Section II: Le taux de change comme instrument de
stabilisation
La théorie des zones monétaires optimales
étant axée sur le non recours au taux de change comme instrument
de politique monétaire, on peut se demander, dans le cadre d'une Union
monétaire de la CEDEAO, quelle peut en être son utilité.
Cette approche a le mérite, non seulement, de mettre en lumière
l'inefficacité des dévaluations compétitives dans la
sousrégion, mais aussi de révéler la portée
réelle du recours au taux de change pour améliorer la
compétitivité des économies de la zone.
II.1. Considérations générales sur
l'inefficacité du taux de change
Selon la théorie économique, qu'elle soit
d'inspiration néo-keynésienne ou monétariste, le taux de
change constitue un instrument de stabilisation de l'économie. Ce
faisant, la dévaluation est devenue une composante importante des
programmes d'ajustement structurel.
II.1.1 Le mécanisme vertueux de la
dévaluation
Le mécanisme vertueux de la dévaluation repose
essentiellement sur une modification de la demande globale qu'engendre une
modification des prix relatifs en faveur des biens échangeables. Ainsi,
la dévaluation exerce un transfert de demande vers les biens domestiques
de la part tant des résidents que des étrangers ; à
l'intérieur, elle réoriente également les facteurs de
production vers les biens échangeables. La condition pour observer un
tel effet positif est que la dévaluation intervienne dans une
conjoncture de sous-emploi, de sorte que s'en suivent un accroissement de la
demande globale, un accroissement de la production et une amélioration
de la balance commerciale dans le pays où la monnaie a été
dévaluée13. Même si le contexte de
l'économie ouest africaine renforce l'hypothèse de sous-emploi,
il
13 Cet aspect de l'inefficacité des dévaluations a
été longuement développé par les
structuralistes.
reste que la sous région connaît de nombreux
obstacles tant au niveau de la demande globale que de l'offre globale qui
rendent négatifs les effets de la dévaluation.
II.1.2. Les obstacles à la réalisation
des effets positifs de la dévaluation en Afrique de
l'Ouest
Les économies ouest africaines connaissent de
nombreuses difficultés qui empêchent la dévaluation de
produire des effets bénéfiques. Du coté de la demande, la
dévaluation peut avoir les effets ci après :
· Un effet d'encaisses réelles qui se traduit par
une baisse de la demande de biens et services ;
· Une détérioration de la balance
commerciale lorsque les importations se révèlent
inélastiques au prix, selon l'enseignement du théorème
Marshall-Lerner-Robinson dit des élasticités critiques.
En effet, le renchérissement des produits
étrangers, engendré par la dévaluation, va
nécessairement provoquer un ajustement à la hausse des encaisses
monétaires nominales des agents économiques, qui pour la plupart
dans la sous région ont un revenu moins élevé.
Ajouté à cela, le faible niveau de développement de la
sous région qui fait de la détention de la monnaie - en l'absence
d'actifs financiers (tels que les actions de sociétés ou les
obligations) - l'une des formes privilégiées de richesse.
L'ajustement des encaisses monétaires étant essentiellement dus
aux motifs de précaution et de spéculation, cela peut se traduire
par une diminution de la demande des biens de consommation ou
d'équipement par les agents nationaux. De la sorte, si l'accroissement
de la demande étrangère de produits nationaux n'arrive pas
à contrebalancer l'effet d'encaisses réelles, la
dévaluation provoquera des effets négatifs.
Quand à la détérioration de la balance
commerciale que rend possible la dévaluation, elle peut être
appréhendée non seulement, à travers la
détérioration des termes de l'échange qu'engendrerait
l'augmentation des exportations de biens primaires14 ; mais aussi,
en présence de l'inélasticité des importations et des
exportations. En effet, dans le cas où la dévaluation
entraînerait une hausse de la demande étrangère de biens
nationaux essentiellement primaires, l'incitation à exporter davantage
ces biens, même si elle améliore les performances à
l'exportation de la région, pourrait alimenter la baisse du prix de ces
biens au niveau mondial (détérioration des termes de
l'échange), réduisant ainsi les recettes d'exportations. La
14 La région possède un avantage
comparatif dans l'exportation des biens primaires.
situation de la balance commerciale s'aggraverait aussi, si
à la fois les importations et/ou les exportations ne s'avéraient
pas élastiques au prix - c'est-à-dire si aucune incitation
à exporter plus et à importer moins ne résulte de la
dévaluation. Cette dernière hypothèse fera l'objet de
nombreuses études empiriques en Afrique de l'Ouest. Nous nous proposons
ci dessous de faire la synthèse de quelques investigations.
II.2. L'inefficacité du taux de change en Afrique
de l'Ouest
Les différentes élasticités prix des
importations et des exportations fournies par les modèles
ECOMAC15, PROMES16, et les fonctions d'importation et
d'exportation17 de neuf (9) pays ouest africains et six (6) pays
industrialisés ont fait l'objet d'analyse par Ouédraogo (2003).
Selon l'analyse: « les fonctions d'importations et d'exportations
estimées pour des pays d'Afrique de l'Ouest confirment la faible
élasticité de ses échanges par rapport aux prix, et
suggèrent que le taux de change ne pourrait avoir qu'une faible
efficacité comme instrument de stabilisation ».
L'histoire monétaire des Etats ouest africains a
montré que la modification de la parité a été
souvent utilisée pour corriger les déséquilibres
macroéconomiques dont la source se trouve dans les finances publiques.
