Section I -- SOCIALISME, COMMUNISME ET L'ALTERNANCE
- I - Selon les marxistes classiques, la
société qui historiquement doit succéder au capitalisme,
c'est le communisme. Mais la prise du pouvoir par les travailleurs ne constitue
pas de facto cette nouvelle société Cette prise du pouvoir n'est
que le point de départ de la première phase de construction du
communisme, première phase caractérisé par une "lutte
entre le capitalisme vaincu mais non anéanti et le communisme
déjà né mais encore très faible" (59).
C'est au cours de cette première phase que le
"prolétariat se servira de la suprématie politique pour arracher
petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser
tous les instruments de production entre les mains de l'Etat" (60), qui n'est
autre que "le prolétariat organisé en clasSe dominante'
c'est-à-dire la dictature du prolétariat. Cette première
phase a été appelée 'Socialisme" parce qu'elle met fin
progressivement à la séparation de la société
civile et de l'Etat.
Mais comme nous l'avons dit dans notre première
partie, dictature du prolétariat et socialisme ne sont qu'une seule et
même chose.
Dans cette phase, s'élaborent et s'étendent
les éléments propres à la société
communiste, qui supplantent ceux du capitalisme, pour que dans une
deuxième phase, le communisme se développe sur ses propres bases
en achevant d'extirper les éléments capitalistes de la
société.
Cette distinction en deux phases n'a, à notre avis,
pas d'autres buts que pédagogiques pour bien montrer que la
société nouvelle s'élève sur les ruines de
l'ancienne, et pour fixer les premières tâches d'orientation
générale à effectuer.
Aussi, il nous apparaît vain d'essayer de
périodiciser la construction du communisme, non seulement quant à
son terme, mais aussi et surtout quant à ses étapes, phases, ...
etc ...
La construction du communisme est une
linéarité de luttes dialectiquement unies. La présentation
mécaniste, volontariste présentant d'abord la prise du pouvoir,
puis la dictature du prolétariat ou la démocratie avancée,
puis le socialisme, puis l'Etat du peuple tout entier, puis, puis le
communisme, nous apparaît totalement infondée.
(59) - Marx in "Manifeste du P.C." précité -
p.45.
(60) - ibid.
C'est pourtant à ce genre qu'appartiennent
les analyses du P.C.F. Nous l'avons déjà vu à propos de la
dictature du prolétariat. Le socialisme nous est présenté
comme une réalisation achevée. "Le socialisme, c'est tout
à la fois la propriété collective des grands moyens de
production, l'exercice du pouvoir politique par la classe ouvrière et
ses alliés, la satisfaction progressive des besoins matériels et
intellectuels des membres de la société, la création de
conditions propres à l'épanouissement de chaque
personnalité" (61).
Alors un "grand moyen de production" ne relève
pas de la collectivité et le socialisme n'est pas réalisé,
et on ne peut pas passer à la phase supérieure.
Notre propos est exagéré, mais
à peine. Cette vision statique, "étapiste" de lutte entre le
capitalisme et le communisme, permettra peut-être de mieux comprendre que
l'on ait pu aboutir ainsi à constituer le socialisme en un mode de
production autonome, intermédiaire entre le capitalisme et le communisme
(62).
G. MARCHAIS affirma, lors d'une émission de
télévision, que 7e socialisme n'est pas un gouvernement, mais un
système" qui "remplacera le capitalisme" (63). Propos contradictoires
avec ceux de G. COGNIOT qui pense que "le facteur de durée de
l'étape socialiste n'autorise nullement à faire du socialisme une
formation sociale séparée, autre que le communisme" (64). Il est
indéniable que cette thèse est insoutenable dans le cadre
tracé par Marx, Engels et Lénine.
(61) - Le Manifeste de Champigny "Pour une démocratie
avancée, pour une France socialiste" - précité -
p.43.
(62) - Voir M. SIMON in "Socialisme, Démocratie et
Epanouissement de la personne" précité p.12 /R. LEROY in
"Pseudo-socialismes et socialisme réel" Conférence
prononcée à l'Institut M. THOREZ le 14/10/1571 - P.20.
