Chapitre 3 : Les opportunités d'investissement et
la structure financière
On a vu dans la section précédente le rôle
du conseil d'administration dans l'atténuation des problèmes
d'agence dans les firmes à fort potentiel de croissance ; et ce
à travers sa mission de contrôle qui est renforcée par
l'existence des administrateurs externes mais aussi à travers
l'importance de l'instauration d'un plan de rémunération
incitatif susceptible de pousser le dirigeant à maximiser la valeur de
l'entreprise.
Par ailleurs, dans certaines situations les actionnaires
peuvent contrôler indirectement le dirigeant en exigeant que certains
projets soient financés, non pas par des fonds internes, mais en
recourant à l'emprunt.
Certes, si le conseil d'administration ne peut pas toujours
« intervenir » dans les politiques d'investissement il a
par ailleurs des droits de contrôle sur les décisions prises
concernant la politique de financement. Par la suite, il peut
« dicter » des politiques de financement qui maximisent la
valeur de la firme : Le conseil peut utiliser son contrôle de la
politique de financement pour endetter la firme et dans ce cas, les
actionnaires délèguent la mission de contrôle aux
créanciers financiers.
En effet, selon Jensen (1986), en endettant l'entreprise, le
dirigeant donne le droit aux créanciers de liquider la firme s'il n'y a
pas remboursement du montant principal et des intérêts.
Cependant, bien que pour certaines compagnies l'endettement
puisse contrôler les dirigeants et augmenter la valeur de la firme, il
pourrait dans d'autres cas provoquer des distorsions dans les décisions
d'investissement et par la suite réduire la valeur de la firme, Myers
(1977).
Plus spécifiquement, les travaux antérieurs de
Barclay et Smith (1996) et Hovakimian, Opler et Titman (2001) ont
démontré que dans les firmes matures ayant des
opportunités de croissance limitées, un endettement
élevé peut ajouter de la valeur en contrôlant le
problème de free cash flow, nommé la tentation des
dirigeants de surinvestir dans des projets matures ou encore de faire des
acquisitions de diversification. Mais dans le cas des firmes qui
présentent de fortes opportunités de croissance avec plusieurs
opportunités d'investissement rentables, le financement par dette peut
amener à un problème très coûteux celui de sous
investissement.
L'idée commune est que la dette pourrait avoir un effet
positif ou négatif sur la valeur de la firme en fonction des
opportunités d'investissement futurs de la firme.
On va dans une première section présenter
l'endettement comme un moyen de résolution des conflits d'agence dans
les entreprises à faible potentiel de croissance. Quant à la
deuxième section, elle traitera les problèmes de risque moral
causés par l'endettement des firmes ayant de fortes opportunités
d'investissement ainsi que les solutions possibles à ces
problèmes.
1. Endettement et contrôle du free cash flow
dans les firmes à faible potentiel de croissance
Les firmes dont les opportunités d'investissement sont
faibles connaissent des conflits opposant les actionnaires au dirigeant
concernant l'emploi du free cash flow, Poincelot (1999).
Une situation de free cash flow existe lorsqu'une
firme dispose de ressources d'un montant supérieur à la somme
requise pour financer tous les projets d'investissements rentables. Il s'en
sort que les firmes qui ont un q de Tobin supérieur à 1 sont
supposées détenir des opportunités d'investissement
rentables et par conséquent sont moins confrontées aux
problèmes d'utilisation du free cash flow. Par contre, les
firmes ayant un q de Tobin inférieur à 1 sont supposées
avoir des opportunités d'investissement limitées et par la suite
souffrent le plus souvent du problème de l'utilisation du free cash
flow.
En effet, le dirigeant pourrait gaspiller le free cash
flow afin d'augmenter la valeur de la firme et par conséquent sa
rémunération ; comme il pourrait adopter une
stratégie d'enracinement en réalisant des projets
spécifiques à son savoir faire afin de conforter sa position.
Selon Shleifer et Vishny (1989), et Morck (1990), le dirigeant est tenté
d'accroître la dépendance des actionnaires à son savoir
faire, même si ces investissements ne maximisent pas la richesse la
richesse des actionnaires.
