II - LE RESPECT DES PRATIQUES POLITIQUES BOURGEOISES -
L'ELECTORALISME
H WEBER (86) relève que dans le discours de
l'Internationale communiste, il y avait une pratique révolutionnaire et
une pratique intégrée du suffrage universel. Dans la
première, l'élection est un moment de la lutte des classes au
cours duquel le mouvement ouvrier constate l'efficacité de son action de
sape contre le pouvoir bourgeois et ses appareils idéologiques. Dans la
seconde, l'élection est un but auquel tout est subordonné, la
lutte électorale remplace la lutte des classes.
(84) - Résolution XXIème congrès
précité p. 45 et s.
(85) - M. SIMON in "Socialisme, Démocratie et
Epanouissement de la personne" - précité - p. 18.
(86) - H. WEBER et O. DUHAMEL in "Chiznger Le P.C." p. 16
P.U.F. 1979.
Le P.C.F. affirme que la voie qu'il a choisie pour
construire le socialisme n'est ni uniquement parlementaire, ni uniquement
électorale, mais plus fondamentalement une voie de développement
des luttes de classe. Les faits, nous le verrons, infirment ces propositions,
tout comme ils montrent deux pratiques électoralistes du P.C.F.
A - L'électoralisme.
1) - Citant Lénine, G. COGNIOT disait dans une
conférence à l'Institut. M. THOREZ (87) l'idéal du
militant ouvrier est d'être le tribun du peuple". Le problème est
de savoir à quoi sert ce tribun. A organiser le changement
révolutionnaire ? A légitimer le système ? G. LAVAU (88)
montre que par sa fonction tribunitienne, le P.C.F. recueille le
mécontentement des travailleurs, qu'il canalise et maintient dans des
limites précises. Ce faisant, non seulement le P.C.F. légitime le
système, mais en outre il s'intègre à celui-ci comme un
rouage important.
En effet, sous la Vème République (mais cela
ne date d'elle) le P.C.F. a toujours adopté une conduite orientant les
revendications ouvrières vers la seule issue électorale. Ainsi;
en 1963, lors de la grève des mineurs, il explique à ceux-ci
qu'ils ont obtenu par la voie syndicale tout ce qu'ils pouvaient attendre et
que la solution de leurs problèmes dépendait du soutien qu'ils
accordaient au P.C. pour le rassemblement contre le pouvoir gaulliste.
En 1968, en traversant les événements sans
les comprendre et les maîtriser, il saisira la perche des
élections législatives dont le résultat, hélas, ne
sera pas à la hauteur de ses illusions. Le mouvement s'accentue avec le
programme commun signé en 1972, le pouls de la vie nationale est
réduit aux pulsations électorales.
L'électoralisme a pris véritablement son
envol, nous le remarquions à l'instant, à partir de l'union de la
gauche, mais dès 1959, le P.C.F. développait la
nécessité d'une alliance de toutes les forces
démocratiques contre le gaullisme.
Cependant, il faudra attendre 1962 pour constater les
premiers accords. Le scrutin majoritaire à deux tours favorise et
même oblige à de telles alliances. En 1962, le P.C.F. n'est pas
"très regardant" sur la "nature" de ses alliés.
(87) - G. COGNIOT in "Lénine et la Science Politique"
précité p.5.
(88) - G. LAVAU in "Le P.C.F. dans le système
politique français" précité.
En effet, lors des élections
législatives des 18 et 25 Novembre, des accords sont passés entre
P.C., S.F.I.O. et d'autres républicains, dans lesquels le P.C. retire
son candidat parfois arrivé en tête au premier tour pour assurer
l'élection d'un "républicain" ; que celui-ci soit
réactionnaire comme le Chanoine KIR, ou anti-communiste comme Jules
MOCH.
Cependant, cette alliance va se dessiner plus
nettement, notamment avec l'influence grandissante de M17TERAND sur la gauche
non communiste, au fil des années, pour aboutir à la conclusion
de l'union de la gauche sur le programme commun en 1972 après le
renouveau du P.S. fraîchement émoulu d'Issy-Les-Moulineaux et
d'Epinay.
