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Le Parti communiste français (PCF) et l'alternance

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par Joël THALINEAU
Université François RABELAIS - TOURS - DEA Droit Public 1979
  

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II - LA QUESTION DE LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT

La dictature du prolétariat a connu un curieux destin dans le mouvement communiste français. Conçue comme une forme qui conditionnait tout changement, elle est vouée aux gémonies un soir de télévision. Pour comprendre l'état du concept en France, ou du moins à l'intérieur du P.C.F., il faut remonter à la longue époque de diffusion idéologique du Komintern et du Kominform après la mort de Lénine.

C'est en effet avec l'arrivée au pouvoir de Staline, mais surtout à partir des années 1930-1940 que le concept a été nié dans sa base marxiste, et cette négation a marqué de son empreinte les P.C. occidentaux, à des degrés divers.

Christine BUCI-GLUCKSMAN (41) affirme que "pour comprendre notre propre histoire, il faut partir d'un point essentiel la déviation stalinienne ; le stalinisme n'est pas la réalisation de la dictature du prolétariat... Elle en est plutôt l'abandon". Cette affirmation de C. BUCIGLUCKSMAN nous montre combien le P.C.F, a été marqué par l'idéologie de l'Internationale. On retrouve cette même idée chez Etienne BALIBAR (42) et chez de nombreux autres membres du P.C.F. Quelle est cette déviation ? C'est ce que nous allons brièvement décrire.

En 1936, l'U.R.S.S. adopte une nouvelle constitution (43) qui aboutit à proclamer la fin de la dictature du prolétariat, pour Irtat du peuple entier. La lutte des classes était considérée comme terminée même si celles-d existaient encore. Or, selon Marx, Engels et Lénine, les classes ne peuvent exister que dans la lutte des classes, La dictature du prolétariat cessait dès lors que les classes en lutte étaient disparues.

(41) - C. BUCI-GLUCKSMAN, philosophe, membre du P.C.F., in DIALECTIQUES n°17 -.1977 - p.25.

(42) - E. BALIBAR, philosophe, membre du P.C.F., in "Sur la dictature du prolétariat" - Maspéro 1976.

(43) - Constitutions et Documents politiques. M. DUVERGER p.628 -Themis 1971.

L'apparition des classes coïncide avec leurs antagonismes, on ne saurait les imaginer telles deux équipes de rugby attendant le coup de sifflet de l'arbitre pour s'affronter (44).

En outre, Marx, Engels et Lénine montrent que l'Etat n'est que la résultante de la lutte des classes. Dès lors, s'il ri, avait plus lutte des classes en U.R.S.S., l'Etat devait disparaître. Or à cette époque, l'Etat soviétique connaissait un renforcement considérable, que l'on expliquait non pas par des luttes de classe intérieures, mais par le danger impérialisme. Ce qui; à notre avis, n'est pas injustifié, dans la mesure où à l'époque de l'impérialisme les luttes de classe sont internationales et ne peuvent pas ne pas avoir de conséquences sur les pays en marche vers la société sans classe.

Le problème est que Staline a affirmé que l'Etat soviétique pouvait interdire de telles répercussions en se renforçant, et surtout en niant les luttes intérieures au moment où sévissait une vaste répression.

Ainsi présenté à l'Internationale, le socialisme apparaissait comme grand vainqueur en U.R.S.S., vainqueur menacé à l'extérieur par l'impérialisme, et dès lors il n'y avait plus grand chemin à effectuer pour que l'U.R.S.S. apparaisse comme un modèle.

Le P.C.F., comme beaucoup d'autres P.C. occidentaux, a accepté et "digéré" cette image dont le vernis a commencé à se craqueler avec le XXème congrès du P.C. U.S. qui dénonça les horreurs de Staline, mais aussi avec certains "coups de mains" de l'Etat soviétique à des Etats "amis" en instance de rupture de ligne.

Le P.C.F., ayant adopté une stratégie de chargement démocratique avec la naissance de la dème République, ne pouvait pas, en poussant jusqu'à son terme cette stratégie, ne pas se démarquer de ces "errements". Comment allait-il le faire ? En analysant en marxiste ces événements ou en supprimant les phénomènes qui faisaient problème, en particulier la dictature du prolétariat ?

Il utilisa jusqu'en 1970 environ, les termes de dictature du prolétariat dans sa présentation de la phase de transition au socialisme. La dictature du prolétariat était une des lois essentielles du passage au socialisme, telles que les avaient définies en 1960 les P.C. à l'occasion du 40ème anniversaire de la révolution d'Octobre de 1917 (45).

En 1964, la cellule Rabelais proposa la suppression de ces termes en raison de leur consonance particulière. G. MARCHAIS répondit que ce 'serait une grave erreur politique (46)".

