Première partie L'ALTERNANCE IMPLIQUE LE
MAINTIEN DE L'ETAT II
La stratégie du P.C.F. se développe
à partir d'une analyse de la société française au
sein de la communauté internationale. Cette analyse, c'est le
capitalisme monopoliste d'Etat (CM.E.) - (7), c'est-à-dire "par essence
le capitalisme par la permanence des rapports fondamentaux d'exploitation,
c'est le stade de l'impérialisme par l'extension des structures
monopolistes; et à l'intérieur de ce stade, c'est sa phase
contemporaine par le développement de l'intervention de /État et
l'interde'pendance croissante entre les monopoles et
l'Etarr8).
Ce qui importe pour la suite de notre recherche,
c'est l'Etat du C.M.E. Nous verrons qu'à l'occasion de cette analyse, le
P.C.F. a produit une certaine vision de l'Etat qui n'est pas sans
conséquences sur l'objet de notre étude. En effet, de cette
théorie ressort une vision instrumentaliste et neutraliste de l'Etat
qui; dès lors, n'a nul besoin d'être brisé en tant que tel
au moment de la transition socialiste.
Section I -- L'ETAT DU C.M.E.
1) - L'analyse du P.C.F. a eu
l'intérêt de montrer le rôle primordial de l'Etat, donc du
politique, dans la société actuelle. Selon lui, l'intervention
étatique croissante et permanente a été rendue
nécessaire parce que le capitalisme s'avérait incapable de
maîtriser ses contradictions, et pour enrayer la tendance à la
baisse du taux de profit moyen (9). Ce qui caractérise notre
époque, c'est non seulement la prise en charge par l'État des
conditions générales de production de la plus-value mais surtout
l'intervention directe de l'État dans l'accumulation du
capital.
(7) - Concept dégagé lors de la
Conférence des P.C. à Moscou en 1960. Il a fait l'objet d'un
colloque à Choisy-Le-Roi en 1966, et de la publication d'un
traité d'économie politique intitulé "le capitalisme
monopoliste d'Etat", aux Ed. Soc. en 1971.
(8) - Le C.M.E. p.9 - Tome I - Ed. Soc.
(9) - Les communistes et l'État p.116 et s. Ed. Soc.
1977 Jean FABRE - Lucien SEVE. - François HINCKER.
Nicos POULANTZAS apporte une critique fondamentale
à cette analyse. En effet, celle-ci tend à accroire que le
capitalisme ne peut fonctionner "normalement "... que sans "intervention" de
l'État " et que si l'intervention étatique est nécessaire,
c'est que l'on est en présence d'une "crise structurelle" du capitalisme
(incapable de surmonter ses contradictions par lui-même) que
l'État parvient à résoudre, en organisant la reproduction
capitaliste. (10)
Si l'intervention de l'État redonne au
capitalisme une "nouvelle jeunesse', on fait de l'État un moyen, un
instrument. François HINCKER abonde dans le sens de cette vision
techniciste lorsqu'il affirme que "l'État n'est pas seulement un moyen
d'exercice du pouvoir économique" mais surtout un "rouage de
l'économie" (11), ou lorsqu'il parle des "fonctions de l'État"
qui "comportent une dimension technique". (12)
Cette action salvatrice de l'État à
l'époque du C.M.E. nous conduit à penser qu'avant, au stade du
capitalisme concurrentiel par exemple, l'État se situait à
l'extérieur du système. On retrouve là toute
l'idéologie qui tourne autour de la notion "d'État gendarme". Or
l'État est toujours intervenu dans l'économique, ce qui a
changé, ce sont les modalités de cette intervention. Mais
conséquence plus importante encore, si l'État est retiré
à l'extérieur du système, cela signifie du fait d'un beau
passé, quW existe en son sein une ou des fonctions qui subsistent
à chaque époque. Les communistes développent une telle
analyse en distinguant dans l'État, fonction de domination et fonction
d'organisation (13).
