Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)( Télécharger le fichier original )par Julien Vinuesa Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004 |
C-Une vie privée au dessus de tout soupçon.Nombres de discours rappellent les obligations du magistrat, et notamment dans sa vie privée. L'abnégation du magistrat doit être au coeur de son action personnelle tant dans son travail qu'au sein de sa famille. Ce rappel des impératifs de vertus à intégrer, fait partie de la tradition du discours de rentrée. La légèreté n'a de place nulle part. La famille et le mariage sont les seuls cadres possibles : les écarts moraux des magistrats y sont prohibés. Le magistrat doit s'enfermer dans son travail et être un bon père de famille. Tout au long des discours, les procureurs et avocats généraux diffusent une conception de la façon de vivre de la magistrature qui n'est pas marquée du sceau de la gaieté. Dans un discours au titre évocateur, L'exemple, Pierre Paillart explique bien la ligne de conduite à adopter tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du palais de justice : l'avocat général préconise que les magistrats doivent se parer de toutes les vertus147(*) et servir ainsi d'exemple pour la société, la rigueur morale n'excluant que la diffamation ou la suspicion : « Tout n'est pas fini, en effet, pour le magistrat, quand il vient d'accomplir les fonctions de son ministère ; une autre loi reste, qui veille sur ses pas et le suit jusque dans la vie privée. Elle lui impose des moeurs austères, des habitudes sérieuses et des jours bien remplis, de telle sorte que contre nous toute accusation soit calomnieuse et tout soupçon une invraisemblance [...]. Toutes les vertus, Messieurs, grandissent et se fortifient par l'exemple. Il doit être donné à chaque heure de la vie, à chaque degré de la puissance, par les discours aussi bien que dans les actes, dans les débats de l'audience comme dans le travail du cabinet [...]. Ici, en un mot, tout doit être pur de reproche et même de soupçon, depuis les prêtres de la justice jusqu'à ceux qui gardent les avenues du temple »148(*). Dans leur sacerdoce, les « prêtres de la justice » sont soumis à une certaine ascèse: le principe de l'austérité du magistrat est récurrent et tend à faire croire que la réalité n'est pas si éloigné du principe édicté. Pour le procureur général Gaultier, l'austérité est même la seule marque de notabilité qui doit rendre fier le magistrat. La seule quête de justice vaut bien alors un chemin de croix : « Les études de l'homme public sont longues et ardues ; elles embrassent à divers degrés les lois, les institutions, les principes mêmes de l'ordre social, c'est à dire les sujets les plus sérieux qui puissent appeler nos médiations, et chaque pas qu'il fait lui en présente des applications nécessaires [...]. Une vie laborieuse, l'assujettissement, de pénibles luttes, et trop souvent des injustices et des dégoûts, voilà donc, Messieurs, ce qui l'attend dans sa carrière ! Le courage, la modération, l'oubli de ses intérêts et de ses sentiments personnels, voilà quelles sont les vertus qui lui sont commandées [...]. Dans cette austérité même résident leur élévation et leur noblesse »149(*). Ne déshonorant pas son nom de famille, le procureur général Moyne qui se retrouve un peu délaissé après l'affaire Aroux et Tranchard (voir infra), n'a pas de mal à prôner le principe d'isolement ; mais quant à celui de confraternité, il semble un peu moins crédible : « Sévère pour lui-même, il doit éviter les actions qui, prises en mauvaise part, pourraient paraître équivoques ; sa conduite doit être austère, il doit éviter les occasions d'une trop grande dissipation ; l'homme léger simulerait difficilement la gravité [...]. Se renfermer dans le cercle étroit d'un petit nombre d'amis, donner à ses habitudes un caractère de bienséance et de dignité, vivre dans des sentiments de confraternité avec ses collègues ; car l'isolement absolu engendre l'égoïsme, et est contraire à l'esprit qui doit nous animer »150(*). Finalement, la nécessité d'une vie privée sans débordements est justifiée par Antoine Blanche en des termes moins passionnés et plus rationnels. L'avocat général résume : « C'est dans une vie calme et recueillie que le magistrat trouvera le loisir nécessaire pour sonder les profondeurs de la science et en préparer l'application »151(*). Débarrassé de la toge du propagandiste, le parquetier général est dans l'intimité du palais un membre de la Cour comme les autres, qui certes n'oublie jamais vraiment sa mission réquisitoriale. Si les aspects politique et juridique reviennent souvent pour définir le magistrat du parquet, son rôle au sein de la compagnie ou de la cité est peu abordé. L'objet de la deuxième partie essayera donc de voir le rôle occupé par le parquetier aussi bien dans l'organisation interne de la Cour qu'à l'extérieur, dans ses occupations sociales.
2-/ Vie de la Cour et temps extra- judiciaire : de la participation active à l'attention apparente du parquet. * 147 Idée présente dans Frédéric Salveton, Discours prononcé par M. Salveton [...] le 6 novembre 1844, op. cit. : « Honorable privilège, Messieurs, qui vous impose, comme obligation ordinaire de votre charge, la pratique des vertus qui sont un honneur, mais non un devoir pour la plupart des autres professions ». * 148 Extraits du discours L'exemple de l'avocat général Pierre-Aubin Paillart, Journal de Rouen, numéro 308, du 4 novembre 1838. * 149 Alexandre-Félix-René Gaultier, Discours prononcé par M. Gaultier, procureur général du Roi, à l'audience solennelle de rentrée, le 3 novembre 1842, op. cit. * 150 Cf. M. Moyne, Discours prononcé par M. Moyne, le 4 novembre 1834, op. cit. * 151 Antoine-Georges Blanche, Discours prononcé par M. Blanche,[...] le 6 novembre 1843, op. cit. |
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