TROISIEME PARTIE :
LES MESURES DE LUTTE CONTRE LA
PAUVRETE ET ALTERNATIVES
CHAPITRE IV :
LES MESURES
TRADITIONNELLES
En ces derniers temps, à travers toutes les grandes
institutions du monde, on ne cesse de parler de la lutte contre la
pauvreté et beaucoup de ressources (économiques et humaines) se
convergent en vue de trouver la solution adéquate. Mais, jusqu'ici,
où en sommes-nous ? A qui bénéficie véritablement
cette lutte, dite contre la pauvreté ? Autrement dit, comment y arriver
?
Plusieurs voies s'offrent.
Si l'on veut considérer la logique des
néo-libéraux, c'est de laisser « le libre jeu des forces du
marché », et à long terme, tout finirait par rentrer dans
l'ordre. Cependant, selon une remarque assez surprenante faite par l'un des
experts du PNUD, Hugo FernandezFaingold :« Si la région parvenait
à croître à un taux de 6 %, sans modifier les patrons
actuels de distribution, il faudrait compter plus de trois décennies
avant que sa population puisse sortir de la pauvreté.
»103. Donc voir cette lutte d'une manière
traditionnelle, comme on le fait depuis des années, ne va pas
résoudre le problème. Il est nécessaire de changer les
canaux de distribution tout en incluant les pauvres eux-mêmes. On doit
les demander leur point de vue, notamment en ce qui concerne leur aspiration.
On doit faire en sorte que les pauvres soient réinsérés
dans les rapports sociaux leur ouvrant l'accès aux ressources, biens et
services disponibles. Nous pensons que la lutte contre la pauvreté ne
doit pas être réduite à une manière
spécifique d'intervenir en faveur des pauvres, mais elle doit être
une façon de concevoir des modèles inclusifs de
développement. Il est clair que la pauvreté représente,
aujourd'hui un grand danger. Et c'est ce que fait remarquer le directeur
général de l'UNESCO, « la pauvreté est un facteur
d'instabilité. Aujourd'hui, la pauvreté constitue la facette la
plus alarmante de l'insécurité à l'échelle
internationale... La croissance dans l'inégalité tend à
l'aggraver. Inégalité non seulement à l'échelle
internationale mais surtout à l'échelle nationale. Très
103 Fritz Deshommes, p. 224
souvent, les références aux
inégalités, aux asymétries, aux bipolarités
internationales occultent- parfois malicieusement- les inégalités
énormes, Intolérables, qui existent à l'intérieur
des différents pays »104 . Plus que jamais, on doit
chercher des voies à en sortir. Voyons les solutions qui ont
été déjà proposées.
SECTION 1. LES PROGRAMMES D'AJUSTEMENT STRUCTURELS
Avec les néo-classiques, au cours des années
1970, un terme nouveau apparut dans le domaine de la pensée
économique. Il s'agit bien du « programme d'ajustement structurel
» et ce dernier a pris un rôle déterminant dans tous les
débats socio` -économiques et au niveau de la coopération
bilatérale et multilatérale. Mais, on peut
ajouter aussi qu'au moment de la crise de la dette de 1982, au régime
soviétique débilité sont venus s'ajouter les échecs
patents des modèles de développement fondés dur des
approches « radicales » et « structuralistes » comme
l'Industrialisation par substitution des importations (ISI) mis à
l'essai en Amérique latine. Cette conjoncture a eu pour effet
d'instiller l'idée pour que le modèle capitaliste à
l'américaine fût la seule voie de développement pour les
gouvernements des pays du Sud. Les programmes d'ajustements structuraux (PAS)
proposés par le FMI et la BM ont donc pu être appliqués
sans trop de résistance105.
Cependant, les programmes d'ajustement structurels varient en
fonction du besoin d'un pays à un autre et semblent, assez souvent,
résulter de la mauvaise utilisation des recettes en devises et des
ressources de l'Etat suite à l'élévation rapide de la
valeur de leurs exportations. Selon le constat fait par GUILLAUMONT Patrick,
«quatre indicateurs de besoin d'ajustement sont retenus pour
définir un indicateur synthétique : deux indicateurs fondamentaux
: solde courant et croissance ; et deux indicateurs complémentaires :
niveau d'endettement extérieur, et de taux de change réel. Selon
les critères retenus, sont considérés comme ayant un fort
besoin d'ajustement ceux dont simultanément le solde de la balance des
paiements courants et le taux de croissance du PIB sont inférieurs
à leur valeur médiane, ou encore ceux qui combinent l'une des
deux propriétés précédentes avec un encours de la
dette extérieure ou un taux de change effectif réel
supérieur à sa valeur médiane».Nous
énumérons certains indicateurs de besoin, selon ce dernier:
104 Ibidem, p.225
105 Le Nouvelliste, No. p.11
1- Un pays dont la balance courante est déficitaire et la
croissance du produit faible, voire négative;
2- Un pays qui ne parvient à équilibrer sa
balance courante qu'au prix d'une politique déflationniste
(c'est-à-dire dont la croissance est faible ou négative). Son
besoin d'ajustement correspond à une perte de
compétitivité et dans le fait qu'il a atteint son niveau maximum
d'endettement, ce qui le condamne à équilibrer sa balance
courante. Un pays dont la croissance économique rapide s'accompagne d'un
fort déséquilibre de la balance des paiements courants et qui ne
peut espérer poursuivre sa croissance si l'encours de sa dette
extérieure limite à brève échéance le
recours aux capitaux extérieurs et si son niveau de
compétitivité compromet le rééquilibre de sa
balance106.
