3.2. Analyse de la perception par rapport à la
médiation
À l'instar d'une grande entreprise, les
procédures administratives d'Hydro-Québec sont
règlementées par des politiques et des directives internes, de
telle sorte que le mode usuel de règlement des différends entre
Hydro-Québec et ses fournisseurs est encadré par une clause
normalisée insérée dans les clauses
générales des contrats et par un guide administratif de gestion
des réclamations126. La lecture de la perception des acteurs
clés par rapport à la médiation est faite à travers
leur pratique et leur conception du mode usuel, avec ses forces et ses
faiblesses, ainsi qu'à travers leur expérience de la
médiation qui inclut leurs attentes et leurs déceptions par
rapport au processus et au médiateur. Ainsi, l'analyse documentaire en
accord avec les données recueillies va permettre d'expliquer dans quelle
mesure les avantages de la médiation dans un tel contexte ne sont pas
perçus par les décideurs.
En premier lieu, les acteurs rencontrés sont unanimes
à dire que la pratique usuelle de règlement des différends
est presque uniforme en raison des procédures internes
normalisées et de l'existence d'un comité interne consacré
à la gestion des réclamations afin d'assurer une pratique
homogène de traitement des différends commerciaux.
Tous les gestionnaires s'entendent pour affirmer que le recours aux
modes alternatifs des règlements des différends comme la
médiation, la facilitation ou l'arbitrage n'est pratiqué
qu'exceptionnellement, dans des cas particuliers.
Cependant, les acteurs mentionnent que toutes les mesures sont
prises pour inciter leurs employés à régler le conflit
dès son apparition, en négociant directement avec le fournisseur
une entente à l'amiable. À cet effet, selon les gestionnaires,
des directives sont données aux administrateurs des contrats afin qu'ils
soient réceptifs aux requêtes de
126 R. Charbonneau, M. Marcotte et J. p. Pellerin (2007).
Hydro-Québec, Guide de gestion des réclamations, Unité
contrôle Direction-Administration et Contrôle HQE/SEBJ,
révision 2 mai 2007.
l'entrepreneur et qu'ils étudient toute demande selon
des critères objectifs bien fondés en droit. Selon les acteurs,
il s'agit, le plus souvent, d'une négociation bipartite que le
représentant d'Hydro-Québec conduit avec équité et
transparence, en se basant sur les clauses contractuelles, les lois et les
règlements en vigueur.
On peut expliquer cette attitude par le sentiment de lourde
responsabilité qui anime le responsable d'Hydro-Québec en tant
administrateur de la chose publique. Cette directive donnée à
l'administrateur de la société d'État, d'être
réceptif, s'explique par le devoir de posséder un sens plus aigu
des valeurs morales qui doivent guider ses actions. Donc, il doit exercer ses
fonctions avec transparence et intégrité totale, de même
que l'administrateur de la société voit, dans les critères
objectifs des négociations, une équité par rapport au
deuxième plus bas soumissionnaire qui n'a pas eu le contrat. Cependant,
les discours des acteurs rencontrés laissent sous-entendre que
l'équité est subjective. Ainsi, le représentant
d'Hydro-Québec considère que son offre de règlement est
équitable, car il est confiant dans sa façon de voir les choses
et de la justesse de son appréciation de la demande de compensation
présentée par l'entrepreneur. Cette attitude de très
grande confiance s'explique par le caractère bureaucratique qu'on trouve
chez les employés en pouvoir dans une fonction étatique. Ce genre
de comportement est expliqué par la théorie de
Mathiot127 où le bureaucrate, fier de ses connaissances, se
glorifie et devient peu sensible aux arguments provenant de
l'extérieur.
Ainsi, tous les acteurs interviewés se voient comme des
gestionnaires des fonds publics dont le mode de gestion diffère de celui
des entreprises privées. De sorte que la gestion de la chose publique
exige une imputabilité au corps social qui est en mesure de questionner
toute entente et toute prise de décision. Pour cette raison, il
paraît clair qu'on est plus libre de faire de compromis lorsqu'on
négocie des intérêts privés que lorsqu'il s'agit des
deniers publics. Par la suite, si l'entrepreneur et l'administrateur du contrat
désigné par HydroQuébec ne parviennent pas à
s'entendre, le conflit sera alors entendu par un comité de
réclamation interne à Hydro-Québec. Pour ce faire,
l'entrepreneur doit déposer un dossier bien argumenté à
partir de critères basés sur la normativité juridique tels
que le contrat, les lois et les règlements en vigueur.
127 A. Mathiot (s. d.) La pathologie de la bureaucratie.
Article.
Ainsi, ce comité formé des cadres
d'Hydro-Québec agit à l'instar d'un tribunal interne d'arbitrage
pour intervenir entre l'administrateur du contrat désigné par
Hydro-Québec et le fournisseur. En conséquence, le comité
examine le dossier présenté par l'entrepreneur ainsi que la
réponse de l'administrateur du contrat à cet effet. L'analyse du
cas et la décision qui en découle sont faites selon des
critères objectifs où les clauses contractuelles, les lois et
règlements demeurent la source de toute justification pour la prise de
décision. Donc, il s'agit d'un processus quasi judiciaire, car un avis
préalable du contentieux de la société d'État est
un pré requis à la conclusion de toute entente avec le
fournisseur.
Ainsi, selon trois acteurs interviewés, on arrive
à régler la majorité des cas présentés au
comité et très peu des cas se rendent devant les tribunaux.
Néanmoins, les interviewés s'entendent pour révéler
que la poursuite d'un dossier en justice est très rare, car les parties
préfèrent toujours trouver une entente avant d'en arriver
à se faire dicter une décision par un officier de la justice.
Cette recherche révèle que la volonté de la
société d'État est de régler ses conflits avec ses
fournisseurs par des ententes hors cours. Toutefois, elle tient à
préserver le contrôle de tout processus de règlement
extrajudiciaire, ce qui explique la formation de ce comité interne de
réclamation. Cette attitude ainsi que cette pratique usuelle de
règlement des différends sont expliquées par le souci de
bien gérer les biens communs.
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