Première Partie : TABLEAU DE BORD
ET PILOTAGE DE LA PERFORMANCE
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Notion sans cadre normatif, le tableau de bord peut être
appréhendé à partir de ses fonctions et
notamment des approches de la performance dont la mesure
l'intéresse : approche financière
ou approche multidimensionnelle.
I- Notion de tableau de bord
A- Définition
Le tableau de bord est défini comme « un ensemble
d'indicateurs peu nombreux (cinq à dix)
conçus pour permettre aux gestionnaires de prendre
connaissance de l'état et de l'évolution
des systèmes qu'ils pilotent et d'identifier les
tendances qui les influenceront sur un horizon
cohérent avec la nature de leurs fonctions »
(Bouquin, 2001, p. 397-398).
Cette définition, assez large parce que ne
définissant aucun cadre normatif, conduit à de
nombreux modèles de tableaux de bord ; on note
cependant qu'il s'agit d'instruments de
gestion qui répondent tous à des besoins
d'informations, de contrôle et d'anticipation. Ils
possèdent des caractéristiques essentielles qui
permettent de les définir en s'appuyant sur
quatre axes d'analyse représentés ci-après
:
Figure n° 1 : Les axes de définition du
tableau de bord
6
CHAPITRE I - CADRE THEORIQUE DU TABLEAU DE BORD
Selon Malo, le tableau de bord « est un instrument ou
outil de gestion, participant à la vague
de " management par les chiffres" qui a
commencé à déferler dès la fin du XIX°
siècle » .
Axe 1 : Le moment du
contrôle (quand contrôle-
t-on ?)
Axe 4 : Le
langage du
contrôle (quel
langage utilise-t-
on pour
représenter la
performance des
objets contrôlés
?)
TABLEAU
DE BORD
Axe 2 : Le
degré de
décentralisation
du contrôle (à
quel niveau de
l'entreprise
exerce-t-on le
contrôle ?
Axe 3 : Le champ
d'application du
contrôle (quels objets
contrôle-t-on ?)
5 MALO J.-L., Les tableaux de bord,
(article à paraître dans la nouvelle Encyclopédie Comptable
Economica fin
2008).
6 Définition, missions et cadre d'analyse
des tableaux de bord,
http://search.numilog.com/package/extraits_pdf/e224822.pdf,
p.1-2, (consultée le 10 septembre 2008).
8
- le degré de réactivité : il
détermine la mesure dans laquelle l'outil est susceptible de
favoriser une action rapide ; il est fait
référence ici, entre autres, au délai et à
la fréquence
d'édition, à la présence d'indicateurs
prévisionnels ou d'indicateurs de suivi ;
- le degré de décentralisation : il indique
les niveaux hiérarchiques auxquels l'outil est
implanté ; il s'agit ici des destinataires de
l'information transmise par l'outil : la direction, les
responsables fonctionnels, les responsables
opérationnels ; ceux-ci sont intéressés par des
informations qui leur permettent, à
intervalles réguliers, d'avoir connaissance des
caractéristiques de leur gestion et de savoir si les
actions entreprises au cours d'une période
donnée sont performantes au regard des prévisions
préalablement établies ;
- le champ d'application : l'outil peut s'intéresser
aux objets à caractère financier ou non
financier, internes ou externes à l'organisation ; dans ce
sens, il convient de faire observer que
le tableau de bord, destiné au pilotage de
l'entreprise ou de l'organisation, ne doit pas être
assimilé au système d'informations
opérationnelles car ce dernier a pour fonction de diffuser
un ensemble plus large d'informations utiles pour la gestion
opérationnelle ;
- la nature des informations fournies par l'outil : il
s'agit ici du type de mesure utilisé pour
représenter la performance recherchée ; il
peut s'agir des mesures de type financier ou non
financier.
Pour mieux appréhender cette notion, il convient
d'examiner les différentes fonctions ainsi
que les avantages du tableau de bord.
B- Fonctions et avantages du tableau de bord
La variété des formes de tableau de bord
est liée aux différentes représentations que les
gestionnaires souhaitent donner aux organisations qu'ils
dirigent ; ce sont chacune de ces
représentations que traduisent chacun des tableaux
de bord. Ainsi plusieurs fonctions sont
attribuées aux tableaux de bord ; nous en retiendrons
trois principales .