En termes beaucoup plus imagés, c'est ce que dit G. COGNIOT en affirmant que "Renoncer à la dictature du prolétariat comme le demandent les révisionnistes, c'est châtrer le mouvement des ouvriers, c'est le rendre impuissant (47)",

En présentant la dictature du prolétariat comme une forme institutionnelle quelconque menant au socialisme, le P.C.F. posait comme distinct socialisme et dictature du prolétariat, et définissait la dictature du prolétariat en fonction du seul socialisme. Or, pour Marx, Engels et Lénine, la dictature du prolétariat est la "constitution du prolétariat en classe dominante" pour construire la société sans classe le communisme.

Comme l'explique E. BALISAR, le socialisme seul c'est une 'Auberge espagnole" (48).

(45) - Voir Thèses et résolution XVème congrès précité p.33 Manifeste de Champigny précité p.17.

(46) - G. MARCHAIS XVIIème congrès in supplément à France Nouvelle n°970.

(47) - G. COGNIOT in "Qu'est-ce que le communisme" p.49

Ed. Soc. (3ème Ed. revue et mise à jour 1969).

(48) - E. BALIBAR "Sur la dictature du prolétariat" p.26 et s. précité.

Le socialisme c'est cette période transitoire où le "capitalisme vaincu, mais non anéanti et le communisme déjà né, mais encore très faible" (49) sont en lutte. Or cette période de transition, les marxistes classiques l'ont appelé dictature du prolétariat pour répondre en quelque sorte à la dictature bourgeoise que les travailleurs venaient d'abattre. Comme la dictature bourgeoise qui peut-être une démocratie au sens juridique du terme, la dictature du prolétariat n'est pas un régime constitutionnel, mais la reconnaissance d'un état de fait, d'un certain rapport de forces (50) qui va et doit se traduire dans et par une nouvelle légalité. Briser l'Etat, c'est instaurer la dictature du prolétariat qui institutionnellement se traduira selon des formes qui lui seront propres, et qui en tout état de cause ne pourront être entièrement celles de la bourgeoisie. La dictature du prolétariat diffère fondamentalement de la dictature bourgeoise, car son instauration entraîne immédiatement le début de son dépérissement dans la mesure où il s'agit de construire la société sans classe. La dictature du prolétariat disparaît avec les classes et leurs antagonismes.

Lorsque les événements passés et présents dans les pays de l'Est devinrent trop gênants, eu égard à sa stratégie de changement pacifique basée sur la théorie du C.M.E. (un Etat immédiatement utilisable et 80 % d'objectivement mécontents !), le P.C.F. abandonna la dictature du prolétariat pour prouver sa bonne foi et sa volonté démocratique.

Plutôt que d'analyser en marxiste les événements en question, il fait l'autruche en abandonnant ce qui/ croit faire problème, et attribue ces phénomènes à des erreurs et des insuffisances dans un "bilan globalement positif" (51). Bel escamotage !

(49) - Lénine cité in BALIBAR précité p.144.

(50) - Voir MIAILLE "L'Etat du Droit" p.185 et s. Maspéro 1978.

(51) - Bilan des pays socialistes. Résolution du XXIIIème congrès 9-13 Mai 1979 in Humanité p.VI.

Pourquoi abandonner la dictature du prolétariat ? Parce que "la voie française au socialisme ne saurait être comparable à une voie de type soviétique (52)". Parce que les communistes veulent une voie pacifique et que la dictature du prolétariat c'est la violence, l'illégalité. Or si Lénine a défini la dictature du prolétariat comme "un pouvoir qui s'appuie directement sur la violence et n'est lié par aucune loi (53), c'est pour bien montrer qu'il s'agit là de la domination d'une classe sur une autre. Domination qui par hypothèse ne peut pas reposer sur une loi, mais sur un certain rapport de forces qui lui donne son caractère violent.

Dès l'instauration de cette domination, une certaine légalité va lui donner un caractère de normalité, d'universalité, mais ce n'est pas cette légalité qui peut expliquer cette domination, tout comme Engels remarque que "la violence peut certes déplacer la possession, mais ne peut pas engendrer la propriété privée en tant que telle (54)".

Finalement, on constate donc que l'État n'a pas à être brisé parce que les fonctions qui sont les siennes, permettent son utilisation immédiate, par un gouvernement démocratique soutenu par une large majorité de français objectivement intéressés par le changement. En conséquence, la dictature du prolétariat, présentée sous l'influence idéologique de l'Internationale comme une voie de passage au socialisme, ne correspond plus aux réalités françaises qui permettent un changement pacifique par la construction d'une démocratie avancée, forme de transition vers le socialisme.

