Le parquet général de Rouen sous la monarchie de Juillet (1830-1848)( Télécharger le fichier original )par Julien Vinuesa Université de Rouen - Maîtrise d'histoire 2004 |
1-1 : Un engagement contrôlé par le pouvoir politique.1-1-1 : L'épuration du parquet général en 1830.A-Une conséquence normale.L'avènement de la monarchie de Juillet provoque un véritable bouleversement dans la magistrature. Les journées qui suivent celles des « Trois Glorieuses » sont marquées par une certaine confusion. Dans les palais de justice règne la plus grande incertitude. La perplexité des magistrats se traduit par un certain attentisme et une multiplication des absences en août. Comme le note Jean-Louis Debré : « en ce début d'août circulent encore dans les provinces françaises, les informations les plus contradictoires »15(*). Cette « intoxication »16(*) amène le greffier en chef Floquet, pourtant consciencieux d'habitude, à rayer la nomination du nouveau procureur général Thil puis finalement de la réécrire17(*). Les magistrats les plus embarrassés sont ceux qui ont servi et soutenu le régime précédent, en l'occurrence les magistrats légitimistes. Incorporer le nouveau régime signifie pour certains d'entre eux, renier un engagement politique profond, à l'opposé des valeurs orléanistes18(*). L'exemple du procureur général de Rouen, le baron Alexandre Boullenger, est assez symptomatique du sentiment qui envahit la magistrature légitimiste « disposée ni à la soumission, ni à la complaisance »19(*). Son père, Louis-Charles-Alexandre Boullenger a fait carrière dans la magistrature : président du tribunal civil de Rouen en 1805, il est fait baron par Louis XVIII20(*). Alexandre Boullenger suit la voie paternelle et entre au parquet général de Rouen, dès 1815, comme substitut du procureur général puis avocat général et premier avocat général. Continuant son ascension, il occupe les fonctions de procureur général à Douai puis à Caen. Enfin, une nouvelle nomination le rapatrie à Rouen, le 20 juillet 1829, toujours pour occuper la fonction de procureur général. Alexandre Boullenger fait donc, sous la Restauration, une carrière brillante et ne peut qu'être reconnaissant de ce régime qui a éclairé le destin de son père et surtout le sien. Quant arrive la Révolution de Juillet, Alexandre Boullenger n'a pas une sympathie évidente pour le fils du régicide Philippe-Egalité. Bien que nommé à Amiens comme président de chambre, le 17 août 1830, le baron Boullenger n'accepte pas cette nouvelle place offerte par le régime de Juillet21(*). Fidèle à ses convictions légitimistes, le baron Boullenger se retire définitivement de la magistrature à 39 ans, pour s'occuper de sa petite mairie de Saint-Denis-Le-Thiboult (près de Darnétal). Le ministre de la Justice, Dupont de l'Eure, ancien président de chambre à Rouen (révoqué par Louis XVIII22(*)), et Joseph Mérilhou, son secrétaire général au ministère de la Justice (écarté lui aussi par le régime restauré23(*)), tous les deux des épurés de 1815, conduisent les opérations épuratives de 1830, comme une conséquence évidente de l'instauration du nouveau régime. Pour Pascal Vielfaure, l'épuration de 1830 est sans surprise : « Sans procéder à une épuration brutale du corps judiciaire, la monarchie de Juillet recourt aux expédients habituels pour s'assurer le concours des juges. Le mimétisme des gouvernants renforce cette idée que les magistrats ne forment pas un pouvoir distinct, mais constituent seulement une autorité importante dans la cité, sous la tutelle permanente du politique »24(*). * 15 Cf. Jean-Louis Debré, op. cit., p. 54. * 16 Ibid. * 17 Installation de M. Thil, procureur général, le mardi 31 août 1830, 2U 134. La rature de tout un document sur ce genre de registres est exceptionnelle et n'est pas qu'une simple erreur. * 18 « Comment lorsqu'un candidat ou ses ancêtres ont servi sincèrement le roi légitime, pratiquer l'art d'être orléaniste et s'intégrer à l'ordre louis-philippard ? » in Jean-Pierre Royer, et al., Juges et notables au XIXesiècle, op. cit., p. 52. * 19 Ibid. * 20 Le décret du 1er mars 1808, qui prévoyait que les premiers présidents et procureurs généraux des Cours d'appel pussent après dix ans d'exercice, être créés baron à titre personnel par l'Empereur, est repris sous la Restauration. * 21 « M. Boullet, avocat général à la Cour d'Amiens, est nommé président à la même Cour, en remplacement de M. Boullenger, non acceptant. » in Le journal de Rouen, numéro 250, du 7 septembre 1830. * 22 Cf. Jean-Louis Debré, op. cit., p.56. * 23 Cf. J.-P. Royer et al., Juges et notables au XIXe siècle, op. cit., p. 52. * 24 Cf. Pascal Vielfaure, L'évolution du droit pénal sous la monarchie de Juillet entre exigences politiques et interrogations de société, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 2001, p. 173. |
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