La fonction première d'un tableau de bord est de
fournir un ensemble d'informations au
gestionnaire afin qu'il puisse orienter ses décisions et
actions pour atteindre ses objectifs. Le
tableau de bord permet ainsi de faire des constats
d'écarts puis de déclencher des enquêtes
pour des analyses permettant d'opérer le
réajustement nécessaire. Les informations qu'il
fournit doivent donc être fiables, intelligibles,
synthétiques et produites à intervalles réguliers.
On peut se retrouver dans deux cas de figure en
considérant les destinataires de ces
informations : le reporting et l'autocontrôle.
Dans le premier cas, il s'agit pour les responsables de
niveaux hiérarchiques supérieurs de
disposer d'informations pour exercer la supervision
nécessaire des délégations consenties aux
niveaux hiérarchiques inférieurs. Dans le cas
de l'autocontrôle, les responsables directs des
actions sur lesquelles portent les informations ont besoin de
s'assurer que les résultats obtenus
sont dans la ligne des objectifs préalablement
fixés.
7
7 Idem.
9
Le tableau de bord vise également à favoriser la
maîtrise des événements qui interviennent en
amont des résultats financiers ; il doit donc avoir un
caractère réactif grâce à des
périodicités
régulières de diffusion ; il doit aussi
contenir des indicateurs permettant d'apprécier les
variables de qualité, de délai, de
flexibilité qui sont désormais à l'origine du
processus de
création de valeur.
Enfin, le tableau de bord peut aider à assurer la
cohérence entre la stratégie et les opérations
suivant trois cas de figure correspondant chacun à
différentes approches du contrôle de
gestion stratégique :
- aider à la formulation de la stratégie
à partir des avantages compétitifs identifiés
grâce à
l'analyse de l'environnement externe dans lequel évolue
l'organisation ;
- aider à la mise en oeuvre de la stratégie en la
déclinant dans l'organisation et au suivi de la
performance des variables clés de gestion
préalablement identifiées comme étant les
déterminants des objectifs poursuivis ;
- participer à la fois à la
déclinaison de la stratégie et à sa
définition dans une démarche
d'amélioration continue.
Le contenu du tableau de bord a connu des évolutions,
exprimant ainsi les préoccupations des
gestionnaires en rapport avec les dimensions de la performance
recherchée.
II- Evolution du contenu des tableaux de bord
On peut retenir deux grandes phases dans
l'évolution du contenu des tableaux de bord : la
phase marquée par la prépondérance
des indicateurs financiers et celle ayant favorisé
l'émergence d'approches multidimensionnelles de la
performance traduite par des indicateurs
à la fois financiers et non financiers.
A- L'approche financière de mesure de la
performance organisationnelle
Selon Giraud (2004, p. 76), « les premières
mesures de la performance globale d'une
organisation ont été construites sur la
base d'éléments financiers ». Les indicateurs
utilisés
étaient les mesures comptables et les indicateurs
traditionnels de rentabilité.
Le résultat comptable reste la première
mesure comptable dans cette catégorie ; sa
décomposition en soldes intermédiaires
de gestion permet d'apprécier le résultat
d'exploitation, révélateur de la performance
de l'activité principale de l'organisation ; elle
permet également de révéler les
indicateurs d'activité (le chiffre d'affaires, la marge
commerciale et la production de l'exercice) ainsi que les
indicateurs de marge (le résultat
d'exploitation, le résultat financier et exceptionnel,
l'excédent brut d'exploitation, le résultat
courant avant impôt). Les indicateurs de marge
permettent d'apprécier la profitabilité de
l'organisation.
