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Le Parti communiste français (PCF) et l'alternance

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par Joël THALINEAU
Université François RABELAIS - TOURS - DEA Droit Public 1979
  

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Section II - L'ETAT DU CHANGEMENT. (22)

Marx, Engels et Lénine (23) montrent que la première tâche des révolutionnaires, après la prise du pouvoir, réside dans la Destruction de l'Etat bourgeois. Selon eux, le changement révolutionnaire ne peut s'effectuer avec et dans cet Etat, qui ne répond qu'à une seule fin ; permettre la reproduction de la domination de la classe bourgeoise, c'est-à-dire la reproduction de l'exploitation. Cette rupture, ce bris de l'Etat bourgeois doit se faire par la "constitution du prolétariat en classe dominante" (24), c'est-à-dire par l'instauration de la dictature du prolétariat. En développant sa stratégie pacifique de conquête du pouvoir, le P.C.F. n'a pu laisser de côté, le problème de l'Etat, et par conséquent de son avenir. Alors où en est la nécessité de briser l'Etat dans le projet actuel du P.C.F. ? La dictature du prolétariat est-elle historiquement dépassée ?...

Ces questions qui nous assaillent, verront leurs réponses fortement marquées par nos développements précédents, et justifieront ce détour sur le contenu de l'Etat du C.M.E.

I - BRISER L'ETAT ?

.1) - Selon le PCF, il y aurait eu depuis les marxistes "classiques" un "changement d'ère révolutionnaire" (25).

Pour les communistes, ce qui importe actuellement, c'est de briser l'unité Etatmonopoles.
· Cette unité étant rompue par l'arrivée des représentants des travailleurs au pouvoir, cela suffit-il alors à assurer le changement ? Selon eux, la réponse est affirmative, dans la mesure où le reste n'est qu'une question de transformation, de réorientation. Il n'est plus question de briser l'Etat bourgeois.

(22) - Titre emprunté a l'ouvrage de JP DELILEZ, Maître-assistant à l'École des Hautes Etudes : "L'Etat du Changement" Ed. Soc. 1977.

(23) - Voir K. MARX "le Manifeste du PC" - "Critique du Programme de Gotha" / Engels "L'anti Duhring" - "Les origines de la propriété et de l'Etat" / Lénine "L'Etat et la révolution".

(24) - Marx in "le Manifeste du P.C." p.45 - Ed. 10-18 - 1962.

(25) - Les communistes et l'Etat - déjà cité - p.143.

"Ce qu'il faut, nous dit-on", "ce n'est pas briser l'ÉTAT EN GENERAL, mais l'Etat capitaliste" (26). Cette citation vient corroborer nos analyses antérieures, en y ajoutant un élément idéaliste. En effet, à quoi mène une telle affirmation, sinon à définir un ETAT EN SOI, un Etat extérieur à la société, extérieur à la lutte des classes. Qu'est-ce que l'Etat en général" sinon une abstraction idéaliste, hégélienne ! Or rappelons que l'Etat n'est que la résultante de la lutte des classes et la traduction de la domination économique d'une classe au niveau politique. Donc ne pas briser "l'État en général" est une ineptie, car l'Etat est toujours l'Etat de la domination d'une classe sur les autres. Mais cela vient à point, lorsqu'on considère au sein de l'Etat deux fonctions : la fonction de domination et la fonction d'organisation, relativement indépendantes l'une de l'autre et, entretenant dans l'Etat actuel des rapports contradictoires (27). La seconde est aujourd'hui pervertie par la première du fait de l'unité Etat-monopoles. Briser l'Etat capitaliste signifie briser cette unité, ce "mécanisme unique" par la prise du pouvoir par les travailleurs. Ne pas briser "l'Etat en général", c'est conserver la fonction d'organisation, fonction qui transcende la lutte des classes, fonction immanente à toute société. Dès lors, pour transformer la société, il suffit d'orienter la fonction d'organisation vers des buts qui sont présentés comme étant "naturellement" les siens. "L'Etat devient alors une forme supérieure de maîtrise collective de toute la vie sociale. Dans le socialisme, l'Etat organisera (#) (28)". En rompant le "mécanisme unique" Etat-monopoles, on réconcilie fonction de domination et fonction d'organisation, car la fonction de domination est assurée alors par et au profit des travailleurs, donc d'une "large majorité" et elle a vocation à disparaître pour laisser place nette à la fonction d'organisation elle-même vouée à l'extinction. Or en parlant d'extinction, les marxistes, et Lénine l'a bien souligné (29), envisageaient l'extinction de l'Etat prolétarien, l'Etat bourgeois lui était supprimé.

