1.1.2.2. Dynamique des
systèmes fonciers ruraux : évolution des modes
d'appropriation de l'espace foncier et le multi-juridisme d'accès
à la terre
Le concept de dynamique des systèmes fonciers ruraux
est une vision défendue et partagée par bon nombre d'auteurs qui
se sont penchés sur cette épineuse question de la gestion
foncière en Afrique. Il s'oppose à cette vision
`'fixiste'' des systèmes fonciers africains, défendue
pendant longtemps par certains agronomes et économistes. En effet, pour
les tenants de cette dernière vision comme LE BRIS et
al (1982), la gestion foncière traditionnelle de la
terre privilégie des pratiques extensives, peu productives par
unité de surface et n'encourage aucune production de surplus. Elle est
fondamentalement incapable de faire face à des enjeux nouveaux tels que
l'évolution démographique et le développement d'une
économie de marché.
Pour le cas du Burkina, les études de SAVONNET
(1960, 1962, 1970) ; BOUTILLIER (1964) ; CAPRON (1963) ; KOHLER
et CAPRON (1975); KOHLER (1971), qui traitent des migrations agricoles
et du foncier en Haute Volta ; sont parties de cette démarche et
sont arrivées à la conclusion que les systèmes fonciers
africains sont « statiques et figés ».
Cette vision d'ailleurs est aujourd'hui suffisamment
nuancée, voire remise en cause. Car, dans la quasi-totalité des
littératures disponibles, tous les observateurs, quelle que soit leur
orientation théorique, reconnaissent que les systèmes fonciers
locaux sont dynamiques et capables d'adaptation. LAVIGNE-DELVILLE
(1998a), pour lui, les agronomes et les économistes ont eu une
vision « fixiste et immuable ». Pour QUESNEL
André (1996), il faut aborder la dynamique des systèmes
fonciers ruraux par l'articulation synchronique et diachronique de la dynamique
démographique et de la dynamique agraire.
De nombreuses études ont été
menées dans l'ouest burkinabé pour montrer que les
systèmes fonciers ruraux sont dynamiques, évolutifs, adaptatifs
autant qu'ils peuvent aux transformations socio-économiques,
démographiques, écologiques et l'amélioration des
techniques de production que subit leur environnement. Il s'agit notamment de
NEBIE (1996) ; TALLET B. et PARE L. (1997, 2001) ; TALLET B.
(1997) ; BAUD J. (2001) ; KONE (2002) ; BOLOGO (2004) ;
MALO, H. (2005).
Ces auteurs ont été soutenus par des auteurs
comme PELISSIER (1995) ; STAMM, V. et SAWADOGO (1996) ;
STAMM, V. (1998) qui vont dans le même
sens en soulignant que le foncier traditionnel a pour principales
caractéristiques d'être souple, adaptatif, et dynamique. Pour ces
auteurs, le principe révélateur par excellence de la souplesse
des pratiques foncières rurales est sans conteste leur
adaptabilité aux variations démographiques, dans le temps et dans
l'espace. Ils indiquent par ailleurs qu'en fonction de l'évolution
démographique des lignages et des familles, s'opère un
réajustement foncier permanent à tel enseigne que l'usage du sol
fonde des droits nouveaux, tandis que s'estompent ou deviennent symboliques les
prérogatives des précédents exploitants. Et STAMM
V. (1998) ajoute que la régulation coutumière ne
signifie en aucun cas un système figé, et que le contrôle
communautaire ne veut pas dire absence de droits familiaux permanents et
transmissibles sur les terres de culture. Il précise, pour
répondre à certains principes de la vision `'fixiste'',
que la gestion «communautaire des terres de brousses et de
parcours» cohabite avec les espaces de culture appropriés
à l'échelle des unités de production titulaires des
droits permanents et transmissibles.
Dans l'Afrique traditionnelle, DESJEUX
(1982) fait remarquer que les modes d'accès sont
très diversifiés et donnent lieu à des possibilités
de multiples stratégies dans le cadre des règles de
résidence, de filiation, d'alliance, et de proximité
géographique. Toutefois DESJEUX (1982), appuyé
par bien d'autres auteurs, prône pour sa part la prudence dans son propos
en ce sens que cette acception des choses est à relativiser, car cette
logique doit être testée selon certains critères tels que
le lieu, l'échelle et la disponibilité des ressources.
