Impact de la "propriété foncière" des migrants sur la gestions des ressources naturelles : cas de Dibien dans la Province du Tuy( Télécharger le fichier original )par Bôbakebé Florent SOME Université de Ouagadougou; UFR/Sciences Humaines; Département de Sociologie - Maîtrise option Sociologie Rurale et du développement 2002 |
1.1.2. Revue de la littératureParlant de la recherche et autres investigations en sociologie, Henri MENDRAS soutient que «Le sociologue (...) n'a pas la prétention de repenser la totalité d'un problème. Il veut regarder les faits et en tirer des schémas d'analyse et d'interprétation. Pour ce faire, il commence par examiner les conclusions de ses devanciers qui ont étudié les mêmes faits ou des faits analogues, et partir de leurs conclusions, il cherche à aller plus loin avec des instruments plus performants ». MENDRAS H., (1996 :9) Nous inspirant de cette affirmation, cela, nous a permis de nous rendre compte qu'il existe une littérature très abondante sur la question foncière et sur le phénomène migratoire. Cela dénote de l'intérêt que les différents auteurs accordent à ces questions, mais nous a permis surtout de nous conclure que la question foncière en Afrique Subsaharienne en général et au Burkina Faso n'est pas une préoccupation nouvelle pour les Sciences sociales. Cette partie consiste à une présentation, une analyse critique de nos comptes rendus de lecture d'articles, de revues sociologiques et d'ouvrages spécifiques et généraux, qui nous ont permis d'élucider notre question de recherche. Cela nous a permis d'élaborer notre cadre conceptuel et théorique, de construire nos pistes et axes de recherche et nos analyses. Nous l'avons structurée en des axes thématiques qui essaient d'embrasser la globalité de notre thème. 1. 1.2.1. Immigrations et mutations socio-spatialesLe mouvement migratoire est de tout temps posé comme un moyen pour échapper à une réalité présente ou antérieure difficile, pour convoiter une autre postérieure plus meilleure. Il est perçu comme une porte de sortie d'une situation jugée désastreuse et une porte d'entrée à une condition de mieux être. E. J. Loup AMSELLE (1976 : 45) affirme fort à propos que « plutôt qu'un simple déplacement dans l'espace, la migration actuelle est un changement d'état ou de condition sociale que des événements de tout genre peuvent provoquer ou aggraver dangereusement». Pour lui, il ne faut pas seulement voir dans la migration un simple fait de déplacement dans l'espace, mais la transformation des sociétés et le changement de statut social de leurs membres. Tout départ ou tout déplacement est motivé. Et Pierre LESSELINGUE repris par R.C. SAWADOGO (1975) soutient pour sa part cette assertion en affirmant qu'aucun départ ne s'effectue sans motivation. De plus, les études sur la question ont surtout porté sur les motifs, les conséquences sociales, économiques et culturelles sur les zones de départ et d'arrivée, l'impact de leurs pratiques agricoles et pastorales dans le processus de dégradation écologique des zones d'accueil. De façon générale, pour situer les mobiles des mouvements migratoires au Burkina Faso, le Réseau Migration et Urbanisation en Afrique de l'Ouest (REMUAO), (1997) estime que c'est dans le contexte historique et économique caractérisé par un dénuement quasi général et un sous-emploi rural assez prononcé qu'il faut les situer. Ø Des motifs des migrations et leurs trajectoires L'étude sur les migrations publiée en 1997 par le REMUAO précise qu'au Burkina Faso les grands courants migratoires internes et surtout agricoles vont des zones fortement peuplées et/ou défavorisées vers les zones aux conditions naturelles plus acceptables et peu peuplées. Ainsi, les populations Moose du nord et du centre sont les plus affectées par ces migrations internes agricoles. La même étude précise d'ailleurs que les trajectoires de ces mouvements vont des provinces du Plateau central (Yatenga, Passoré, Boulkiemdé, Sanmatenga, etc.) peuplées et éprises par les désastres climatiques vers celles moins peuplées et naturellement mieux favorisées de l'Ouest, du Nord-ouest, du Sud, du Sud-ouest (Mouhoun, Houet, Kossi, Kénédougou, Bougouriba, Poni, Comoé, Sissili...). Ainsi, pendant des décennies, le pays a connu de vagues successives de migration agricole, en ce sens que ce mouvement de population est pour l'essentiel la recherche de terres fertiles, mieux arrosées et faiblement peuplées. Pour les auteurs comme BENOIT, M. (1982) ; FAURE, A. (1990) ; ZONOU (1990) ; KABORE (1999) ; PARE, L et