Pour que l'alternance soit possible, il faut, disions-nous en introduction, que l'État puisse "servir" indistinctement les intérêts de la classe ouvrière et ceux de la bourgeoisie. Quel est cet Etat ? LEtat bourgeois ou l'Etat prolétarien ? Tel était notre problème. Au cours de nos développements, nous avons vu que le P.C.F. en raison des analyses qu'il effectuait, refusait de briser l'Etat bourgeois et de ce fait développait une conception de "l'Etat en soi',' de l'Etat doté d'un pouvoir propre. Il oubliait ainsi que l'Etat était toujours l'Etat d'une formation sociale donnée, caractérisée par une lutte des classes déterminée et donc par la domination d'une classe déterminée. En un mot, il oubliait que l'Etat, comme toute chose, était situé.

(52) - Les communistes et L'Etat précité - p.146.

(53) - Lénine cité par E. BALIBAR précité - p.51-52.

(54) - F. ENGELS in "le rôle de la violence dans l'histoire". p. 12 - in Ed. Soc. 1976.

Il ne s'agit pas de revenir à une vision instrumentaliste, ou à une quelconque fusion Etat-classe ou fraction de classe dominante, mais de traduire l'état de la lutte des classes en reconnaissant l'Etat comme la "condensation" (55) de cette lutte, c'est-à-dire marquer l'autonomie relative de l'Etat à l'égard du rapport d'exploitation. Autonomie relative qui impose que /Etat ne peut-être un instrument docile dans les mains de la classe dominante en raison des luttes de classe et des intérêts divergents des différentes fractions de la bourgeoisie, mais qui en même temps ne peut pas ne pas être un instrument mais cette fois-ci "l'instrument d'un rapport d'exploitation" (56).

Le P.C.F. ne peut reconnaître cette autonomie relative en fondant Etat et monopoles dans un "mécanisme unique" et en considérant un "Etat en soi" ("l Etat en général').

Nos développements précédents nous permettent d'affirmer que "l Etat du changement" pour /e P.C.F., n'est rien d'autre que l'Etat bourgeois. Etat qui est présenté comme pouvant 'Servir" les intérêts de la classe ouvrière. C'est donc dans ce cadre que l'alternance reconnue et acceptée par le P.C.F. aura vocation à jouer.

Mais l'acceptation de l'alternance pose aussi la question de savoir, si deux sociétés aussi différentes, aussi opposées et donc contradictoires, que le capitalisme et le communisme peuvent se succéder alternativement ? C'est ce que nous allons essayer de déterminer maintenant.

(55) - N. POULANTZAS in "Les classes sociales dans le capitalisme aujourd'hui" précité p 28 et s

Voir entretien in DIALECTIQUES n°17-Avril 1977- p.55 et s.

(56) - M MAILLE in "L'Etat du Droit" - précité - p 231.

Deuxième partie
L'ALTERNANCE IMPLIQUE LE MAINTIEN DE LA SOCIÉTÉ BOURGEOISE

On constate que dans les écrits officiels du P.C.F. (57) comme dans ceux, collectifs ou individuels, de membres du parti (58), la référence au communisme a pratiquement disparu. Ce qui est à l'avant scène du discours du P.C.F., c'est le socialisme. Lorsque le communisme est présent, il apparaît bien diffus à l'arrière-plan. Est-ce à dire que les communistes ont répudié le communisme, comme objectif fondamental de leur engagement ? Ou que le socialisme et le communisme sont synonymes ?...

En réalité, il semble (58 bis) bien que le communisme reste l'objectif du P.C.F., mais il apparaît que les conditions de sa réalisation ont subi quelques métamorphoses théoriques.

Ces questions et cette affirmation nous imposent d'examiner le socialisme et le communisme tels qu'ils sont présentés dans la théorie marxiste-léniniste et l'état du projet actuel du P.C.F. à l'égard de ces deux notions.

Nous verrons alors que la reconnaissance et l'acceptation du principe de l'alternance implique le maintien de la société bourgeoise et le respect des formes et pratiques politiques bourgeoises, dans la mesure où elle ne peut-être qu'alternance des hommes.

(57) - Thèses et résolutions des congrès et des réunions du Comité Central Programme du Parti (Changer de cap Ed. Soc. 1971)

Introduction au Programme Commun de gouvernement Ed. Soc. 1972.

(58) - En dehors de ceux déjà cités, signalons : "Les communistes et la révolution" René ANDRIEU - Julliard 1968/ "Une certaine idée des communistes" J. ELLENSTEIN - Julliard 1979/ "Le défi démocratique" G. MARCHAIS - Grasset 1973.

(58 bis) - Cette formulation nous paraît très appropriée dans la mesure où les nouveaux statuts adoptés au XXIIIème congrès en Mai 1979 dans le préambule parlent de la "société socialiste comme but fondamental" du PCF alors que le préambule des statuts de 1964 parlait de la "société collectiviste ou communiste comme but fondamental du PC". Voir ces derniers in Constitutions et Documents Politiques de M. DUVERGER - p.332-334 Thémis 1971

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote