Section II : Enjeux et perspectives
La grande inconnue dans le projet Ouest africain, comme celle
qui a prévalu dans le projet européen, c'est le temps qui
pourrait être nécessaire pour enfin voir tous les Etats utiliser
la même monnaie.
A défaut d'être précis sur le temps
nécessaire pour créer l'Union monétaire de la CEDEAO, on
peut, cependant, noter que dans la perspective de l'observation
intégrale des critères de convergence par la ZMAO, un certain
nombre d'enjeux voire de défis resteront à être
relevés. En effet, des réponses aux questions suivantes devront
être trouvées: quel régime de change peut être
adopté pour l'Eco et la monnaie unique-CEDEAO ? Etant
donné que la monnaie d'ancrage de l'Eco est le dollar, quelle
peut être celle de la monnaie uniqueCEDEAO ?
II.1 Le régime de change de
l'Eco
Pour que la ZMAO soit une zone monétaire effective et
durable, il faut qu'elle arrive à adopter un régime de change
adéquat, qui lui permettra d'afficher plus de crédibilité.
La nécessité d'être crédible est un objectif certain
que la ZMAO se devra d'atteindre afin qu'intervienne l'étape de la
négociation entre elle et l'UEMOA pour la création de la ZMU.
L'arrimage de l'Eco au dollar US fournit
l'information selon laquelle le régime de change de Eco risque
d'être fixe. Et selon de nombreuses analyses portées sur les
régimes de change, le Conseil d'émission ou Currency board est de
loin la meilleure technique de gestion à observer. Cette technique a
permis à de nombreux pays qui l'ont adoptée d'obtenir des
résultats spectaculaires en matière d'inflation (3,3% en
Argentine en 1995 contre 272% en 1991 ; 36 % en Bulgarie en 1998 contre 572% en
1997). Elle est aussi présentée comme une solution adaptée
aux petits pays (Pays baltes, Hong Kong,...), pour lesquels la perte du
contrôle du taux de change nominal comme variable d'ajustement ne pose
pas de problème
majeur, et à ceux qui connaissent l'hyperinflation
(Hanke S. et Walters A. (1992) ; Sgard J., (1998); Dupuy M. (1998). En quoi
consiste donc le Currency board ou Conseil d'émission ? Le Currency
board est régi par trois principes fondamentaux :
· Le rattachement à une monnaie
internationale de réserve. Pour les Etats membres de la zone franc,
leur monnaie- franc CFA- est rattachée à l'euro. Dans la plupart
des cas, la monnaie de rattachement est le dollar (Argentine, Hong Kong,
Lituanie) en raison du fait qu'il intervient dans la facturation des
importations et exportations (instrument des échanges).
· Une base monétaire (réserves
des banques + monnaie fiduciaire) gagée sur les réserves de
change. Le plus souvent, la base monétaire est gagée
à 100% (Argentine, Estonie, Lituanie), parfois entre 110 et 120% pour
éviter les attaques spéculatives (Hong Kong). Actuellement, la
base monétaire du franc CFA est gagée à environ 115% pour
une norme fixée à 20%.
· Une politique monétaire à
caractère subordonné du fait que l'augmentation de la base
monétaire et, par suite, de la masse monétaire ne peut provenir
que de la hausse des réserves en devises. Il n'y a pas de
création de monnaie autonome et aucune possibilité de financer le
déficit budgétaire par la création de monnaie.
L'ajustement s'effectue par les taux d'intérêt et les
opérations d'open-market.
Le grand avantage de cette technique est qu'elle permet de
stabiliser les taux de change en période de crise économique et
financière et ainsi de créer des conditions
macroéconomiques plus stables. Par ricochet, le Conseil
d'émission renforce la crédibilité de la politique
monétaire et fiscale des pays qui l'adoptent. Cependant, les coûts
de cette technique sont la perte des avantages liés à une
politique de taux de change flexible qui permet de maintenir la
compétitivité des économies (dévaluations
compétitives). Aussi, elle a pour inconvénient de provoquer des
crises bancaires souvent profondes comme ce fut le cas en Estonie en 1992 et en
Argentine en 1995. Ces crises ont été provoquées par le
fait que le Currency Board ne permet pas, en principe, de fournir des
liquidités aux banques en difficulté. Son incidence
déflationniste retentit fréquemment sur l'économie
réelle (Argentine) et se heurte à la non flexibilité des
salaires et des prix. Et il en découle souvent une appréciation
du taux de change réel.
