2.5.3
Un choix guidé par l'impact du financement sur les problèmes de
risque moral
Pour Diamond (1991), c'est le problème de risque moral
qui existe chez l'emprunteur qui détermine le choix du type
d'endettement. Une fois le prêt est accordé, le dirigeant pourrait
être incité à suivre des stratégies d'investissement
sous optimales qui maximisent la valeur actionnariale aux dépens des
créanciers.
Il existe deux mécanismes susceptibles de limiter cet
opportunisme post-contractuel à savoir la surveillance
exercée par la banque après l'octroi du crédit et le
désir de l'emprunteur de développer ou de maintenir sa
réputation auprès de ses créanciers.
A/ La surveillance exercée par la banque
Les théories existantes sur le choix de la dette ont,
dans l'ensemble, postulé que la dette bancaire est avantagée, par
rapport à la dette obligataire, dans la mission de contrôle des
décisions prises par le dirigeant de l'entreprise emprunteuse. Par
exemple, Myers (1977) voit que les firmes ayant des dettes risquées
abandonnent parfois des projets rentables, parce que ces projets
réduisent la valeur de la firme. Myers suggère que le fait de
maintenir « une relation continue, intime et flexible »
avec le prêteur peut atténuer ce problème de sous
investissement. C'est plus probable qu'une firme peut achever une telle
relation avec les banques et les autres prêteurs privés qu'avec
les créanciers publiques, parce que les créanciers privés
sont beaucoup plus concentrés.
En effet, en raison de leur relation suivie avec l'entreprise
et des sommes investies, les banques sont incitées à produire un
effort coûteux en surveillant les actions managériales afin de
s'assurer que l'entreprise soit capable de rembourser ses dettes. A
l'opposé, parce qu'ils sont nombreux, les détenteurs
d'obligations font face à un problème de coordination
difficilement surmontable : Bien que collectivement ils ont
intérêt à faire l'effort de surveiller les activités
du dirigeant de la firme, individuellement aucun investisseur n'est assez
intéressé pour produire cet effort : il s'agit là du
problème du passager clandestin.
Par conséquent, lorsque l'asymétrie
d'information entre les investisseurs et les dirigeants d'entreprise est
élevée, c'est-à-dire lorsque les investisseurs doivent
fournir un effort important pour comprendre la nature des activités de
l'entreprise ou la stratégie envisagée par les dirigeants, il est
plutôt dans l'intérêt de l'entreprise de recourir à
la dette bancaire plutôt qu'à la dette obligataire.
En effet, selon Leland et Pyle (1977), Diamond (1984), Fama
(1985) et Boyd et Prescott (1986) les banques et les autres prêteurs
privés contrôlent plus efficacement que les investisseurs
financiers. Par la suite, les firmes ayant un degré d'asymétrie
d'information élevée vont s'emprunter auprès des
prêteurs privés, pendant que celles ayant de faibles
asymétries d'information préfèrent les dettes
publiques.
De même, d'après Myers (1984) les firmes qui
affrontent des coûts élevés d'asymétrie
d'information vont utiliser des fonds externes seulement quand les fonds
internes ne sont pas disponibles. Si on requière des fonds externes, la
firme va émettre le titre le plus sécurisé d'abord ;
celui dont la valeur change moins quand l'information privée est
révélée au marché. Par la suite, d'abord, les
dettes et au dernier ressort les actions.
Parce que la dette privée exige de dévoiler
plusieurs informations concernant le projet financé à travers le
contrôle et le screening et elle est souvent une dette senior (Welch
1997), elle serait un instrument de financement plus sécurisé que
la dette obligataire à long terme puisqu'elle maintient constant le
degré de l'asymétrie de l'information entre la firme et le
marché extérieur. Donc la firme ayant des niveaux
élevés d'asymétrie, et une probabilité plus
élevée de faillite va émettre des dettes privées
avant d'émettre des dettes publiques.
Ceci suggère que les firmes ayant de fortes
opportunités de croissance futures et qui souffrent le plus du
problème de sous investissement vont préférer les dettes
bancaires et les autres dettes privées aux dettes publiques.
A mesure que le degré d'asymétrie d'information
baisse, la recherche de la sécurité devient moins importante, et
le choix de la dette effectué par les firmes ayant de faibles
asymétries informationnelles va être déterminé par
d'autres facteurs, tels que les coûts de transaction ou la
qualité de crédit (Diamond, 1991).