TALLET, B. (2001) ; BOLOGO, A. E. (2004), il faut chercher les motifs des migrations agricoles dans les déséquilibres écologiques et humains entre les différentes régions du pays, car de toutes les façons l'homme veille toujours à s'installer dans les meilleurs écosystèmes pour mieux satisfaire l'ensemble de ses besoins les plus essentiels. Ce déséquilibre des systèmes écologiques qu'évoquent les auteurs s'est encore accentué avec les grandes sécheresses récurrentes et parfois successives, notamment celles des années 1973/1974 et 1983/1984 qui ont frappé durement les régions du nord et du centre. Cet état de fait a «exercé un véritable attrait des régions de l'ouest et du sud-ouest sur celle du nord et du centre. Pendant plus de 30 ans, la zone ouest a constitué une sorte d'eldorado, de sésame pour les populations sinistrées». PARE, L et TALLET, B. (2001 : 61) C'est en vagues successives, et ce depuis les années 70, que les populations des régions notamment les Mooses, ont déferlé dans les régions de l'ouest et du sud-ouest à la recherche du `'mil'', pour tout simplement dire à la recherche des terres fertiles de cultures. Cela a inspiré un auteur comme BENOIT, M. (1982 :1) qui parle «d'oiseaux de mil» pour qualifier la migration des Mooses dans cette partie du pays. Cette situation a été renforcée d'une part, par la volonté des autorités politiques de l'époque de trouver une solution à ce problème d'austérité climatique couplé de l'explosion démographique du nord , en adoptant le grand projet d'aménagement des vallées des volta (AVV)8(*), ce qui a entraîné davantage de vague de flux migratoires dans l'ouest et le sud du pays ; et d'autre part, par la mise en oeuvre dans les années 70 d'un vaste programme très ambitieux d'introduction de nouvelles techniques et moyens de production diffusées par les services techniques des ORD9(*). Un autre fait souvent avancé pour expliquer le départ massif de population de certaines zones du pays est la densité de population particulièrement élevée qui pèse sur les terres généralement inexploitées et appauvries de ces zones, souligne R. C. SAWADOGO (1975). Ainsi la population moaga est particulièrement affectée par l'immigration qui, au plan d'analyse sociologique, constitue une soupape de sécurité (REMUAO, 1997). Les conséquences de ces migrations dont la partie ouest du pays a enregistré le plus important flux, ont été essentiellement les mutations socio spatiales, socio-démographiques, économiques, voire culturelles. Ø Les mutations socio-spatiales et socio-démographiques : les effets induits L'Ouest burkinabé a été caractérisé pendant un long temps par ses immenses potentialités qui faisaient l'attrait des régions du Nord et du centre du pays. Jadis donc reconnue par «son vide démographique, ses immenses étendues de terres cultivables, des brousses libres et infinies...» PARE, Lancina (2001 : 61), un autre constat s'établit aujourd'hui. On remarque un revirement total : la population a doublé, voire triplée sous l'effet conjugué du croît naturel et surtout du flux migratoire. Bernard TALLET, 1997 soutient à la suite de PARE, Lancina, l'abondance effective des ressources foncières et naturelles dans la région de l'Ouest. Ces ressources qui faisaient la fierté de cette partie du pays et du Burkina Faso ont connu une dégradation gigantesque suite à une sérieuse exploitation excessive et incontrôlée due à la conjonction de l'accroissement démographique et surtout de l'arrivée massive des populations migrantes. Le constat qui se dégage est alarmant et très inquiétant : la « brousse est finie » pour évoquer selon l'auteur « le renversement brutal de la situation dans la région où la faible occupation de l'espace est encore un souvenir encore vivace, et où les responsables autochtones cherchaient naguère à attirer les migrants pour défricher et occuper une brousse perçue comme un espace mal contrôlé » Bernard TALLET, (1997 : 169). A l'analyse, les auteurs associent dans cette mutation brutale, l'essor démographique induit en grande partie par l'arrivée et l'installation des migrants, au changement spatial dû à la dégradation des ressources naturelles. PARE résume pour l'essentiel cette mutation en cours en soutenant que c'est le foncier qui cristallise l'essentiel des dynamiques en cours, avec de nouveaux modes d'accès à la terre, de conflits divers, de retrait de terre. En effet il résume ces nouvelles dynamiques par la rupture démographique, les ruptures sociales, les mutations économiques et spatiales. Mettant l'accent sur les ruptures