Ce schéma, dicté par le FMI et la BM, a conduit
les grands décideurs d'Haïti d'entrer dans ce « jeu »,
comme ce fut les cas pour d'autres pays de l'Amérique latine, à
savoir, l'application des programmes d'ajustement structurels. Malgré le
caractère messianique qu'on a voulu attribuer à ces types de
programme, pour résoudre le problème de la pauvreté dans
les pays du TIERS-MONDE, puisqu'ils n'arrivent pas aux attentes
escomptées. Selon ce que nous lisons dans le document titré
« Une fenêtre d'opportunité pour Haïti », on dit
que :
Après l'ajustement structurel de 1986 dont la
performance est généralement qualifiée de succès,
l'on assiste à une succession de programmes financiers (accords de
confirmation, accord d'ajustement structurel renforcé, programmes
relais) dont l'implantation est presque toujours interrompue par
l'éclatement de crises surtout politiques. Néanmoins les
réformes structurelles touchant le commerce extérieur et les
finances publiques entreprises durant la mise en oeuvre des programmes
financiers, quoique généralement inachevées et les
engagements pris au niveau international pendant les 25 dernières
années, ont changé le cadre d'évolution de
l'économie haïtienne. Ces changements sont pour la plupart
`désirables', ce sont également accompagnés de chocs
externes, de pratiques et de politiques dommageables, avec des
conséquences lourdes pour le cadre macroéconomique. Ainsi, avec
l'avènement du gouvernement de transition en 2004, certaines pratiques
ont entraîné la contraction de la pression fiscale, la perte du
contrôle de l'augmentation des prix, la perte de
compétitivité malgré une dépréciation
importante de la monnaie nationale par rapport au dollar américain le
retrait des investissements privés, l'asphyxie du marché du
crédit, la dollarisation de l'économie. Vu l'état critique
de la situation, le Gouvernement décida d'accorder la priorité
à la stabilisation macroéconomique et au renforcement de la
gouvernance tout en misant sur un appui renforcé des bailleurs de
fonds107.
Les critiques sont nombreuses sur les méfaits de
l'application des programmes d'ajustement structurels (PAS). Nous pouvons
citer les commentaires de la professeure Stéphane
106 Guillaumont, p.19
107 Une fenêtre d'opportunité pour Haïti,
DSRP-1, p. 14, Septembre 2007
Rousseau108, affirmant que les effets des «
PAS » sont négatifs et ils auraient contribué à
« l'accroissement des inégalités sociales, à
l'incapacité des pays de développer et maintenir des industries
nationales qui ont un potentiel d'entraîner le développement
d'autres secteurs et permettant de réinvestir au niveau national
»109. Le professeur Jacques B. Gélinas110,
pour sa part, présente un bilan désastreux de l'application des
PAS dans les pays sous-développés. Selon lui, « vingt ans
plus tard, plus d'une centaine de pays soumis aux PAS ont reculé par
rapport à leur niveau de développement des années 1980
111». En contrepartie, Mme Rousseau concède certains
aspects positifs du « PAS ». Toutefois, elle affirme qu'en
Amérique Latine, au Moyen-Orient et en Afrique « il y a eu une
stabilisation économique liée aux PAS, car ils forçaient
les Etats à mettre de l'ordre dans leurs finances, à assurer une
gestion financière et fiscale plus rigoureuse et
équilibrée 112». Il est important de voir les
différentes formes que prennent le plus souvent les programmes voulant
résoudre le problème de la pauvreté.
1.1- Programme d'Aide
La réduction de la pauvreté est l'un des plus
anciens objectifs que la « Communauté Internationale » s'est
fixée dès le lendemain de la deuxième guerre mondiale.