(63) - G. MARCHAIS à l'émission
télévisée "ARMES ÉGALES" le 21/9/71 "Le socialisme
n'est pas un gouvernement, mais un système. La féodalité
à un moment de l'histoire ne répondait plus aux besoins de
l'économie, elle a été remplacée par le
capitalisme. De même, le socialisme remplacera le capitalisme qui ne
répond plus aux besoins modernes".
(64) - G. COGNIOT in "Du socialisme au communisme"
Conférence prononcée à l'Institut M. THOREZ le 16/3/1972 -
p.3.
On peut affirmer que la constitution du socialisme
en mode de production autonome est un héritage du "modèle
soviétique" dû à la déviation stalinienne (65).
Même G. COGNIOT, qui ne sépare pas ainsi socialisme et communisme,
reste marqué par la vision étapiste issue de la pratique de
l'U.R.S.S. (66).
II - QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE CES DIVERSES
PROPOSITIONS SUR LE PROBLÈME DE L'ALTERNANCE ?
La question est de savoir si l'alternance est
possible entre deux modes de production, dont l'un à une assise
très ancienne et l'autre la fraîcheur de la rosée. Il nous
faut distinguer selon les propositions des marxistes classiques et celles
actuelles du P.C.F.
1) - Dans le premier cas, on se situe dans cette
période où la lutte entre capitalisme et communisme est
particulièrement algue. Nous avons dit que cette période se
caractérise par la "constitution du prolétariat en classe
dominante" (dictature du prolétariat), où il profite de sa
domination politique pour établir; sa domination économique et
ainsi bouleverser les rapports de production.
Si la bourgeoisie parvient à reprendre le
pouvoir politique ; ce qui est envisageable; pour rétablir sa
domination, elle doit réitérer avec l'exploitation des
travailleurs. Or si elle montrait quelque velléité de ce genre,
on peut prédire, sans jouer les augures, que cela ne pourrait se faire
que par une contre-révolution violente, au sens sanglant du terme, en
raison de la suppression de son Etat et de l'établissement de nouveaux
rapports de production qui commencent à produire leurs
effets.
Ainsi, par exemple, après 1789, lorsque
l'aristocratie monarchiste et/ou impériale a repris le pouvoir, elle n'a
jamais pu mettre fondamentalement en cause le capitalisme. La simple
perspective de rétablissement de prérogatives passées, et
elle était balayée, parfois au profit d'une autre fraction de la
noblesse. Aussi, n'a-t-elle que peu essayé pour des raisons diverses
dont celle précitée. L'aristocratie a 'servi" le renforcement du
capitalisme, jamais elle n'a pu le remettre en cause.
(65) - E. BALIBAR in "La dictature du prolétariat"
précité p.31 C. BUCI - GLIJCkSMAN in revue Dialectiques n°17
Hiver 1977.
(66) - G. GOGNIOT "Qu'est-ce que le communisme ?"
précité p.110.
Aussi, apparaît-il, à notre avis, que
l'alternance, avec son contenu pacifique, ne peut jouer dans la période
de construction du communisme, même dans l'hypothèse d'un retour
au pouvoir de la bourgeoisie. Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'essaiera pas de
rétablir sa domination, mais elle le fera par une guerre
civile.
2) - Le problème se pose
différemment pour le P.C.F. actuellement. En effet, son but c'est le
socialisme mode de production autonome. Le socialisme se construit en poussant
la "démocratie jusqu'au bout". La démocratie avancée est
caractérisée par un maintien de l'Etat bourgeois, par le refus de
la dictature du prolétariat (nous l'avons vu) et par le maintien des
rapports de production capitalistes. Si la bourgeoisie reprend le pouvoir
(hypothèse fortement plausible), elle retrouvera son "Etat', sa
"Légalité" pour assumer une domination économique qui;
tout au plus, aura été
ébréchée.