(26) - J. CARON et P. BLOTIN - Parti, Etat, transition au socialisme in
Nouvelle Critique 1974 n°75 p.8.

(27) - J. CARON et P. BLOTIN - article précité p.5 et 6. (28)

(28) - Les communistes et l'Etat - précité p.167.

(+) - souligné par les auteurs.

(29)- L'Etat et la révolution p.21 et s. Ed. du Progrès Moscou 1967'

Aussi rien d'étonnant, lorsqu'on nous présente "/'État des monopoles.., comme un rouage économique, qu'un nouveau manipulateur - un gouvernement démocratique - peut immédiatement utiliser (#) (30)" ou encore "le socialisme n'est rien d'autre que le C.M.E. transformé, reconverti au service du peuple tout entier (31)" Il est inutile de briser l'Etat puisquW peut ".servir" immédiatement, il est prêt, il ne lui manque que le bon dirigeant.

Par cette séparation fonctionnelle au sein de l'Etat, on constate finalement que le P.C.F. a oublié que les choses n'avaient de réalité qu'en mouvement, or en opérant arbitrairement des distinctions, le P.C.F. retire aux éléments considérés leur mouvement pour en faire des abstractions creuses et figées. Que peut-être une fonction de domination sans fonction d'organisation. Rien, même si entre elles, on établit des rapports contradictoires, car l'Etat est un et ne peut-être appréhendé que dans le cadre de cette unité. En.procédant ainsi, le P.C.F. pratique une distinction idéologique semblable à celle des juristes qui dissimulent l'unité du pouvoir d'Etat en séparant pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. Certains communistes succombent parfois aussi à cette idéologie de la séparation des pouvoirs. Ainsi; M. SIMON, à propos du Manifeste de Champigny (32), parle d'un "enrichissement de la théorie de l'Etat en régime socialiste" car "sous le socialisme, la distinction bourgeoise entre l'exécutif et le législatif.. conserve une signification fonctionnelle (33)".

(30) - F .HINCKER in Nouvelle Critique 1966 n°176 p.20-21 précité. (+)-souligné par nous

(31)- G. COGNIOT in "Lénine et la Science Politique" Conférence prononcée à l'institut M. THOREZ le 23/10/1969 - p.10.

(32) - Manifeste du Comité Central du PC Champigny/Marne 5.6/12/68 "Pour une démocratie avancée, pour une France socialiste" Supplément au bulletin de propagande n°7 - Novembre Décembre 1968.

(33) - M. SIMON in " Socialisme, Démocratie et Epanouissement de la personne "Conférence donnée à l'Institut M. THOREZ le 17 Avril 1969 - p.18.

Il faut remarquer que c'est progressivement et en grande partie parallèlement à l'affinement de la théorie du CM.E., que le P.C.F. s'est écarté de cette nécessité de briser l'Etat. Ainsi en 1959, il lui apparak encore nécessaire de détruire l'appareil oppressif d'Etat en préconisant "l'abolition de l'armée, l'épuration de la police (34)".

En 1961, on présente le passage au socialisme comme étant toujours un bond révolutionnaire qui "implique OBLIGATOIREMENT la destruction de la vieille machine d'État (35)

C'est à partir des années 64-66 que l'évolution se fait sentir. Désormais, si l'on parle de changer l'Etat, ce n'est pas pour envisager sa suppression, mais sa démocratisation en rompant le "mécanisme unique Etat-monopoles".

Cependant, jusqu'en 1968-69, la dictature du prolétariat est toujours présente dans le discours du P.C.F. (36). Mais, nous en reparlerons ultérieurement.

2) - Pourquoi la nécessité de briser l'Etat ne présente plus à l'heure actuelle un intérêt primordial pour le changement révolutionnaire ? L'affirmation selon laquelle nous serions rentrés dans "une nouvelle ère révolutionnaire" nous paraît constituer plus un raccourci qu'une réponse acceptable. Aussi, pensons nous qu'il faut se pencher sur cette question en considérant la continuité de l'analyse du C.M.E. et de la nouvelle société à construire. L'accaparement de l'Etat par une clique de monopoleurs. a pour conséquence que l'immense majorité des français sont leurs victimes, et désirent donc unanimement le changement.