L'aide étrangère, telle qu'on la conçoit aujourd'hui, est
l'élimination de la phase qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Nous
devons rappeler que « l'origine de l'aide remonte au plan Marshall dont
l'application a amené les Etats-Unis à transférer 17
milliards de dollars en quatre ans à l'Europe - soit l'équivalent
d'environ 1,5 % du PNB américain pour l'aide à se reconstruire
après le conflit. On a jugé, à l'époque, que deux
éléments du plan Marshall avaient été essentiels
à son succès : l'apport de capital financier de la part des
Etats-Unis et l'utilisation productive de celui-ci, par des plans
coordonnés, pour rebâtir le patrimoine matériel
dévasté de l'Europe »113. Au fil des
années, la formulation de l'aide a varié au cours du temps mais
elle constitue aujourd'hui une question centrale avec les Objectifs de
développement du Millénaire (ODM), définis et
adoptés par un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement qui s'est tenu
en
108 Professeure de Sociologie à l'Université Laval,
Canada
109 Le Nouvelliste,
110 Professeur de sociologie de développement
retraité de l'Université d'Ottawa, Canada
111 Ibidem
112 Ibid., p.11
113 Malcolm Gillies et al., 1998, 284 pages
Septembre 2000 sous les auspices de l'ONU. Des huit objectifs
retenus, le premier vise expressément la pauvreté absolue
(réduire la proportion de la population dont le revenu est
inférieur à $1 par jour). Pour y arriver depuis plus d'un
demi-siècle, on essaie d'utiliser plusieurs méthodes afin de
trouver des solutions viables. Parmi lesquelles, nous retenons
l'assistancialisme.
SECTION 2. ASSISTANCIALISME FINANCIER, TECHNIQUE ET
INSTITUTIONNEL
2.1- Apparition de l'assistance
extérieure
« On peut faire remonter au début des
années 1950 le démarrage de l'assistance extérieure telle
qu'elle se présente actuellement, en Haïti. Sur une période
relativement courte, des agences internationales s'implantent à
Port-au-Prince et fournissent au secteur public, sous forme d'assistance
technique et d'appui financier, un volume appréciable d'aide
multilatérale. Les principales sources de ce type d'assistance sont les
Nations Unies (PNUD, FAO, UNICEF, UNESCO, etc.), la Banque
Interaméricaine de Développement (BID) et l'Organisation des
Etats Américains (OEA) »1 14 . L'aide bilatérale
provient essentiellement des Etats-Unis, par l'intermédiaire de l'USAID.
A coté des Etats-Unis, on doit noter le Canada, Taiwan, la
République fédérale d'Allemagne. D'après les
données de la Banque Interaméricaine de développement (
BID), entre 1980 et 1990, les apports nets des ressources extérieures de
toutes origines fournies à Haïti s'élèvent à 2
660.9 millions de
dollars EU. Ce transfert effectif, qui regroupe capitaux publics
et capitaux privés, représente l'écart entre
l'investissement brut et l'épargne intérieure. Il figure au
tableau ci-dessous.
Tableau 4.1- Transfert Réel de Ressources (en
millions de dollars EU)
Année
|
Montant
|
1980-1984
|
1 506.1 6
|
1985
|
230. 78
|
1986
|
232.10
|
1987
|
240.11
|
1988
|
218. 79
|
1989
|
232.94
|
Total
|
2 660.88
|
Source : Kern, p.310
Environ une vingtaine des principaux bailleurs de fonds
travaille activement en Haïti, chacun avec des soldes importants non
décaissés, se chevauchant dans les secteurs et dans les projets,
et ayant souvent des objectifs divergents. L'assistance passe par le programme
d'investissement dans le secteur public, le soutien de la balance des
paiements, l'assistance humanitaire, et l'octroi direct de
sécurité. En 1997, il y avait 269 programmes
séparés d'assistances techniques et d'investissement
financés par les agences bilatérales et multilatérales
dont 43 dans le domaine de la gestion des affaires publiques, 39 dans
l'agriculture, 31 dans l'enseignement, 29 dans l'eau, l'assainissement,
l'aménagement urbain et 27 dans la santé. Sur ceux-ci, 110
programmes avaient des engagements se montant à un total
inférieur à 2 millions de dollars EU115.
Le professeur Malcolm Gillies fait voir que « les fonds
étrangers de tous ordres ont pour rôle
d'accroître l'épargne intérieure, afin
d'augmenter l'investissement et, par conséquent,
d'accélérer la croissance. A supposer que l'aide et tous les
autres financements extérieurs ajoutent, disons 6% au PIB, qu'ils
servent tous à des investissements supplémentaires, que le
coefficient de capital s'élève á 3.0 et que la part du PNB
acquise par le capital atteigne 50%, le taux de croissance sera accru de 1 %
»116.