En somme, c'est un régime extrêmement rigoureux
qui verrouille des marges de manoeuvre aux Etats en matière de politique
monétaire. Pour parvenir à adopter cette technique avec
succès, il est nécessaire d'entretenir une réserve en
devises assez importante.
« A l'exception du Nigeria, les autres pays de la ZMAO
connaissent une insuffisance de réserves en devises liée à
la forte dépendance de leur économie aux prix des matières
premières » Sow (2004). On peut donc rester dubitatif sur la
capacité de la ZMAO à observer le Currency board avec
succès dans le court terme. Notons que la stratégie Ouest
africaine de monnaie unique s'inscrit dans la stratégie de l'Union
Africaine (UA) de doter le continent d'une monnaie unique en 2021.
II.2 La problématique de la monnaie
unique-CEDEAO
Pour qu'intervienne la fusion de la zone UEMOA et de la zone
ZMAO, outre les performances de la ZMAO qui devront être satisfaisantes,
des points sensibles liés notamment au régime de change de la
monnaie de la future ZMU et de la devise de rattachement devront être
clarifiés.
II.2.1 La question du régime de change de la
monnaie unique
L'idée même de la création d'une monnaie
autre que le franc CFA en Afrique de l'Ouest traduit le désaveu des
autres pays de la région de participer à l'UEMOA sous sa forme
actuelle.
Pour que la définition de la monnaie communautaire ne
soit une étape qui fasse obstacle à la création de la zone
monétaire unique, il est essentiel de faire un tour des
différentes critiques faites à l'UEMOA (ou à la zone CFA).
Ces critiques portent essentiellement sur la dépendance de cette monnaie
vis-à-vis d'une monnaie étrangère et de la rigidité
de son ancrage au franc français et à l'euro.
Selon la théorie économique, la monnaie
d'ancrage d'une zone monétaire doit être celle de
l'économie la plus forte. Dans le cas d'espèce, le Naira devrait
jouer le rôle pivot dans la construction monétaire ouest africaine
si toutefois il était crédible. Mais les mauvaises performances
de cette monnaie ne permettent pas une telle option (Masson P. et Patillo C.,
2005). De plus, la faiblesse du niveau du commerce intra communautaire de la
CEDEAO, qui est de l'ordre de 10% des échanges extra communautaire,
traduit un niveau des revenus faibles et l'exiguïté des
économies. En revanche, l'UEMOA qui a opté pour un ancrage
à l'euro est parvenue à l'objectif de stabilité
monétaire34. Elle a su éviter les problèmes
qui
34 La stabilité monétaire résulte du fait
que le taux de change indexé réduit les risques liés aux
unités monétaires faibles.
assaillent habituellement les pays du tiers monde tels que
l'existence de marchés parallèles pour les devises
étrangères, le contrôle des changes ou les infractions
à la réglementation des changes. L'UEMOA est aussi parvenue
à maîtriser l'inflation. Dans un tel contexte, bien que les
critiques ne manquent pas sur la zone CFA, l'indépendance
monétaire en Afrique de l'Ouest serait dès le lancement de la
monnaie unique une option peu envisageable, en raison de la non
crédibilité des monnaies dites «indépendantes»,
présentes dans la zone. Par contre, l'arrimage à une monnaie
internationale est l'option réaliste à envisager en raison de
l'expérience réussie de l'UEMOA.
L'inexistence des conditions nécessaires pour aborder
avec sérénité la gestion d'une monnaie totalement
«indépendante», fait que l'inconvénient de la
rigidité des taux de change dans le Currency board avec son corollaire
de contraintes en matière de politiques économiques (gestion
monétaire, équilibres budgétaire et extérieur), ne
milite pas a priori pour l'adoption d'un régime de change fixe rigide
pour la monnaie unique CEDEAO. Toutefois l'objectif recherché, à
savoir une monnaie crédible pour les Etats membres de la ZMAO, renforce
l'option d'un régime de change à parité fixe par rapport
à une monnaie forte, ou à un panier de monnaies fortes. Cette
parité, outre la discipline monétaire qu'elle exige,
nécessite que le rythme des crédits intérieurs et du taux
d'inflation n'excède pas ceux du pays, ou de la zone d'ancrage.