Cette idée a été
développée par Jensen (1986) qui suggère que la fonction
de la dette est plus importante dans les organisations ayant des perspectives
de croissance faibles qui génèrent des free cash flows
élevés. Le niveau d'endettement limite l'utilisation des fonds
internes générés par la firme en forçant les
managers à utiliser le free cash flow pour honorer leurs engagements
contractuels avec les créanciers. En effet, en émettant la dette
à la place des capitaux propres, le dirigeant donne le droit aux
créanciers de conduire la firme à la faillite si elle ne
rembourse pas les intérêts et les paiements principaux.
Par ailleurs, les résultats de Jensen (1986)
vérifient l'idée que la notion qu'une dette additionnelle
augmente l'efficience en forçant les organisations disposant des free
cash free, mais ayant de faibles opportunités d'investissement, à
distribuer le cash aux investisseurs et réduire ainsi les coûts
d'agence du free cash flow.
Plusieurs recherches empiriques ont aussi validé la
théorie de l'impact positif de l'endettement sur le problème de
l'utilisation du free cash flow dans les firmes à faibles
potentiel de croissance.
Harris et Raviv (1990) affirment que les dirigeants sont peu
disposés à fournir l'information disponible car ils ne se
comportent pas toujours dans l'intérêt de leurs investisseurs et
par la suite ils ont besoin d'être disciplinés. En effet, selon
Harris et Raviv (1990) la dette apparaît comme un mécanisme
disciplinaire parce que le défaut de remboursement donne aux
créanciers l'option de conduire la firme à la liquidation et
génère une information utile aux investisseurs sur la situation
réelle de la firme.
De même, les résultats de Denis et Denis (1993)
sont aussi cohérents avec l'hypothèse que l'endettement joue un
rôle considérable dans la limitation de la discrétion des
dirigeants concernant les décisions d'investissement. En effet,
l'endettement favorise une augmentation de la richesse des actionnaires qui est
corrélée avec la réduction des dépenses en capital
et la réduction du total des actifs si les firmes sont
caractérisées par les problèmes d'agence qui conduisent
les dirigeants à investir dans des projets à valeur actuelle
nette négative.
Carpenter (1994) indique que les firmes ayant un q de Tobin
faible et qui souffrent des coûts d'agence semblent avoir des
caractéristiques qui donnent à la dette une fonction de
contrôle positive sur les décisions d'investissement des
dirigeants. Comme ces firmes sont des sur investisseurs parce qu'elles
gaspillent le free cash flow en investissant dans des projets non
profitables, la dette apparaît surtout comme un mécanisme de
contrôle qui limite ce comportement des managers plutôt qu'une
source de financement externe, et la nouvelle dette à long terme
possède une influence positive sur l'investissement pour cette
catégorie de firmes.
On peut donc tirer de ce qui précède qu'en
accroissant l'endettement, le dirigeant se trouve obligé à mieux
gérer dans l'intérêt des créanciers financiers et
de l'ensemble des parties prenantes y compris les actionnaires. En effet,
l'endettement est profitable pour les actionnaires parce que d'une part,
l'augmentation des engagements de l'entreprise vis-à-vis des
créanciers financiers accroît la probabilité de faillite.
D'autre part, le remboursement de la dette et le paiement des
intérêts constituent des sorties de fonds obligatoires qui
contraignent le dirigeant à ne pas gaspiller le free cash flow. Ainsi,
les actionnaires contrôlent indirectement le dirigeant par
l'intermédiaire de la structure de financement.
Par ailleurs, selon Johnson (1995), certes la dette fournit
des avantages en matière de contrôle de free cash flow. Cependant,
il suggère que ces bénéfices sont considérables
seulement pour les firmes avec un niveau faible de croissance.
De même, Wu (2004) montre que bien que les firmes
souffrant d'un problème de sur investissement possèdent des
niveaux élevés de dettes, cette relation positive entre
l'endettement et le free cash flow est beaucoup plus importante pour les firmes
à faibles perspectives de croissance que pour les firmes disposant
d'importantes perspectives de croissance.
