Section II : Discussion
Nous allons passer en revue les trois thèmes
ci-après : la capacité stratégique des leaders et leurs
limites interprétatives ; les conditions interprétatives et les
facteurs de contingence.
IV.2.1 Les capacités stratégiques des
personnes et limites perceptuelles ou interprétatives.
L'une des causes du peu de développement des pratiques
d'lE dans les différentes entreprises est sans doute à trouver
dans l'absence d'une réflexion stratégique formelle qui
caractérise les pratiques managériales d'une majorité de
ces entreprises. Or, ce qui apparaît clairement est que pour qu'une
veille soit véritablement implantée, une réflexion
stratégique plus poussée est un préalable
nécessaire (FRION, 2004) à la fois en amont du processus, et lors
de la discussion et de l'interprétation des résultats.
Les dirigeants et preneurs de décision devront
être au centre du dispositif de veille stratégique et diE.
Cependant, dans les entreprises, le dirigeant est souvent le seul concepteur de
la stratégie de sorte que cette dernière est étroitement
liée à sa personnalité (MCCARTHY, 2003). C'est sur sa
perception des changements se profilant dans son domaine d'activités que
reposent les mouvements stratégiques de l'entreprise : ceux-ci
reflètent les anticipations et interprétations que le dirigeant
se fait de ce que sera le futur. De ce fait, les bénéfices
à tirer d'une veille concurrentielle organisée
indiscrètement dépendent directement de l'intelligence
perceptuelle des dirigeants (CALLOT, 2006) et de leur capacité à
donner du sens aux données (WEICK, 1995) et faits recueillis dans le
processus de veille.
Intégration de l'Intelligence Economique (IE) dans
les pratiques managériales des Entreprises Congolaises
El MABROUKI (2007) dans son étude sur les
pratiques d'IE dans sept grandes entreprises arrive à la conclusion que
la veille n'y serait qu'un simple service fonctionnel de veille
personnalisée aux décideurs1. S'appuyant sur les
travaux de DAFT et WEICK [984] qui voient l'organisation comme un
système d'interprétation et de création de sens pour
l'action (enactment), El MABROUKI constate que le groupe de veille ne passe que
peu de temps dans l'interprétation des données parce que cela
prend beaucoup de temps d'effectuer la recherche d'information. Par dans I'
ensemble des cas étudiés, la majeure partie du travail des
responsables IE est de répondre aux besoins des dirigeants en
information. Ces demandes ont un caractère d'urgence, elles
réduisent le rôle de I'IE à un service traditionnel, certes
personnalisé, de veille et donc de la seule collecte et diffusion de
l'information. Par conséquent, le véritable travail
d'interprétation et de réflexion stratégique serait
effectué de façon informelle et transversale par les
décideurs.
CARON-FASAN [2001] définit l'exploitation des signaux
faibles comme une activité conjuguée de construction de sens
créative par l'interprétation des informations collectées.
La construction de sens restant essentiellement individuelle au sens de WEICK
[995] même si ce processus est social. Les expériences peuvent
être partagées entre les différents membres de
l'organisation mais le sens et sa construction le sont beaucoup moins. Par
ailleurs, nos résultats fournissent quelques pistes d'explication sur
les raisons qui pourraient expliquer le faible taux de développement des
pratiques formelles et systématisées de veille stratégique
et d'intelligence économique observé dans les études sur
les entreprises (GROOM et DAVID, 2001)
IV.2.1.2. Conditions organisationnelles
On peut se demander si les décideurs lisent les
journaux de presse, les revues scientifiques de management, participent aux
salons, forums internationaux et s'adonnent à la lecture de
différents rapports ! Dans le cas de l'entreprise (C), la dirigeante
avouait ne lire les rapports que lorsqu'une rencontre d'évaluation
était prévue avec les auditeurs, chercheurs et experts. Pour
anecdotique que cela puisse paraître, on peut en déduire que
devant l'urgence des opérations quotidiennes, les dirigeants
d'entreprises auraient besoin de formaliser les réunions de veille, de
les inscrire formellement dans leur agenda et surtout, d'être
accompagnés dans ce processus.
Sous d'autres cieux, les grandes entreprises mettent
jusqu'à 0,50% de leur chiffre d`affaires pour soutenir l'IE (SALLES,
2003) mais ici chez nous les entreprises sont loin de vouloir consentir une
part aussi importante de leur budget à cette fin. Car leur logique est
plus orientée vers le profit que la manière de bien faire ce
profit. Cela ressort clairement quand on demande aux dirigeants qui ont
participé à cette recherche.
