3. Conclusion
a) Une géographie particulièrement
contrastée
L'étude de l'offre de soins par effectifs en Aquitaine
ne permet en aucun cas d'apporter un jugement qualitatif du système de
soins. Son analyse permet de retracer l'organisation de ce système et
ses logiques d'implantation.
Par ailleurs, cette étude a montré la
nécessité de scinder en deux groupes les catégories de
professionnels cartographiées.
Le premier groupe est composé par les cinq services de
santé de base : les omnipraticiens, les chirurgiens dentistes, les
infirmiers, les masseurs kinésithérapeutes et les pharmacies. Ce
sont les catégories où les praticiens et les structures sont les
plus nombreux et les plus présents sur le territoire régional ;
ils en couvrent la majeure partie.
Le second groupe est celui des spécialistes
(gynécologues obstétriciens, ORL, ophtalmologues,
pédiatres et psychiatres) et les laboratoires. Ce groupe est
caractérisé par des effectifs réduits, très
localisés dans les villes où la population résidente est
relativement importante. Le fait même de la spécialisation des
soins induit pour ce groupe des inégalités dans l'accès
aux soins des populations ; leur localisation en milieu urbain et de
surcroît dans les communes de certaine importance, ne fait
qu'accroître ces inégalités, notamment entre les villes et
la campagne. D'une certaine manière, ces soins génèrent
une certaine ségrégation vis à vis des personnes vivant
à une certaine distance des communes disposant de ces professionnels. En
définitive, aucune dénomination ne convient mieux à se
groupe que celle de " médecine de ville ".
La médecine libérale spécialisée
connaît donc une localisation guidée par l'ampleur du
phénomène urbain, contrastant fortement avec les cinq services de
santé de base, acteurs d'un équilibrage territorial. Le paysage
médical conforte ainsi le rôle de la ville dans la distribution
spatiale des médecins spécialistes libéraux. Le
degré de rareté des praticiens se manifeste par une organisation
orientée principalement autour des noyaux urbains.
Par ailleurs, les représentations cartographiques des
effectifs des professionnels du premier groupe font preuve d'une certaine
adéquation avec le niveau de peuplement de certaines franges rurales. En
effet, plus la population d'une commune ou d'un canton est faible, moins il y a
de professionnels présents dans ces cantons ou communes, et inversement
pour les grandes agglomérations. Ces différences de peuplement
induisent donc des inégalités d'offre de soins. Cependant, si la
localisation des professionnels de santé n'est pas la cause principale
de la faiblesse du peuplement de certaines communes, elle y contribue en
intégrant un ensemble de services (sanitaires ou non) qui en sont
absents.
L'unité géographique du Grand Sud-Ouest
(Aquitaine et Midi-Pyrénées) est constitué par les bassins
versants nord des Pyrénées et de l'ouest du Massif Central. Elle
a donc l'aspect d'une demi-cuvette tranchée par le littoral Atlantique.
Cette unité physique a modelé les voies de circulation, le
regroupement des activités et des populations. L'occupation de l'espace
en Aquitaine s'organise donc autour de deux grands axes qui reprennent, pour
l'essentiel, le tracé des deux grandes voies romaines reliant le sud de
la Narbonnaise et de la Gaulle Aquitaine : la vallée de la Garonne et le
Piémont Pyrénéen. Bordeaux se situe à l'une des
extrémités de la diagonale que la Garonne trace dans la
région. Les deux autres aires urbaines conséquentes (plus de 100
000 habitants) : Bayonne et Pau s'alignent sur le second axe.
Cette organisation spatiale explique pour beaucoup la
localisation des praticiens selon une logique toute commerciale : les
praticiens libéraux sont localisés et concentrés dans les
communes où les effectifs de clients potentiels sont les plus importants
: les grandes aires urbaines et les deux grands axes évoqués
précédemment où les cantons ruraux les plus peuplés
se regroupent. Le reste du territoire étant caractérisé
par de faibles densités de population, la localisation des praticiens
est le reflet conforme de la géographie humaine en Aquitaine. Le monde
rural et ses composantes n'offrent pas les conditions nécessaires au
développement d'une médecine spécialisée, et impose
à la médecine généraliste un certain nombre de
contraintes. Tout ceci intervient dans l'organisation spatiale du territoire :
la localisation, souvent éco-stratégique, des praticiens
contribuent au développement et à la diversité de l'offre
de soins en Aquitaine, notamment en milieu rural. Cette faible diversité
dans la pratique médicale induit l'existence de degrés de
rareté dont l'hétérogénéité est
à la base de l'organisation spatiale du système de
santé.
