pour cent pour l'ensemble des téléconsultations, toutes
pathologies confondues).
Après avoir constaté que les troubles du
comportement ne sont pas si rares chez les marins, je me suis
intéressé aux facteurs pouvant favoriser leur survenue à
bord.
3) Rapport sur les « modalités de sortie de la
profession de marin par la maladie mentale »
J'ai été intéressé par le travail
du Docteur Cuzon (attaché de consultation de médecine maritime au
centre de pathologies professionnelles CHU de Brest) qui a publié en
2002 un rapport sur les « modalités de sortie de la profession de
marin par la maladie mentale ». [3].
Il m'a paru important d'évoquer ce rapport, car
l'étude réalisée cible les départs anticipés
à la retraite pour des maladies à connotation «
psychiatrique ». De par son sujet, ce rapport est l'un des rares à
aborder la santé mentale des marins à bord. Il permet aussi de se
rendre compte que ces troubles ne sont pas si rares.
Cette étude est élargie à l'ensemble du
monde maritime : marine militaire, marine marchande et pêche maritime.
Le Dr Cuzon part d'une observation :
« Un nombre croissant de marins sortent de la
profession de manière anticipée par rapport à cet
âge de 55 ans, qui naguère, les faisait accéder à la
retraite avec cette fierté d'avoir fait une belle carrière, un
beau métier. »
« Les constatations :
Pour une population de 14000 marins (celle de la
région Bretagne) il a été constaté que chaque
année, une moyenne de 202 marins sortait de la profession par voie de la
maladie.
Les sorties pour « maladies psychiatriques » au
nombre de 120 sur 4 ans se placent au 3e rang des maladies
conduisant à l'éviction de la profession. »
Ainsi, dans son travail, le Docteur Cuzon révèle
que les départs en retraite anticipés ne sont pas tous
liés à une maladie « physique » pouvant entraîner
une inaptitude à la navigation, mais sont de plus en plus en rapport
avec des maladies à connotation psychiatrique.
Les causes possibles
Selon le Docteur Cuzon, trois indicateurs pourraient favoriser la
survenue de ces problèmes psychiatriques dans le milieu maritime :
? L'indicateur trouble de la personnalité.
Il considère que certaines personnes ont des
dispositions à avoir un comportement déviant : c'est-àdire
des troubles du comportement témoignant d'une personnalité
fragile. Il décrit que ces troubles peuvent exister avant le
début de la navigation ou peuvent être
révélés à l'occasion de celle-ci.
? L'indicateur rupture affective.
? Pour finir, l'indicateur évènement
professionnel.
Il peut se décliner selon trois modes :
- l'évènement de mer brutal, le sinistre, le
naufrage, dont on comprend bien la marque qu'il va laisser sur le sujet.
- le désinvestissement professionnel.
- les conditions de travail à bord associant :
- La nécessité de quitter un milieu familial
terrestre et vivre l'absence.
- La conjonction et l'interpénétration d'un milieu
de travail et de vie.
- L'éloignement.
- La pénibilité de la tâche (physique ou
mentale incluant le peu d'attrait).
- Les contraintes spécifiques aux navires avec des
nuisances telles que le bruit et les vibrations.
- La confrontation aux autres qui est constante dans un milieu
clos et hiérarchisé. - La confrontation aux risques de la
navigation et la nécessité de les anticiper.
Cela, c'est à quoi doit s'attendre tout marin. Ce sont les
contraintes spécifiquement maritimes de la profession.
Le Dr Cuzon décrit donc trois indicateurs comme
facteurs favorisants du développement d'un trouble psychiatrique : le
trouble de la personnalité, la rupture affective et
l'évènement professionnel.
Si la pré-existence d'un trouble de la
personnalité lors de l'entrée dans la profession (difficile
à dépister lors de la visite médicale d'aptitude) peut
être une cause favorisante de la survenue d'un trouble du comportement
à bord, il me paraît plus difficile d'évaluer la part des
deux autres facteurs dans l'apparition d'un trouble du comportement chez le
marin.
En ce qui concerne la rupture affective, il est difficile de
dire si cette rupture intervient comme facteur favorisant ou comme
conséquence du trouble psychologique. Certes, le marin est souvent
absent mais au-delà de ce cliché peut-on pour autant affirmer que
la vie de marin est incompatible avec la stabilité de la relation de
couple ?
On peut aussi y ajouter de nouvelles contraintes apparues avec de
nouvelles modalités d'exploitation des navires, avec une nouvelle
organisation du travail à bord :
- Il y a l'apparition des équipages multiculturels
(confrontation des différentes cultures mais aussi acceptation des
conditions de travail différentes selon la nationalité),
- et la majoration du stress quand on occupe un poste à
responsabilités car les exigences sécuritaires sont de plus en
plus présentes.
A ce stade, il ne s'agit que d'hypothèses qui
justifieraient d'être analysées et confirmées par des
études à grande échelle suivant les normes habituelles
pour une validité scientifique incontestable permettant de recommander
des mesures de prévention.
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