2.2- Projets de développement institutionnel et
d'assistance technique
Selon l'Association Haïtienne des Economistes (AHE), «
il est impératif que le pays s'inscrive dans une dynamique
institutionnelle constructive. Qu'il s'agisse des jeux politiques, des jeux
115 Notes de cours de l'Economie haïtienne, Haïti la
lutte contre la pauvreté, p.25
116 Malcolm Gillies et al., p.515
économiques, de la recherche de réponses aux
questions sociales, de la résolution des conflits et des
problèmes juridiques de manière générale, c'est
dans la mise en place et le renforcement des structures institutionnelles et
dans le respect de leurs vocations que le pays devra trouver les voies pour
réenclencher le cercle vertueux du développement. La gouvernance
institutionnelle concerne en effet tous les secteurs de la vie publique
»117. En fait, si les institutions sont aussi
déterminantes pour la prospérité économique,
pourquoi notre société ne se dote-t-elle de bonnes institutions
ou se retrouve-t-elle avec de mauvaises institutions ? Pourquoi de telles
institutions persistent-elles longtemps malgré leurs conséquences
désastreuses? Est-ce un accident de l'histoire ou le résultat
d'idées fausses ou d'erreurs de nos décideurs ?... « En plus
d'influer sur les perspectives économiques d'un pays, les institutions
jouent un rôle essentiel dans la répartition du revenu entre les
individus et entre les groupes sociaux. Autrement dit, elles influent non
seulement sur la taille du « gâteau social », mais aussi son
partage. Dans cette optique, une transition d'institutions dysfonctionnelles
vers des institutions de meilleure qualité qui augmenteront la taille du
gâteau social pourrait néanmoins être bloquée si les
groupes au pouvoir voyaient leur part
du gâteau notablement réduite et ne pouvaient
être compensés de manière crédible
»118. Nous devons noter toute fois que la persistance des
institutions et l'éventuelle résistance aux réformes ne
signifient pas que ces institutions ne peuvent pas changer. Les institutions
évoluent souvent de manière notable, et même des
institutions fort dysfonctionnelles peuvent être transformées avec
succès. Les politiques prioritaires pour transformer l'économie
haïtienne, les politiques de support à mettre en oeuvre pour
créer un cadre propice au développement des entreprises, ainsi
que celles qui sont indispensables pour assurer une croissance dans
l'équité, supposent des institutions qui fonctionnent de
façon éfficiente119. C'est ainsi, touchée par
cette réalité, depuis 1994, la Communauté Internationale
dans le cadre de la lutte contre la pauvreté intervient à travers
des projets de développement institutionnel et d'assistance technique.
L'emphase sur le renforcement de la capacité institutionnelle
était considérée comme essentielle à la
durabilité des projets. Ceci a été accompli en formant de
nombreuses organisations communautaires, les ONG et les gouvernements locaux
à la gestion et l'administration des projets. L'objectif premier de
l'assistance technique est d'encadrer et
117 AHE, p.4
118 Daron Acemoglu, p.4
119 CLED, Haiti 2020,p.134
former des haïtiens à la réalisation des
programmes de développement socio-économique. Elle assure la
fourniture de services administratifs ainsi que d'équipement. Cette
forme d'aide représente un volet considérable de l'effort
bilatéral ou multilatéral, en raison de l'exceptionnelle
gravité de la pénurie de cadres nationaux. En dehors de l'ONU et
de l'OEA, de nombreux organismes internationaux pratiquent l'assistance
technique. En assurant l'exécution de programmes d'ordre
multilatéral ou bilatéral, les ONG sont amenés à
fournir également les services d'assistance technique120.
Depuis de nombreuses années le secteur privé étranger
finance des projets d'assistance institués et gérés par
des entreprises bénévoles. Ces associations à but non
lucratif que la terminologie officielle désigne du nom d'organisations
non gouvernementales (ONG) interviennent aux cotés des organismes de
l'aide bilatérale et multilatérale. Elles agissent en
complément de l'aide publique au développement fournie par la
coopération internationale. Nous devons noter que les ONG font leur
apparition en Haïti vers les années 1960, sous forme de missions
d'assistance à caractère humanitaire (voluntary agencies
ou VOLAGS) bénéficiant de l'appui financier de l'Agence pour le
Développement International (AID). Les organisations formées par
des groupements privés ont proliféré au cours des
années suivantes, mais leur action s'est étendue au domaine de
développement, particulièrement du développement
rural121. Dans le cas du projet de gouvernance communale (PGC), par
exemple, le soutien institutionnel aux élus et aux leaders locaux a
conduit à la création de 25 comités d'amélioration
qui maintenant se réunissent pour discuter leurs priorités en
matière de développement communautaire122. Il faut
commencer par reconnaître l'importance des institutions pour le
développement économique et identifier les obstacles souvent
considérables qui bloquent des réformes institutionnelles.
120 Kern, p.318
121 Ibidem, p.316
122 Note de cours de l'Economie Haïtienne, Haïti, lutte
contre la pauvreté, p.35
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