2) - Ce qui a caractérisé
l'électoralisme du P.C.F. de 1959 à aujourd'hui c'est sa
défiance viscérale à l'égard de tout ce qui ne sort
pas de l'appareil, son refus de l'auto organisation des masses. Le mouvement
des femmes, des consommateurs, des écologistes, des
régionalistes, ... etc ..., manifeste une volonté de prise en
charge des problèmes par les acteurs eux-mêmes, que le P.C.F. ne
reconnaît pas ou plutôt reconnaît dès lors qu'elle
s'exprime dans le cadre du parti c'est-à-dire sans risque de vagues
importantes. Ces mouvements ont été dénigrés par le
P.C.F., tout comme certaines manifestations de "l'esprit" de Mai-Juin
1968.
Non seulement, l'électoralisme se manifeste
par cette attitude négative à l'égard des formes
d'auto-organisation des masses, mais aussi par l'émiettement, la
dispersion, voire même l'étouffement des mouvements revendicatifs,
dont certains, dans des structures dépendant du parti (89).
Méfiance pour ces "mouvements étranges venus d'ailleurs',
patience pour les justes revendications pourraient être les deux mots
d'ordre de l'électoralisme bon teint pratiqué par le P.C.F.
Certains communistes déplorent ce comportement. France VERNIER, dans la
Nouvelle Critique d'Avril 1978 remarquait Nous avons aussi craint le "danger
gauchiste", les luttes ou mouvements sauvages, irresponsables, etc ... Nous
avons trop craint aussi les initiatives venues d'ailleurs et qui 'risquaient"
de dévoyer l'action révolutionnaire (lutte des femmes, mouvements
écologistes, etc au lieu de nous engager résolument sur tous ces
terrains et de faire évoluer par notre action ces mouvements en un sens
transformateur". (90)
(89) - Article de Michel BARAK Maître-assistant
à l'Université de Provence dans le Monde du 13/12/78 p.2 sur le
silence du parti et la non application des principes proclamés
(autogestion, droits syndicaux) aux travailleurs des sociétés
d'édition et de vente du parti (Club Diderot, CDLP, librairie Racine
à Paris).
(90) - F. VERNIER, enseignante à l'université
de Tours, in "La Nouvelle Critique" Avril 1978 "Il ne suffit pas de perdre pour
avoir raison".
Cependant, les idées véhiculées
par ces différents mouvements sont récupérées au
moment opportun (91).
Le développement, hors des partis, de ces
mouvements marque une certaine sclérose des partis traditionnels, y
compris du P.C.F., qui se manifeste par la réduction des luttes de
classe aux luttes électorales, la réduction de la politique "aux
formes officiellement consacrées comme politiques par l'idéologie
bourgeoise" (92).
3) - L'électoraliste est condamné
à ne rien faire qui puisse détourner, le moment venu,
l'électeur potentiel de la victoire, de la bonne pile de
bulletins.
Pendant qu'est "diffusé" cet "appel au
calme, la bourgeoisie procède à un matraquage désuet mais
toujours opérant sur un corps social atomisé parce que
déconnecté des luttes. L'aventure de l'union de la gauche sur le
programme commun, c'est l'histoire de l'électoralisme petit bourgeois.
Nouveau décalogue issu de tractations d'Etats majors, lu par quelques
milliers de personnes, invoqué comme une nouvelle "jouvence'
il ne pouvait pourtant, à lui seul, unifier,
solidifier, donner une cohérence aux masses qu'Il
concernait.