1 « Dans l'ensemble des cas étudiés, la
majeure partie du travail des responsables IE est de répondre aux
besoins des dirigeants en information. Ces demandes ont un caractère
d'urgence, elles réduisent le rôle de l'IE à un service
traditionnel, certes personnalisé, de veille et donc de la collecte et
diffusion de l'information. » (El MABROUKI, 2007, p.16).
Intégration de l'Intelligence Economique (IE) dans
les pratiques managériales des Entreprises Congolaises
Même s'ils sont convaincus de la valeur de l'information et
de la nécessité d'être au courant de ce qui se passe sur
leur marché, la réponse demeure qu'il y a d'autres
Priorités. De ce fait, il semble avantageux de développer des
ressources collectives susceptibles de prendre en charge une partie de l'IE.
Sur ce point, nous rejoignons Al ABDULSALAM et PATUREL [2006] lorsqu'ils
soulignent que les syndicats professionnels peuvent jouer un rôle
important dans ce domaine pour les PME.
Toutefois, si la France, l'Afrique du sud et autres pays
disposent d'ores et déjà de diverses organisations actives dans
la promotion de la veille stratégique et de l'IE, tel n'est pas le cas
en RDC où les ressources d'information sont dispersées et
correspondent à la division territoriale où il n'existe pas
encore des structures, institutions et législations et, même les
chambres de commerce et d'industrie et cabinets spécialisés en
cette matière ou même un organe fédérateur pour
faciliter le partage des ressources informationnelles.
IV.2.1.3. Facteurs de contingence
Pour la théorie de la contingence en
résumé, aucune forme organisationnelle ne prévaut en
efficacité ; il n'y a plus une seule et meilleure organisation. Une
organisation ne peut être efficace que dans la mesure où
l'ensemble des paramètres internes est compatible avec les exigences et
les contraintes de" l'environnement dans lequel elle opère. Divers types
d'organisation correspondent à des environnements différents. Les
changements qui se produisent dans l'environnement imposent donc des
changements organisationnels et la responsabilité des dirigeants sera
d'ajuster l'entreprise à son environnement tout en assurant la
cohérence interne. Plus performantes sont celles dont le modèle
d'organisation est le mieux adapté au rythme de changement des
conditions techniques et de marché.
Les environnements des entreprises sont divers tant dans leur
rythme de changement que dans le niveau de concurrence. De ce fait, on ne
gère pas une officine pharmaceutique comme on le ferait avec une
entreprise de médias, ou une entreprise de
télécommunication...les réactions des entreprises et les
besoins en information varient. A cet égard, le propos de LARIVET sur le
fait que les entreprises ayant une stratégie claire soient plus
demandeuses d'information peut nous indiquer que les entreprises faisant face
à des environnements très mouvants soient plus demandeuses
d'informations. La taille tout en ayant une influence certaine sur les
ressources dévolues à la veille ne fournit cependant pas une
relation linéaire. Il apparaît que les entreprises (A et B) sont
largement plus convaincues de la veille que certaines autres (notamment
l'entreprise de moins de 30). Par contre la situation de cette dernière
entreprise (PME3) était difficile, celle-ci faisant face à un
marché déclinant. « Dans la plupart des entreprises il n'est
pas rare qu'il n'y ait aucune personne responsable de la recherche de
l'information »FRION (2004).
Par ailleurs, L'une des raisons qui peut expliquer
également la réticence de l'entreprise, vis-à-vis de
l'intégration de l'IE, est sa faiblesse quant à l'approbation et
l'utilisation des nouvelles technologies. En effet, la fiabilité des
systèmes, à
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les pratiques managériales des Entreprises Congolaises
l'information et les capacités intrinsèques de
l'entreprise en termes de compétences, de management et de culture sont
autant d'éléments qui définissent l'aptitude de
l'entreprise à s'affranchir de l'IE. Sous l'effet de la mondialisation
et de l'explosion des technologies de l'information et de la communication, en
particulier de l'Internet et de la téléphonie mobile, les
entreprises sont désormais confrontées à une information
surabondante. Face à cette situation, les entreprises sont
amenées à intégrer, peu à peu, les concepts de I'
intelligence économique (IE) dans leur stratégie
générale.
Derrière le concept quelque peu abstrait de
l'intelligence économique, se cache une réalité toute
simple : pour rester compétitives (innover, produire). En effet,
l'environnement des entreprises l'ont complètement changé ;
l'information est devenue une matière essentielle au bon fonctionnement
de l'entreprise. Les entreprises l'ont aujourd'hui bien compris.
Mais la démarche est encore loin d'être
formalisée et intégrée dans la réflexion
stratégique. C'est à cette hauteur que les NTIC offriraient
actuellement des perspectives démultipliées d'accès
à une information fiabilisée et bien élaborée.