Pour mesurer la rentabilité de l'organisation, on utilise
un ensemble de ratios appelé "Return
on investment" (ROI). Il s'agit de la rentabilité pour
l'investisseur qui « s'est imposée comme
le critère de mesure de la performance des
entreprises privées » (Giraud, 2004, p. 77). Ce
10
ratio de rentabilité financière fut un des
premiers ratios utilisés pour mesurer la performance
8
dans les grandes entreprises. Mais l'un des inconvénients
du ratio de rentabilité financière est
d'intégrer le coût des capitaux empruntés au
dénominateur alors que le dénominateur ne prend
pas en compte les capitaux empruntés ; pour tenir
compte de cette insuffisance, le ratio de
rentabilité financière est complété
par celui de rentabilité économique .
Plusieurs mérites sont reconnus aux mesures comptables ;
outre leur disponibilité, les mesures
comptables sont dites objectives car élaborées
suivant des normes universelles ; elles sont
aussi considérées comme fiables et sont
exprimées dans une grandeur unique qu'est la
monnaie, ce qui facilite les agrégations et les
comparaisons. Malgré ces mérites, elles
présentent des limites.
L'une des principales limites des indicateurs financiers
est la vision à court terme qu'ils
donnent de la performance ; de ce fait ce sont
des « indicateurs peu prédictifs de la
performance future » (Giraud, 2004, p. 84) de
l'organisation ; les indicateurs financiers sont
également peu réactifs et peu
adaptés au contexte actuel très instable
marqué par une
concurrence âpre avec un besoin important d'anticipation ;
enfin le caractère synthétique des
indicateurs financiers ne favorise pas l'interprétation
des résultats car ils ne permettent pas de
justifier la performance qu'ils indiquent. Toutes ces
critiques formulées à l'encontre des
indicateurs financiers ont conduit au développement
de nouveaux types d'indicateurs de
gestion appelés "Key Performance Indicators".
B- Les approches multidimensionnelles de mesure de la
performance organisationnelle
Selon Giraud (2004, p. 88-98), les approches non
financières de la mesure de la performance
organisationnelle revêtent quatre principes communs ; elles
conduisent à des indicateurs :
- portant sur les leviers d'action ;
- non exclusivement financiers ;
- cohérents avec la stratégie ;
- peu nombreux.
Ces principes communs résultent de la
démarche qu'empruntent ces approches pour la
détermination des différents indicateurs. La
performance attendue étant définie, le choix de la
stratégie, c'est-à-dire d'un «
schéma particulier de poursuite de la performance au sein d'un
ensemble de schémas possibles »
(Giraud, 2004, p. 94) déclenche le processus de
modélisation de la performance ; cette
modélisation consiste en l'identification des leviers
d'actions et la construction d'un système de
relations de cause à effet entre ces leviers
d'actions et la performance attendue aboutissant ainsi
à une modèle de performance. Ces
8 Il est encore appelé ratio de
rentabilité des fonds propres ou en anglais Return on Equity
(ROE) ; il est obtenu
par le rapport entre résultat net et capitaux propres, les
capitaux propres étant au dénominateur ; on peut aussi
l'obtenir en mettant le résultat courant au
numérateur.
9 Il est appelé en anglais Return On
Capital employed (ROCE) ; il s'agit d'un rapport obtenu avec soit
l'excédent
brut d'exploitation soit le résultat d'exploitation au
numérateur et les capitaux utilisés au dénominateur, ces
derniers correspondant à la somme des immobilisations et
du besoin en fonds de roulement.
11
9
leviers sont des performances intermédiaires qui
conditionnent la performance finale. Ils ne
sont pas exclusivement financiers, sont plus
prédictifs et en cohérence avec la stratégie de
l'organisation. Deux approches fondamentales répondent
à cette logique : le tableau de bord
"à la française" ou démarche OVAR
(Objectifs-Variables d'Action-Responsabilités) et la
méthodologie anglo-saxonne appelée le Balanced
Scorecard (BSC).
10
L'accent sera mis ici sur la méthode OVAR avec une
précision sur ce qui la différencie de la
méthodologie anglo-saxonne, le chapitre suivant
étant consacré à cette dernière ; car c'est
l'approche anglo-saxonne qui sera utilisée dans la
présente étude.
