Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)( Télécharger le fichier original )par Julien Vinuesa Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004 |
B-Les autres délits politiques : un légitimisme plus latent.En France, pour la période 1831-1835, les cris séditieux représentent 47 % des délits politiques320(*). Nombres de poursuites pour cris séditieux ont pour motif la tenue de paroles pro-légitimistes : ce type de délits doit être d'ailleurs systématiquement déféré devant la Cour d'assises. Par exemple, le substitut du procureur général De Tourville requiert, le 4 octobre 1832, renvoyer Jean Quesnot devant la Cour d'assises pour avoir dit, à deux reprises (les 14 et 15 septembre 1832), dans le corps de garde de l'hôtel de ville de Dieppe : « je bois à la santé d'Henri V »321(*), mais aussi pour avoir brandi une cocarde blanche et écrit en gros caractères, sur la guérite et les murs de la poudrière : « Vive Henri V ! ». Le parquet général, « considérant que ces faits constituent les délits séditieux publiquement proférés, d'exposition dans un lieu publique d'un signe destiné à propager l'esprit de rébellion ou à troubler la paix publique »322(*), annule une ordonnance de la chambre du Conseil du tribunal de Dieppe et décide finalement le renvoi du prévenu Quesnot devant les assises. Traduit le 14 mars 1833, le commis d'entrepôt Quesnot (26 ans) est condamné à trois mois de prison et 463 francs d'amende pour délit politique323(*). Les contrevenants ne sont pourtant pas toujours des légitimistes convaincus : crier « Vive Henri V ! » ne peut être interpréter alors que comme un simple pied de nez fait pour taquiner les autorités. C'est le cas de Constantin Soyez (24 ans), colporteur de lunettes, amené devant la Cour d'assises pour avoir crié dans un café : Vive Charles X !, vive le drapeau blanc !, vive la cocarde blanche !, à bas les trois couleurs !324(*). Après une demande faite au procureur du Roi d'Yvetot, le procureur général Moyne reçoit des renseignements sur le prévenu : Soyez a déjà été condamné par défaut à seize francs, pour cris séditieux, par la Cour d'assises de Saint-Omer, les magistrats du Pas-de-Calais lui reconnaissant des circonstances atténuantes325(*). Le maire de la ville où il réside, décrit Soyez comme un « assez mauvais sujet, ivrogne d'habitude »326(*). Evidement, le 20 février 1834, le jury acquitte Soyez327(*). L'expression du légitimisme peut prendre parfois des formes plus originales, comme du linge de table. Le 7 juin 1838, le substitut Justin requiert contre un fabriquant de linge, Nicolas-Victor Cadinot, suspecté d'avoir réalisé du linge de table damassé, « sur lequel le duc de Bordeaux est représenté avec une couronne sur la tête et au dessous duquel portrait se trouve le quatrain suivant : La couronne est à moi / du droit de ma naissance / Je l'aurai par la loi / car je suis fils de France » 328(*) et d'avoir fait colporter ce linge dans nombres de régions françaises et notamment dans le Midi. Lors de la séance des assises du 27 juin, le jury reconnaît le délit d'attaque contre les droits que le roi tient du voeu de la nation française, délit retenu par le parquet, mais rejette le délit de mise en vente de signes et symboles destinés à troubler la paix publique329(*) : pour montrer son désaccord, le substitut du procureur général Justin demande le renvoi de Cadinot devant le tribunal de police correctionnelle330(*). Devant cette juridiction, le substitut du procureur du Roi de Rouen, Antoine Blanche, réclame l'application de l'article 20 de la loi du 9 septembre 1835331(*) ; les juges lui en donnent raison : Cadinot est condamné à un mois de prison, cent francs d'amende et la confiscation des linges saisis332(*). Si les jurys peuvent parfois montrer une certaine indulgence quant aux impertinences carlistes, la magistrature debout, surplombée par le procureur général, veille à tous les échelons, à éloigner les propos ou les nostalgiques d'un temps révolu, qu'ils soient légitimistes ou républicains. * 320 Pascal Vielfaure, op. cit., p.574. * 321 Réquisitoire du substitut du procureur général Le Tendre de Tourville, du 4 octobre 1832, 2U 1723. * 322 Ibid. * 323 Procès de Jean Quesnot devant la Cour d'assises, le 14 mars 1833, 2U 1723. * 324 Réquisitoire du procureur du Roi d'Yvetot demandant le renvoi de Constantin Soyez devant la chambre des mises en accusation, le 1er décembre 1833, 2U 1726. * 325 Cris séditieux publiquement proférés, dans un café et dans les rues d'Hesdin : « A bas le drapeau des trois couleurs, vive la République, vive Bonaparte, merde pour le drapeau tricolore ». Lettre du procureur du Roi d'Yvetot au procureur général de Rouen, le 22 décembre 1833, 2U 1726. * 326 Lettre du maire de la ville d'Hesdin au procureur du Roi de Montreuil, le 14 décembre 1833, 2U 1726. * 327 Procès de Constantin Soyez devant la Cour d'assises, le 20 février 1834, 2U 1726. * 328 Réquisitoire du substitut du procureur général Justin, le 7 juin 1838, 2U 594. * 329 Procès de Nicolas-Victor Cadinot devant la Cour d'assises, le 27 juin 1838, 2U 594. * 330 Réquisitoire du substitut du procureur général Justin pour le renvoi de Cadinot devant le tribunal de police correctionnelle, le 2 juillet 1838, 2U 594. * 331 « Aucun dessin, aucunes gravures, lithographies, médailles et estampes, aucun emblème de quelque nature et espèce qu'ils soient, ne pourront être publiés, exposés ou mis en vente sans l'autorisation préalable du ministre de l'Intérieur à Paris et des préfets dans les départements » : Cf. Jean-Claude Caron, La France de 1815 à 1848, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 1993, rééd. 2000, p. 113. * 332 Réquisitoire du substitut du procureur du Roi de Rouen Blanche et décision du tribunal de police correctionnelle, le 10 juillet 1838, 2U 594. |
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