Cependant, faire de l'intelligence économique ne se résume pas
simplement à se procurer des outils et du matériel technologique
de pointe mais implique une mise en oeuvre d'une démarche bien
pensée qui, de ce fait, peut paraître un facteur de succès
pour l'IE. Ce qui nous pousse à proposer un cadre logique applicable
dans nos entreprises pour faire face à cette nécessité.
IV.2.2. Esquisse d'une démarche de mise en
oeuvre.
IV.2.2.1. Questions
préalables
Avant de mettre en place un système de veille, il faut
s'interroger sur :
- Les enjeux d'un système de veille pour l'entreprise ?
son utilité ?
- Le type d'information qui va falloir prendre en compte dans ce
système ? - Comment organiser le système de surveillance ?
- Cibler le domaine d'activité à surveillance ?
- Sélectionner les outils permettant de rechercher, de
collecter de trier et de diffuser l'information ?
- Comment sélectionner l'information : fraîcheur,
pertinence, exhaustivité - Choix d'une stratégie de diffusion
rapide de ces informations ?
- A combien ce système de veille reviendra : coût
actuel, gains futurs ? et ce, dans une optique de :
- Prendre des décisions avec une meilleure
sécurité.
- Prévoir, surveiller et anticiper les changements
à venir sans se surprendre par les changements technologiques ou autres
: l'entreprise doit appréhender les menaces ou les opportunités
de son marché.
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les pratiques managériales des Entreprises Congolaises
- Evaluer objectivement sa position compétitive actuelle
et future face à ses concurrents.
- Augmenter son profit en vendant mieux et plus efficacement
ses produits.
Développer de nouveaux produits et se positionner sur de
nouveaux marchés.
- Avoir une meilleure vision et perspective des actions actuelles
et futures des
concurrents, et prévoir ainsi leurs intentions.
- Améliorer, développer et élargir
l'ensemble des activités de l'entreprise.
IV. 2.2.2. Comment procéder
Il existe plusieurs méthodes pour mettre en place une
culture d'IE. Tout est affaire d'adaptation à la structure et aux
réalités de l'entreprise. Voici quelques exemples :
- Certaines entreprises pourront proposer des remerciements
plus ou moins honorifiques pour les informations de valeurs qui seront
remontées par des collaborateurs. D'autres vont institutionnaliser des
remontées d'information hebdomadaire.
- Favoriser l'analyse n'est pas aisé. La mise en place
sur l'Internet d'espaces collaboratifs peut aider. Surtout si cela s'accompagne
de la création de communautés de pratique, par métier et
par projet.
- Dans le domaine de la sécurisation, un ancien
directeur général d'une grande société raconte
l'anecdote suivante : quelques-uns de ses directeurs avaient la fâcheuse
manie de laisser traîner des dossiers sur leurs bureaux. Il a
ramassé un soir tout ce qu'il a trouvé ! On imagine la suite !
- En général, dans les entreprises où la
culture IE est bien implantée, on retrouve souvent au poste d'animateur
de I'IE un homme ou une femme dévoué à cette cause :
Ce sera un manager qui ne compte pas son temps, qui a une
forte empathie, un réel plaisir à partager et qui connaît
très bien les rouages et organigrammes informels. L'IE ne s'impose pas,
mais se formalise. Concurrence, marchés, fournisseurs, normes, lois,
technologies, savoir faire stratégiques sont les préoccupations
quotidiennes des chefs d'entreprise dans un monde complexe, international et
bruyant.
Identifier d'éventuelles menaces et surtout
déceler les opportunités doivent faire partie d'une
démarche organisée, structurée, et en partie d'une
démarche organisée, structure, et en partie automatisée.
Par une veille stratégie pensée et planifiée, les
dirigeants des entreprises seront mieux à même de choisir les
meilleures stratégies et de réduire les risques liés
à l'incertitude ».
- Cette démarche est proposée à
l'attention de toute catégorie d'entreprises (grandes, moyenne ou
petites) dans l'esprit de :
- Stimuler l'attractivité des logiques d'intelligence
économique auprès des entreprises : valeur ajoutée,
opportunité d'emplois, apport : développer de nouveaux produits,
analyser la concurrence pour devenir plus performants,
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les pratiques managériales des Entreprises Congolaises
prendre des décisions facilement, mieux vendre (ou se
vendre), obtenir un avantage compétitif, se défendre et à
attaquer (guerre économique),
- Initiatives favorisant la stimulation de la demande,
- Levier favorisant la pratique (alliances, partenariats,
projets, culture), - Augmenter la notoriété des pratiques
auprès des entreprises,
- Pérenniser les actions des conférences de
sensibilisation, formation des
spécialistes, formations intra et sur mesure,
création d'outils spécifiques, mise en place des plateformes
d'e-learning, e-potentiality et business intelligence, accompagnement sur
mesure, échanges d'expériences...
Pour opérationnaliser cette démarche, nous
retenons quelques axes pour atteindre tous ces objectifs qui peuvent faire
l'objet d'un projet, nous citons : l'étude prospective, la
sensibilisation, la formation, l'initiation, l'accompagnement
opérationnel (sur mesure). Le plan d'action, développé
ci-après, s'engage vigoureusement dans un processus d'information et
d'initiation et permet un relais rapide avec tous les secteurs privé et
publique qualifiés.
Le tout devra être formulé clairement dans un cadre
logique ou projet qui peut être ainsi articulé :
IV.2.2.3. Axes du projet
a. Etude prospective
Par des veilles généralisées,
définir le contour du territoire, cartographier les cibles, inventorier
les acteurs en présence, articuler les axes du projet en cours (à
connotation TIC ou de développement durable), recueillir les besoins en
information stratégique d'autres entreprises, inventorier les projets et
les initiatives créatrices de valeur ajoutée notamment en terme
de création d'emplois et de nouvelles richesses. Valider
l'opportunité du projet (formulaires, contacts personnalisés).
b. Sensibilisation
Par un cycle de conférences-débats et
d'exposés mis en place en direction du monde économique
(notamment PME), de l'enseignement et d'autres institutions. Ces débats
s'appuient sur les réseaux existant et permettant, avec des outils
pédagogiques adaptés, un repérage par chacun des contours
et des logiques modernes de l'IE.
c. Formation
- La formation des dirigeants et cadres supérieurs
d'entreprises (constituées dans un club stratégique) aux
pratiques défensives/offensives à caractère IE (menaces et
parades, opportunités d'affaires à saisir et stratégies
d'influence), sécurisation des flux et des systèmes, mise en
place des plate-forme pull/push, d'e-learning et business intelligence par des
partenariats multiples,
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les pratiques managériales des Entreprises Congolaises
- L'intégration d'un module dans la formation de nouvelles
revues avec accent sur les aspects pragmatiques et opérationnels.
d. Accompagnement
A l'aide de deux opérations à effets
complémentaires : - Collectif (réunion à
thème interentreprises)
De nature de permettre, elles réunissent des
participants (notamment des entreprises) intéressés par la
démarche et qui souhaitent vérifier au travers d'exposés
exemplaires, les écueils et les limites de la mise en oeuvre de l'IE. Un
nombre minimum des réunions rassemblant des responsables et cadres
d'entreprises seront mises en place. Elles seront centrées sur des
études de cas réels avec témoignage des entreprises
déjà engagées dans le processus étudié.
- Individualisé (formation intra
entreprise)
Il s'agit de permettre aux entreprises volontaires
d'effectuer un choix argumenté d'engagement individuel dans une
démarche l'IE en connaissance des enjeux, sous forme d'un
séminaire organisé en interne, de préférence
discontinus (initiation, à vocation expérimentale, confiée
à des spécialistes selon un cahier des charges précis). La
mise en oeuvre de l'approche pourrait alors être relayée par le
secteur du conseil privé dans ses composantes TIC, GPI (groupe de projet
information) ou FO (formation aux outils de veille collective).
e. Accompagnement opérationnel sur
mesure
Par la mise en place de clubs d'entreprises GPS (groupes de
projets stratégiques) qui rassemblent des participants effectivement
engagés dans une démarche. Ces clubs bénéficient
d'une animation qualifiée et opérationnelle (méthodologie,
sources techniques, juridiques, économiques, savoir-faire, outils). La
mise en oeuvre et l'utilisation des processus stratégiques
d'anticipation montrent la valeur ajoutée créée au sein
des clubs comme garantie de leur pérennisation en environnement
privé. Pour faciliter les échanges et mieux cibler les actions,
ce club sera subdivisé par la suite en mini clubs sectoriels ou formels
en fonction de la culture des participants et leurs objectifs.
f. Moyens à consacrer au projet.
Les moyens seront affectés en fonction d'ampleur des
projets retenus et du degré d'engagement des acteurs. Toutefois il
convient de prendre en compte :
- les volets sensibilisation, formation, accompagnement
opérationnel, une éventuelle participation aux colloques à
dimension (inter) nationale, les recherches pour la création d'outils
spécifiques
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les pratiques managériales des Entreprises Congolaises
- les actions spécifiques : réunion à
thème, clubs, évaluations en différé et bilans, -
le dispositif du plan de communication,
- les frais d'exploitations et l'investissement matériel
(équipements informatiques notamment logiciels, licences),
- les frais de fonctionnement (structure, personnel)
Malheureusement la multiplicité des financements constitue une
difficulté majeure et amène parfois à faire du palliatif
voire à autoriser le déploiement des projets, non retenus, par
lobbying local.
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