A la suite des autres auteurs, OUEDRAOGO S. (1991)
citant FRANCIS (1986), BERTHELOT (1977), soutient que
le régime foncier traditionnel est suffisamment souple et ne bloque ni
l'accès à la terre, ni l'efficacité de l'allocation des
ressources. Pour FRANCIS (1986), « la
thèse selon laquelle la pratique traditionnelle entrave l'accès
à la terre est basée sur une méconnaissance du
fonctionnement des lois coutumières » et estime qu'il est
erroné de dire que les agriculteurs et les pasteurs sont
handicapés par des défauts et des illogismes d'un système
foncier coutumier trop rigide.
FAURE Armelle, (1990) pour sa part,
souligne que la logique de l'appropriation de la terre suivant le
droit coutumier est triple : le droit des autochtones, le droit de
conquêtes et le droit de mise en valeur. Elle soutient ensuite que
l'idée d'appropriation introduit deux notions, celle d'une acquisition
dynamique, évolutive et celle de l'adoption à un usage. Pour
Etienne, LE ROY, 1991, la notion d'appropriation
foncière est déterminée par le rapport foncier qui,
lui, est un rapport social. Faisant l'analyse du système dialectique de
la conception africaine de la notion `'d'appropriation'' et celle occidentale,
il rappelle que « le rapport foncier en Afrique traditionnelle
est une relation `'imaginée'' entre les hommes à propos de
l'espace et qui n'existe que selon des conventions qui s'inscrivent dans les
systèmes d'idée avant d'être matérialisées
dans l'espace social ». Cette thèse est fortement
soutenue par FAURE Armelle, (1990) qui estime que traiter de
l'appropriation de l'espace foncier en terme anthropologique, met en
lumière les interactions dont la terre est porteuse comme objet
social ; une partie réelle, visible est illustrée par
l'occupation du sol et son usage, la partie imaginaire est issue de la
mémoire des peuples et leur interprétation de la nature, de la
légitimité des droits sur le sol est rappelée de
façon symbolique par les rites et les paroles.
Soutenant que la représentation de l'espace en Afrique
est « topocentrique », E , LE
ROY affirme que « dans les sociétés
caractérisées par l'animisme et le communautarisme, l'espace est
organisé à partir de lieux particuliers sièges des divers
pouvoirs sur les génies, les eaux, les terres, les arbres ou les hommes,
les animaux ou les minéraux, selon les distinctions fonctionnelles qui
permettent à chaque groupe d'exercer selon son ordre d'arrivée
et selon son activité des attributs particuliers ».
Pour sa part, Jean Pierre CHAUVEAU, 1998,
estime que le phénomène foncier est d'abord d'ordre social et
historique, et que les systèmes « juridiques »
coutumiers naissent des changements dans la mise en pratiques des principes
traditionnels ; et par la renégociation des principes
eux-mêmes. Son raisonnement tient aussi sur la question des rapports
entre l'homme et le foncier, et il affirme que « les
relations des hommes entre eux, et de la manière dont ils formulent et
dont ils traitent ; par la coopération et par le conflit, les
problèmes liés à l'accès à la ressource
foncière ». Il poursuit sur la même lancée
en confirmant que « dans leurs relations entre eux à
propos de la terre, les actions des hommes (individuelles et collectives) ne
sont pas mécaniquement déterminées par le poids des
structures et des institutions foncières ou par les effets de domination
économique, sociale et politique ». Il soutient que les
acteurs ont la possibilité de créer des marges de manoeuvre en
jouant sur les règles ou en négociant de nouvelles règles,
même si ces marges de manoeuvre dépendent de la position des
acteurs et des groupes dans le champ social et politique. Il conclut en
précisant que « le résultat agrégé de
ces pratiques influe sur les structures et les règles foncières
reconnues, de manière institutionnelle ou non ».
Pour Juliane BAUD (2001) il existe une
corrélation forte entre l'évolution démographique et
l'évolution du système foncier et des instances de gestion. De ce
fait elle pose la problématique de la sécurité
foncière des migrants aussi bien que celle des populations autochtones.
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