sociales l'auteur estime que celles-ci s'expriment par « le primat du ménage sur la concession ; le fractionnement des exploitations et des domaines fonciers lignagers », en un mot, `'la désacralisation de la terre''. Il établit un constat à partir des réflexions menée par ZONGO M. (1999) que c'est la fin du symbolisme qui consacre l'émergence d'une forte marchandisation /monétarisation des rapports fonciers dans certaines zones de l'ouest comme Kouka dans les Banwa, Déguè-Déguè dans le département de Sidéradougou dans la Comoé, Padéma et Bama dans le Houet, etc., en ce sens : «les symboles et les symbolismes qui caractérisent les principes coutumiers de gestion foncière ont évolué pour aujourd'hui laisser la place à de véritables redevances. Il souligne que le dolo et le poulet ont largement fait place à l'argent, à des désintéressements en nature (céréales). C'est à croire que les dieux au nom desquels la terre est affectée ou attribuée ont changé ou ont transformé les règles de gestion foncière. La fin du symbolisme qui consacre l'émergence d'une forte marchandisation /monétarisation des rapports fonciers », PARE L. (2001 : 66). De ce fait, il conclut alors que « la terre est devenue aujourd'hui une source de revenu ; y accéder exige le paiement de sommes importantes ». Ce qui démontre que le caractère inaliénable de la terre ne tient plus comme un des derniers verrous sociaux du jeu foncier. Pour l'auteur, les importantes mutations socio-économiques et spatiales ont fait naître de « nouveaux acteurs aux visions foncières nouvelles et objectifs différents ». Et toutes celles-ci ont fortement perturbé le schéma agraire initial. Il démontre ensuite l'évolution des transactions foncières et les modes d'accès à la terre. Face à ces différentes mutations, on constate de nos jours une certaine réticence, sinon une réticence certaine des populations de l'Ouest face à l'arrivée massive depuis maintenant plusieurs générations des Moose du centre et du Nord. Mais R.C. SAWADOGO (1990) cité par REMUAO précise qu'« à ses débuts, cette mobilité/installation des Moosé dans l'Ouest ne suscitait pas de telles attitudes. Ce sont à la fois le nombre de plus en plus important de ces arrivées et les conséquences supposées ou réelles de certaines pratiques culturales aggravées par une péjoration climatique généralisée depuis les années 1973 qui donnent aujourd'hui ces accents de réticences et d'intensité diverses ». Justement, les migrants et les autochtones n'ont pas dans bien des cas la même perception des ressources naturelles. Pour beaucoup d'auteurs, les migrants des zones d'accueil pratiquent une agriculture orientée vers l'agro-business sur de grandes surfaces tandis que les autochtones, une agriculture de subsistance. La prise de conscience totale de tous les acteurs doit être imminente, préconise PARE L. (2001) «le changement brutal de situation bouscule tout le jeu des relations ». Il est donc plus que jamais très impérieux, selon lui, d'agir par l'élaboration d'un diagnostic conjoint pour mieux gérer les ressources naturelles afin de prévenir les risques majeurs : la marginalisation croissante des éleveurs et l'exclusion des migrants devenus numériquement important dans la région et pour enfin « corriger les excès commis antérieurement, éviter la répétition d'actions négatives qui suppose une maîtrise des acteurs », précise le même auteur. * 8 Certains auteurs ont vu dans ce grand projet d'aménagement des volta (AVV), une volonté politique de l'Etat non seulement de réaliser la réoccupation effective des zones libérées de la nuisance simulidienne par le Programme Onchocercose et ce faisant de résoudre la question de fortes densités des populations du nord et du centre, concentrées sur des terres arides très peu arrosées, par le processus de `'déportation'' et d'installation sur les zones aménagées (65 000 familles à installer, soit 650 000 personnes). * 5O.R.D : Organismes Régionaux de Développement institué en 1965 par la loi 20-65/AN en vue d'étudier et proposer toutes les mesures tendant à faciliter l'exécution de la politique de développement économique social de la région dans le cadre de la politique nationale, et d'en assurer l'exécution, directement ou par coordination et contrôle. Ils ont été supprimés pour cause de faillite financière, attribuée à la mauvaise gestion et remplacés par les CRPA (Centres Régionaux de Production Agricole). Aujourd'hui, ce sont les Zones d'Appui Techniques (ZAT) qui jouent ce rôle. |
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