Lorsqu'on constate l'évolution des acquis
de 1936, 1945, on se rend compte que le pouvoir des représentants des
travailleurs, qui ne touche pas aux rapports de production, à l'Etat
bourgeois, ne dérange pas fondamentalement la bourgeoisie. Cela lui
permet peut-être même de faire du "ménage" chez elle. La
remise en cause de ces acquis, après son retour au pouvoir, ne
déchaîne pas les forces populaires. Tout se passe très
démocratiquement.
On constate donc que l'alternance est impossible ;
à moins d'une guerre civile ; mais nous considérons ici que I
'alternance pacifique ; entre deux modes de production, même si l'un deux
est juste en train d'éclore, dès lors que le nouveau pouvoir
constitue une rupture radicale de l'ancien. Mais ce n'est pas le cas du projet
du P.C.F. Sa "voie de passage au socia/isme" ne remet pas en cause l'essentiel
de la domination bourgeoise, son 'Socialisme" n'apparaît pas comme une
rupture dans sa phase de construction.
Dès Lors, l'alternance reconnue et
acceptée par le P.C.F. ne peut-être qu'une alternance
limitée ; c'est-à-dire une alternance des hommes et non de
sociétés ; telle qu'en parle J. ELLENSTEIN (67) pour
décrire l'alternance selon VALERY GISCARD D'ESTAING dans
"Démocratie Française".
Si le P.C.F. pose les vraies questions,
écrit J.P. DELILEZ (68) "l'alternance perd son caractère formel".
Plus loin, il poursuit en affirmant que "le principe de l'alternance doit
permettre précisément de mettre le peuple face au problème
du "retour en arrière" (69).
(67) - J. ELLENSTEIN in "Réflexions sur le marxisme,
la démocratie et l'alternance" - revue Pouvoirs n°1 - p.73 et s. -
1977
(68) - J.P. DELILEZ in "L'Etat du changement"
précité p.94.
(69) - J.P. DELILEZ in "L'Etat du changement"
précité - p.186.
Or, le P.C.F. ne pose pas les vraies questions,
dans la mesure où la 'société de demain" qu'il propose
("démocratie avancée, à voie de passage au socialisme')
respecte l'essentiel de la domination bourgeoise et donc ne met pas le 'Peuple"
face au problème du "retour en arrière". Si le projet du P.C.F.
entraînait une rupture avec la société bourgeoise,
peut-être qu'alors le principe de l'alternance pourrait mettre le peuple
dans une telle position. Mais, nous ne le pensons pas car cela revient à
dire que le développement de la lutte des classes ne se fait pas dans la
conscience. Or, chaque acquis obtenu n'a pu l'être que par une lutte
consciente. Dans ce cas, le problème du "retour en arrière" ne se
pose pas à chaque consultation électorale, mais au niveau de
chaque lutte conhontée avec le problème de son
débouché.
Seule, la bourgeoisie nous apparaît être
confrontée au problème du "retour en arrière,' dans la
mesure où elle, seule, peut déclencher une guerre
civile.
En conclusion, on s'aperçoit que si
alternance il peut y. avoir, ce ne peut être qu'une alternance des hommes
dans le cadre d'une société déterminée. Dès
lors, le projet du P.C.F. apparaît comme un projet réformiste qui
entend de façon idéaliste "rapprocher l'heure du socialisme" (70)
(entendu par nous comme "la première phase" du communisme, et non comme
un modèle de production), mais qui en aucun cas ne permettra le passage
sans rupture à la société sans classe.
L'alternance, étant incompatible avec
l'instauration de la société sans classe, même dans sa
'Première phase',' elle ne peut jouer que dans le cadre de la
société bourgeoise, et implique donc le respect des formes et
pratiques bourgeoises.
Ceci à l'état actuel du projet du
P.C.F., car on peut très bien imaginer dans le communisme en
construction, une alternance d'hommes. Mais là encore, il s'agira d'une
alternance d'équipes dans le cadre d'une même constitution
sociale. L'alternance ne peut-être que "limitée" et pour le moment
limitée au cadre bourgeois.
1 (70) - Manifeste de Champigny - "Pour une démocratie
avancée, pour une France socialiste" - p.16.
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