« La méthode OVAR est une démarche
structurée qui répond à trois types de besoins :
- piloter la performance en assurant le déploiement
des axes, cibles et objectifs stratégiques
dans toute l'organisation .... ;
- offrir une méthodologie favorisant le dialogue
inter-hiérarchique et/ou fonctionnel dans
toute l'organisation .... ;
- s'appuyer sur une démarche formalisée pour
concevoir les tableaux de bord de l'entreprise
à partir des besoins clés d'information
pour les décisions concrètes opérationnelles aux
différents niveaux de responsabilités
» .
La méthode OVAR « préconise la
construction non pas d'un tableau de bord, mais d'un
"système" de tableaux de bord
différenciés pour les différentes entités
et niveaux de
responsabilité de l'entreprise et articulés
de façon cohérente » (Giraud, 2004, p. 106). Il
s'agit donc d'un processus qui tient compte de la vision de
chaque entité de la hiérarchie et
non d'une vision autocratique du management par objectif.
Cinq étapes permettent de construire le tableau de bord
suivant la méthode OVAR, les trois
premières étant celles de la démarche OVAR
permettant de choisir des indicateurs clés.
11
10 Cette méthode a été
inventée et enseignée dès 1981 par trois professeurs du
groupe HEC : Daniel Michel,
Michel Fiol et Hugues Jordan.
11 SARI A., Comparaison de deux méthodes du
BSC (OVAR et la méthode de Kaplan et Norton),
http://www3.sympatico.ca/abdelhaq/index2_fichiers/bsc_vs_ovar.pdf,
p. 6, (consultée le 12 septembre 2008).
12
Figure n° 2 : La démarche OVAR de
construction d'un tableau de bord
Clarification de la mission et définition des
Objectifs
Identification des Variables
d'Action
Analyse des Responsabilités
Choix des indicateurs
Mise en forme des tableaux de bord
Globalement, la construction d'un tableau de bord suivant
la démarche OVAR suit les
principes communs énoncés plus haut ;
ici, les leviers d'action sont appelés variables
d'action ; l'analyse est complétée par une
identification des responsabilités permettant de
déterminer pour chaque entité les objectifs
et variables d'action la concernant ; elle permet
ainsi de déterminer les indicateurs relatifs aux
objectifs et aux variables d'action de chaque
entité. Un support appelé "grille OVAR" sert de
guide à cette analyse.
Tableau n° 1 : Un exemple de grille OVAR dans sa
version développée
Objectif Objectif Objectif
n°1
X
X
n°2
X
n°3
X
Variable n° 1
Variable n° 2
Variable n° 3
Variable n° 4
Centre de
responsabilité 1
X
X
X
Responsables cooncernés
Centre de
responsabilité 2
X
X
X
Centre de
responsabilité 3
X
X
Source : Giraud (2004, p. 165)
La comparaison de la méthode du BSC et de la
méthode OVAR permet de relever des
différences dont la synthèse est
présentée ci-après :
13
Tableau n° 2 : Synthèse des
différences entre les méthodes OVAR et BSC
Eléments de
comparaison
La prise de décision
Le déploiement
hiérarchique
Relation entre
tableau de bord et
stratégie globale
La création des
indicateurs
Lien entre les
récompenses
salariales et les
indicateurs
Source : SARI A.
Balanced Scorecard
Inspirée des phases de
Simon
Top-down, tous les
processus à l'interne
doivent s'aligner à la
stratégie globale
C'est la stratégie de
l'organisation qui donne
naissance à un tableau de
bord
Créés à partir des quatre
axes qui composent le
BSC
Lien important entre les
salaires et les indicateurs
Méthode OVAR
Le processus de prise de décision est à la fois
pris et exécuté par le groupe de travail
Top-down mais conception collective et
responsabilité partagée en plus d'une
cohérence
des objectifs d'un niveau hiérarchique à un autre.
Le tableau de bord est un ensemble de tableaux
de bord.
C'est la conception du tableau de bord qui va
donner naissance à une stratégie globale plus
claire et opérationnelle
Créés à partir des variables objectifs et
des
variables d'action
Pas de lien entre les récompenses et les
indicateurs
Dans le cadre du présent travail, le choix a
été porté sur la méthode anglo-saxonne du BSC,
qui sera examinée dans le chapitre suivant.
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