Dans ce contexte, la deuxième section va traiter
l'impact de l'endettement sur les opportunités d'investissement pour les
firmes à fort potentiel de croissance.
2. Les firmes à fort potentiel de croissance et
les problèmes de risque moral dus à l'endettement
La littérature a examiné la relation entre les
choix d'endettement d'une firme et la composition de ses opportunités
d'investissement. En particulier, la littérature empirique a
documenté une relation négative entre la valeur marchande de la
dette « market leverage » (mesurée en
divisant la valeur de la dette sur la valeur de marché de la firme) et
les options de croissance. Par exemple, Bradley, Jarrel et Kim (1984) et Long
et Malitz (1985) ont montré que les industries avec de fortes
opportunités de croissance ont un endettement publique faible. Long et
Malitz (1985), Smith et Watts (1992) et Barclay, Smith et Watts (1995) tous ont
mis en évidence une relation négative entre la valeur marchande
de la dette « market leverage » et le
« market to book ratio » qui est utilisé comme
une proxy des options de croissance. Rajan et Zingales (1995) ont étendu
cette analyse et ont montré que la relation entre l'endettement sur le
marché et le « market to book ratio » est
négative et significative à travers sept pays.
Ces travaux empiriques ont été motivés
par plusieurs théories qui fournissent un lien direct entre
l'endettement et les options de croissance. Par exemple, Myers (1977)
suggère que les options de croissance ont une
valeur collatérale minime et sont sujettes au sous
investissement. Parce que les coûts du sous investissement sont
aggravés par des endettements élevés, Myers (1977)
prévoit une relation négative entre l'endettement publique et les
options de croissance. Par ailleurs, en raison de l'importante
volatilité des actifs des firmes à fort potentiel de croissance
et de l'asymétrie d'information élevée qui
caractérisent ces firmes, le problème de substitution d'actifs
évoqué par Stulz (1990) est plus important dans ce type de
firmes. En effet, les dirigeants peuvent plus facilement substituer des projets
risqués à d'autres moins risqués cherchant un rendement
plus important aux dépens des intérêts des
créanciers. Selon Hovakimian, Opler et Titman (2001), on peut conclure
toutes ces théories en disant que les firmes devraient recourir
relativement plus aux capitaux propres pour financer les opportunités de
croissance.
2.1
Le problème de sous investissement
Le problème de sous investissement souligné par
Myers (1977) survient lorsqu'une opportunité d'investissement se
présente alors que la firme dispose des dettes non échues :
Comme les actionnaires reçoivent seulement les cash flows qui restent
après le paiement de la dette, ils ne vont accepter que les projets dont
la valeur actuelle nette excède la valeur faciale de la dette. Par
conséquent, le dirigeant va délaisser certains projets ayant une
valeur actuelle nette positive s'il juge que le gain issu de ces projets
pourrait être partagé entre les créanciers et les
actionnaires de façon que les actionnaires ne vont pas recevoir un
rendement satisfaisant.
Myers (1977) identifie un éventuel problème de
sous investissement pour les entreprises endettées à fort
potentiel de croissance. Parce que les opportunités de croissance ont la
caractéristique d'être des options réelles pour les
actionnaires et leurs dirigeants, la valeur future de ces opportunités
est sujette d'une latitude managériale plus importante que la valeur des
actifs en place. Les firmes présentant de fortes opportunités
d'investissement pourraient probablement suivre des stratégies
d'investissement sous optimales en abandonnant certains projets rentables.
En tenant compte de ces distorsions au niveau de la
politique d'investissement causés par l'endettement, le fait de recourir
à l'endettement pour contrôler le comportement opportuniste du
dirigeant est désormais loin d'être un mécanisme de
gouvernance efficace pour les firmes à fort potentiel de croissance.
D'où l'hypothèse H3 : l'endettement affecte
négativement les opportunités d'investissement.
En effet, selon Myers (1977), les firmes aya nt de fortes
options de croissance devraient réduire au maximum leur endettement pour
préserver leur flexibilité et profiter des opportunités de
croissance rentables qui se présentent.
A part le problème de sous investissement le
problème de substitution d'actifs est un autre problème de
risque moral lié à l'endettement.
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