Lors du XXIIIème congrès du P.C.F.,
il a été affirmé que le
programme commun avait été démobilisateur. C'est faux, ce
n'est pas le programme commun qui a été démobilisateur,
c'est la pratique qu'en ont faite les organisations ouvrières (P.S.,
P.C., C.G. et C.F.D.T.) (93). En désarmant les luttes, ces organisations
ont présenté le programme commun comme la bouée de
sauvetage universelle, mais celle-ci ne pouvait porter tous les espoirs
qu'à la condition d'être gonflée à bloc par de
profonds mouvements de lutte. C'est l'union sans les luttes qui a noyé
les français. La nouvelle tactique du P.C.F., d'union à la base,
décidée au XXIIIème congrès, ne pourra renflouer
l'union de la gauche si elle est conçue comme l'alignement sur les
positions communiste. Par contre, si elle est envisagée comme une union
contradictoire, sur la base d'une confrontation idéologique entre
communistes, socialistes, consommateurs, syndicats, écologistes, ... etc
..., sur la base d'actions unitaires à la base et au SOMMET, dans
lesquelles les communistes ne seront pas toujours majoritaires, peut-être
verra-t-on naître alors une nouvelle forme de pratique
politique.
(91) - Ex l'élection législative partielle de
Tours en 1976 Une campagne du point vert.
(92) - L'ALTHUSSER in revue Dialectiques n° 23
Printemps 78 p.8
(93) - Au cours de la préparation du
XXIIIème congrès, les dirigeants ont essayé de
démontrer que la démobilisation, ainsi que la conception du
"grand soir électoral", n'avaient pas été le fait du
P.C.F., mais du P.S. Voir notamment France Nouvelle 12/03/1978 p.5 et
s.
En limitant la politique à la sphère
électorale, on limite celle-ci à "la production d'un
consentement" (94), l'Électeur n'étant qu'un bulletin de vote en
instance de transfert. On reproduit ainsi le mode de fonctionnement bourgeois
de la politique, en contribuant à la séparation vie privée
vie politique.
Avec un comportement électoraliste, le
P.C.F. ne peut convaincre qu'II "veut non pas aller au pouvoir, mais donner
à la majorité les moyens de l'exercer" (95), surtout si cette
attitude présente deux faces : "l'électoralisme - unitaire -
l'électoralisme sectaire" (96) comme dans la période
récente.
B - Des différents buts de
l'électoralisme.
Dans la dernière décennie, la
tactique électoraliste du P.C.F. a connu deux orientations
différentes à mesure que s'épanouissait et se fanait une
certaine vision de l'union de la gauche.
La première période (1970-1974)
débute avec le rapprochement P.C. - P.S. consacré par la
signature du programme commun. Le P.C.F. adopte alors une attitude
résolument unitaire, masquant ainsi les contradictions de
l'alliance.
La seconde période commence au lendemain
des élections présidentielles de Mai 1974. Dès
l'été 1974, en effet, le comportement unitaire du P.C.F.
s'infléchit progressivement vers une attitude 'Sectaire" qui
apparaît nettement après les élections municipales de
1977.
L'approche d'une consultation électorale
(cantonales, municipales) fut toujours ; à l'exception de la plus
capitale, les législatives de 1978 ; l'occasion d'une accalmie dans le
flot des récriminations.
(94) - C. BUCI- GLUCKSMAN in "changer le P. C."
p.133.
(95) - Emile BRETON in la Nouvelle Critique Avril 1978 "Dans
mon jargon".
(96) - L. ALTHUSSER in "Ce qui ne peut plus durer dans le
P.C." précité p.114.
1) - L'électoralisme
unitaire
A l'époque de la signature du programme
commun, le P.C.F. était de loin, la première force politique
d'opposition. Rappelons que le socialiste DEFERRE avait obtenu au premier tour
des élections présidentielles de 1969 environ 5 % des suffrages
exprimés, alors que le communiste DUCLOS en recueillait 21,52 % (97). Le
P.C.F. pensait alors que l'union de la gauche, dont il avait été
l'initiateur, le hisserait plus haut encore et qu'en tout état de cause,
il resterait le premier mouvement d'opposition. Or le programme commun va
profiter beaucoup plus au P.S. qu'au P.C,.
