Une géographie vichyste ?
Si les conséquences sur la production scientifique
d'une guerre, situation propice aux restrictions et à la censure, sont
relativement aisées à mettre à jour, il n'en est pas de
même concernant l'éventuel impact des thématiques de la
Révolution nationale sur la production des géographes
français. Les obstacles sont nombreux et tout aussi nombreux sont les
risques de contresens.
Un des obstacles principaux concerne la nature
fondamentalement hétéroclite du projet pétainiste. Le
régime de Vichy n'a appliqué aucun corps de doctrine clairement
défini. De plus, l'écart a souvent été grand entre
le discours officiel et les actes. L'exemple du régionalisme
étudié par Pierre Barral illustre de manière exemplaire le
hiatus entre des volontés passéistes affirmées et un
projet administratif visant l'efficacité, projet qui sera d'ailleurs
repris dans ses grandes lignes à la Libération (Barral, 1974). De
la même façon, le discours réactionnaire glorifiant les
vertus de l'économie traditionnelle a peu pesé face à une
expérience d'économie dirigée qui sera, elle aussi,
reprise dans ses grandes lignes à la Libération, que ce soit dans
le domaine agricole ou industriel (Rousso, 1993, p.450).
Autre difficulté, les obsessions de Vichy
n'apparaissent pas brutalement en 1940. Que ce soit le problème de la
dénatalité, celui des étrangers ou celui de l'exode rural,
tous ont occupé les premières places dans les
préoccupations politiques de la vie française des années
1930. Qu'un géographe se lamente en 1943 sur les maisons en ruines des
campagnes mourantes n'en fait nullement un thuriféraire de
Pétain. Et louer l'oeuvre colonisatrice française fait partie,
comme nous le verrons par la suite, des figures courantes de la
géographie coloniale des années 1930.
Les éléments suivants ont été
retenus comme indicateurs de soutien à la politique du régime de
Vichy : expression de sentiments anti-urbains et anti-industriels,
éloge appuyé des valeurs traditionnelles (notamment religieuses),
éloge de la politique pétainiste. J'ai également
été attentif aux auteurs qui publient pendant toute la
période étudiée pour voir s'il est possible de noter des
changements de ton dans la façon d'aborder les sujets chers au
Maréchal, que ce soit le vocabulaire utilisé ou les explications
proposées.
Dernière difficulté, un article paru en 1942
peut avoir été écrit avant guerre. Les dates
d'écriture sont rarement indiquées par les auteurs ou par les
rédactions. Il est fréquent par ailleurs que des articles d'un
auteur récemment décédé soient publiés
à titre d'hommage. La fraîcheur des statistiques données,
les références bibliographiques ou les allusions à
l'actualité permettent le plus souvent d'évaluer l'année
d'écriture de l'article. Mais ce problème ne se pose guère
pour les chroniques d'actualité et les comptes rendus d'ouvrages.
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