B/ La réputation de crédit de l'entreprise
Selon Diamond (1991), le choix de contracter une dette
bancaire ou une dette obligataire dépend de la réputation de
crédit de l'entreprise. En effet, les emprunteurs disposant d'une forte
notation vont s'abstenir de tout comportement opportuniste afin de
préserver les avantages associés à leur bonne notation
(des taux d'intérêt moins élevés). Dans ce cas, le
risque moral est bien faible et ces firmes n'ont pas besoin de recourir au
financement coûteux de la banque ; elles s'adressent directement au
marché.
Par ailleurs, les emprunteurs faiblement réputés
n'ont rien à perdre en sélectionnant des projets risqués.
Ici, la surveillance bancaire ne permet pas d'inciter ce type de firme à
sélectionner des projets plus raisonnables et ne peut servir qu'à
éliminer les emprunteurs pris en flagrant délit de substitution
d'actifs, Guigou et Vilanova (1999). Par la suite, ces firmes se financement
directement sur le marché financier.
En revanche, les entreprises appartenant à des classes
de risque intermédiaire constituent la principale clientèle des
banques : Le désir d'améliorer leurs réputations
auquel s'ajoute l'effet de la surveillance bancaire incitent ces emprunteurs
à sélectionner des projets moins risqués.
Ces résultats mettent un véritable
« cycle de vie » en termes de financement : les jeunes
entreprises qui ne sont pas encore réputées auprès des
créanciers obligataires sont « contraintes » de
s'adresser aux banques ; et après une certaine période sans
défaillance, ces firmes améliorent leurs réputations et
peuvent accéder au financement direct.
Les jeunes entreprises à fort potentiel de croissance
qui ne sont pas encore réputées sur le marché financier et
qui appartiennent à des classes de risque intermédiaire optent
plutôt pour le contrôle bancaire.
En effet, ceci a été vérifié par
l'étude de Denis et Mihov (2003) qui ont trouvé que,
conformément à la théorie de l'asymétrie de
l'information, les entreprises les plus sujettes à ce type de
problème font moins recours à la dette obligataire cotée.
Ces firmes font souvent appel, lorsqu'elles contractent une dette, soit
à la dette bancaire lorsqu'elles ont une profitabilité moyenne,
soit à une dette privée non bancaire lorsqu'elles ont une faible
profitabilité et une forte probabilité de faillite.
D'après ce qui précède, on peut conclure
qu'en s'endettant, les firmes à fort potentiel de croissance optent
plutôt pour le contrat bancaire parce que d'une part, les coûts
fixes de l'émission publique sont élevés pour les petites
firmes en phase de croissance. D'autre part, la dette bancaire permet une plus
grande renégociabilité du contrat d'endettement en cas de
difficulté. Les firmes ayant de fortes opportunités
d'investissement caractérisées par leur nature
discrétionnaire et risquée, présentent un risque de
défaillance élevé et par la suite elles ont
intérêt à recourir au financement bancaire.
Par ailleurs, comme la banque est avantagée, par
rapport à la dette obligataire, dans la mission de contrôle des
décisions prises par le dirigeant de l'entreprise emprunteuse, les
firmes ayant de fortes opportunités d'investissement
caractérisées d'une asymétrie d'information
élevée préfèrent la dette bancaire pour
atténuer les problèmes de risque moral dus à
l'endettement.
En outre, n'ayant pas encore disposée d'une forte
notation sur le marché financier, les jeunes entreprises ayant un fort
potentiel de croissance et donc disposant d'une forte asymétrie
d'information ont moins recours à la dette obligataire cotée.
Concernant la politique d'endettement des firmes ayant de
fortes opportunités d'investissement, on remarque d'après ce qui
précède que les firmes à fort potentiel de croissance
ayant une rentabilité élevée préfèrent
contracter une dette bancaire à court terme pour atténuer les
problèmes de risque moral du à l'endettement. Par contre, celles
disposant d'un risque de liquidité élevé, optent pour le
financement bancaire à long terme. Par la suite, les firmes ayant de
fortes opportunités d'investissement préfèrent le
financement bancaire à la dette directe. D'où l'hypothèse
H5 : les firmes ayant de fortes opportunités de croissance font
plus recours à la dette bancaire qu'à la dette
obligataire.
Après avoir établi des hypothèses mettant
en relation les opportunités d'investissement avec la structure
d'endettement de la firme et auparavant, dans le deuxième chapitre, avec
la présence des administrateurs externes et avec l'octroi des
stock-options, il convient dans une deuxième partie empirique
de tester ces hypothèses formulées sur un échantillon de
firmes françaises non financières.
|