(10)- Nicos POULANTZAS in les classes sociales dans le
capitalisme aujourd'hui Ed. Seuil 1974.
(11)- François HINCKER in la Nouvelle Critique
1966 n°176 P.20-21 "1936+30=1966". F. HINCKER était membre du
COMITE CENTRAL du P.C.F. jusqu'au congrès de 1979
(XXIIléme).
(12)- F. HINCKER in la Nouvelle Critique 1969 n°28 p.88
"sur l'autonomie de l'Etat"
(13) - Pierre BLOTIN et Jea" CARON, membres du collectif
de direction de l'École Centrale du P.C.F., in "Parti, Etat, transition
au socialisme" - Nouvelle Critique 1974 n°74 p.5 - Voir aussi "Les
communismes et l'Etat" déjà cité p.167.
2) - Théorie instrumentaliste, neutraliste
de l'État, qui fait de ce dernier un élément
détourné de ce que l'on oserait appeler alors ses "fonctions
naturelles". En incluant en un "mécanisme unique" État et
monopoles, on aboutit à cette conclusion. Le détournement
étant le fait des monopoleurs qui ont envahi l'appareil d'État.
Les communistes estiment trouver la justification de leur analyse dans
l'identité des dirigeants politiques et des dirigeants monopolistes.
L'État est au service et occupé par la classe monopoliste, qui
est réduite en l'occurrence à une "clique" de milliardaires (14).
Cette constatation, exacte il faut le dire, mais non significative en
elle-même ne rend pas compte des contradictions au sein de l'État.
En effet, la seule fraction de la bourgeoisie au pouvoir serait la bourgeoisie
monopoliste, ce qui escamote le problème de la place occupé par
le capital non monopoliste (petit et moyen capital) dans l'appareil
d'État. En outre, et beaucoup plus fondamentalement, cette vision ne
tient pas compte des luttes de classe qui transpirent jusqu'au niveau de
l'Etat. Finalement, celui-ci n'est plus une unité contradictoire des
intérêts des différentes fractions de la bourgeoisie dans
le cadre de l'antagonisme primordial opposant la classe bourgeoise à la
classe ouvrière.
Ce qui ne signifie pas que l'Etat serait l'arbitre
entre les différents intérêts des classes en
présence ou qu'il prendrait en charge les intérêts de la
classe ouvrière. L'État étant la résultante de la
lutte des classes, il traduit nécessairement la domination de la classe
bourgeoise (actuellement classe dominante) qui conserve son unité au
travers du pouvoir d'État, même si ce n'est qu'une fraction de
cette classe qui est en position dominante et permet à l'ensemble de la
bourgeoisie de "garantir ses intérêts" en les faisant
apparaître comme étant l'intérêt
général (15).
3) - Sur le plan constitutionnel, les communistes
présentent la constitution de la Vème République comme
étant 7a traduction institutionnelle du C.M.E. " (16), la marque de la
fusion Etat-monopoles.
(14) - Le socialisme pour la France - XXIIème
congrès P.C.F.. p.29 et s. - Ed. Soc.
(15) - L'idéologie Allemande - Marx-Engels p.49-106
Ed. Soc. 1968
(16) - Institutions et Pouvoirs en France - F. et A.
DEMICHEL - M. PIQUEMAL - Ed. Soc. 1975
Ainsi sont expliqués les atteintes
portées à la démocratie (représentative), la
centralisation du pouvoir, son caractère autoritaire et personnel. Si
cette présentation a l'intérêt de montrer que,
parallèlement à la concentration du capital le pouvoir politique
a dû se modifier pour répondre à la nécessité
actuelle de reproduction élargie du capital, elle reste marquée
par la vision simpliste de l'accaparement du pouvoir d'Etat par la seule
fraction monopoliste de la bourgeoisie, ainsi que par la vision techniciste de
l'État. Le discours du P.C.F. sur la constitution a, par ailleurs,
évolué au cours de la dème République.