Nous avons déjà remarqué que cette analyse ne rendait pas compte de la complexité de l'Etat. Elle ne tient pas compte des contradictions existant à l'intérieur de la bourgeoisie, entre bourgeoisie non monopoliste et bourgeoisie monopoliste et pour cette dernière, des contradictions entre les différentes fractions du capital monopoliste (capital bancaire, capital industriel). C'est au travers de l'Etat que la bourgeoisie assure son unité, et sa domination sur les autres classes. En outre, on ne peut ainsi retrouver à l'intérieur de l'Etat l'expression de la lutte des classes et on escamote le problème de la place des nouvelles couches salariées non ouvrières dans cet antagonisme.

(34) - Thèses XVème congrès 1959 déjà cité p.34 et s.

(35) - Projet de thèses XVIème congrès Mai 1961. Supplément au bulletin de propagande et d'information Mars Avril 1961 n°35 p 30-31.

(36) - XVIIème congrès 1964 Supplément à France Nouvelle n°970 XVIIIème congrès 1967 Supplément au bulletin de 1'Elu communiste Manifeste de Champigny 1968 déjà cité.

Ces nouvelles couches constituent-elles une nouvelle classe, une classe moyenne qui a vocation à absorber l'ensemble du corps social, ou appartiennent-elles pour partie à l'une ou/et l'autre des deux classes fondamentales ?

En affirmant que ces "couches intermédiaires salariées" n'appartiennent à aucune classe, mais qu'elles se "rapprochent de plus en plus de la classe ouvrière" (37), le P.C.F. ne répond pas à ces questions. Pie encore, en affirmant cela, il les place une fois encore à l'extérieur des luttes de classe. Nicos POULANTZAS (38) montre que ces nouvelles couches salariées appartiennent à une petite bourgeoisie ; qu'il qualifie de nouvelle petite bourgeoisie pour la distinguer de la petite bourgeoisie traditionnelle: La petite bourgeoisie est confrontée à l'antagonisme fondamental opposant classe ouvrière et classe bourgeoise, dès lors cela ne peut rester sans conséquences sur les positions de classe (39) prises par cette petite bourgeoisie. La petite bourgeoisie traditionnelle tend à se prolétariser de plus en plus, mais conserve toujours ou n'abandonne que progressivement ses positions de classe bourgeoise. La nouvelle petite bourgeoisie adopte des positions de classe différentes selon qu'il s'agit de la fraction de la nouvelle petite bourgeoisie du secteur public ou de celle du secteur privé (Ingénieur, cadre, Technicien), la première se rapprochant de la classe ouvrière, alors que l'autre adopte des positions de classe bourgeoise (40).

On se rend compte, dès lors, que le fait d'amalgamer tout ce qui n'est pas monopoliste dans un ensemble favorable au changement (les fameux 80 % de français ayant OBJECTIVEMENT intérêt à la suppression des monopoles) représente une prouesse d'une hardiesse théorique peu commune pour des marxistes. "Objectivement situé" pour lutter contre les monopoles, il suffit de leur dire où est leur intérêt pour que ces 80 % le comprennent et agissent en conséquence ...!

(37) - Le C.M.E. Traité marxiste d'économie politique précité p.237-238.

(38) - N. POULANTZAS "Les classes sociales dans le capitalisme aujourd'hui" - précité.

(39) - N. POULANTZAS précité p.16 "distinction entre détermination structurelle de classe et position de classe dans la conjoncture".

(40) - Voir pour appréciation différente C. BAUDELOT et R. ESTABLET J. MALEMORT "La petite bourgeoisie en France" Maspéro 1974. Ces auteurs estiment que l'immense majorité de ce salariat de cette nouvelle petite bourgeoisie appartient au prolétariat qu'ils estiment au 2/3 de la population active

L'Etat pouvant servir immédiatement un gouvernement démocratique désigné par une large majorité de français ayant "accédé à la conscience',' il devenait inutile de conserver la dictature du prolétariat qui ternissait l'image de marque du P.C.F. eu égard aux événements en U.R.S.S.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault