1.3 La médiation, un mode de règlement des
différends dans le cadre d'un partenariat
Avant de présenter le modèle de médiation
que nous considérons approprié pour régler les conflits
qui émanent d'une pratique partenariale entre un client et ses
fournisseurs, il est utile de présenter les insuffisances du mode usuel
qui consiste à résoudre le conflit par négociation sur
position ou selon le mode judiciaire. Ensuite, on dévoile les besoins
d'une alliance partenariale en matière de règlement des
différends commerciaux pour enfin situer le mode proposé avec
tout son potentiel.
1.3.1 Les insuffisances du mode usuel de règlement
des différends
La pénurie de main-d'oeuvre et de sous-traitants
spécialisés poussent les grands donneurs d'ouvrage à
former des alliances partenariales avec des fournisseurs de biens et services
stratégiques afin de sécuriser l'approvisionnement en produits
performants et à la fine pointe de la technologie. Pour la plupart des
grandes entreprises, cette relation de partenariat vertical client-fournisseur
est vue comme une relation gagnant-gagnant, durable, basée sur la
confiance mutuelle, l'équité et le respect91.
Comme les relations de partenariat d'affaires sont des sources
de conflits contractuels, les entreprises préfèrent régler
leurs différends par voie de négociation, et la voie judiciaire
n'est pas considérée que comme un dernier recours. Car avec les
expériences vécues en justice, on peut constater l'insuffisance
du Droit à satisfaire les attentes des entreprises acheteuses ou celles
de ses fournisseurs.
D'abord, le raté du système de justice se
manifeste par l'inégalité d'accès à la justice
entre le grand client et ses fournisseurs, ce qui va à l'encontre de
l'esprit d'équité mis de l'avant dans les valeurs
partenariales. Ainsi, dans un jugement célèbre relatif à
l'affaire Banque de
91 Hydro-Québec, Conseil d'administration,
Politique approuvée le 11 septembre 1998 et en vigueur le
1er octobre 1998.
Montréal c, Bail Ltée92, le
sous-traitant n'était pas en mesure de supporter les coûts du
procès ni d'attendre ce long délai pour régler le conflit
en question. Or, ce genre de situation a déjà été
révélé par la Juge Otis lorsqu'elle disait, dans un
reportage télévisé93 : << Qui peut,
aujourd'hui, se payer un procès? ». En conséquence, cet
acharnement judicaire, avec son débat juridique impitoyable, a
brisé à jamais les relations d'affaires entre HydroQuébec
et le fournisseur impliqué dans le procès. Il apparaît donc
que le judiciaire demeure insuffisant pour préserver les relations entre
les partenaires d'affaires.
Dans d'autres cas, le climat de confiance a cédé
la place à une atmosphère de méfiance entre les deux
parties condamnées à poursuivre ensemble la réalisation
d'un projet. Dans un tel climat où les gestionnaires sont rendus
à administrer le contrat comme un gendarme, la vie du chantier devient
insupportable tant pour les gestionnaires que pour les travailleurs oeuvrant
sur le site. Or, il est faux de prétendre que les conflits commerciaux
sont uniquement des litiges de position, car en général, la
dimension humaine est omniprésente dans toute relation d'affaires.
Ensuite, le raté du système réside dans
la brisure entre Droit et Morale de la communauté qui est en faveur de
la protection du plus faible contre l'abus de pouvoir qui peut être
exercé par le plus fort. De plus, le recours aux tribunaux contre un
petit fournisseur ne respecte pas la valeur partenariale
d'équité, ni la morale de la communauté, car le grand
donneur d'ouvrage risque d'être perçu par ses fournisseurs comme
un partenaire qui abuse de son rapport de forces pour faire plier le plus
petit. Il y a fort à parier que c'est cette insuffisance du Droit
à régler les différends commerciaux en respectant la
morale sociale qui a poussé la communauté des affaires et en
particulier le principal partenaire d'HydroQuébec, la ACRGTQ,
l'Association des Constructeurs des Routes et Grands Travaux du Québec,
à demander l'instauration d'une clause de médiation dans les
contrats d'HydroQuébec.
92 Cour Suprême du Canada (1992). Banque de
Montréal c. Bail Ltée, 1992-2 R.C.S. 554, Nos du
greffe 21748, 21747, Canada.
93 Georges A. Legault (2001) . Les modes de
règlement des différends: vers une autre << justice »?
Collection essais et conférences, document 11, les
Éditions G.G.C. Ltée, Université de Sherbrooke, ISBN
2-89444- 127-4.
Enfin, le raté du système judiciaire se trouve
dans le problème de brisure entre le Droit et les valeurs et
intérêts communs entre un client et ses fournisseurs : ce sont la
réalisation efficace du projet à réaliser,
l'équité, le partage de risque, la confiance, la satisfaction de
la clientèle et la dignité des personnes impliquées dans
le projet. À titre d'exemple, ce problème pourrait très
bien surgir lors de la réalisation d'un projet comme celui qui a trait
au système de déglaçage des conducteurs
réalisé par Hydro-Québec, pour faire face à une
éventuelle tempête de verglas. À cet effet, la
société d'État s'est associée à un
partenaire pour développer un système de déglaçage
des conducteurs de son réseau afin de prévenir à une telle
situation dans le futur. Après avoir développé le
système, un contrat a été signé entre
Hydro-Québec et un partenaire pour fabriquer, fournir et installer une
nouvelle technologie visant à protéger son réseau contre
l'accumulation des glaces sur les conducteurs électriques de haute
tension. Advenant qu'en cours de réalisation du contrat, le fournisseur
partenaire connaisse des difficultés l'empêchant de respecter le
contrat en cours, le donneur d'ouvrage dispose d'une clause de
pénalité et d'un engagement du fournisseur à livrer le
projet à une date précise et à un coût forfaitaire
ferme et global. Au point de vue légal, Hydro-Québec peut
appliquer la clause de pénalité pour le retard ou résilier
le contrat et appliquer le cautionnement d'exécution.
Le résultat débouchera sur le retrait du
fournisseur du projet sans être en mesure de trouver un remplaçant
capable de fournir le même système ou un équivalent pour
l'hiver en cours. Si une autre tempête de verglas se pointe l'hiver
suivant sans un tel système pour protéger le réseau, la
situation sera catastrophique pour tous. Donc, détenir un système
qui fonctionne pour le prochain hiver est l'objectif commun qui doit être
considéré avant les clauses normatives du contrat. À cet
effet, la norme juridique (le contrat) est insuffisante pour régler ce
différend, car elle risque de provoquer une brisure entre le Droit et
les valeurs et intérêts communs partagés.
D'une part, Hydro-Québec a intérêt
à ce que le fournisseur poursuive les travaux, car il lui est
très difficile de le remplacer, et d'autre part l'entrepreneur est
intéressé à poursuivre les travaux pour mettre en service
son système (innovation technologique) et prouver son efficacité,
ce que va lui permettre de l'installer partout au Québec et même
l'exporter dans les pays nordiques. En même temps, Hydro-Québec
est intéressée à posséder un système
efficace pour faire face à une éventuelle tempête de
verglas avant l'hiver prochain. Ainsi, une éventuelle décision
judiciaire basée uniquement sur le droit contractuel ne tiendra pas
compte des valeurs communes des partenaires tel que
l'équité, le partage de risque, la confiance et la satisfaction
de la clientèle (la population du Québec) qui n'est pas
prête à vivre une autre tempête de verglas. Ces valeurs ne
sont pas inscrites dans les clauses contractuelles et par conséquent
n'ont aucune valeur légale.
Pour conclure, le mode judiciaire n'est pas suffisant pour
régler les conflits entre un client et ses partenaires en raison du
problème d'accès à la justice, du problème de
brisure entre Droit et morale de la communauté et du problème de
brisure entre Droit et valeurs partenariales. D'où l'émergence
d'un mode de règlement non judiciaire qui va permettre de prendre en
compte les valeurs et les intérêts communs des partenaires pour
prévenir et régler les différends entre un donneur
d'ouvrage et ses partenaires commerciaux.
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