II.2.2 Le problème de la monnaie
d'ancrage
Une fois la monnaie Eco émise, il ne restera
dans la zone CEDEAO que deux monnaies convertibles rattachées chacune
à une monnaie internationale, si l'on s'en tient à ce que
prévoit la stratégie. A partir de ce moment, la Communauté
n'aura que deux choix possibles à faire : soit la monnaie communautaire
sera rattachée à un panier de monnaies comprenant l'euro et le
dollar, soit elle sera ancrée à une monnaie composite comme le
DTS. Ces deux options offrent l'avantage de réduire l'ampleur des
fluctuations de la monnaie régionale par rapport à chacune des
grandes devises internationales, qui parfois, enregistrent entre elles de
fortes variations.
Une analyse de l'opportunité d'un ancrage de la future
monnaie commune de la CEDEAO à une devise composite comme le DTS conduit
à douter de la nécessité d'opter pour un tel choix. En
effet, les problèmes récurrents de collectes et de traitement de
données dans la Zone montrent que l'entreprise sera plus ardue pour la
Communauté de gérer
efficacement un ancrage au DTS. De plus, l'histoire du
système monétaire international enseigne que très peu de
pays optent pour un ancrage de leur monnaie au DTS. Si en 1982, 15 monnaies
étaient rattachées au DTS, en 1996 il ne restait seulement que
deux pays ayant rattachés leur monnaie à cette
devise35. Par contre, le rattachement à un panier de monnaies
est fort probable en raison de la flexibilité qu'il comporte dans
l'affectation des différents quotas aux devises internationales qui
entrent dans la composition du panier. En Pologne par exemple, le
zloty (la monnaie polonaise) est rattaché à l'euro (55%)
et au dollar (45%) depuis 1999 ; avant cette date, le panier comprenait le mark
et le dollar.
Une meilleure évaluation des parts de chaque monnaie
dans le panier de devises permettra de réduire au mieux les fluctuations
de la valeur des transactions internationales exprimée en monnaie
régionale. La CEDEAO réalise 40% des échanges
internationaux avec l'Union européenne, une pondération de l'euro
à un pourcentage équivalent pourrait garantir la stabilité
du taux de change pour environ 50% des échanges internationaux de la
zone. Du fait du poids du dollar et de l'euro dans la facturation
internationale des exportations, des importations et de l'évaluation de
la dette des pays membres de la CEDEAO, Berthélémy et Chauvin
(1998) proposent un ancrage à un panier constitué uniquement de
l'euro et du dollar comme en Pologne. Mais, en raison de la percée
actuelle de la Chine continentale sur le marché africain et mondial,
l'on peut aussi envisager la prise en compte du yuan dans le panier. Cependant,
avant toute décision allant dans le sens de déterminer la part de
chaque monnaie dans le panier de devises, une analyse de l'orientation
géographique des paiements internationaux de l'ensemble CEDEAO avec une
prise en compte du poids des monnaies dans la facturation des échanges
internationaux et opérations relatives à la dette devra
être effectuée.
Il apparaît au terme de ce chapitre, qu'il n'y a pas
lieu de douter de la volonté politique des Etats membres de la ZMAO, en
raison de l'amélioration de leurs performances macroéconomiques
après 2004. On peut retenir, aussi, que non seulement la monnaie
Eco ne pourra pas être crédible dans le court terme ;
mais aussi, que l'avènement de la ZMU demeurera problématique
tant des réponses définitives ne seront pas trouvées aux
questions ayant trait au régime de change et à la (les) devise(s)
d'ancrage de la monnaie unique.
35 Ces données proviennent de BOURGUINAT Henri,
Finance internationale, Paris, Presses Universitaires de France, 1997,
4è édition, p528-529.
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