Impact de la "propriété foncière" des migrants sur la gestions des ressources naturelles : cas de Dibien dans la Province du Tuy( Télécharger le fichier original )par Bôbakebé Florent SOME Université de Ouagadougou; UFR/Sciences Humaines; Département de Sociologie - Maîtrise option Sociologie Rurale et du développement 2002 |
4.3. Statut foncier des champs et sécurité foncièreA travers nos investigations, nous avons voulu connaître l'appartenance des terres d'exploitation agricole et aux individus, de quelle manière ils ont accès aux terres qu'ils exploitent, de même que leur appréciation des quantités de terres. Il ressort deux types d'appartenance des terres : les exploitants à qui appartiennent les terres et ceux qui exploitent des terres dont ils n'ont pas droit de propriété. Le graphique ci-dessous présente le statut des terres en fonction du groupe ethnique. Graphique 2 : Statut des champs en fonction de l'ethnie Le graphique ci-dessus nous donne l'appartenance des terres par rapport aux chefs de ménage (CM). Ainsi, il apparaît dans l'ensemble que 90% des CM se disent être propriétaires des terres d'exploitation contre seulement 10% des CM non propriétaires des terres. Si la totalité des CM autochtones se disent propriétaires de leurs exploitations, on constate que la grande majorité (85,5%) des immigrants Moose se déclare également propriétaires. Les CM Peuls, quant à eux se disent non propriétaires. Cette forte tendance des immigrants propriétaires de terres d'exploitation, s'explique probablement d'une part par les modes par lesquels ils ont accédé aux terres cultivables et surtout du contenu qu'ils en donnent et d'autre part par la durée d'exploitation de ces terres. En effet, en rappel près de 65% des CM immigrants affirment avoir acquis les terres par `'don'' contre 20% par le processus d'héritage avec une durée moyenne d'exploitation de 15,7 ans. A cela ces aspects, il faut ajouter le fait que la représentation des champs, espace d'exploitation et de production, faite par la majorité de nos enquêté se démarque de la terre comme aspect magico religieux de la vie sociale. 4.4. Transactions foncières et description de la typologie des modes d'accès à la terreLes transactions foncières26(*) sont considérées comme l'ensemble des conventions formelles ou informelles par lesquelles les détenteurs de droits d'appropriation (le plus souvent coutumiers) cèdent des droits d'usage (temporaires ou permanents) ou des droits d'appropriation à des individus ou à des groupes d'individus. A l'instar, des autres aspects de la vie sociale, les pratiques foncières évoluent aussi bien dans leur forme que dans leur fond. C'est que, même les formes et les modalités de l'héritage des droits fonciers en vigueur dans les campagnes aujourd'hui ne sont plus identiques à celles qui étaient pratiquées il y a deux ou trois décennies. La question pertinente est donc de savoir comment les acteurs sociaux accèdent ou ont accédé à la terre ? Parmi les principales conditions qui déterminent la dynamique des transactions foncières, on peut citer la disponibilité des terres cultivables dans le village. 4.4.1. Disponibilité des terresDans notre zone d'étude, toutes les catégories qui ont répondu à nos questions ont affirmé l'insuffisance des terres, comme le montre le tableau ci-après. Tableau 4 : La disponibilité des terres selon le statut des enquêtés
Source : Données d'enquêtes, février 2004 La lecture de ce tableau confirme que la quasi-totalité des personnes dans notre échantillon d'enquête soutient l'insuffisance des terres cultivables. Cela appui nos observations directes sur le terrain. En effet, le tableau ci-dessus fait remarquer que 80% des CM enquêtés soutiennent l'insuffisance des terres cultivables contre 82,5% des exploitants simples. Ces réponses viennent attester le niveau de `'saturation spatiale'' à Dibien développé dans notre problématique. La brousse est finie, disent les producteurs. Les producteurs, du fait de cette situation, empruntent des terres aux villages voisins, sur lesquels ils acquièrent des droits temporaires ou saisonniers de cultures. En faisant la distribution de ces réponses sur la disponibilité des terres en fonction de l'appartenance ethnique27(*) comme le présente le tableau 5 ci-dessous, on s'aperçoit que l'ensemble des groupes ethniques soutient l'insuffisance des terres cultivables. Tableau 5 : La disponibilité des terres selon l'appartenance ethnique
Source : Données d'enquêtes, février-mars 2004 4.4.2. Typologie des transactions foncières Dans les sociétés traditionnelles, la terre est considérée comme un bien commun, collectif ; et à ce titre, son contrôle, son appropriation et sa gestion a de tout temps été un enjeu majeur de l'ordre social et du pouvoir. Elle est considérée comme un élément sacré et inappropriable, car elle doit répondre à la survie et à la reproduction du groupe. Elle ne peut pas être aliénée ni faire l'objet d'une appropriation individuelle. Car comme le souligne KOHLER (1971), la terre est à la fois divinité et capital foncier ; la productivité du second dépend de la générosité et la bienveillance de la première avec laquelle les premiers occupants ont scellé un contrat assorti d'obligations de sacrifices qu'ils sont tenus d'organiser périodiquement. C'est un rituel qui permet de légitimer les droits des premiers occupants des lieux et d'assurer la survie et la reproduction du groupe social. Dans la pratique, la terre est appropriée collectivement par les lignages fondateurs du village ; de ce fait, chaque lignage exerce ce droit sur une partie du terroir. Cependant l'appropriation exclusive qui réside dans la logique de la primauté ou de l'antériorité d'installation, n'exclut en aucun cas l'accueil et l'installation d'étrangers sur le terroir. Dans le village de Dibien, c'est