La Dordogne est un département rural (surface en
zone rurale supérieure à celle en zone urbaine) où l'offre
est répartie de manière assez hétérogène :
dans le centre du département et le long des limites
départementales pour le premier groupe et elle très
localisée pour le second. Les inégalités entre le milieu
rural et urbain sont relativement importante du fait de la distance et de la
faiblesse générale des effectifs. La Dordogne est un des
départements le moins dotés en offre de soins. Il s'agit donc
d'un département sous-médicalisé en terme d'offre de
soins.
La Gironde est un département particulier
où la part des surfaces rurales est supérieure à celle des
zones urbaines, mais où la population est majoritairement urbaine. De
fait, la Gironde est fortement polarisé par Bordeaux dont l'influence
s'étend bien au-delà des limites départementales et
régionales au nord. L'activité médicale est fortement
concentrée à Bordeaux et dans sa ceinture communale
périphérique. L'ensemble du territoire girondin est couvert en
terme d'offre pour le premier groupe, sans créer
d'inégalités rurales/urbaines ; mais ces
inégalités existent dans la couverture du territoire pour les
catégories du second groupe. De plus, ces disparités d'effectifs
sont directement liées à la différence de ces derniers
entre les effectifs localisés à Bordeaux et ceux du reste du
département.
Le Lot-et-Garonne est un département rural
où l'offre est en grande partie localisée en milieu urbain. Les
zones les plus rurales disposent des plus faibles effectifs, ce qui
génèrent de fortes inégalités entre milieux rural
et urbain, accrue avec la distance à la ville, mais ce en terme de
localisation ou de répartition de l'offre, non pas au niveau des
effectifs.
Les Landes sont un département rural occupé
pour moitié par le Parc Régional des Landes au nord. Cette
dichotomie de l'espace tend à favoriser le sud et le nord-ouest, ce qui
créée des inégalités spatiales dans l'offre de
soins. Le premier groupe fait état d'une couverture relativement
homogène et d'une offre en effectifs correspondante à la moyenne
régionale, générant ainsi peu d'inégalités.
L'offre de soins du second groupe est très localisée dans les
communes les plus importantes au détriment des communes rurales qui en
sont dépourvues, générant ainsi des fortes
inégalités d'offre de soins entre les zones rurales et urbaines,
induisant ainsi des inégalités d'accès aux soins, d'autant
que les effectifs demeurent peu élevés.
Les Pyrénées-Atlantiques sont un
département partagé entre la conurbation urbaine de la côte
basque, la zone montagnarde au sud, les zones rurales du centre et du nord-est
et le pôle palois. Cette partition de l'espace sanitaire joue sur l'offre
de soins : très faible en zones rurales et de montagne,
élevée dans les agglomérations urbaines. Cette partition
génère donc des inégalités d'offre entre les
différents types de milieu, notamment rural et urbain, moins importantes
pour le premier groupe, beaucoup plus pour le second dont l'offre est
très localisée dans les grandes agglomérations, accentuant
l'isolement des petites communes rurales.
Suite à cette analyse, différentes
interrogations se posent :
· La couverture relativement homogène de l'Aquitaine
par les cinq services de santé de base, implique-t-elle en
conséquence une absence d'inégalités d'accès ou de
consommation de soins ?
· La répartition des praticiens du second groupe
(spécialistes et laboratoires) est très localisée, dans
les zones urbaines, est-ce que cette offre est conforme à la demande de
la part des populations, notamment rurales, en considérant que cette
demande soit représentative des besoins non quantifiables (loi
"Information et Libertés ") ?
La géographie de l'offre de soins du second groupe
a-t-elle un impact sur l'accessibilité et la consommation des
populations rurales les plus isolées ? Si tel est le cas, comment
peut-on palier à ces inégalités dans le but de les
réduire ?
· Quels sont les facteurs déterminant la
localisation des professionnels de santé sur le territoires
régional et départemental ? Quels sont ceux susceptibles
d'expliquer les différences d'offre entre les départements ruraux
(Dordogne, Landes et Lot-et-Garonne), la Gironde et les
Pyrénées-Atlantiques ?
Ces différences se retrouvent-elles en terme de
consommation par département ? Dans le cas d'une consommation de soins
élevée, est-ce dû au fait d'effectifs plus importants ou
à une plus forte prévalence ?
· Cette géographie de l'offre de soins en effectifs
correspond-elle à celle des densités ? Quelle est l'indice de
corrélation entre ces cartes comparées à celle de
consommation ? Y a-t-il juxtaposition entre la cartographie de l'offre de soins
et la cartographie des flux ?
· A la proximité de la médecine
généraliste s'associe celle d'une médecine
spécialiste, et conforte la place de la ville en tant que lieu
privilégié d'accès aux soins. Mais qu'en est-il du milieu
rural ?
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