Chapitre I : Les fondements théoriques de
l'intégration monétaire
La théorie économique, depuis plus d'une
quarantaine d'années, s'efforce de répondre à la question
de savoir : à partir de quels critères, peut-on considérer
que, des espaces monétaires nationaux ont intérêt à
se rassembler et à ne former qu'une seule zone monétaire
marquée par l'existence, soit d'une monnaie unique, soit d'une structure
de parité fixe et irrévocable. Jusqu'à ce jour, seulement
deux séries de critères sont susceptibles d'être
utilisées pour définir une zone monétaire optimale. Si les
plus traditionnels sont formulés par Mundell R. (1961), McKinnon R.
(1963) et Kenen Peter B. (1969) (section I), il a paru utile après eux,
de les compléter par un nouveau type d'analyse dit analyse coûts -
bénéfices par d'autres économistes (section II).
Section I : La théorie des zones
monétaires optimales
I.1. L'approche « traditionnelle » de la
théorie des ZMO
La théorie des ZMO est basée sur l'idée
qu'une caractéristique particulière détermine la taille
idéale d'une ZMO. Plus précisement, la théorie cherche
à identifier le critère qui permettrait de réduire les
coûts de l'autonomie de l'abandon monétaire. Mundell identifie la
mobilité des facteurs de production comme substitut à la fonction
d'équilibre du système de change; tandis que, McKinnon et Kenen
analysent des situations où l'outil de change serait inefficace
(c'est-à-dire des situations où l'abandon du système de
change flexible n'engendrera pas de coût supplémentaire).
I.1.1 La mobilité des facteurs de production (Mundell
R.)
Mundell R. (1961) a été le premier à
fournir l'un des critères les plus intéressants de la zone
monétaire optimale. Selon lui, deux pays A et B (ou n pays)
auront intérêt à former une zone monétaire unique
(avec change fixe), si et seulement si, la mobilité des
facteurs à l'intérieur de la zone qu'ils constituent en se
réunissant est plus forte que celle qui apparaît vis-à-vis
de l'extérieur. A l'inverse, si la mobilité des facteurs est plus
faible à l'intérieur de la zone constituée par A et B que
vis-à-vis de l'extérieur, la formule des changes flexibles sera
plus avantageuse.
Pour le justifier, Mundell va considérer deux
économies, A et B, liées par un processus d'intégration.
Si un choc exogène (par exemple : augmentation du prix de
l'énergie) déplace
la demande du pays A vers les produits du pays B, il en
résultera, si les facteurs ne se déplacent pas entre A et B :
· Pour le pays A : une sous-utilisation de son potentiel
de production (donc une baisse de la production), entraînant une hausse
du chômage et probablement un déficit de sa balance commerciale
;
· Pour le pays B : une surcharge, au contraire, de ses
capacités (donc une hausse de la production), des tensions
inflationnistes et un excédent commercial.
Pour corriger ce déséquilibre, un
système de change flexible y est recommandable. En effet, en
dévaluant la monnaie de A et en réévaluant celle de B,
toute choses étant égales, l'économie de A
réduirait le prix de ses exportations, malgré des effets pervers
(inflation, perte de crédibilité de la monnaie), et
rééquilibrerait sa balance.
Par contre, si les facteurs sont susceptibles de se
déplacer aisément entre A et B, il y aura transfert de facteurs
(main d'oeuvre, épargne de A vers B, capacités productives,
diminution des tensions inflationnistes et de la sur utilisation des
capacités). S'en suivra, en A, une diminution du sous-emploi et de
l'inflation sans recours au taux de change. Ainsi, des Etats auront
intérêt à former une Union monétaire, lorsque la
mobilité de leurs facteurs est avérée.
I.1.2 Le degré d'ouverture des économies
(McKinnon)
En 1963, McKinnon va proposer le degré d'ouverture
des économies comme critère à l'établissement
d'une zone monétaire. Autrement dit, les coûts liés
à l'abandon du taux de change comme instrument de politique
économique diminuent en fonction du degré d'ouverture des
économies et de l'importance de leurs échanges
réciproques. Ce degré d'ouverture des économies, il le
définira par le ratio des biens échangeables au niveau
international sur le PNB (Produit national brut).