autour du système du «tutorat» que s'organise l'accueil/installation des immigrés. En effet, tout étranger qui désire s'installer dans le village et/ou exploiter une portion du terroir passe nécessairement par un intermédiaire dans le village qui sera dès lors considéré comme son `'djatigui'' en dioula, `'gan-soba'' en mooré (tuteur). Le rôle de ce dernier consiste à introduire l'étranger dans «la communauté villageoise» en le présentant aux différentes autorités et en lui attribuant une portion de terre. Le `'djatigui'', dans la majorité des cas est soit un chef de famille ou le chef de terre. Dans tous les cas, le système foncier traditionnel offre plusieurs types de modalités d'accès à la terre. Dibien en compte trois types présentés dans le graphique ci-dessous. Graphique 3 : Modes d'accès à la terre selon les CM Nous avons voulu savoir à travers nos enquêtes, quel est le contenu donné à l'héritage par les différents acteurs. Il ressort que plus de 76,2% des chefs de ménage définissent l'héritage comme «un mode d'accès à la terre en cas de décès du doyen du lignage dans la hiérarchie gérontocratique du groupe social». Ce mode d'accès donne le plein droit de faire des investissements durables sur les terres exploitées. Il garantit la sécurité foncière de l'exploitant. Seulement 4,8% des CM estiment que l'héritage est similaire du don et 19% ne se sont pas prononcés. Dans notre population échantillonnée, 33,4% des exploitants ont eu recours à ce mode pour accéder à la terre. Cette proportion se repartit entre les immigrants installés il y a très longtemps et les autochtones. C'est le principal mode d'accès des agriculteurs autochtones, mais aussi des anciens immigrants. Hormis le cas de vente de terres qui n'existe d'ailleurs pas sur le terroir, il ne comporte pas de restriction. Selon 90,5% des chefs de ménage (CM) et 76,9% des exploitants simples (ES), le don est le fait d'avoir des droits permanents d'usage sur une terre obtenue auprès d'un lignage détenteur de droit d'appropriation collective. 9,5% des répondants à ce même statut estiment que c'est le fait d'avoir des droits permanents d'exploitation déterminés par des conditions telles que la cohésion sociale, les bonnes relations avec le cédeur, la paix... De ce qui ressort de nos entrevues, le don a été le principal mode par lequel la grande majorité des immigrants a accédé à la terre. En effet, 61,9% des CM et 33,4% des ES disent avoir obtenu le droit d'exploitation des terres par le truchement du `'don''. Le chef de terre soutient cette réalité en ces termes : «avant, selon mes grands parents, Dibien, était plein de forêts, il y avait des fauves qui dérangeaient les gens, donc quand les Mooses sont arrivés, le chef de terre en son temps a dit d'aller les installer la bas car ils ne peuvent pas se mélanger avec nous ici, nous ce n'avons pas la même culture (...) et puis, il a ajouté, il faut leur donner toutes les quantités de terres qu'ils veulent, s'ils ont la force, ils n'ont qu'à cultiver...»28(*) Le prêt de terre, selon nos enquêtés, c'est le mode par lequel un individu emprunte une portion de terre à un détenteur de droit de propriété ou d'exploitation. C'est un processus qui engage deux individus autour de la terre. 4,8% des chefs de ménage disent avoir eu recours à ce mode pour accéder à l'exploitation de la terre contre une grande majorité (66,6%) des exploitants simples, tous des immigrants qui ont utilisé même mode. Le prêt inclut la notion de la durée d'exploitation. Pour la majorité de nos répondants, le prêt est le fait d'accéder à la terre dans une durée déterminée (prêt de culture saisonnière), ou une durée indéterminée. Graphique 4 : Modes d'accès des CM à la terre en fonction du statut de résidence 4.6. Analyse de la sécurité foncière : Modes d'accès actuels à la terre La sécurité foncière n'est donnée une fois pour toute, l'essentiel, pour les producteurs, est d'être dans une dynamique de sécurisation. Cette dynamique de sécurisation se définit comme un processus par lequel les droits sont reconnus et garantis. Dans le cas précis de notre village d'étude, les critères de sécurisation de l'accès à la terre et aux autres RN sont fortement tributaires des liens familiaux et de clientèle dans cette communauté. C'est en ce sens que nous avons interrogé nos enquêté notamment les notables et autres personnes ressources sur la cohésion, la participation réciproque aux différents évènements dans le terroir des deux communautés (autochtones et immigrants), et les échanges matrimoniaux. Au niveau de la cohésion sociale, la quasi-totalité de nos informateurs estiment qu'il y a une parfaite cohésion au sein du village. Aucun conflit majeur jusque là n'a été signalé. C'est d'ailleurs ce qu'affirme un des premiers immigrés, chef des immigrés en ces termes « depuis que moi, je suis là, je n'ai jamais vu ou entendu un conflit lié à la terre, il y a par moment des incompréhensions surtout entre nous les immigrants (...) » Chapitre 5 * 26 Pour Baud J. les transactions rassemblent «les différents contrats établis entre deux personnes au moins. La grande majorité de ces contrats s'effectue entre un autochtone, détenteur du droit d'appropriation foncière sur la terre, et un allochtone, ancien ou nouvel arrivant qui tente d'obtenir un droit sur celle-ci. Les transactions foncières concernent les modes de gestion d'une parcelle et sa mise en culture. Elles intègrent une dimension écologique, économique et sociale, et définissent ainsi le rôle, le statut et les droit de chacune des deux personnes » (2001 :10) * 27 L'importance statistique des Moosés dans l'échantillon, rend leur réponse peu significative. * 28 Entretien avec M.O, 63 ans, marié monogame, chef de terre à Bonzan Pougouli, réalisé le 03/03/2004 |
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