Ainsi, en gonflant artificiellement ces revenus d'exportations en monnaie
nationale, la dévaluation permet d'opérer des
prélèvements fiscaux et parafiscaux. Elle apparaît de ce
fait comme un moyen de financement de la dette intérieure de l'Etat.
Cependant, s'il est un fait que la dévaluation produit des effets
positifs qu'une fois opérée par surprise et de manière
exceptionnelle, elle a pour effets contraire d'alourdir non seulement le poids
de la dette extérieure qui est libellée en dollar, mais aussi de
pérenniser des structures d'exportations, qui dans le cas des Etats
ouest africains, sont essentiellement dominées par un ou deux produits
primaires.
A la lumière de ce qui précède, on peut
en faisant référence à la théorie des ZMO et plus
particulièrement aux avantages d'une monnaie commune à plusieurs
Etats, soutenir qu'une monnaie unique pour tous les Etats membres de la CEDEAO
va contribuer à améliorer
15 Il s'agit des travaux de N'cho et Charlier (1997) et de
Egwaikhide (1999).
16 Il s'agit des travaux de Diop (2001), Koné
(2000), Samba (1998), Kossi (2001), Kossi et Doe Lubin (2001) et Soguié
(2001).
17 Ce sont celles établies par Senhadji (1998),
et Senhadji et Montenegro (1999).
le niveau des échanges intra régionaux. Certes, il
ne suffit pas d'avoir une monnaie commune pour voir se réaliser comme
par enchantement un boom commercial intra régional.
L'avantage donc de la monnaie commune est qu'elle offre un
terreau fertile pour l'adoption de mesures économiques ayant trait
à la libéralisation des échanges intra régionaux
comme la levée des barrières tarifaires, le bon fonctionnement
des mécanismes de compensation, la surveillance multilatérale
accrue et la mise en place de dispositifs institutionnels
consensuels18. Aussi, l'adoption d'une monnaie unique à
coté de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires (OHADA) déjà en vigueur, va consolider dans l'esprit des
entrepreneurs et investisseurs l'idée selon laquelle, le marché
ouest africain est un marché unique ; ce qui permettra à la zone
d'offrir des opportunités d'économies d'échelles
importantes. Ceci permettra aussi de booster la production de produits
manufacturés, qui font le plus objet d'échange19.
Dans le sens où la zone monétaire, selon la
théorie des zones monétaires optimales, est
caractérisée par la rigidité des taux de change entre les
pays et/ou la flexibilité du taux par rapport à
l'extérieur et le fait que la zone ouest africaine est peu sensible aux
variations de prix des importations et dans une moindre mesure par ceux des
exportations, la CEDEAO offre un cadre idéal pour aller vers la
consolidation des taux de change de ses membres. Ces deux traits
caractéristiques majeurs des économies ouest africaines,
ajoutés à leur extrême extraversion, militent plus que tout
à la prise de mesures pour faciliter l'envolée des
échanges intra régionaux. L'une des solutions serait par exemple,
de résoudre, pour ce qui concerne le commerce intra régional de
l'Afrique de l'ouest, le problème récurrent des systèmes
de paiements dans la zone (intégration financière). Et le moyen
le plus adéquat est l'adoption d'une monnaie unique par tous les Etats
ouest africains. Cette option est d'ailleurs envisagée par la CEDEAO,
qui en la formulant en 1983, s'est lancée dans la détermination
d'une stratégie en vue de donner corps à cette monnaie
communautaire.
18 On peut observer cette dynamique d'adoption de
mesures économiques au niveau communautaire, à travers le
fonctionnement actuel de l'UEMOA, qui a comme institution
spécialisée la BCEAO.
19 Dans un article célèbre mais
controversé, A.K. Rose estime que l'Union monétaire multiplie par
trois les échanges commerciaux (One Money, One Market : Estimative
the Effect of Common Currency on Trade, Economy Policy, avril 2000, vol.
15, no30.).
IIEME PARTIE : LE PROJET DE CREATION D'UNE
ZONE MONETAIRE UNIQUE EN AFRIQUE DE L'OUEST
Caractérisé avant les indépendances par
des systèmes coloniaux largement constitués sur des bases
régionales, l'Afrique sera marquée par une décomposition
en zones monétaires multiples et par l'échec des tentatives de
regroupements nationaux (exemple de la Fédération du Mali) au
lendemain des indépendances. Dès 1960, il est apparu que la
«balkanisation» du continent constituait un facteur de
vulnérabilité externe qui limitait les possibilités de
croissance interne et réduisait le poids du continent dans les
négociations internationales. L'exiguïté des marchés
nationaux dans chaque région africaine, y amoindrit le jeu des
économies d'échelle, et l'existence de zones monétaires
divergentes y rend cruciaux les problèmes de paiements intra
régionaux.
Une première solution va consister, pour la
région ouest africaine, en la mise en place d'une Chambre de
compensation (CCAO), à laquelle va succéder le PCMC. Mesurant la
gravité des problèmes de paiements, l'idée de créer
une monnaie unique pour toute la CEDEAO va être émise et un plan
d'action va être élaboré à cet effet à
Lomé en 1999.
Dans un premier chapitre, nous examinerons l'efficacité
et la rationalité économique qui sous-tend ce plan ; puis, dans
un second chapitre, nous analyserons les chances de succès du projet, en
passant au peigne fin les enjeux et les perspectives du processus
d'intégration monétaire.
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