Plus le degré d'ouverture d'un pays est
élevé, plus ce pays est vulnérable au changement des prix
mondiaux. Ainsi, plus les pays sont « ouverts », plus ils ont selon
McKinnon intérêt à avoir des changes fixes. Et plus, ils
seront « clos », plus ils auront intérêt à avoir
des changes flexibles. Deux types de justification vont être
apportées par l'auteur.
Soit un pays relativement « ouvert » où les
biens non échangeables représentent
seulement 40% du PIB, et les biens échangeables 60%.
S'il intervient une chute de
10% de la demande de biens échangeables causée
par l'appréciation du change, il
faudra pour la compenser, 15% (6/40*100) d'augmentation de la
demande de biens non échangeables pour que le niveau de revenu reste
inchangé. Par contre, si l'on prend un pays relativement « clos
» pour lequel les biens non échangeables comptent pour 90% et les
biens échangeables pour 10% seulement, il faudra, au cas où la
demande de biens échangeables diminuera de 10%, seulement 1,1%
(1/90*100) d'augmentation de la production de biens non échangeables
pour compenser cette baisse de demande de biens et maintenir le niveau de
revenu national réel. Il en résulte que pour les pays très
ouverts, les changes fixes (zone monétaire) paraissent plus
indiqués tandis que pour ceux qui sont les plus « fermés
», les changes flexibles paraissent moins perturbateurs.
Les variations de change auraient un fort impact sur les
prix relatifs des biens échangeables/biens non échangeables,
exprimés en monnaie locale pour les pays relativement ouverts. En effet,
si l'ouverture est forte, toute dépréciation du change qui
interviendrait en cas de changes flexibles aura un impact significatif sur le
rapport demande locale/demande externe. L'affectation des ressources sera ainsi
fortement perturbée et l'impact des variations de change par la
modification des prix relatifs sera très sensible. Par contre, si
l'ouverture est faible, le secteur des biens non échangeables dominera ;
ce qui aura pour effet d'atténuer le rôle perturbateur des
variations de prix relatifs dues au change. Dans ce cas, le choix des changes
flexibles sera opportun.
I.1.3 La nature de la spécialisation
(Kenen)
Dans sa réplique à Mundell et McKinnon, Kenen
(1969) va se focaliser sur la spécialisation des
économies au sens de la diversification de la production et de la
consommation. Il va aussi compléter l'analyse de Mundell en
élargissant les échanges internationaux aux mouvements de
capitaux et considérer la zone monétaire optimale non pas comme
une zone mono productrice, mais plutôt, comme un ensemble de
régions économiques.
Pour lui, les économies diversifiées peuvent
plus facilement adopter des changes fixes et s'intégrer à une
zone monétaire que celles qui se caractérisent par une
diversification modeste. Aussi, une forte diversification de la production ou
de la consommation ainsi que la similitude de la production diluent l'impact
possible d'un choc dans un secteur ou pour un
bien spécifique. Dans ce cas, un choc n'aura que peu
de conséquences sur l'agrégat et affectera les pays de
manière similaire. Par conséquent, plus la structure industrielle
des pays est diversifiée, moins il est vraisemblable que des chocs
frappant un secteur d'activité se transforment en chocs d'envergure
nationale. La diversification et la similarité de la production
réduisent le besoin de politique de change et donc des coûts de
son abandon.
Dans le sillage des avancées de l'intégration
monétaire en Europe, d'autres critères de convergences vont
être formulés (notamment à partir de la fin des
années 1960). Pour la plupart, ces critères sont des avatars de
ceux formulés par Mundell et McKinnon. Il s'agit de la similarité
des taux d'inflation, du degré d'intégration des marchés
financiers, de la flexibilité des prix et de
l'homogénéité des préférences.
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