Section II - LE RESPECT DES FORMES ET PRATIQUES
POLITIQUES BOURGEOISES
Alternance des hommes dans le cadre de la
société capitaliste et de son Etat, telle est, disions-nous,
l'alternance reconnue et acceptée par le P.C.F. l'examen de son projet,
au niveau des mesures concrètes, corrobore cette analyse, notamment
lorsqu'H fixe une certaine déontologie de l'alternance, mais aussi en
faisant des institutions, et particulièrement du Parlement "l'enjeu de
la compétition" (71). En effet, le projet communiste ne porte pas
atteinte aux institutions et s'intègre parfaitement dans le 'jeu"
politique traditionnel.
I - jE RESPECT DES FORMES POLITIQUES BOURGEOISES.
1) - Selon le P.C.F., la constitution étant
anti-démocratique, il était nécessaire de convoquer une
constituante pour promouvoir de nouvelles institutions. Cette revendication qui
marquait les premiers congrès de "l'ère gaullienne" a aujourd'hui
disparu. La constitution est certes imparfaite, parce "qu'elle ne favorise pas
l'évolution de la démocratie" (72) mais elle ne 'peut
empêcher la misé en oeuvre d'une politique de progrès "
(73). Que de chemin parcouru depuis 1958 entre ces différentes
affirmations.
Aujourd'hui, les revendications constitutionnelles
du P.C.F. sont donc beaucoup plus modérées. Ainsi en ce qui
concerne le Président de la République, son élection au
suffrage universel n'est pas considérée comme quelque chose de
préjudiciable en elle-même, seule la concentration de nombreux
pouvoirs, sans contreseing ministériel, entre ses mains, porte atteinte
à la démocratie.
En conséquence, les communistes
préconisent soit l'abrogation, soit la modification des articles lui
conférant des pouvoirs exorbitants, notamment les articles 16 et 11, ce
dernier lui permettant le recours au référendum pour faire
plébisciter sa politique contre le Parlement (74).
(71) - M. SIMON in "'Socialisme, Démocratie et
Epanouissement de la personne" - précité - p.18.
(72) - G. MARCHAIS au "Club de la presse" émission de
radio Europe I Le 29 janvier 1978.
(73) - L'Humanité - 2 Février 1978.
(74) - "Changer de Cap" - précité -
p.136-137.
En ne demandant pas, outre les réformes
précitées, la suppression de l'élection du
président au suffrage universel, le P.C.F. oublie que
"l'Assemblée Nationale élue est unie à la nation par un
rapport métaphysique, mais le président est uni à elle par
un rapport personnel : l'Assemblée Nationale représente bien,
dans ses différents membres, les aspects multiples de l'esprit national,
mais c'est dans le président que ce dernier s'incarne"
(75).
En effet, Les pouvoirs du président
trouvent leur fondement dans la légitimité qu'il acquiert de son
élection, au suffrage universel. Supprimer toutes ou partie de ses
prérogatives ne remet pas en cause le fait qu'il "réunit ... sur
sa personne toutes les voix se répartissant et se dispersant des
centaines de fois sur les différents membres de l'Assemblée
Nationale " (76), Or, par cette élection, l'illusion idéologique
d'un président arbitre, d'un président trait d'union entre les
différentes classes, d'un président symbolisant la
"FRATERNITÉ" de nos frontons publics est entretenue et
reproduite.
Lorsque le P.C.F. parie de retour à une
démocratie véritable ou à une démocratie
avancée, il n'envisage qu'une démocratie représentative,
une démocratie élective. De nombreux auteurs ont remarqué
son attachement quasi-religieux à la démocratie
médiatisée (77). Son point de référence à
cet égard constitue le régime issu du programme du Conseil
National de la Résistance, c'est-à-dire un régime dans
lequel le P.C.F. a pu participer au pouvoir. Le caractère
démocratique ou non d'un régime dépend de la
possibilité qu'ont les communistes de participer au pouvoir
(78).
Aussi; le P.C.F. désire-t-il revenir à
un régime parlementaire, dans lequel le Parlement retrouverait sa
puissance disparue.
Il n'envisage plus la suppression du Sénat,
ni même la réforme de son recrutement alors qu'un publiciste comme
M. DUVERGER considéra le système actuel comme
"indéfendable" (79).
(75) - K MARX in "Le 18 Brumaire" Ed. Soc.
(76) - K.MARX in "Les luttes de classe en France" à
la suite du Manifeste du P.C. - précité - p.122.
(77) - Voir notamment : L. ALTHUSSER in "Ce qui ne peut
plus durer dans le P.0 " précité p.73 et s./ G. LAVAU in "Le
P.C.F. dans le système politique français" Fond. Nat. Sciences
Politiques/ D. LABBE in "Le discours communiste" Fond. Nat. Sciences
Politiques.
(78) - D. LABBE in "Le discours communiste"
précité p.71 et s.
(79) - M. DUVERGER in "Institutions politiques et Droit
constitutionnel "Tome II - p.137 - Thémis 1973.
L'Assemblée Nationale est élue à
la proportionnelle qui "seule permet de dégager une majorité
représentant vraiment la volonté populaire"
(80).
Les revendications constitutionnelles du P.C.F.
sont, on le voit, très modestes. Cependant, sur un point, le programme
du P.C.F. propose un élément original directement lié
à notre étude. Il s'agit du contrat de législature (81).
Examinons le contenu de cette notion.
2) - Le programme de gouvernement sur lequel a
été élue la majorité constitue le contrat de
législature qui est proposé au Premier Ministre après sa
désignation par le Président de la
République.
Le contrat constitue un engagement
réciproque du Parlement et du Gouvernement sur les objectifs et moyens
de les atteindre pendant la durée de la législature. Le Premier
Ministre est investi de la confiance de la Chambre sur cette base. Dans le
programme du P. C. F le contrat de législature devient alors "une loi
qui s'impose aux pouvoirs publks". Dans le programme commun, il ne s'agit que
d'un "engagement précis et daté" du gouvernement auquel la
majorité devra accorder les moyens nécessaires. La
procédure du programme commun n'innove pas tellement par rapport
à l'article 49-alinéa 1 de l'actuelle
constitution.
En ce qui concerne l'application du contrat, le
P.C.F. prévoyait la dissolution immédiate de l'Assemblée
Nationale, en cas de crise grave, alors que le programme commun laisse au
Président de la République une alternative soit dissoudre
l'Assemblée, soit nommer un nouveau premier ministre. Dans ce dernier
cas, celui-ci présente devant l'Assemblée son programme que les
députés acceptent ou refusent en l'investissant ou
non.
Cependant, le programme commun prévoit que
les députés ne sont pas entièrement libres de leur choix.
En effet, le contrat de législature engage les partis de la
majorité, aussi leurs députés doivent s'opposer par leur
vote négatif à la constitution d'un gouvernement s'appuyant sur
"une autre majorité que la majorité de gauche issue du suffrage
universel".
Par ces dispositions, se trouve interdite
l'alternance des équipes sans intervention des électeurs. En
effet, la l'Hème et IVème Républiques n'avaient pas
été avares d'exemples de ce type d'alternance. Or, le P.C.F. ne
voulait plus que de tels retournements d'alliance soient possibles, par respect
du suffrage universel.
(80) -"Changer de cap" précité p.132.
(81) - "Changer de cap" p.132 - Programme commun de
gouvernement p.153 - précité.
Il ne fallait pas que ceux qui se faisaient
élire sur une politique en fassent une autre au cours de la
législature (82).
Cependant, ces mesures étaient-elles assez
efficaces pour mettre un terme à ces pratiques ? Notre réponse
sera nécessairement ambivalente. En effet, l'union de la gauche sur le
programme commun avait manifestement un contenu autre que celui d'une simple
alliance électorale, mais rien sinon la menace d'une exclusion du parti
(socialiste ou communiste) ne pouvait interdire à un ou plusieurs
députés de voter pour un gouvernement n'appliquant pas le
contrat. Néanmoins, cette initiative communiste marquait une
volonté ferme de respecter le suffrage populaire, et aurait certainement
obligé les députés à respecter une certaine
cohérence. Cette mesure n'était pas tout à fait innocente
et s'adressait aux députés socialistes et radicaux dont l'humeur
volage en d'autres temps avait marqué le P.C.
3) - Finalement, les initiatives institutionnelles
du P.C.F. ne remettent pas en cause le fonctionnement du système. Ainsi;
son attachement à la démocratie représentative montre
qu'il n'entame en rien la sacro-sainte séparation société
civile-Etat.
La participation de la population à la vie
politique, à la gestion des entreprises, n'est conçue que par
l'intermédiaire de représentants élus ; sur lesquels les
électeurs n'ont aucun pouvoir, hormis lors de leur renouvellement. Le
mandat impératif et sa conséquence, la révocabilité
de l'élu, les différentes formes d'initiative populaire directe
déjà connues sont absentes du projet communiste sans que pour
cela des formes nouvelles de participation directe du peuple à la vie
sociale soient présentées. L'irruption de l'autogestion n'a
semble-t-il pas apportée de modifications notoires à cette vision
médiatisée de la vie sociale. Le P.C.F. participe à
l'idée populaire selon laquelle la politique est un monde à
part.
Le P.C.F. donne l'impression de courir
après les formes démocratiques parlementaires bourgeoises du
passé. Son acceptation du système va jusqu'à le
cautionner. Ainsi, alors que les élections législatives de 1978
ont montré que plus de 50 % des français avaient voté pour
la gauche (PC, PS, me, et extrême gauche
réunis), le P.C., à deux reprises, demande la convocation du
Parlement en session extraordinaire (83), alors qu'une telle réunion ne
peut déboucher en aucun cas sur la mise en cause du gouvernement. Cela
contribue à discréditer le Parlement qui apparaît comme un
lieu de palabres et à renforcer le gouvernement qui seul apparaît
livrer les vrais combats, mais surtout cela désamorce les luttes
populaires.
(82) - G. MARCHAIS in "Le Défi Démocratique"
précité - p.114 et s.
(83) - Avant la session de printemps et avant la session
d'automne de l'année 1979.
On comprend mieux à la suite de ces
développements, l'utilité des efforts effectués par le
P.C.F. pour distinguer démocratie avancée et socialisme (84). En
effet, avec la démocratie avancée, les rapports capitalistes sont
maintenus et par conséquent, on peut conserver les institutions
bourgeoises. Mais si la démocratie avancée était le
socialisme en construction (tel que le conçoit le P.C.F.,
c'est-à-dire comme un mode de production autonome, ou tel qu'il ressort
de la théorie marxiste-léniniste c'est-à-dire comme "une
première phase" du communisme), il serait nécessaire d'expliquer
pourquoi et comment on peut concevoir la construction d'une
société nouvelle en conservant notamment les formes et pratiques
institutionnelles bourgeoises. La démocratie avancée
n'étant qu'une voie de passage au socialisme, on élude ainsi le
problème de la transition dans la mesure où l'on connaît
les deux extrémités du processus achevé : le C.M.E. d'une
part, le socialisme d'autre part. Entre les deux, tout est affaire de
volonté majoritaire du peuple. Rien ne vient nous renseigner sur ce que
sera cette transition, d'autant que même si l'on dit que par cette voie
l'aube du socialisme peut-être proche, le crépuscule du
capitalisme semble se faire attendre.
Les institutions étant acceptables, il
suffit de conquérir le pouvoir pour transformer le cours des choses.
L'inévitable conséquence d'une telle analyse est un comportement
électoraliste. C'est la tactique retenue par le P. C F. dès lors
qu'il considère que le Parlement peut constituer 'l'enjeu de la
compétition". (85)
|