Présentée à ses débuts comme instituant un
régime "orientée vers la dictature personnelle et ouvrant la voie
au fascisme" (17), la constitution est maintenant "imparfaite mais
insusceptible" d'empêcher la mise en oeuvre d'une politique de
progrès"(18). Le "retour à sa lettre" serait un "important
progrès démocratique" (19). L'évolution du P.C.F. sur le
plan institutionnel a suivi le cours de l'élaboration de la
théorie du C.M.E. et de sa stratégie d'accès au pouvoir.
Nous verrons d'ailleurs ultérieurement que les revendications
institutionnelles du P.C.F. se sont toutes inscrites à la baisse depuis
1958.
4) - Pour conclure sur cette présentation
du C.M.E. et de son Etat, il nous faut ajouter que le C.M.E. est
considéré comme "l'antichambre du socialisme" dans la mesure
où les forces productives acquièrent un caractère de plus
en plus social, et connaissent un développement tel qu'elles exigent
l'intervention croissante et permanente de l'État. Développement
qui ne peut se poursuivre sans modification, sans remise en cause des rapports
de production. Cette analyse nous paraît contestable d'une part parce
qu'elle organise une séparation arbitraire entre forces productives et
rapports de production, d'autre part parce qu'elle donne le primat aux forces
productives au sein du mode de production pour le déterminer en crise.
Cela nous semble erroné, car selon nous les forces productives ne sont
rien, sinon un potentiel, sans les rapports de production. C'est au cours du
procès de production qu'elles acquièrent une
réalité sociale. Aussi, dans cette unité forces
productives-rapports de production, la dominance doit être donnée
a ces derniers, et si crise il y a (et crise il y a) c'est au sein des rapports
de production, dans le cadre de cette unité forces productives-rapports
de production qu'elle réside.
(17) - Thèses adoptées au XVème
congrès IVRY 24-28 Juin 1959 in supplément au bulletin de
propagande n°23 Mai Juin 1959 p.3 et 4.
(18) - Humanité du 2 février 1978
(19) - G. MASSON, écrivain, membre du comité
de rédaction des cahiers du communisme in Le Monde du 14 juillet
1977.
Il nous faut maintenant tirer les conclusions de
cette théorie du C.M.E. et de son Etat. Référons-nous
à Louis ALTHUSSER pour introduire celles-ci. Du C.M.E., il retient deux
thèmes essentiels. (20)
· "Nous sommes entrés dans une phase
qui est "l'antichambre du socialisme" où la concentration monopolistique
pénètre l'Etat, qui forme avec elle un "mécanisme
unique".
· "La France est dominée par une "
poignée de monopolistes et leurs commis".
Desquels il tire deux conclusions
· Cette théorie "change la question
de l'Etat" qui devient "directement utilisable par le pouvoir populaire". Ce
qui évacue le problème de sa destruction et de la dictature du
prolétariat.
· Face à la "poignée de
monopolistes', "tous les français ont objectivement intérêt
à la suppression des monopoles".
Les réflexions de cet éminent
"intellectuel assis derrière son bureau" (21) vont nous servir de guide
dans notre recherche. Ce qui importe, à propos de l'alternance, c'est de
connaître la ou les conséquences de la prise du pouvoir par les
représentants de la classe ouvrière et leurs alliés, sur
le contenu de l'Etat
(20) - L. ALTHUSSER in "Ce qui ne peut plus durer dans le
P.C." p.93-94 Maspéro 1978
(21) - Adresse de G. MARCHAIS, secrétaire
général du P.C.F. aux intellectuels du parti, après Mars
1978, leur rappelant que la discussion n'était admise que dans le cadre
du monologue. Certains ont compris maintenant qu'ils devaient être, et
derrière leur bureau, et dans le rang ... (Voir manifestation pour les
élections européennes à l'hôtel PLM a Paris et
autres déclarations ultérieures)!...
Interrogeons-nous donc sur :
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