En effet, si les législatives de 1973
laissent au P.C. la première place dans l'union de la gauche, elles
marquent un renforcement très conséquent du P.S. qui, pour la
première fois, sous /a dème République, atteint presque 20
% des voix. Ce n'était qu'un début. Comment expliquer ce
phénomène, alors que le P. C. F était en plein
développement de sa stratégie pacifique de passage au socialisme
et déployait tous ses efforts pour montrer une image de parti
FRANÇAIS, de parti démocratique respectueux des libertés
(98) ?
La réponse est relativement simple.
Dès lors que le P.C. et le P.S. sont présentés unis vers
un même but, l'électorat toujours marqué par l'image du
"couteau entre les dents',' image renforcée complaisamment par la
majorité, s'oriente toujours plus facilement vers le P.S. que du
côté du P.C.
Or, en ne soulignant pas publiquement la nature
contradictoire de l'alliance, le P.C.F. permet l'amalgame des deux partis dans
un ensemble flou et idéalisé : l'union de la gauche sur le
programme commun.
Les propos du premier secrétaire du P.S. F.
MITTERAND déclarant "qu'il n'est pas normal... que cinq millions de
Françaises et de Français ... choisissent le P. C. ... (99), et
que sur ces cinq millions, "trois peuvent voter socialiste" (100) n'alertent
pas le P.C.F., ni même
(97) - in Constitutions et Documents Politiques M. DUVERGER
p.432.
(98) - Voir la publication d'un "projet de
déclaration des libertés" en 1975 Ed. Soc. Intitulé "Vivre
libres".
(99) - F. MITTERAND au congrès d'Epinay le 11/06/71
in "POLITIQUE" F. MITTERAND p.532 Fayard 1977.
(100) - F. MITTERAND au congrès de l'INTERNATIONALE
SOCIALISTE à Vienne en 1972.
que cet objectif soit "la raison de cet accord" (101). Par
son combat, le P.C.F. a mis l'union en avant et ce faisant, le P.S. ; auquel il
ouvre un gigantesque crédit politique en lui délivrant un
diplôme de bonne conduite. En effet, malgré son renouveau, le P.S.
serait resté, sans union, longtemps marqué par ses pratiques
passées. N'oublions pas que tous les membres de la S.F.I.O. ne se sont
pas opposés à la venue du Général DE GAULLE,
certains d'entre eux participèrent même, à son gouvernement
(Guy MOLLET par exemple).
Le congrès d'Epinay avait redonné une
cohérence au mouvement socialiste, l'union de la gauche sera le vecteur
de son unité, et le support de son expansionnisme.
Le renoncement aux alliances avec la droite (102),
à la collaboration de classe (103) sont nommément cités
comme étant l'élément fondamental de l'union de la gauche.
Le P.C.F. renforce ainsi le mythe de la gauche unie, c'est-à-dire
l'idée d'une union sans contradiction, d'une union idéale. Il
entre dans un engrenage duquel il ne pourra sortir, où il se condamne
à présenter le P.S. soit tout blanc, soit tout noir.
Croyant avoir le vent en poupe, alors qu'il souffle pour
le P.S. ; les communistes joueront à fond la carte de l'union de la
gauche. Ils seront unitaires pour deux, acceptant même des reculs par
rapport au programme commun.
Ainsi; pour les élections présidentielles de
1974, F. MITTERAND n'est pas le candidat de l'union de la gauche, mais le
candidat soutenu par l'union de la gauche. Sa plateforme électorale ne
sera pas discutée, selon lui ce ne peut-être le programme commun
de gouvernement, du fait qu'il s'agit de présidentielles ... Le P.C.F.
manifestera un mécontentement public violent suite à la
démarche de l'ambassadeur soviétique auprès de GISCARD
D'ESTAING entre les deux tours (104). GISCARD D'ESTAING est élu, la
gauche échoue de peu, mais échoue.
(101) - F. MITTERAND au congrès de l'INTERNATIONALE
SOCIALISTE à Vienne en 1972.
(102) - Préface du programme commun -
précité p.25.
(103) - "Le défi démocratique" G. MARCHAIS
précité p.135.
Paul LAURENT in France Nouvelle 6 Août 1974.
(104) - Voir à propos des élections
présidentielles : entretien avec Thierry PFISTER in "changer le P.C."
p.159 et François LONCLI in "Autopsie d'une rupture" Ed. J.C. Simoen
1979.
Le P.C.F., en se fourvoyant dans la lune de miel, au
sommet, avec le P.S., a été l'artisan de la puissance nouvelle de
celui-ci. La volonté des communistes, d'acquérir le pouvoir, car
tel était le fondement de cet électoralisme unitaire, leur a fait
oublier ce qu'ils appelleront plus tard la "nature" réformiste, social
démocrate autres qualificatifs du P.S.
Pourtant dès le 29 juin 1972, dans un rapport au
Comité Central (105), Georges MARCHAIS soulignait
l'ambiguïté des attitudes du P.S. serait dangereux, disait-il, de
se faire la moindre illusion sur la sincérité ou la
fermeté du P.S. au sujet de son engagement". En conséquence de
quoi; le parti devait affirmer de façon permanente ses propres
positions. Ce rapport allait non seulement rester secret, mais rien dans la
pratique du P.C. ne fera soupçonner son existence. Pourquoi cette
attitude ?
En 1972, le P.C.F., même s'il a des doutes sur son
allié, se croit doté d'un avantage certain, et pense
récolter prochainement les résultats de ses efforts pour
apparaître sous un nouveau visage. En outre, son objectif est d'aller au
pouvoir, or pour arriver à cette fin, il a besoin du P.S., il ne peut
donc faire état publiquement de ses inquiétudes à moins de
briser l'élan naissant et d'apparaître comme diviseur.
Cependant, ce qui s'était esquissé dans les
élections législatives de 1973, approfondi aux
présidentielles de Mai 1974, apparaît nettement à la suite
d'élections législatives partielles à l'automne .1974
l'union de la gauche favorise le P.S. au détriment du P.C. qui reste
à peu près stable. Or, si le P.C.F. envisageait l'union de la
gauche comme rampe d'accès au pouvoir, il ne pouvait accepter de perdre
à l'intérieur de celle-ci sa position dominante. A partir de ce
moment-là, les sentiments unitaires vont être progressivement
altérés, (avec de minutieux dosages dans la prévision des
cantonales de 1976, et des municipales de 1977) pour faire place au
sectarisme.
2) - L'électoralisme sectaire.
Lors de son congrès (XXIème) de Vitry à
l'automne 1974, le P.C.F. pose trois questions
au P.S.
· le projet socialiste a-t-il vocation à
remplacer le programme commun ?
· Le P.S. maintiendra-t-il ses alliances avec la droite
pour les municipales de 1977 ?
· Le P.S. entend-t-il réduire le P.C.
à "un rôle de force d'appoint" en affirmant la
nécessité d'un rééquilibrage de la. gauche ?
(106)
L'union de la gauche pour aller au pouvoir, d'accord
! Mais à condition que ce soit pour "un changement politique
réel" pour lequel le P.C.F. constitue la "meilleure garantie"
(107).
Finalement, l'avenir dépend de la place du
P.C.F. dans l'union pour que le programme commun soit appliqué, pour
contraindre, s'il le faut, le P.S. aux listes communes pour les municipales de
1977. Or, actuellement, la place dominante est occupée par le P.S. (tout
le fait pressentir après les législatives partielles). Il faut
tout faire alors pour rétablir la situation à l'avantage du
P.C.F. Cela va donner lieu dans les mois et années suivants à une
valse d'hésitation où l'on fait tantôt ami-ami,
tantôt ami-ennemi, pour finalement arriver à se faire
ennemi-ennemi. Pour remonter la pente, le P.C.F. va essayer de ressaisir ses
militants, sympathisants et électeurs, il publiera "l'union est un
combat', le ''socialisme pour la France" (XXIIème congrès), les
'Aidez-nous" dans l'humanité ... Il fallait convaincre
l'électorat que sans un P.C. fort, le P.S. jouerait des mauvais tours.
Celui-ci était-il dès 1974 entrains de fourbir les armes de
l'abandon du programme commun ?
Poser le problème de cette façon, c'est
présenter l'union à son origine de façon
idyllique.
Il faut remonter aux sources. En 1971, le P.S. refait
son unité pour "que le parti prenne le pouvoir" (108).
Sous la dème République, le
système électoral (scrutin majoritaire à deux tours)
conduit inéluctablement celui qui veut prendre le pouvoir à
conclure des alliances.
(106) - XXIème congrès à Vitry du 24 au
27 octobre 1974. Rapport du Comité Central présenté par G.
MARCHAIS p.64 et s. Edité par le P.C.
(107) - Ibid p. 89.
(108)-F. MITTERAND au congrès d'Epinay in "Politique"
p. 533.
Le P.S., se voulant résolument à gauche, la
seule alternative possible, était l'alliance avec les communistes. Une
alliance voulue dans une optique bien déterminée faire revenir
une partie de l'électorat communiste dans le giron socialiste et
"équilibrer la gauche" pour que cesse "la vassalisation du P.S." par le
P.C. (109).
Thierry PFISTER (110) montre en outre que F. MIr tRAND ne
s'est "rallié à la notion
du programme commun que sur un jeu tactique obtenir les 7
% des voix du C.E.R.ES." qui lui permettront de gagner Epinay et de devenir
premier secrétaire du P.S. Si la réussite électorale a
permis au P.S. de s'éloigner du programme commun, au profit du projet
socialiste, cela n'a pas été un "virage à droite',' mais
la continuité d'une stratégie.
Dès lors, si le P.C.F. a fait abstraction de ces
données, et mis tout en oeuvre pour la réussite du P.S., il ne
peut s'en prendre qu'à lui-même et notamment à son
comportement électoraliste qui lui fait délaisser le
développement des luttes pour le jeu électoral. Ses appels au
ressaisissement tombent à plat, sur un corps social
démobilisé, et focalisé sur le nouveau "bréviaire"
que constituait le programme commun.
Dans l'impossibilité de redresser la barre, il
dénonce la trahison du P.S. (qui espérait recueillir les fruits
de ce comportement où il tenait la dragée haute au P.C.) qui
renoue avec la social-démocratie, avec le réformisme. Mais le
P.S. avait-il cessé d'être réformiste ? S'il a pu
apparaître comme ayant rompu avec la collaboration de classe, le P.C.F.
n'a-t-il pas été le meilleur laudateur de ce changement ? Les
nationalisations qui ont constitué apparemment la pierre d'achoppement
étaient certes un élément fondamental du dispositif mis en
place par le P.C. et le P.S., mais comment se fait-il que cette question n'ait
pas été réglée dès l'origine, époque
où le P. dominait ? Non, l'objectif non avoué de cette agitation
sectaire était d'empêcher les socialistes de considérer le
P.C. comme une force d'appoint. Le P.C. préfère renoncer au
pouvoir pour lui-même, pour mieux briser son partenaire dont tous les
politologues s'accordent à dire que c'est un parti qui, à terme,
s'écartèle lorsqu'on le lèse du pouvoir.
Le but de l'électoralisme n'est plus alors de
conquérir le pouvoir, mais de tout faire pour que le P.S. n'y arrive pas
en force sans cependant sacrifier ses propres positions parlementaires,
d'où l'accord du 13 Mars 1978 et le fameux "CA Y EST" à la une de
l'Humanité. Comme quoi les vices du parlementarisme bourgeois ont
quelques vertus, utilisés par les communistes ...
(109) - Ibid p.539-540.
(110) - Thierry PFISTER in "Changer le P.C."
précité p. 162-163.
Nous avons essayé de démontrer que
l'acceptation de l'alternance par le P.C.F. était le signe d'une
importante évolution théorique. Celle-ci se caractérise
par un abandon du marxisme-léninisme conduisant à la
reconnaissance de la démocratie bourgeoise et de /'Etat bourgeois comme
lieu du changement.
Certains désignent cette évolution
comme le symbole de "l'adhésion" du P.C.F. à "l'eurocommunisme"
(111). Selon C. BUCI-GLUCKSMAN, celui-ci se présente comme
:
1) "la revendication d'une indépendance des
P.C. par rapport à Moscou,'
2) "le développement d'une nouvelle
stratégie démocratique de passage au socialisme
,
3) "la prisa de conscience de la
nécessité d'une transformation des P.C. eux-mêmes".
(112)
Nombreux sont encore aujourd'hui les commentateurs
politiques qui relèvent dans telle ou telle action du P.C.F.,
l'influence de Moscou (la fameuse "main de Moscou" ou son ombre). Le P.C.F. ne
manque jamais de dénoncer de telles affirmations et d'insister sur
l'indépendance des P.C. à l'égard du "grand frère
oriental. Ainsi, par exemple, G. MARCHAIS déclarait à
l'Association de la Presse Etrangère à Paris en 1977: "...il est
exclu de discuter avec Léonid BREJNEV des décisions prises par le
P.C. (113)
En outre, de nombreuses fois, le P.C.F. s'est
élevé' contre les atteintes aux libertés et à la
démocratie en U.R.S.S.
Ce mouvement est certain, néanmoins il
apparaît que le P.C.F. ne s'est pas dégagé, encore
aujourd'hui, de l'idéologie issue de l'Internationale dans sa
période stalinienne. Ainsi sa vision économiste du socialisme ne
lui permet pas d'analyser correctement la réalité
soviétique et en particulier '7e phénomène de la
dissidence". La conception du socialisme, comme mode de production autonome et
de la dictature du prolétariat comme voie de passage au socialisme,
remonte à Staline à l'époque où il mettait fin
à la dictature du prolétariat et proclamait l'État du
peuple tout entier.
(111) - Voir à ce propos le n° 88-89 de
"RECHERCHES INTERNATIONALES" 1976 - Editions de la Nouvelle Critique.
(112) - C. BUCI-GLUCKSMAN in "Changer le PC"
précité p.126 et s.
(113) - G. MARCHAIS à l'Association de la Presse
Etrangère à Paris le 1er Juin 1977.
La dénonciation d'une telle absence d'analyse
concrète était et est encore très, difficile, d'une part
en raison de la séparation dirigeants-dirigés au sein du parti
(c'est-à-dire l'absence d'une véritable démocratie) et
d'autre part parce que seuls les dirigeants politiques détenaient et
détiennent la vérité du marxisme et la dé de son
utilisation.
Que le P.C.F. soit engagé sur la voie
eurocommuniste, nous l'admettrons, malgré ces réflexions ; mais
cela nous apparaît, à l'issue de nos développements,
n'être qu'une nouvelle appellation de la
social-démocratie.
En effet, eurocommuniste ou non, le P.C.F. comme n'importe
quel parti social- démocrate, renonce à briser l'Etat bourgeois
et à instaurer la dictature du prolétariat pour construire la
société nouvelle.
Rien ne différencie le social-démocrate et
"l'eurocommuniste libéral" (114), sinon l'apparence du discours. "Pour
eux, l'avenir du monde se résout dans la propagande et la mise en
pratique de leurs plans sociaux. Dans la conception de ces plans, toutefois,
ils ont conscience de défendre avant tout les intérêts de
la classe ouvrière, parce qu'elle est la classe la plus souffrante. Pour
eux, le prolétariat n'existe que sous cet aspect de la classe la plus
souffrante" (115).
(114) - C. BUCI-GLUCKSMAN distingue "eurocommunisme
libéral" et "eurocommunisme démocratique". Le premier, c'est la
social-démocratie, le second c'est le retour à La théorie
conçue comme guide pour l'action.
(115) - K. MARX "Le manifeste du P.C." -
précité p.58.
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