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Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)

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par Julien Vinuesa
Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004
  

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B-Une radicalisation des positions : le conflit manifeste entre les avocats et le procureur général Moyne.

Par la suite, l'affaire ne fait plus la une mais reste dans tous les esprits. Le 20 août 1833, les avocats, en forme de protestation, élisent comme bâtonnier de leur Ordre, Me Aroux, au premier tour de scrutin (« Jamais, peut-être, il n'avait été aussi nombreux »96(*)). Jusqu'en novembre, le Journal de Rouen fait des allusions à l'affaire et charge le procureur général Moyne, notamment en reprenant ses exploits passés97(*). Au passage, le journal règle ses comptes, en dénonçant les relations de certains parquetiers avec les légitimistes et la gazette de Normandie98(*). La promotion de l'avocat général légitimiste Jean Gesbert de la Noë-Seiche99(*), devenu premier avocat général à la place de Daviel, est perçue « comme un retour assez significatif vers les hommes de la Restauration, comme une nouvelle preuve de ce système de réaction que nous avons plus d'une fois signalé »100(*). Enfin, la rentrée de la Cour royale du 4 novembre est l'occasion d'une nouvelle démonstration de force de l'Ordre des avocats, et d'un moment unique dans les annales de la Cour. A la fin du discours de rentrée, les avocats doivent, comme il est d'usage, présenter leurs hommages au premier président et au procureur général. Ce 4 novembre, les avocats et les avoués en décident autrement ; ils vont voir le premier président mais partent sans s'être présenté au parquet où le procureur général Moyne les attend : « Cette manifestation de la part du barreau tout entier contre M. Moyne est d'une haute gravité, et elle vient donner une nouvelle force à l'élection de M. Aroux, comme bâtonnier de l'Ordre, faite quelques jours après la brutale destitution fulminée contre ce procureur du Roi »101(*). Cette impolitesse frondeuse est observée par le corps des avocats jusqu'en 1836, c'est à dire jusqu'au remplacement du procureur général Moyne102(*). D'ailleurs, l'affaire Aroux et Tranchard se clôt réellement à cette date, après une explication a posteriori et anachronique du successeur d'Aroux, le procureur de Rouen Hébert : selon lui, Aroux aurait été destitué pour avoir refuser de poursuivre les membres de la Société des Droits de l'homme (voir supra). Seulement, la loi sur les associations qui condamne cette dernière est d'avril 1834 et la destitution a lieu en août 1833. Comme l'écrit le Journal de Rouen, « ce seul rapprochement de dates constitue M. Hébert en mensonge flagrant »103(*).

Pourtant, le fond de l'affaire reste éminemment politique et l'excuse de la messe, soutenue par le Journal de Rouen, reste un prétexte et une défense pour le journal qui n'a pas envie d'être accusé de soutenir de trop près les républicains. Le procureur général Moyne, dans la logique d'affermissent du gouvernement, tient son rôle de chef du parquet inébranlable. Garant de la nécessaire unité du parquet, Moyne se montre un excellent défenseur politique et s'attache à écarter, pour un temps, « le fantôme de la République »104(*), au sein de l'institution du parquet.

Unique pour la période, cette marque d'insoumission est à l'inverse de l'attente du pouvoir qui cherche à avoir pour le servir des « magistrats-agents politiques » qui promeuvent l'action ministérielle et non qui la contestent notamment au travers des discours de rentrée : ces derniers sont une tribune irremplaçable et privilégiée pour faire part de la propagande officielle.

* 96 Journal de Rouen, numéro 233, du 21 août 1833.

* 97 « [extrait du discours d'installation de M. Moyne de 1832 envoyé par un abonné] «Indépendant par caractère et par ma position sociale, je porterai dans tous mes actes la liberté d'opinion et d'examen. Je me fais une trop haute idée de la magistrature pour croire qu'un fonctionnaire puisse exécuter des ordres qui répugneraient à sa conscience ou seulement le mettraient en opposition avec lui-même : il faut savoir faire respecter son caractère. Je m'empresse de déclarer que, depuis la Révolution de Juillet, la magistrature a été rendue à toute son indépendance. Ce que je dis s'applique non seulement à la magistrature assise, mais encore aux membres des parquets. Nous avons la liberté d `action, et jamais le chef de la Justice ne nous a demandé que ce qui est prescrit par la loi» [...]. Il est fâcheux sans doute que le discours d'installation d'un procureur général justifie si bien le proverbe : Menteur comme un programme » : Journal de Rouen, numéro 241, du jeudi 29 août 1833.

* 98 « Pour nous, en admirant ce nouvel exemple des vicissitudes humaines [ l'avancement de M. Gesbert], nous admirons surtout qu'un des principaux motifs de la destitution de MM. Aroux et Tranchard ait été le soupçon d'avoir conservé quelques relations, non pas avec le journal, mais avec les rédacteurs et les propriétaires du Journal de Rouen, tandis que leur relation de parenté et d'affections intimes avec les gérants et les rédacteurs de la gazette de Normandie n'ont nullement nui à l'avancement de MM. Gesbert et de Tourville. C'est vraiment une chose notable » : Journal de Rouen, numéro 257, du samedi 14 septembre 1833.

* 99 Ibid. : « A cette occasion, peut-être on rappellera aussi que le salon de M. Gesbert, fermé, comme en signe de deuil, depuis la Révolution de Juillet, s'est rouvert l'année dernière par une fête où n'avaient été invités que des légitimistes et d'anciens magistrats démissionnaires par refus de serment. On rappellera peut-être ses relations avec plusieurs propriétaires de la gazette de Normandie, qui figuraient à cette fête, donnée par un membre du parquet de la Cour précisément lorsque l'un d'entre eux était cité par le procureur général devant la Cour d'assises ».

* 100 Ibid.

* 101 Journal de Rouen, numéro 306, du mardi 5 novembre 1833. L'épisode est noté par Jean-Claude Farcy, Magistrats en majesté..., op. cit., p. 51 : « A Rouen, pendant plusieurs années, le procureur achève son discours de rentrée sans la traditionnelle adresse aux avocats et ces derniers répliquent en s'abstenant de faire leur visite habituelle au chef du parquet à la fin de la journée ».

* 102 Cf. Journal de Rouen, numéro 308, du mercredi 5 novembre 1834 : « Les avocats ne se sont pas dérangés pour laisser passer M. Moyne qui a dû attendre qu'ils eussent tous défilé, et quoique M. le procureur général fût en costume, bien peu d'avocats se sont découverts devant lui, affectation qui a dû le frapper d'autant plus, que nul n'a omis de saluer MM. Les avocats généraux » ; numéro 308, du mercredi 4 novembre 1835. En 1836, le nouveau procureur général absent, c'est le premier avocat général Gesbert qui officie mais les avocats considèrent qu'il faut « observer le statu-quo », Gesbert rappelant trop Moyne : Journal de Rouen, numéro 308, du vendredi 4 novembre 1836.

* 103 Ibid.

* 104 Ibid.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius